Keiichi

— ... Bon, au moins, nous sommes arrivés à l'heure. Mais n'empêche, ils nous font bien poireauter.

Shion

— Regarde ceux-là, là-bas, ils ont l'air de ne rien avoir à faire, pourquoi ils ne s'occupent pas de nous ?

Mion

— Parce que ce sont des gens qui ne font pas partie du bon service.

Nous attendons de pouvoir parler à une personne en particulier, et pas à une autre.

Rena

— N'empêche que s'ils nous font attendre aussi longtemps, cela veut dire que ce genre de problèmes est assez courant, non ?

Mion

— Hmmm, je sais pas trop.

C'est vrai que plus j'y réfléchis, plus je me dis que les deux tire-au-flanc là-bas feraient tout aussi bien l'affaire...

Rika

— ... Si les affaires du service des enfants battus sont prospères, c'est que le monde va bien mal.

Après avoir attendu plus d'une demie-heure, enfin, j'entendis une employée prononcer mon nom.

Mion ne pouvait pas se permettre de laisser son nom ici, cela ferait trop de grabuge, aussi avait-il été décidé que la plainte serait déposée en mon nom.

Keiichi

— Euh... Maebara, c'est moi.

Au guichet, une femme m'attendait.

C'était l'une des femmes qui n'avait rien eu à faire tout à l'heure.

Est-ce que c'était elle qui allait prendre nos dépositions ?

Employé de bureau

— Eh bien, M. Maebara,

je vois que vous êtes venus à cinq personnes, que vous arrive-t-il ?

J'avais déjà marqué sur le formulaire que je voulais leur parler de Satoko Hôjô. Je suppose qu'elle voulait un peu plus de détails.

Keiichi

— Eh bien, euh, hier, la maîtresse de l'école de Hinamizawa vous a contactés à propos de Satoko Hôjô.

Nous aurions nous aussi des choses à vous dire à ce sujet...

Employé de bureau

— Quels sont vos liens avec Satoko Hôjô ? Vous êtes ses amis ?

Keiichi

— Oui.

Nous sommes dans la même classe qu'elle à l'école.

Employé de bureau

— Je peux vous demander de m'en dire un peu plus sur ce que vous avez à nous dire ?

Keiichi

— Eh bien, nous avons compris qu'apparemment, vous services ont dit que comme il n'y avait pas de mauvais traitements apparents, vous vouliez simplement attendre de voir l'évolution de la situation.

Keiichi

Alors, nous nous sommes dits qu'il allait falloir vous expliquer un peu la situation exacte dans laquelle elle se trouve, c'est pour ça que nous sommes venus.

Employé de bureau

— Je vois.

Très bien, retournez vous asseoir, je vais transmettre votre requête. Je vous demande juste un peu de patience.

C'était tout ce qu'elle avait à me dire, apparemment.

Donc à première vue, à partir de maintenant, c'était une personne en charge du dossier qui allait nous recevoir.

Je venais un peu de passer un questionnaire préliminaire.

En la regardant juste avant de partir, je remarquai qu'elle était en grande discussion au téléphone avec quelqu'un.

Rena

— Elle t'a demandé quoi ?

Keiichi

— Elle m'a juste demandé pourquoi nous étions là.

Il va falloir encore attendre un peu.

Shion

— ... Rah, je n'aime pas attendre pour rien, comme ça, ça me tape sur le système.

Rika

— ... Qu'est-ce que tu lis depuis tout à l'heure, Mii ? C'est si intéressant ?

Mion

— Il y a plein d'affichettes qui disent que si l'on voit des gens maltraiter d'autres, ou si l'on connait des situations comme ça, il faut venir leur en parler.

Mion

Je suis un peu rassurée, ça veut dire que nous sommes venus au bon endroit.

Rena

— “Les mauvais traitements, nous pouvons les empêcher. Ouvrons tous les yeux.”

Eh ben, un haïku, en plus ? On se refuse rien. Ah, les haïku satiriques, ils ont pas un nom spécial ? Senryû, non ?

Keiichi

— Si, c'est ça, ouais. N'empêche, ils en ont plein partout.

On voit qu'on est au centre des services de l'enfance.

Rika

— ... C'est juste dommage que leurs posters ne servent strictement à rien, c'est dehors qu'il faut aller les coller.

Elle n'avait pas tort, franchement.

Si les gens faisaient le déplacement jusqu'ici, ils n'avaient plus besoin de l'information. C'était dehors qu'il fallait la montrer aux yeux de tous.

Employé de bureau

— M. Maebara ?

Je m'excuse de vous avoir fait attendre.

Vous voulez bien vous rendre dans la salle 2 ?

Keiichi

— Eh, ils m'ont appelé !

Venez, allons-y !

Me dirigeant dans le couloir qu'ils m'avaient indiqué, je vis trois salles, intelligemment numérotées salle 1, salle 2 et salle 3.

Keiichi

— Ah ouais ?

Ah ben je croyais qu'on parlerait devant un guichet, comme à la banque.

En fait, on a droit à des salles privées ?

Mion

— J'imagine que c'est pour que les gens n'entendent pas les conversations.

Tu sais, les gens qui viennent ici ne sont pas là pour raconter des histoires drôles. J'imagine qu'ils ne veulent pas trop que ça se sache.

Rena

— Oui, mais c'est un peu cette barrière pudique qu'on érige autour des problèmes familiaux qui incite un peu à se lâcher avec la violence, non ?

Shion

— C'est vrai que c'est un peu une forme de politesse de faire comme si on ne voyait pas les problèmes familiaux.

Salle 2.

OK, c'est ici.

Je toquai à la porte. Depuis l'intérieur, une voix de femme m'invita à entrer.

Keiichi

— Bonjour, Madame...

À l'intérieur, la salle était très exiguë.

Je sais pas trop quel est le terme exact, mais la salle était très étroite, et en même temps très allongée en profondeur.

Il y avait au milieu de la salle une sorte de guichet qui prenait toute la largeur de la pièce. En fait, elle était coupée en deux par le guichet, l'autre côté appartenant à l'administration.

De l'autre côté, une femme d'environ la quarantaine était assise.

Elle nous invita à nous asseoir.

Le problème, c'est qu'il n'y avait de la place que pour deux personnes.

Vu que j'avais mis mon nom sur le formulaire, je devais représenter nos voix, aussi je m'assis.

Mion me dit à voix basse qu'elle et sa sœur devaient se faire invisibles, aussi restèrent-elles debout.

Au début, Rena enjoignit Rika à prendre place, mais celle-ci refusa. Alors, un peu gênée, Rena finit par prendre le deuxième siège.

Il faut dire que la pièce était tellement exiguë que si elle était restée debout, Rena aurait pris trop de place.

Il n'y avait vraiment pas d'espace ici...

Conseillère

— Je suis vraiment désolée,

mais d'habitude, les gens viennent soit seuls, soit en couple, lorsque ce sont les parents.

Aaah, oui, OK, forcément.

Conseillère

— Eh bien, de quoi voulez-vous me parler aujourd'hui ?

Keiichi

— Euh, les filles, je peux parler au nom du groupe ?

... Alors, euh, nous sommes des élèves de l'école de Hinamizawa. Nous sommes tous ici présents des amis de Satoko Hôjô.

Keiichi

Hier, l'école vous a appelés et un fonctionnaire est allé chez Satoko pour juger de la situation.

Keiichi

Sauf que nous avons entendu qu'il avait déclaré que la situation n'était pas urgente, donc, nous avons compris qu'il n'avait pas trop bien cerné le problème. C'est pourquoi nous sommes venus pour vous donner quelques explications.

Mion acquiesça plusieurs fois en me regardant.

Apparemment, je m'en sortais bien dans ma manière de lui parler.

Conseillère

— Vous dites des explications, mais quelles explications ? Je ne vois pas trop ce que vous voulez nous expliquer.

Vous pouvez m'en dire plus ?

Keiichi

— Eh bien, comment dire. Certes, cela ne fait que deux jours que l'oncle a repris sa nièce, mais je vous assure, ce n'est qu'une question de temps avant qu'il ne la maltraite.

Keiichi

D'ailleurs, la preuve, c'est qu'il la frappait régulièrement déjà l'année dernière.

Donc je pense que cette année, il le fera aussi, tôt ou tard.

Keiichi

Sauf que nous, nous voudrions vous voir sortir notre amie de là, avant qu'il ne se passe quelque chose d'irréparable, vous comprenez ?

Mais il paraît que vous avez décidé d'attendre et d'observer la situation ?

Shion

— Vous avez l'intention de la laisser se faire tuer ?

Shion

Vous avez un sacré culot de venir nous dire que vous ne pouvez pas intervenir parce qu'elle ne prend pas assez de coups.

Shion

Quand ce sera trop tard, est-ce que c'est vous qui viendrez pour en porter la responsabilité ?

Shion n'avait décidément pas la langue dans sa poche.

J'avais peut-être été un peu trop poli et pudique dans mes descriptions...

Mion leva les yeux au ciel,

mais elle avait l'air de savoir que sa sœur dirait des choses encore pires si jamais elle essayait de la faire taire. Elle laissa couler.

La fonctionnaire, d'un calme olympien, sembla ne pas prendre ombrage des remarques de Shion et lui répondit sur un ton très doux.

Conseillère

— Je voudrais tout d'abord signaler que nous sommes actuellement en train de nous occuper du dossier de mademoiselle Hôjô, et que nous étudions une solution.

Nous ne la laisserons pas tomber, et encore moins mourir.

Ils ont en train de s'occuper... actuellement de son dossier et étudient une solution ?

C'est un peu compliqué comme réponse.

Mais c'est vrai que nous avions dit des choses un peu grossières, aussi...

Elle nous fait peut-être payer notre insolence ?

Alors que je me posai cette question, Rena en rajouta une couche.

Rena

— Il n'empêche qu'hier soir, vos services sont revenus de son domicile sans rien faire du tout ?

Rena ne s'en laissait pas conter, les formulations complexes ne réussissaient pas à l'embobiner, elle.

S'ils étudiaient le dossier trop lentement, ils la laisseraient mourir, c'était la même chose.

Qu'ils y pensent ou qu'ils se creusent la tête sur une solution ou pas, pour l'instant, ils n'avaient strictement rien fait, et c'était tout ce qui importait.

Conseillère

— Hier, nous avons envoyé quelqu'un, et cette personne a été directement poser des questions sur la situation.

Conseillère

Je ne peux pas vous en dire plus car cela touche au secret du dossier, mais la situation est loin d'être aussi dangereuse que vous ne le suggérez.

Conseillère

Nous continuerons de donner à M. Hôjô et à sa fille des indications pour qu'ils puissent vivre sans heurts.

Shion

— Mais de qui vous parlez ? M. Hôjô et sa fille ?

Satoko est sa nièce.

Vous n'avez même pas lu le dossier, je parie ?!

Conseillère

— ... Ah, pardon, excusez-moi,

effectivement, il me faut parler de M. Hôjô et de sa nièce.

Quoi qu'il en soit, nous sommes en discussions avec le tuteur légal de la fillette pour que leur relation se passe au mieux.

Shion n'avait pas perdu l'occasion d'attaquer.

Au début, je me disais qu'elle exagérait, mais c'est là que j'ai compris la différence entre nous et l'administration.

Keiichi

— Non mais, vous savez, Satoko vivait très bien avant ça.

Et c'était pas grâce à lui.

Keiichi

Déjà, de base, il s'est évanoui dans la nature pendant un an, et ensuite il est revenu sans prévenir et l'a ramenée de force avec lui.

C'est pas un enlèvement ?

Conseillère

— Allons, Monsieur, un enlèvement ? N'exagérons rien, voulez-vous.

Conseillère

L'enfant doit vivre au domicile de son tuteur légal, ou dans un lieu désigné par celui-ci, c'est la loi.

Conseillère

Dans l'article 821 du code civil japonais, il est dit que...

Shion

— Non mais, vous écoutez quand on vous parle ? Il l'a laissée à la rue pendant toute une année !

Comment est-ce que ce type peut-il encore être son tuteur légal ?!

Mion

— Ouais mais Shion,

c'est devenu son tuteur à la mort des parents de Satoko, déjà...

Keiichi

— Ah ouais ?

Il a le droit de se déclarer être son tuteur, alors ?

Mion

— Ben...

Mion

Écoute, je sais pas quel paragraphe c'est dans le code civil, mais il est dit quelque part que toutes les personnes mineures doivent dépendre d'un tuteur.

Mion

Donc toute personne qui n'est pas majeure a besoin d'un tuteur,

Mion

en fait, c'est plus que ça, elle est obligée d'avoir un tuteur.

Conseillère

— Oui, c'est inscrit au paragraphe 818 du code civil, Mademoiselle.

Keiichi

— Donc en fait, le droit de tutelle est passé automatiquement des parents de Satoko à son oncle lorsque ceux-ci sont morts il y a trois ans ?

Mion

— Oui. En règle générale, on commence par le donner à la famille la plus proche.

Mion

Comme Satoko n'avait que cet oncle et sa femme, c'était vite trouvé...

Mion

Oh bien sûr, si Satoko et Satoshi avaient voulu quelqu'un d'autre, ils auraient pu éviter ça, mais...

Shion

— C'était juste après cette histoire de barrage, et la famille Hôjô était une famille de traîtres.

Personne ne voulait avoir leurs enfants.

Shion

Ce n'est pas comme pour Dame Rika, où presque toutes les familles se sont bousculées pour proposer leur aide.

Rika

— ... ...

Je savais que les Hôjô avaient été méprisés pour avoir soutenu le projet de barrage, j'en avais déjà entendu parler.

Mais je pensais que tout avait pris fin lorsque les parents de Satoko étaient morts.

Sauf que ce n'était pas le cas, et que j'aurais dû le savoir, quelque part.

J'avais forcément dû remarquer que malgré le sort qui avait frappé Rika et Satoko exactement de la même manière, les gens ne les traitaient toutes les deux absolument pas de la même façon.

Bien sûr, le village ne faisait rien de concret pour conspuer ou pour chasser Satoko.

Mais il y avait sûrement des tas de petits détails que je ne remarquais pas et qui étaient autant d'épines pour ses pieds...

Mion

— Et puis tu sais, je veux pas trop le crier sur les toits, mais la famille de Satoko était bien plus aisée que celle de l'oncle.

Mion

Et donc en tant que tuteur, il a forcément accès à son héritage.

Mion

C'est pour ça que lui et sa femme ont accepté de les prendre, ils se sont même installés dans leur ancienne maison, sans se gêner.

Mion

Tu sais où il habitait, normalement ?

C'était un truc tout pérave et tout rikiki.

Rena

— ... C'est vachement glauque, en fait, cette histoire.

Mais du coup, s'il a délaissé ses obligations en tant que tuteur pendant un an,

il peut pas trop venir faire son malin,

quand même ?

Conseillère

— Eh bien,

dans le chapitre 4 du livre 4 du code civil japonais, il y a quelques lois qui définissent les conditions du retrait du droit de tutelle.

Elle prit l'un des nombreux livres épais sur la table et en tourna les pages, puis nous montra un paragraphe.

C'était écrit en très petit et dans des phrases bien tarabiscotées, mais pour faire court, les parents qui ne feraient pas bien leur boulot pouvaient perdre la garde ou la tutelle d'un enfant.

Rena

— Donc au moins, on pourrait la lui retirer...

Keiichi

— Ouais, mais attend, ça parle du tribunal.

Où est-ce qu'elle va, cette phrase ?

Shion

— Le tribunal des instances familiales peut, à la demande de l'enfant, de sa famille ou des agents de l'État, prononcer le retrait de la tutelle.

... C'est quoi en fait, ce truc ?

Shion

Il faut attendre que le juge de tutelle fasse passer le cas au tribunal et attendre leur décision ?

Mais on n'a pas le temps !

Conseillère

— Ah, mais dans ce genre de cas précis, pour la sécurité de l'enfant, il est d'abord placé ailleurs, en urgence.

Cette mesure est elle-même placée sous la décision du juge des tutelles, mais...

Mion

— ... Et cet article 834, il ne s'applique pas à Teppei Hôjô ?

Le détenteur de l'autorité parentale, en l'occurence lui, s'est montré coupable de néglicence envers elle pendant toute une année, c'est un fait avéré.

Mion

Qu'en avez-vous pensé ?

Conseillère

— Pour des raisons évidentes de respect de la vie privée, je ne peux pas vous répondre. Mais soyez sans crainte, nos services demandent eux aussi à savoir la raison de cette absence prolongée.

Rena

— Et son explication vous a suffi, puisque vous ne jugez pas la situation alarmante. Non ?

Conseillère

— ... Comme je vous l'ai dit, nous sommes en train de nous occuper de ce dossier.

Conseillère

Nous pensons bien sûr en priorité à la sécurité de l'enfant, c'est pourquoi nous leur apportons notre aide pour qu'ils continuent à vivre dans des conditions suffisamment décentes pour l'enfant.

Elle ne comprend pas l'urgence de la situation.

Et le pire, c'est que nous n'arrivons pas à la lui expliquer.

En même temps, je sais même pas quelle tête il a, l'oncle.

Je ne sais ce qu'il s'est passé l'année dernière que grâce aux conversations des autres et de ce qu'en a raconté la maîtresse.

Mais ça ne m'empêche pas de saisir l'urgence de la situation.

On ne peut pas laisser Satoko chez un type pareil, c'est tendre le bâton pour se faire frapper !

Keiichi

— Mais je comprends pas, l'année dernière aussi, il la frappait, sa femme aussi d'ailleurs.

Keiichi

Vous êtes sûrs qu'il est bien raisonnable de la lui laisser ?

Keiichi

Enfin, vous devez bien avoir des archives de ce qu'il s'est passé l'année dernière, quand même ?

Conseillère

— Les faits du passé ne vous regardent pas, donc je n'en parlerai pas ici avec vous, mais nous les prenons bien sûr en considération dans nos décisions.

Rena

— Elle n'est pas venue à l'école aujourd'hui, ni hier.

Rena

Nous avons reçu ce matin un appel téléphonique indiquant que Satoko avait attrapé froid, mais vous ne trouvez pas étrange que depuis le moment où son oncle l'a reprise sous son aile, elle n'a plus été à l'école ?

Conseillère

— Oui et non. Si elle a attrapé froid, il n'est pas impossible qu'elle doive réellement garder le lit pendant deux jours.

Je pense que nous devrions attendre encore un peu avant de tirer des conclusions hâtives.

Mion

— Une chose est sûre, je peux vous assurer que Satoko ne souhaite pas vivre avec son oncle.

Il la retient à la maison, contre son gré !

Conseillère

— Le fonctionnaire désigné pour s'occuper du dossier est allé sur place pour en juger, et ce n'est qu'après qu'il a pris sa décision.

Shion

— Donc en gros, c'est toujours le même problème qu'avant ?

Les fausses déclarations qu'elle a faites il y a quelques années vous empêchent d'y voir clair ?

Conseillère

— Les faits du passé ne vous regardent pas, je n'en discuterai donc pas plus avant.

Sachez juste que tout est pris en compte dans la décision.

Keiichi

— Vous savez, Satoko croit qu'elle est responsable de la fugue de son frère, l'année dernière. Je pense que même si elle subissait des mauvais traitements, elle nierait en bloc.

Keiichi

Si jamais elle devait nier les violences avec un peu trop de véhémence, pensez-y. Ne la croyez pas sur parole.

Rena

— Vous devez quand même bien savoir qu'une personne battue et humiliée n'a même plus la force de demander de l'aide ?

Shion

— Rah, ça suffit, tout ce cirque !

Shion

Je ne vous demande pas de vous poser des questions, levez vos fesses et sortez-la de là !

Shion

S'il devait lui arriver quelque chose, je vous jure que vous aurez affaire à moi !

Shion

Là pour l'instant, je suis calme, alors profitez-en pour vous activer, parce que ça va pas durer longtemps !

Mion

— Arrête, Shion !

Tu vas faire mauvaise impression, ça peut tout faire rater !

Keiichi

— Écoutez, je ne sais pas comment il s'est comporté avec votre agent, mais je vous assure que c'est un homme violent.

Ne vous laissez pas berner !

C'est tout ce que nous voulions vous dire aujourd'hui !

Rena

— Alors je vous en prie, dites à la personne qui s'occupe du dossier de vite prendre Satoko sous sa protection !

Nous comptons sur vous !

Tout n'était pas si mal. Shion avait mal réagi, mais Mion avait pu calmer le jeu. Et puis, Rena a bien résumé le tout.

... Il s'ensuivit un silence, pendant lequel nous attendîmes nerveusement la réaction de l'homme de l'autre côté du bureau.

Conseillère

— ... Eh bien, je ferai passer à l'age-- non, à l'assistante sociale.

Conseillère

C'est entendu, je note.

Conseillère

Dépôt d'une pétition par un, deux,

trois,

quatre,

cinq...

5 amis de Satoko Hôjô pour faire appel de la décision de l'assistante sociale.

Conseillère

Nous continuons à nous occuper du dossier avec la plus grande prudence, donc si vous deviez constater un autre problème, revenez nous voir.

J'espère que vous continuerez à aider l'assitante sociale sur ce dossier.

Conseillère

Merci d'être venus aujourd'hui, vos informations nous ont été très précieuses. Nous espérons vous revoir très bientôt.

Nous étions encore à Okinomiya.

Dans un parc depuis longtemps déserté par les enfants, notre groupe restait assis, silencieux sous le ciel rouge garance de la fin de l'après-midi.

Shion

— ... J'arrive pas à me défaire de l'impression qu'ils nous ont menés en bateau.

Rena

— Sûrement un peu, mais ils ne nous ont pas pris en grippe, c'est déjà ça.

Rena

Et puis même, la personne à qui nous avons parlé n'est sûrement pas celle qui s'occupe du dossier de Satoko.

Rena

C'est pour ça que ça c'est fini comme ça.

Keiichi

— Mion, t'en penses quoi, toi ?

Mion

— ... Hmmmmmm…

J'ai un peu l'impression d'un lutteur de Sumo qui se bat contre un arbre.

Tu tires, il se passe rien. Alors tu pousses, mais il ne se passe rien non plus.

Shion

— Mais donc, c'est comme si on avait parlé à un mur ?

Rena

— Non, je ne trouve pas.

Elle nous a dit qu'elle ferait passer le message.

Mais comme elle ne connaît pas Satoko, elle n'est pas spécialement impliquée dans l'histoire.

Keiichi

— D'après toi, Rena, notre visite a servi à quelque chose, ou pas ?

Rena

— Je dirais pas que c'était inutile.

Rena

... Par contre, il ne faut pas se voiler la face, la personne en charge du dossier ne saura pas à quel point nous nous inquiétions pour Satoko.

Rena

Elle va voir un petit papier sur son bureau avec juste marqué au stylo deux lignes “Dossier Satoko Hôjô, 5 amis ont déposé plainte aujourd'hui”, pas plus...

Shion

— Vous croyez que c'est possible d'aller voir directement l'agent qui s'occupe d'elle ?

L'assistante sociale, c'est ça ?

Mion

— ... Je sais pas trop.

C'est un boulot à risques, tu sais.

J'imagine que ça doit pas être facile de les approcher.

Mion

Il doit y avoir pas mal de monde qui veulent exercer des pressions sur eux, et les gens ne sont pas toujours honnêtes comme nous.

Rena

— Ça doit être assez difficile de leur communiquer notre angoisse.

Rena

Plus on se fait légitimement du souci, plus on court le risque de passer pour une tête brûlée trop émotive. Et donc plus eux essaient de garder leurs distances.

Keiichi

— Mais dis voir, Mion, toi qui es la prochaine chef du clan, tu dois avoir vachement l'habitude de parler dans ce genre de situations ?

Tu crois pas que tu serais plus efficace que moi pour mener les discussions ?

Shion

— ... Ça n'a rien à voir avec sa façon de parler, mon cœur.

C'est parce qu'elle est Mion Sonozaki que les gens se jettent à ses pieds et ne la ramènent pas.

Tu as vu comment ils nous ont accueillis aujourd'hui ?

Shion

Si ma sœur avait donné son nom, nous aurions été reçus dans une salle bien plus spacieuse et confortable. Je parie même que l'un des gros poissons serait venu nous parler, avec l'original du dossier en mains.

Shion

C'est pas vrai, peut-être ?

Mion se gratta la tête et détourna le regard, rigolant nerveusement.

Mion a une arme redoutable : les armoiries de sa famille.

Mais tant qu'elle ne les montre pas, elle reste une jeune fille anonyme...

Je ne voulais pas le dire à voix haute, parce que c'était pas très glorieux de ma part, mais...

si le clan des Sonozaki se sortait les doigts du cul, Satoko n'aurait plus de problèmes depuis longtemps.

Rika

— ... Vous pensez que votre clan est toujours aussi acharné contre les Hôjô ?

Mion

— Oh, je pense que personne ne prendra publiquement position pour dire que les Hôjô ne sont pas les bienvenus.

Mais bon, les mauvaises habitudes, c'est comme les mauvaises herbes, c'est dur à faire partir.

Shion

— C'est pas la question, la question, c'est que la vieille folle est connue pour avoir mené le mouvement contre eux.

Shion

J'te jure, celle-là, je me demande quand est-ce qu'elle comprendra que la guerre du barrage est finie.

Shion

Ça fait combien d'années que l'association a été dissolue ?

Rena

— Allez, arrête, Shii.

Satoko est une petite fille,

c'est notre amie à nous !

Son nom de famille n'a rien à voir avec la choucroute.

Comme Shion ne trouva rien à rétorquer à ça, le silence s'installa entre nous.

Rena avait raison.

Le nom de famille de Satoko n'avait rien à voir dans cette histoire. Et du coup, celui de Mion non plus.

Le plus important, c'était de garder en tête que notre amie était en train de subir des mauvais traitements.

Il nous fallait absolument faire tout ce qui était en notre pouvoir pour la sortir de là.

Prêtant distraitement attention aux bruits de la ville, nous nous mîmes à nouveau à observer paresseusement le ciel.

Nous nous sentions bloqués, confinés,

près de suffoquer.

Est-ce que notre action d'aujourd'hui servirait à quelque chose ?

Franchement, j'aurais préféré s'ils nous avaient pris pour des idiots et jetés dehors comme des malpropres.

Au moins, nous aurions pu pousser une gueulante.

Mais maintenant, nous étions obligés de faire aussi attention à ce que eux allaient faire.

Donc par la force des choses, nous devions attendre de voir ce qu'il allait se passer, nous aussi.

Personne parmi nous ne savait quoi faire pour débloquer la situation.

Surtout qu'en rentrant à Hinamizawa, nous ne risquions pas de trouver la maîtresse avec le sourire, à nous attendre pour nous dire qu'elle avait tout réglé d'un coup de baguette magique...

Keiichi

— ... Je me demande ce qu'on va pouvoir faire, maintenant...

J'avais parlé tout seul, mais un peu fort, espérant entendre une proposition d'un côté ou de l'autre, mais cela eut l'effet inverse de nous rendre tous bien conscients de notre échec...

Rika

— ... Keiichi ?

Keiichi

— Rika ?

... Je te demande pardon.

J'avais bien la grande gueule, mais là... Je ne peux rien faire.

Rika

— ... Menteur.

Keiichi

— ... Rika ?

Je regardai son visage ; son regard était dur et déterminé. Je ne savais même pas qu'elle était capable de faire ça, à son âge…

Rika

— ... Keiichi, tu te souviens de ce que tu as dit à Shion, hier ?

“Pour l'instant, j'ai rien de mieux,

mais c'est juste parce que j'y ai pas encore assez réfléchi.” Tu nous as ordonné de te faire confiance.

Rika

Alors,

je l'ai fait.

Je refuse d'entendre ça…

Alors... alors tu peux pas dire que tu ne peux rien faire.

T'as pas le droit... de mentir.

Je sentais bien que les larmes lui montaient aux yeux.

Mais au fond de son regard, je sentais aussi qu'elle espérait me voir faire quelque chose.

Rika

— Tu l'as dit, Keiichi, tu as promis.

Rika

Tu as dit que le Destin était fragile comme les passoires en papier qu'on utilise pour attraper les poissons à la fête foraine.

Rika

Alors je te crois.

Rika

Même maintenant, je te crois.

Rika

Il n'y a que toi.

Tu es le seul qui est capable de faire ça.

Rika

Alors...

Fais-le.

Rika

Sauve-la.

Sauve Satoko.

Je t'en supplie...

Je vis les larmes couler tout doucement sur son visage.

C'était un spectacle insoutenable.

Putain de bordel de merde, va chier, saloperie !

J'ai là une gamine qui n'a pas été gâtée par le sort et qui ne pourra pas s'en sortir toute seule.

Et elle me demande instamment de l'aide !

Ouais, c'est vrai, je lui ai dit de me faire confiance.

Je lui ai dit de croire en moi.

Je lui ai dit de tout miser sur moi.

Mais si des gens misent sur moi, ça devient aussi mon problème.

Parce que si je perds, eux perdent aussi leurs billes.

Ça implique quoi au juste, de croire en quelqu'un ?

De parier sur lui,

d'investir tout ce qu'on a.

De placer ses espoirs.

Ouais, c'est ça en fait. Croire en quelqu'un, c'est placer en lui ou en elle tous ses espoirs...

Je peux pas le nier,

je leur ai dit hier de croire en moi.

Je n'aurais pas dû dire ça à la légère, dans l'inspiration du moment.

C'était une décision lourde de conséquences.

Mais évidemment, je suis trop jeune et trop con pour le savoir avant d'ouvrir ma grande gueule. J'ai besoin de faire souffrir des innocents avant de me rendre compte de ce que je fais !

... Je jetai un coup d'œil à Shion.

Elle était très en colère et semblait ne pas pouvoir se calmer.

Mion faisait tout son possible pour la laisser se défouler, mais elle ne faisait que limiter les dégâts. Elle ne pouvait pas elle-même passer à l'attaque.

Et Rena ?

Elle qui était toujours aussi calme et solide en cas de coup dur ?

C'était rassurant de l'avoir à ses côtés.

... Sauf que Rena avait l'air dévastée.

La réponse des services de l'État était trop vague pour savoir si notre action avait porté ses fruits ou pas.

Rena non plus ne savait pas quoi faire, ça se voyait. Elle suffoquait, la tête baissée.

Ce qui voulait dire que c'était à moi qu'incombait la tâche de faire quelque chose.

La flamme bleue de Rena pouvait faire fondre le métal, si besoin était.

Mion était du genre à savoir profiter du moindre avantage.

Shion était exactement pareille que sa sœur.

Un peu de vent dans le dos et elle vous franchissait des montagnes. Par contre, si le vent était de face, elle faisait du sur-place.

Seule Rika avait encore confiance en moi.

Enfin, en nous.

Elle savait que si nous unissions nos efforts, nous étions capables de tout.

Nous avions eu la grande gueule.

Nous avions même dit que les miracles, nous pouvions les déclencher facilement.

À quoi je sers, ici, moi ?

Rena est une flamme bleue, et moi une flamme rouge.

Je ne sers qu'à montrer de belles couleurs et à me propager au reste.

... Oui, je suis Keiichi Maebara.

Les filles se moquent de moi en m'appelant “le tombeur aux lèvres magiques”.

Si je n'arrive pas à leur remonter le moral, je sers plus à rien !

Les flammes bleues, elles ont besoin de flammes rouges pour prendre.

Un peu de feu, un peu de chaleur, un peu de vent, et nos deux jumelles vont pouvoir s'en donner à cœur joie !

Keiichi

— ... Merci, Rika.

Heureusement que tu es là avec tes silex.

Tu as fait une étincelle. Et maintenant, je brûle…

Rika

— ... Keiichi ?

C'est maintenant qu'il faut tenir bon !

Nous sommes les membres invincibles du club de l'école de Hinamizawa.

Super forts chacun de notre côté, et imbattables quand nous tenons ensemble !

Keiichi

— ... J'ai un peu honte d'avoir tiré la tronche.

Heureusement que tu étais là pour me remonter les bretelles, Rika.

Je sais maintenant à quel point ce que je vous ai dit hier était lourd de conséquences.

Je parie que Rika nous connaît tous par cœur. Elle est venue me tirer les oreilles parce qu'elle savait que je mettrais le feu aux poudres.

Sacrée elle !

Keiichi

— Bon alors, Mion ?

Tu comptes tirer encore la gueule longtemps ?

Révolte-toi, pète une durite, mais fais quelque chose !

Les filles me dévisagèrent, surprises par le ton de ma voix.

Elles n'étaient pas seulement surprises, elles avaient aussi sur les visages une sorte d'attente,

un sentiment d'incrédulité qui avait hâte de savoir pourquoi j'étais aussi enjoué.

En les dévisageant, j'eus une certitude.

J'avais vraiment bien compris quel était mon rôle dans notre groupe !

Keiichi

— Pensez à la manière dont ils nous ont traités. Objectivement, faut pas se leurrer, c'est un coup d'épée dans l'eau.

Comme Rena l'a dit tout à l'heure, la femme va faire passer un mot laconique et basta.

Keiichi

Mais ce qu'elle ne sait pas, c'est qu'en faisant ça, elle nous a énervés !

Mion

— Disons que, ouais, c'est pas agréable, quoi, comme quand tu te cures le nez avec un cure-dent...

Keiichi

— Nous sommes allés nous plaindre qu'ils ne comprenaient pas l'urgence de la situation, alors ils ne peuvent pas nous traiter comme ils viennent de le faire !

Keiichi

Il faut se battre !

Keiichi

C'est pas le moment de tirer la tronche et de nous cacher dans un parc pour bouder !

Rena

— Oui, ça d'accord, Keiichi,

mais du coup, qu'est-ce que tu proposes ?

Keiichi

— Héhhéhhééé !

Vous croyez quand même pas qu'on a épuisé tous les recours, quand même ?

Si c'était pour un jeu du club, vous seriez tous déclarés perdants ex-æquo !

Héhhéhhééé !

... Ha, ils vont voir de quel bois je me chauffe !

Je fais peut-être semblant pour l'instant, mais à force de faire semblant, je finirai même par me convaincre tout seul...

C'était bizarre, comme sensation, celle à la fois de se remonter le moral et de se moquer de soi.

Qu'est-ce que je foutais ici, à bâiller aux corneilles ?

Si je veux sauver Satoko, j'ai pas le temps de glander !

Je suis un peu comme un boxeur qui entame le dernier round du match !

Si je fais mauvaise impression maintenant, je suis sûr de perdre aux points ! Faut que j'attaque, comme un fou !

Si je mets une droite et que l'adversaire ne tombe pas, alors je fais quoi, j'abandonne ?

Non, bien sûr que non !

Je dois lui en remettre une, et encore une, et encore une !

Jusqu'à ce qu'il tombe au tapis !

Shion

— Mais alors, quoi ? Tu veux qu'on revienne tous les jours pour porter plainte ?

Keiichi

— Aaaah, pas loin ! Ce serait un peu trop naïf !

Ahahahahahaha !

Mion

— Heh.

Je sais pas ce que tu mijotes, p'tit gars, mais tu m--

Mion

ça me plaît.

Je sens que les choses vont être très intéressantes demain, les enfants.

On peut pas se laisser abattre par si peu, il faut inverser la vapeur !

Parfait, Mion est de retour, ça s'annonce bien !

Rena

— Oui, Keiichi, tu as raison.

Je ne me sens pas très fière d'avoir baissé les bras, comme ça.

Il faut se battre !

Mion

— Mais sérieux, p'tit gars, tu comptes faire quoi au juste ?

Keiichi

— Héhhéhhééé !

Keiichi

Souvenez-vous un peu de ce qu'elle nous a dit.

Keiichi

Sur le coup, j'ai cru qu'elle se foutait de nous et qu'elle nous déclarait la guerre, mais en fait, elle nous a dit comment nous pourrions venir les faire chier sur leur terrain.

Keiichi

Et je suis sûr qu'elle ne s'en est même pas rendu compte.

Keiichi

Elle a creusé sa propre tombe.

Keiichi

Le combat va prendre une tournure différente maintenant, une tournure qui est largement à mon avantage !