Devant la bibliothèque d'Okinomiya, il y avait anormalement foule.
Il devait forcément se passer quelque chose, car plus d'une cinquantaine de personnes restaient devant les portes du bâtiment, discutant entre elles.
— Kéééé !
Eh, les gars, regardez, ça va devenir intéressant !
Voilà notre leader, il s'appelle Maebara ! Alors dites bonjour !
— Aye aye, sir ! BONJOUR !
Apparemment, Kameda avait ramené des sportifs bien comme il faut avec lui.
Ils étaient plutôt baraqués et, surtout, ils avaient le feu sacré.
Pour moi qui ne savait pas trop ce que c'était de pratiquer un sport en club, c'était un peu gênant d'avoir tous ces jeunes qui étaient prêts à m'obéir au doigt et à l'œil.
Mais bon, je ne pouvais pas me permettre de faire mon timide devant eux !
Un chef militaire ne pouvait pas se permettre de se comporter en faible devant ses troupes !
Derrière leur groupe, je vis tous les inconnus que j'avais croisés la veille à l'Angel Mort.
Entre nous, j'avais pensé qu'aucun d'entre eux ne ferait le déplacement. C'était méchant à dire, mais c'était honnêtement ce que j'en avais pensé.
Ça faisait vraiment plaisir de voir qu'ils avaient tenu parole.
Eux aussi poussèrent un cri formidable(ment flippant ?). Ils semblaient prêts à en découdre.
Avec tout ce qu'il venait de faire, Kameda venait de marquer beaucoup de points.
Je voyais mal comment lui renvoyer l'ascenseur...
— Allons, allons, K, ne fais pas ton timide ! Nous sommes presqu'unis par les liens de la famille !
D'après ce que disent les rares chanceux à être allés à la dernière Fiedede, cet été, le meilleur dessert, c'est le sundae aux jeunes fruits en fleur !
Alors cet été, on n'aura qu'à aller ensemble se faire plein de jeunes fruits en fleur !
— Keiichi !
Eh bien, dis-moi, quelle ambiance aujourd'hui !
Et c'est toi qui as rameuté tous ces gens ?
— Bonjour.
Je ne pensais pas que tu réussirais à rallier autant de gens à ta cause.
Je suis impressionnée. Ahahaha !
— M. Tomitake, Mme Takano !
Mais qu'est-ce que vous faites ici ?
— Ah, t'étais pas au courant ?
Hier, pendant la réunion du comité d'organisation, on en a parlé.
Normalement, le Chef devrait être là aussi...
— Désolé d'être en retard !
Vraiment désolé.
J'ai perdu un peu de temps en donnant toutes les instructions à suivre pendant mon absence.
— Ouah !
Super, Chef, mais c'est formidable !
Le Chef avait des bandeaux, des écharpes en bandoulières, et une grande banderole.
Eh ben, il était préparé pour l'occasion !
Bien sûr, il y avait des slogans marqués partout dessus. “Il faut sauver Satoko Hôjô !” “Il faut agir maintenant !”, il en avait plusieurs comme ça. Pour un peu, on ne serait cru dans une manifestation !
Mais le mieux, c'est qu'il en avait plusieurs de chaque. Shion et Mme Takano étaient d'ailleurs en train de les distribuer.
— Je sais pas comment vous dire ça, mais d'habitude, je déteste ce genre de petites attentions.
Mais là aujourd'hui, je sais pas, ça me dérange pas. Vous remontez dans mon estime.
— N'empêche que ça sert bien, ce genre de petits trucs.
Les gens se connaissent pas tous ici,
alors le fait de voir les mêmes écharpes et les mêmes bandeaux, ça donne un peu plus l'impression d'être avec des amis. Ça donne un but commun, une cohésion dans le groupe.
— On se croirait revenu au temps de la guerre du barrage.
Les gens de Hinamizawa se sentaient invincibles avec leurs banderoles.
Ils ne reculaient devant rien ni personne !
Tomitake avait mis le doigt dessus.
Les élèves d'Okinomiya regardèrent les bandeaux et les mirent, sans sourciller.
Je pensais qu'ils auraient un peu honte de les porter, mais en fait, non, on aurait presque dit des fans de base-ball désireux de se faire voir par les joueurs de leur équipe préférée...
— Tiens, Rika, toi aussi, je t'en prie.
J'ai eu du mal à en faire autant, tu sais ?
— ... Irie...
— Si je peux aider, je le ferai, sans regarder à la dépense.
Je suis prêt à jeter toutes mes forces dans la bataille, pour sauver Satoko !
— Tiens, voilà pour toi, Keiichi.
C'est fou n'empêche, hier on aurait cru à une sortie éducative de l'école, mais aujourd'hui, c'est plus du tout la même chose !
— Ouais...
Je pensais simplement que revenir à plusieurs leur ferait un peu peur, mais là, c'est carrément plus le même effet !
Comme quoi, bluffer, ça peut être super efficace...
— Bon, eh bien, cela va bientôt être l'heure.
Chef, si vous voulez bien parler aux troupes, je vous en prie.
— Comment ça, “Chef” ? Moi ?
Arrêtez, voyons, je suis juste celui qui a ouvert sa grande gueule en premier...
— Keiichi, un leader ne peut pas se comporter comme ça !
Allez, tu me bombes ce torse et tu y vas !
Sous les flash de Tomitake, je me plaçai au devant de la foule.
Peu à peu, les conversations privées cessèrent, et bientôt, tout le monde eut le regard braqué sur moi.
... C'était vraiment très impressionnant.
Et en même temps, il m'était difficile de cacher et de contenir l'excitation qui m'habitait à l'idée d'avoir pu réunir autant de gens pour soutenir notre cause.
— Bonjour tout le monde ! Merci d'être venus aujourd'hui.
Je pense que vous êtes déjà au courant, mais l'une des filles de notre classe, Satoko Hôjô, a été emmenée de force par son oncle depuis maintenant 4 jours.
Pourquoi est-ce qu'un connard pareil, qui battait sa nièce comme il en avait envie, et qui l'a laissée à la rue pendant toute une année sans se manifester, coulant la vie douce auprès de sa maîtresse, peut-il encore avoir l'autorité parentale ? C'est n'importe quoi !
Le centre de protection de l'enfance doit bien comprendre que la situation est dangereuse. Ils doivent immédiatement prendre Satoko sous leur aile !
Mais sous prétexte de prudence dans la décision, ils ont pour l'instant laissé traîner les choses !
Ils ne semblent pas comprendre à quel point Satoko est étouffée dans ce nouvel environnement !
Nous sommes déjà venus porter plainte, et aujourd'hui, nous revenons encore une fois demander une réévaluation de l'urgence de la situation !
— Tous ceux qui ont vu Satoko aujourd'hui à l'école doivent sûrement en être conscients.
Comment est-ce qu'une petite fille aussi pleine de vie que Satoko peut se transformer en un pareil zombie ? En à peine quatre jours ?
On ne peut pas la laisser avec son oncle plus longtemps, c'est trop dangereux pour elle !
— Aujourd'hui, c'est la troisième fois que nous venons nous plaindre.
À chaque fois, nous avons plus de monde pour nous soutenir.
Il faut bien montrer aux fonctionnaires que nous ne sommes pas venus ici pour rigoler !
Nous ne voulons pas abandonner notre amie à son sort !
— Incroyable...
C'est vraiment le retour de la guerre du barrage !
— Maebara ne connaissait pas le village à cette époque, c'est fou qu'il ait réussi à recréer cette ambiance si particulière.
C'est vrai que c'est un peu surréel.
Il doit vraiment y avoir quelque chose dans cette région qui aide les gens à se coordonner entre eux, ce n'est pas possible autrement...
— Bah, c'est juste parce que nous venons du fin fond de la pampa, les gens se serrent plus facilement les coudes.
Ce rassemblement d'aujourd'hui, ça nous pendait au nez, c'est un développement normal des événements.
— Tu sais, je viens de la ville, la plupart des gens ne savent même pas quelle tête ont leurs voisins. Je dois dire que je suis jaloux.
— ... Rappelez-moi encore qui se plaignait du nombre ridicule de trains qui venaient jusqu'ici ?
— Toutes les troupes sont prêtes à mener l'assaut !
Votre Excellence, nous attendons vos ordres !
— N'oubliez pas, nous sommes ici pour exiger l'envoi d'une aide !
Tous derrière K !
« Ensemble,
nous
vaincrons ! »
Nous étions sacrément remontés, et nous n'avions même pas encore commencé !
Les fonctionnaires à l'intérieur devaient bien se rendre compte que nous étions décidés à nous faire entendre.
On voyait quelques personnes se presser aux fenêtres et observer la scène, une certaine tension sur le visage.
— Bien ! Allons-y !
Le Chef me donna une forte tape dans le dos, et je fis ainsi mon premier pas vers notre troisième plainte officielle, cette fois-ci à la tête d'une soixantaine de personnes.
D'un pas lent, nous passâmes les portes automatiques et couvrîmes la distance jusqu'aux guichets.
— À ton avis, à quoi aura-t-on droit aujourd'hui ?
Avant-hier une conseillère, hier un chef de service.
Tu penses qu'on aura le grand chef aujourd'hui ?
— Je ne sais pas trop.
Mais cette fois-ci, ils comprendront que nous ne sommes pas là pour faire de la figuration !
— Euh... Bon--bonjour messieurs dames, que voulez-vous aujourd'hui ?
— La même chose qu'hier.
Nous sommes venus porter plainte pour exiger la reconnaissance de l'urgence de la situation de Satoko Hôjô !
Au fond de l'office, le chef de service qui nous avait reçus la veille discutait avec un autre homme, jetant des regards vers nous.
On voyait bien qu'ils avaient su que nous reviendrions, mais qu'ils n'avaient pas imaginé un tel nombre de gens venir avec nous.
Shion semblait persuadée que tout irait sur des roulettes aujourd'hui, mais moi, je savais que nous devions rester sur nos gardes.
Pour être tout à fait franc, je ne pensais pas pouvoir rameuter plus de gens que ça, j'étais au taquet.
S'ils ne ployaient pas l'échine aujourd'hui, je ne savais pas trop quoi faire demain.
Je maintenais un masque de confiance sur le visage, mais en moi, la nervosité et l'anxiété menaçaient de me déchirer.
Heureusement, les regards déterminés de mes amis autour de moi purent un peu apaiser mes démons intérieurs.
Mais en y réfléchissant un peu, je me rendis compte que la situation devait être la même pour eux aussi.
Je parie qu'ils sont tout aussi anxieux de voir si nous réussirons à la sauver aujourd'hui.
Mais ils ne peuvent pas le montrer. Et comme chacun fait semblant d'avoir confiance, tout le monde se remonte le moral.
Et c'était probalement ça qui faisait toute la force d'un groupe.
L'un pouvait entraîner l'autre, qui entraînait l'autre, et cætera.
C'était une énergie impossible à mettre en place quand on était tout seul, forcément… C'était ça, le pouvoir du rassemblement.
De simples gouttes d'eau peuvent percer la roche si elles y mettent le temps nécessaire, mais un tsunami, lui, emporte tout sur son passage, sans se poser de questions !
Après quelques instants, le chef de service de la veille vint nous voir dans la précipitation.
Il avait quelque chose à nous dire.
Soi-disant, la salle de réunion était occupée aujourd'hui, donc il ne pouvait pas nous faire entrer dedans.
Par contre, le chef qui dirigeait cette antenne voulait se joindre à nos discussions.
C'est pourquoi il nous proposait d'inviter trois représentants de notre groupe dans son bureau.
— Je suis vraiment désolé,
mais pensez aussi un peu aux autres personnes qui voudraient nous voir...
Je trouvais un peu stupide de venir avec autant de monde pour finir à seulement trois dans un bureau.
Mais Mion se pencha pour me souffler à l'oreille que c'était une bonne idée d'accepter leur proposition.
— Si nous entrons de force avec autant de monde, ils peuvent appeler la Police et nous virer de là au motif que nous les empêchons de travailler en paix.
Je pense que nous avons fait notre petit effet.
Ils vont nous faire rencontrer leur plus haut fonctionnaire, ils ne peuvent pas nous proposer plus, je pense.
— ... Regardez-les, ils tremblent de peur, on dirait des minous !
— Ahahahahaha, des minous, hein ?
En tout cas, ils mentent pour la salle de réunion, si vous voulez mon avis.
— Oui, c'est clairement un gros mensonge.
Mais je pense aussi que notre arrivée a eu son petit effet.
— Ils vont nous faire rencontrer la personne en charge de toute cette antenne.
Ils font preuve de bonne volonté, alors nous devons en faire autant.
— Oui, si nous refusons de coopérer, ils le noteront dans le dossier
et toute négociation ultérieure en sera automatiquement affectée.
— Je sais que ce ne sont pas mes affaires, mais je pense que vous devriez bien faire comprendre que vous êtes venus pour discuter.
Hmm...
Les avis étaient partagés, mais tous les conseils étaient bons à prendre.
Si j'avais été seul devant, je lui aurais gueulé dessus dès le départ, en pensant qu'il me prenait pour un idiot avec sa proposition.
Mais apparemment, si j'avais fait ça, je me serais bien planté.
Heureusement qu'ils sont tous avec moi pour me donner conseil...
— OK, d'accord.
Nous allons prendre trois représentants, alors.
... Et alors, on prend qui ?
— Déjà, on commence par toi, Keiichi.
Ensuite, il nous faudrait un adulte, je pense que le Chef serait bien. Ensuite, pourquoi pas Mion ? Avec ça, on devrait avoir une bonne équipe !
— Oui mais non, si leur supérieur me voit, il va penser que les Sonozaki exercent des pressions.
Le clan est en dehors de ça, je ne peux pas risquer de l'impliquer.
... Ouais, c'est un peu une mauvaise excuse, mais là, j'ai pas trop le choix.
— C'est notre bataille à nous, la vieille folle n'a rien à voir là-dedans.
Mais si tu veux, Rena, tu peux y aller.
Mets-lui une beigne dans la figure pour moi !
— Je pourrais le faire, mais... Rika, tu ne veux pas y aller ?
— ... Miaou ?
— Après tout, tu es la meilleure amie de Satoko. Je pense que tu as ta place parmi les représentants.
— ... ... ...
Rika est une enfant pas très bavarde, à la base, donc il était toujours difficile de jauger combien elle était déterminée.
Mais elle était réellement la meilleure amie de Satoko.
Elle avait partagé sa vie pendant toute l'année dernière.
Leurs liens devaient forcément être très forts.
— Bon, ben alors, je vais y aller avec le Chef et Rika, c'est entendu.
— Parfait.
Nous, on s'occupe de garder les autres en groupe.
Mion me fit un clin d'œil, puis se tourna et commença à expliquer la situation aux autres gens.