Portée par le vague espoir de voir Satoko débarquer à l'école, je décidai de faire l'effort de me lever quand même.

Mais même en veillant bien à arriver en retard, la place de Satoko s'avéra désespérément vide.

Rien qu'en voyant cela, la douleur et le désespoir en moi se firent de plus en plus intenses.

N'ayant plus un kopek pour payer le croupier, il me fallait payer la mise avec mon sang.

Pressant mon cœur, je réussis à faire perler quelques gouttes salées depuis la cornée de mes yeux.

Cie

— Un problème, Furude ? Ça n'a pas l'air d'aller.

Et que fait Hôjô, elle est malade ? Elle viendra ?

La classe entière avait compris que quelque chose de louche se tramait en me voyant arriver en retard, sans Satoko.

Mais même en faisant le tour de la classe du regard, je ne trouvai personne en qui placer ne serait-ce qu'un vague espoir. Je vis presqu'uniquement de la pitié dans tous les regards.

Personne ici ne pourrait sauver Satoko.

Personne. Absolument personne.

Je ne vais quand même pas devoir faire ma gentille petite fille et me coltiner tous ces incapables ?

De toute façon, ce monde allait bientôt sur sa fin.

Je n'avais plus qu'à attendre. Après la purification du coton, mes souvenirs finiraient bien par disparaître comme un rouleau de film se déchire, pour se recoller tant bien que mal au début du mois.

Et après ça, je vivrai pour l'éternité, enfermée au mois de juin 1983.

Même la Mort

sera comme une prison pour mon âme.

Cie

— Furude, que se passe-t-il ?

Que fait Hôjô ?

Elle est malade ? Un coup de froid ?

Rika

— Roh... Ta gueule...

La classe fut parcourue d'exclamations de surprise, puis plongée dans un profond silence.

Rika Furude ne parlait pas comme ça. Une si gentille petite fille ne pouvait pas connaître de telles façons de parler.

Bien sûr, j'en avais vu d'autres au cours de mon existence, et j'en connaissais un rayon en insultes,

mais eux ne m'ont jamais entendu les prononcer.

Cie

— Mais enfin, Furude...

Cie avait l'air estomaquée.

Ne me laissant pas intimider pour si peu, je me levai et m'apprêtai à partir.

Puisque de toute façon, Satoko n'était pas là, je n'allais pas en plus me taper une journée d'école. J'avais franchement autre chose à faire.

Rika

— ... Je me casse. Démerdez-vous entre vous.

Pendant un bref instant,

je me suis demandée si je ne devrais pas dire tout de suite que je ne reviendrais jamais.

Mais malgré tout ce qu'il s'était passé, j'avais encore quelque part suffisamment d'espoir ou de stupidité pour penser que Satoko viendrait peut-être le lendemain.

Profitant de mon hésitation, Cie, loin de s'avouer vaincue, me prit par le bras.

Elle ordonna à Mion d'occuper les élèves et me traîna jusqu'en salle des professeurs.

Elle m'intima l'ordre de m'asseoir sur le sofa en face du bureau du directeur.

... Je n'avais aucune raison de lui obéir.

Je regardai en face et vis que je pourrais sauter par la fenêtre grande ouverte pour m'en aller.

Mais comme je n'avais de toute manière même plus envie de me donner cette peine, je préfèrai m'installer confortablement sur le sofa.

Ou peut-être mon corps a-t-il fait cela par automatisme. Comme je n'avais plus aucune volonté particulière, il obéissait à ma place. L'être humain est quand même une machine formidable...

... En fait, Satoko faisait pareil.

Sa volonté brisée, son corps s'est retrouvé comme un cadavre obéissant sans broncher aux ordres qu'on lui donne...

Cie

— Furude,

raconte-moi ce qu'il s'est passé.

Je suis sûre que je peux t'aider.

Je savais que ce n'était pas vrai. Qu'elle n'arriverait à rien.

La seule chose qu'elle pouvait faire, c'était porter plainte au centre de protection de l'enfance.

Elle ne risquait pas d'aller défoncer la porte et de reprendre Satoko de force.

À bien y réfléchir, il ne servait pas à grand'chose de lui expliquer la situation.

C'était comme le barbier dans cette fable d'Ésope.

Il ne tient pas sa langue, crie son secret dans la terre, mais les plantes le répètent.

Et finalement, le secret se sait et ça cause un tas de problèmes.

Si la plainte est déposée, un fonctionnaire ira voir la situation sur place.

L'oncle niera les faits et Satoko, pour une raison étrange qui concerne Satoshi, se mettra en tête de tout encaisser sans rien dire.

Et vu le passif de Satoko en matière de fausses déclarations aux services de l'enfance, ils décideront de “rester dans l'expectative”.

Pour brouiller les pistes et ne plus avoir les services de l'enfance sur le dos, l'oncle de Satoko la laissera repartir à l'école, mais à la maison, elle prendra encore plus cher.

C'était d'ailleurs comme ça que sa femme avait procédé l'année dernière.

Et finalement, pour Satoko, la situation ne fera qu'empirer.

Alors limite, il vaudrait mieux ne rien dire du tout.

Mais en considérant que tout le monde se taise, est-ce que la situation ira en s'améliorant ?

Non.

Non, dans cette éventualité, la situation ne changerait pas d'un pouce.

Satoko serait toujours promise à un sort horrible. Mais au lieu de se faire frapper couchée sur le ventre, elle se ferait frapper couchée sur le dos.

Cie

— Son oncle est revenu...

Vraiment ?

Rika

— ... ... ...

Je devais soit avoir pensé tout haut, soit avoir répondu à ses questions sans m'en rendre compte, mais désormais, elle savait tout.

De toute manière, à partir du moment où j'avais compris que rien ne changerait, que je parlasse ou pas, j'avais décidé de ne même plus essayer de faire une différence.

Si les gens étaient si curieux de savoir, autant leur répondre.

C'était pas comme si j'en avais quelque chose à foutre.

Cie

— Très bien, j'ai une image un peu plus claire de la situation.

Et la situation est grave...

Rika

— Et ?

Maintenant que vous savez tout ça, ça vous avance à quoi ?

Je ne sais pas si elle s'était fait une raison à propos de mon impolitesse ou quoi, mais en tout cas, elle ne fit aucune remarque à ce sujet.

Cie

— J'irai ce soir leur rendre visite.

Je veux d'abord entendre ce que Satoko a à dire à ce propos.

Rika

— Oui, oui, et si vous avez l'impression qu'il y a un problème, vous irez porter plainte aux services de protection de l'enfance, je sais.

Rika

Sauf que là-bas, dans leurs fiches, ils ont un petit mot qui leur apprend que Satoko a déjà fait une dénonciation mensongère il y a quelques années de cela.

Rika

Et donc tant qu'elle n'aura pas de marques visibles des mauvais traitements, ils ne bougeront pas le petit doigt.

Rika

Ils sont aussi inutiles que la Police ; elle aussi doit attendre qu'une personne soit morte avant de pouvoir commencer l'enquête.

Rika

Et bref, les instances compétentes ne bougeront pas, jusqu'à ce que Satoko se fasse tuer.

Rika

Et là, les fonctionnaires et l'école diront que

“personne n'avait rien vu venir, vraiment, une famille sans histoire, Satoko était toujours souriante, nous n'aurions jamais pu nous douter”, blaa, blaa, blaa.

Rika

Aaah, rien que d'y penser, quel ramassis de conneries. Ça me donne envie de gerber...

Ahahahahahaha…

Cie

— ... Je pense que...

les personnes compétentes agiront.

Je compte leur faire un rapport, moi aussi.

Ouais, je sais. Tu t'es bougé le cul dans les autres mondes aussi, je m'en souviens.

Je ne doute pas de ta sincérité, Cie. Je doute simplement que tes actes servent à quoi que ce soit.

C'est bien de porter plainte et d'essayer d'émouvoir les gens.

Mais ce qu'il faut, c'est que les personnes qui écoutent la plainte se décident à en faire quelque chose.

Parce que même si tu t'engages passionnément, les fonctionnaires vont lire leurs petites fiches et d'un seul coup, c'est tout ce qui comptera. Tu auras fait tout ça pour rien.

Shion

— Mais enfin, on s'en fout qu'elle ait des traces de violences ou non !

Soudain, une voix forte retentit dans le couloir, juste de l'autre côté de la porte.

C'était la voix de Shion.

Cie cria “Non mais dites donc ? Qui est là ?” et j'entendis la voix de Mion “Merde, on s'est fait caler !”

Apparemment, nous avions une fine équipe d'espions derrière la porte.

Mais Shion avait fini par s'énerver et à ne plus pouvoir parler en murmurant.

C'est vrai qu'elle est du genre à se laisser emporter facilement par ses émotions, celle-la...

Quatre enfants penauds se tenaient debout devant la pièce :

Mion, Shion, Keiichi et Rena.

Cie

— Il me semble vous avoir dit de vous occuper !

Déléguée, ramenez-les en classe sur-le-champ !

Shion

— On a plus important à faire, vous croyez pas ?

Shion

S'il arrive quelque chose à Satoko, vous comptez faire quoi ?

Shion

Vous pourrez en assumer la responsabilité ?

Shion

Non, je ne crois pas !

Shion

C'est pas le moment de traîner ! Il faut agir maintenant, avant qu'il ne soit trop tard !

Shion

Ma conne de sœur raconte que si nous n'avons pas de preuve des mauvais traitements, la situation ne fera qu'empirer, mais après qu'elle a des bleus partout, il sera trop tard !

Shion

On peut quand même pas la laisser mourir devant nos yeux sans rien faire ?

Mion

— Mais j'ai pas dit ça !

Je dis juste que par le passé, Satoko a raconté des bobards à SOS enfants battus, alors depuis, les fonctionnaires se méfient de ce qu'elle raconte !

Mion

Donc si on y va sans preuve, à tous les coups, ils vont envoyer quelqu'un et vont simplement observer et attendre pour voir comment ça se passe.

Mion

Mais réfléchis à ce que ça va faire !

Mion

Son oncle va être complètement furax

Mion

et va la tabasser encore plus !

Keiichi

— Mais alors, ça veut dire quoi, ça ?

Keiichi

Si on veut la sauver, il faut bien qu'on agisse avant qu'il lui arrive un truc, quand même !

Keiichi

On peut quand même pas la laisser là-bas jusqu'à ce qu'on soit sûr qu'elle ait suffisamment morflé, merde !

Rena

— ... Il faut se calmer, maintenant.

Rena

Je suis du même avis que vous,

Rena

nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre qu'il soit trop tard.

Rena

Mais maintenant, il faut réfléchir et trouver ce que nous pouvons vraiment faire !

Keiichi

— Mais justement, quoi ?

On peut aller au service de protection de l'enfance, ouais.

Ce serait bien si on était sûr qu'ils la sortiront de là, mais t'as entendu Mion, ils vont sûrement attendre !

Mion

— ... Ouais.

Mion

Ça me fait mal au cul, mais si l'année dernière ils ont fait ça, c'est pas pour rien, ils le referont cette année aussi.

Mion

Surtout que cette fois, la situation est pas encore trop mauvaise.

Mion

L'année dernière, Satoko était vraiment dans un sale état.

Mion

Là, pour l'instant, ça ne fait qu'un jour qu'elle est avec son oncle.

Surtout que même s'il l'a laissée toute seule pendant un an, officiellement, c'est lui son tuteur légal, et--

Shion

— Mais enfin, on va pas s'emmerder avec ça, tu rigoles ou quoi ?

On va chez lui et on le bute, ce sera pas une grande perte !

Rena

— Non, Shii, c'est pas une solution !

Tu crois qu'il dirait quoi, Satoshi, s'il te voyait ?

Shion

— Mais je la sauve comment, sa sœur, moi ?

Il m'a demandé de veiller sur elle, de m'en occuper !

S'il lui arrive quoi que ce soit, je lui dis quoi, à Satoshi, quand il revient ?

Shion

On peut pas attendre qu'elle se soit fait tabasser ou violer, c'est pas une méthode, merde !

Shion

Si tu vois une personne en train de se faire agresser dans la rue, tu fais quoi, tu vas au commissariat pour porter plainte ?

Shion

Je crois pas, non !

Shion

Tu vas t'interposer, tu sépares les gens !

Shion

Il faut qu'on fasse quelque chose !

Mion

— Nan mais Shion, calme-toi, quoi...

Shion

— Bordel, mais grande sœur, t'es la chef de clan des Sonozaki, merde !

Shion

Donne un ordre au clan, il faut la sauver !

Shion

C'est pas comme si tu pouvais pas le faire ?

Shion

C'est juste une seule gamine, quoi, tu dois bien pouvoir organiser ça ?

Shion

Ouais, ouais, je sais, la vieille folle parle encore du barrage et n'aime pas les Hôjô, elle a donné l'ordre de ne plus s'en occuper.

Shion

Je sais que les Sonozaki feront semblant de ne rien voir, ce sont les consignes données.

Mais si ni les fonctionnaires, ni le clan ne se bougent, il faudra bien que nous, nous fassions quelque chose !

Shion

S'il le faut, je peux le faire, hein, c'est pas un problème !

Shion

On part maintenant, je peux même y aller toute seule, j'y vais et je le crève, son oncle, ça prendra 1500 secondes à tout péter !

Shion

Vous, en 1500 secondes, vous pensez réussir quoi ?

Shion

Rien du tout !

Je vais y aller, moi, vous allez voir !

Lâchez-moi !

Shion

Je vais aller le crever, moi ! Waaaaaaaaah !!

Cie

— Bon, maintenant, ça suffit !

Shion, si je t'entends encore parler comme une irresponsable, je vais vraiment me fâcher !

Maintenant que la maîtresse s'en mêlait, cela nous faisait cinq personnes qui débattaient de plus en plus vivement sur la meilleure chose à faire.

... Quant à moi, j'étais toujours installée confortablement sur le sofa, les observant d'un œil morne.

Ce n'étaient pas les mêmes personnes que la dernière fois qui se chamaillaient -- et surtout, pas le même endroit --

mais c'était toujours plus ou moins la même chose que les autres fois.

Par contre, il y avait un détail qui changeait de la dernière fois : ils avaient tous très vite compris que la situation était grave. Avec plusieurs jours d'avance, mine de rien.

Hanyû

— ... ... Rika ?

Rika

— Ne t'en fais pas.

Je n'attends plus rien, je n'espère plus rien.

Je ne suis plus capable d'espérer.

Je vis une expression de douleur teintée de tristesse sur son visage.

Mais était-elle dévastée par l'impasse du Destin dans laquelle nous nous trouvions, ou m'avait-elle simplement prise en pitié, j'aurais bien du mal à le dire...

Fidèle à sa promesse, Lumiko Cie se rendit immédiatement chez Satoko Hôjô, juste après avoir terminé la classe.

Elle savait que Satoko n'était avec son oncle qu'à peine depuis 24h.

Il était objectivement impossible d'affirmer qu'il lui avait déjà infligé des blessures irrémédiables.

Pour être tout à fait honnête, si Rika et ses amis n'avaient pas fait autant de cirque avec ça, elle aurait donné le bénéfice du doute et aurait attendu quelques jours avant de s'inquiéter.

Mais Lumiko Cie avait connu la situation de 1982.

Elle savait que la tante de Satoko l'avait fait souffrir, et elle savait aussi que son oncle était parti sans se retourner et l'avait laissée se débrouiller toute seule pendant toute une année.

Et en considérant tout cela, elle s'était dit que finalement, il n'était peut-être pas si idiot que ça de commencer déjà maintenant à se préoccuper de la situation.

Satoko n'était pas venue à l'école aujourd'hui.

Personne n'avait prévenu l'école pour justifier cette absence, et malgré ses coups de fil, personne n'avait répondu au téléphone non plus.

On pouvait décemment commencer à douter de la volonté et de la capacité de cet oncle à se comporter comme étant le tuteur de l'enfant.

Mais comme il lui était impossible de jauger la situation au téléphone, elle avait décidé de se déplacer directement.

Elle gara sa voiture sur le bord de la route et compara la carte qui lui servait de guide à la maison devant laquelle elle était.

La plaque portait bien le nom de Hôjô.

Il n'y avait donc pas erreur sur l'adresse.

La fenêtre à l'étage était grande ouverte, et le vent jouait dans les rideaux.

Depuis cette fenêtre, elle percevait les rires et la conversation de plusieurs hommes.

Alors que deux minutes auparavant, personne n'avait répondu au téléphone.

Le bruit bizarre qui transpirait au milieu des rires était probablement celui des tuiles de mah jong.

Lumiko Cie ne jouait pas, mais en pensant au nombre de voix et à la situation, elle avait obtenu une petite idée de ce qu'il se passait à l'intérieur.

S'ils jouaient au mah jong, ils étaient forcément quatre. Et vu le passif de l'oncle, elle pouvait même déduire qu'ils étaient tous des hommes assez jeunes et peu fréquentables.

Elle savait aussi, grâce à ses élèves, que l'homme lui-même était violent et dangereux.

Lumiko Cie avait beau être fonctionnaire de l'État et institutrice au village, elle n'en était pas moins une jeune femme.

Son doigt eut une longue hésitation devant le bouton de la sonnette.

Mais elle avait un sens de la justice qui la poussait de l'avant.

Elle respira un grand coup et sonna.

Elle entendait toujours le bruit des tuiles et les conversations.

Mais apparemment, les hommes ne semblaient pas décidés à interrompre leur partie, car ils continuèrent comme s'ils n'avaient rien entendu.

Elle sonna une deuxième fois, et là, les rires s'interrompirent un très bref instant.

Quelqu'un l'avait remarquée.

Mais les rires reprirent de plus belle, et le bruit des tuiles aussi.

Elle eut beau attendre, elle n'entendit personne se rapprocher pour ouvrir. Personne n'avait l'intention de répondre à la porte.

Il y avait pourtant eu un court instant de silence lorsqu'elle avait sonné.

Et puis d'abord, il y avait quelqu'un, c'était évident.

Elle n'allait pas faire demi-tour maintenant, simplement parce que les gens n'avaient pas répondu.

Prenant sa décision, Lumiko Cie se mit à taper de la main sur la porte en criant.

Cie

— Bonjouuur !

Monsieur Hôjô, vous êtes là ?

Alors, enfin, les voix à l'étage cessèrent, et un visage patibulaire se pencha au dehors, par la fenêtre.

Teppei

— S'tu veux, t'a ?

Arrête ton bordel et fous-moi le camp !

Ni son visage, ni sa voix n'avaient l'air engageants. Après une hésitation, encore une fois, le sens de la justice prévalut, jaillissant du plus profond du cœur de la maîtresse d'école.

Cie

— Bonjour, vous êtes bien monsieur Hôjô ?

Je su--

Elle n'eut pas le temps de finir sa phrase.

Teppei

— J'ai dit ta gueule et fous-moi le camp !

J'veux pas l'journal, on a du lait et chuis assuré !

J'ai pas que ça à foutre, moi,

je suis en plein travail, là !

Au mot travail, des rires gras éclatèrent dans la pièce.

Mais Lumiko ne se laissa pas démonter.

Sans prendre ombrage des propos de l'oncle, elle poursuivit.

Cie

— Je suis la maîtresse de l'école de Hinamizawa, je m'appelle Lumiko Cie.

Est-ce que Satoko Hôjô est là ?

Teppei

— Gné ?

Qu'ess'tu lui veux à Satoko, pourquoi tu veux la voir ?

Cie

— Elle n'est pas venue à l'école aujourd'hui, et personne ne nous a prévenus de son absence. Je suis juste venue voir s'il ne lui était rien arrivé.

Teppei

— Hein ?

L'école ?

Cie

— Oui, l'école. Satoko n'est pas là ?

Je voudrais lui dire deux mots.

Teppei

— Ben, elle a attrapé froid, hein.

Ouais, c'est ça, froid. Et donc, euh, elle a... de la fièvre ?

Cie

— J'ai juste à lui donner quelques photocopies, je ne pourrais pas lui parler une minute ?

Teppei

— Mais t'es conne, en fait ?

T'écoutes pas c'que j'te dis ou quoi ?

Elle a attrapé froid et elle a de la fièvre !

Elle dort là !

Tu crois quand même pas que j'vais t'laisser entrer ?

Cie

— Je vois...

Et demain, vous pensez qu'elle sera suffisamment rétablie pour venir ?

Teppei

— S'tu veux qu'j'en sache, moi ?

On verra demain !

Viens pas faire chier, maintenant, pauv' conne !

Cie

— ... ... ... Je vois.

Très bien, j'ai compris.

Eh bien, passez-lui le bonjour de ma part et dites-lui que je lui souhaite de guérir vite.

Sur ce, je vous laisse. Je m'excuse de vous avoir dérangé.

La maîtresse baissa la tête un très court instant pour prendre congé, mais lorsqu'elle rouvrit les yeux, Teppei Hôjô était déjà rassis à la table de jeu...

Lorsque Lumiko rentra à l'école, plusieurs élèves sortirent en courant de la salle de classe.

Ils étaient quatre, Keiichi, Rena, Mion et sa sœur Shion.

À l'intérieur de la salle de classe, il y avait encore la jeune Rika.

Rena

— Alors, Maîtresse ? Comment ça s'est passé ?

Mion

— Vous êtes allée chez Satoko, hein ?

Cie

— Vous m'avez attendue à cause de ça ?

Keiichi

— Madame, comment va Satoko ? Elle n'est pas blessée, au moins ?

Cie

— ... Eh bien... Je ne sais pas, je n'ai pas pu la voir.

Shion

— Eh ben alors qu'est-ce que vous êtes allée faire là-bas, espèce de questche ?!

Vous êtes la maîtresse, pas une domestique !

Les gens n'ont pas à vous envoyer chier !

Mion

— Arrête, enfin, Shion !

Tu sais bien que c'était prévisible depuis le début !

Shion

— De toute façon, à l'heure qu'il est, Satoko doit avoir des bleus partout,

Shion

c'est pour ça qu'il ne veut pas la laisser se montrer !

Shion

Il ne faut pas se laisser intimider, il faut entrer, de force !

Shion

Bon sang, je vous l'avais dit, qu'on ne pouvait pas lui faire confiance !

Cie

— ... Je... Je suis désolée.

Rena

— Allez, Shii, arrête.

Elle a fait ce qu'elle a pu.

Keiichi

— En attendant, maintenant, on sait à quoi s'en tenir.

Son oncle a vraiment l'intention de la garder enfermée à la maison.

Shion

— Mais enfin, les gens, ça, n'importe quel idiot aurait pu vous le dire déjà hier !

Shion

Rika n'arrête pas de le dire depuis ce matin !

Shion

Vous avez déjà perdu une demi-journée, rien qu'à vérifier ce que nous savions déjà !

Shion

Et maintenant, on fait quoi ? Vous avez une idée ? Hein ?

Mion

— Mais bon sang, arrête de flipper, comme ça !

Mion

On est en train d'y réfléchir.

Mion

On sait que tu y tiens, à cette gamine, nous aussi j'te signale !

Mion

On va pas la laisser toute seule, il faut qu'on trouve ce qu'on peut faire pour elle...

Shion

— Ouais, et je vous ai déjà fait une proposition tout à l'heure.

J'y vais, et je le crève. Je peux le faire seule !

Ensuite, tu te débrouilles pour cacher le corps, et--

Rena

— Rah, bordel de merde, Shii,

Rena

j't'ai dit d'arrêter avec ces histoires !

Rena

Tu peux pas tuer les gens à droite à gauche simplement parce que t'as un pet de travers !

Rena

C'est pas une solution de tuer les gens, si tu réfléchissais, tu trouverais des trucs beaucoup plus faciles et beaucoup plus réalistes à faire, non ?

Shion

— Eh ben alors vas-y, grande gueule, propose autre chose !

Shion

Puisque ma proposition c'est de la merde, vas-y, j't'écoute, dis mieux !

Shion

Alors ?

Shion

Alors, hein ?!

Shion

Aaaah, tu la ramènes moins, là !

Shion

Moi, j'ai besoin de 1500 secondes pour la sauver, pas une de plus.

Shion

Et puisque ma sœur veut pas cacher le corps, c'est pas grave, j'irai le traîner moi-même et le jeter dans le marais des abysses des démons !

Si t'as mieux, dis-le, propose quelque chose de mieux pour la sauver, essaye !

Rena

— Mais c'est pas ça le problème !

Rena

Le problème, c'est qu'à réfléchir tout seul, on ne trouve que ce genre de solutions drastiques !

Rena

Tu veux que j'te dise c'que j'en pense,

Rena

de tes 1500 secondes ?

Rena

C'est encore 500 de trop, pauvre cloche !

Rena

Moi, il m'en faudrait même pas 1000 !

Rena

Je perdrais pas mon temps à m'expliquer ou à me justifier, je lèverais mon cul et j'y irais !

À ton avis, pourquoi je le fais pas ?

Parce qu'on m'a appris, quand j'étais très jeune, à moi,

Rena

que tuer quelqu'un, c'était pas une solution.

Même si c'est la seule chose qui te vient à l'esprit. Ce n'est pas juste, ce n'est pas honnête, ce n'est pas la meilleure chose à faire.

Rena

Tout au plus, c'est la preuve que tu as réfléchi toute seule à la question !

Il y a très longtemps...

je ne me souviens plus de qui me l'avait expliqué, mais...

quelqu'un m'en avait parlé.

Lorsqu'il nous arrive quelque chose de grave, un pépin ou un accident, il ne faut pas se ronger les sangs tout seul.

Il ne faut pas s'imaginer que l'on trouvera la meilleure solution en y réfléchissant tout seul.

Rena

— Il faut appeler tous ses amis et se casser la tête dessus tous ensemble !

Rena

C'est vrai que là, pour le moment, j'ai rien de mieux à proposer que toi, mais ça veut pas dire que ta solution est la meilleure et qu'il faut l'appliquer ! En y réfléchissant tous, nous trouverons forcément quelque chose de mieux à faire pour sauver Satoko !

Shion

— C'est pas une question de faire quelque chose de bien ou de mal, Rena.

Shion

Réfléchis dans l'autre sens, pense à toutes les saloperies que son oncle pourrait lui faire si on continue encore à se creuser inutilement la tête !

Shion

Alors quoi, ils puent tellement que ça, les Hôjô ?

Shion

Vous ne voulez pas les aider ou quoi ? Ni elle, ni son frère ?

Shion

J'en ai marre de toutes vos palabres !

Poussez-vous maintenant, hors de mon chemin !

Puisque je suis la seule à savoir quoi faire, je vais y aller.

Je vais crever son oncle et ramener Satoko !

Rena

— Non, arrête, Shii, reste-là !

Shion

— Plaignez-vous toute votre vie, si vous y tenez tellement !

Shion

Maudissez votre impuissance !

Shion

Rassemblez-vous et discutez entre vous, pour vous donner bonne conscience,

Shion

pendant qu'elle déguste !

Shion

Vous ne la considérez pas comme quelqu'un de si important, après tout !

Shion

C'est juste une amie avec qui vous jouez tous les jours !

Shion

Sauf que pour moi, elle est plus que ça ! C'est ça, la différence entre vous et moi !

Shion

C'est plus qu'une amie,

Shion

elle fait presque partie de ma famille !

Shion

Alors maintenant, si ça vous dérange pas, j'y vais,

Shion

j'ai un porc à saigner !

Shion

À plus !

Keiichi

— ... Reste là.

Shion

— Qu'est-ce que t'as, tu crois pouvoir m'en empêcher, peut-être ?

Keiichi

— Shion,

je parie que t'as même pas compris la moitié de ce qu'elle t'a dit.

Shion

— Ooh, t'inquiète pas gamin, j'ai compris même plus qu'il n'y avait à comprendre.

Si on veut la sauver, il faut avoir le courage de se salir les mains. Dire le contraire, c'est de l'hypocrisie !

Keiichi

— Shion.

Même en imaginant que tu réussisses,

tu crois que Satoko sera contente de toi ?

Shion

— Je ne fais pas ça pour qu'elle me dise merci.

Je veux juste la débarrasser de son oncle,

quitte à mourir en essayant !

Keiichi

— Nan, Shion, et tu le sais.

Je te concèdes un point, tu sais bien ramener ta fraise, mais il n'y rien derrière tes belles paroles.

Keiichi

La preuve, c'est que tu comptes sur d'autres pour faire disparaître le corps.

Ce qui veut dire que ce que tu veux, c'est tuer l'oncle et ensuite continuer à vivre comme si de rien n'était.

Keiichi

Ce que tu veux, c'est garder le monde dans lequel nous étions l'autre jour,

celui où nous vivions dans la paix, la joie et la bonne humeur.

Sauf que si tu tues l'oncle, on ne pourra plus jamais retourner dans ce monde-là.

Keiichi

Ne crois pas que ce soit si facile de commettre le crime parfait, la police finira par t'attraper !

Shion

— Je le sais bien, et c'est pas un problème !

Tu crois que quelques années de prison vont me faire peur ?

Keiichi

— Ouais, justement, je crois que t'en as les boules !

Keiichi

Tu finiras par te morfondre dans ta cellule et à te haïr toute seule, je peux y mettre ma main au feu !

Tu te demanderas toute ta vie pourquoi tu as fait ça et pourquoi tu as foutu ta vie en l'air à cause de ça !

Keiichi

Et là, seulement, tu comprendras ce que réellement, tu avais voulu faire.

Keiichi

Le but, c'est pas de tuer son oncle,

c'est de retrouver le bonheur !

Et si tu commets ce meurtre, le bonheur, tu le perdras à tout jamais !

Keiichi

Et tout comme toi tu te haïras, Satoko aussi se haïra.

Parce qu'elle se dira que c'est à cause d'elle que tu es en prison.

Et puis d'abord, si t'es plus là, qui va la forcer à manger du potiron ?

Keiichi

Qui va discuter avec elle de la meilleure façon de poser des pièges ?

Keiichi

Il n'y aura personne, parce que la seule personne qui a le droit de faire ça, c'est toi,

Keiichi

Shion Sonozaki !

Keiichi

Quelle que soit la solution que tu choisisses, il faut que tu sois à ses côtés par la suite !

Keiichi

Ne te fais pas d'illusions, elle a besoin de toi !

Keiichi

Tu peux pas faire tout et n'importe quoi en disant que c'est pour elle, c'est pas une excuse !

Shion

— Après tout ce que tu viens de déblatérer, j'espère que t'as une solution à proposer, alors ?

Shion

Ou bien justement, t'en as pas !

Je t'interdis de me retenir alors que tu n'as que de la gueule !

Dégage de là,

je vais le tuer !

Je vais le tuer, MAINTENANT !

Keiichi se tint bien droit dans l'embrasure de la porte d'entrée.

Shion lui décocha des regards venimeux, mais lui semblait plutôt la dévisager avec assurance, presque même arrogance.

Keiichi

— Non, Shion, tu n'iras nulle part.

Nous aurons besoin de toi par la suite.

Je ne peux pas te laisser partir.

Shion

— Ah ouais, carrément ?

Alors finalement, c'est un peu comme si tu couvrais Teppei.

Si tu es complice, alors je vais commencer par toi !

Mion

— Mais !

Attends, mais, espèce de questsche, Shion !

Arrête !

Cie

— Shion,

reposez cette chaise tout de suite !

Mais, arrêtez ça,

lâchez cette chaise !

Shion

— Mon cœur, si tu as encore des doutes,

je te préviens, tu vas saigner.

J'te d'mande pas d'excuses, j'te d'mande de dégager.

Keiichi

— Shion, pour l'instant, j'ai rien de mieux,

Keiichi

mais c'est juste parce que j'y ai pas encore assez réfléchi.

Keiichi

On réussira à trouver quelque chose pour la sauver,

Keiichi

c'est sûr et certain !

Keiichi

Je te le jure, Shion, on y arrivera ! On la sauvera !

Keiichi

Alors aies un peu confiance en nous, ok ?

Nous sommes ses amis !

Shion

— Je vous interdis de vous considérer comme ses amis ! Vous n'avez même pas le courage de vous salir les mains pour elle !

Alors, maintenant, pour la dernière fois,

bouge ton cul !

Keiichi

— C'est toi qui vas devoir te calmer !

Keiichi

On va la sauver, Satoko, t'inquiète pas !

Keiichi

Crois en nous !

Keiichi

Alors arrête de faire une fixation là-dessus !

Keiichi

Et si tu n'arrives pas à croire en tes amis,

Keiichi

alors crois en moi !

Keiichi

Moi, Keiichi Maebara, je la sauverai !

Keiichi

Tu peux compter dessus !

Shion

— Ooh, eh,

arrête ton char, gringalet !

S'il y en a bien un qui ne risque pas de la sauver, c'est toi !

Mion

— ... Shion !

Shion arma ses bras et jeta la chaise qu'elle tenait en direction de Keiichi.

Celle-ci le toucha de plein fouet, puis tomba devant lui en faisant un boucan du tonnerre.

Keiichi n'avait pas l'air spécialement affecté par le choc.

Il restait simplement debout devant la porte, n'essayant même pas de se protéger.

Quoique... En fait, il avait peut-être quand même un problème.

L'un des coins de la chaise avait dû le blesser, car un mince filet de sang coulait sur son front.

Keiichi

— Tsss, mais c'est rien, ça !

Tu crois quand même pas que ça va suffire pour te débarrasser de moi ?

Keiichi

Il faudra me tuer pour partir.

Parce que je sais que si tu pars, tu ne seras plus là pour Satoko.

Keiichi

Imagine un peu la tête qu'elle va tirer, si tu n'es plus là.

On pourra essayer tout ce qu'on voudra pour la consoler, rien ne marchera.

Et ça, tu le sais.

Keiichi

Et j'ai pas envie de la voir dans cet état.

On doit trouver une solution pour que tout soit comme avant.

On n'a pas besoin de plus !

Keiichi

Oui, bien sûr, il faut se débrouiller pour que ce bâtard ne s'approche plus jamais d'elle.

Keiichi

Je sais que pour l'instant, on n'a rien trouvé

, mais c'est pour ça qu'on est ici, c'est pour y réfléchir !

Et on trouvera,

ça, tu peux le croire,

on trouvera !

Shion

— ... ... ...

Shion n'avait pas l'air convaincue...

mais elle finit par reculer sur ses pas et par s'asseoir sur une autre chaise, puis par se retourner pour regarder par la fenêtre.

Une main se posa sur l'épaule de Keiichi.

Personne ne l'avait remarqué venir, mais le Directeur se tenait désormais derrière lui.

Cie

— ... Monsieur le Directeur ?

Principal

— Tu as bien fait, jeune homme.

... Mademoiselle Cie, je me suis permis de tout écouter.

Cie

— Je suis... Je n'ai rien pu faire, je suis désolée.

Principal

— Je sais que le problème vient à peine de se déclarer, mais je pense moi aussi qu'il ne nous faut surtout pas perdre de temps.

Il nous incombe d'alerter les autorités compétentes.

Mion

— Mais Monsieur, nous avons déjà eu affaire au service de protection de l'enfance, et...

Shion

— De toute façon, ils ne nous aideront pas !

On ne peut pas compter sur eux !

Shion avait levé la voix sans même daigner se retourner.

Le Directeur se tourna vers elle, puis finit par lui parler.

Principal

— Shion Sonozaki.

Principal

Sache, pour ta gouverne, que le véritable ennemi transparaît toujours dans les paroles.

Principal

Et tu sais quel est votre ennemi ?

Principal

C'est ce que tu viens de dire à l'instant,

cette expression, “de toute façon”,

que viens de sortir de ta bouche.

Principal

Parce que cette expression indique que tu as déjà abandonné, avant même d'avoir essayé.

Si tu emploies cette expression, c'est que tu admets ta défaite !

Rena

— ... Je suis d'accord avec ce qu'il dit.

Rena

Je ne sais pas trop ce que l'on peut faire, mais il doit bien y avoir une marche à suivre dans ces cas-là !

Rena

Parler aux services de protection de l'enfance, c'est sûrement la première chose à faire,

Rena

mais si ça ne marche pas, il y a sûrement d'autres paliers, d'autres choses à tenter !

Rena

Si on abandonne avant d'avoir essayé, c'est comme si on la laissait mourir dans son coin !

Keiichi

— Monsieur le Directeur, si vous les dénoncez,

je peux espérer que vous ferez tout pour que les services compétents fassent quelque chose, hein ?

Principal

— Évidemment.

C'est une élève de cette école, et je ne la laisserai pas en danger !

Je ferai tout mon possible pour que Hôjô revienne ici le plus vite possible.

Cie

— Les services de l'enfance agissent très vite. Si nous les appelons maintenant, ils prendront leurs dispositions avant ce soir.

Mion

— Il y a intérêt à ce que ça marche, par contre.

Parce que s'ils décident d'observer un peu la situation...

Rena

— S'ils ne font rien, nous réfléchirons à nouveau.

Tant que nous n'abandonnerons pas, nous finirons par trouver un moyen de la sauver.

Shion

— Ahahaha, ahahahahahahahahaha !

Shion

Aaaaah, j'adore votre optimisme et vos belles paroles.

Shion

Pendant que vous êtes en train de vous rassurer et de vous bercer d'illusions, moi, je sais qu'elle en prend plein la gueule, qu'elle souffre, et que si nous ne nous dépêchons pas, elle ne s'en remettra jamais !

Shion

Vous êtes en train de la condamner !

Keiichi

— Shion,

je t'ai fait une promesse tout à l'heure.

Keiichi

Je t'ai dit que nous la sauverons !

Et pas comme toi tu comptais le faire, en sacrifiant quelqu'un.

On la sauvera de la meilleure façon possible, et Satoko finira par réellement retrouver le sourire !

Keiichi

Laisse faire le pro et prends-en de la graine !

Quand Keiichi Maebara dit qu'il fera quelque chose, il le fera, tu peux compter dessus !

Shion secoua la tête, le regard toujours tourné vers l'extérieur. Elle préférait garder le silence plutôt que de se répandre à nouveau en insultes.

Mion

— Je vais demander aux gens du clan d'être à l'écoute et de me prévenir des décisions du service de protection de l'enfance.

Dès que j'ai une réponse, je vous préviens par téléphone.

Keiichi

— Si jamais ça marche, tout ira pour le mieux !

Rena

— C'est vrai, mais il nous faut rester sur nos gardes.

Ils vont très probablement observer la situation quelques jours.

Si c'est le cas, on fait quoi ?

Keiichi

— ... Ben, dans ce cas-là...

Hmmm...

Merde, je sais pas trop...

Principal

— Mademoiselle Cie.

Je rentre dans mon bureau.

Venez avec moi, nous avons des instances à appeler.

Cie

— Oui, vous avez raison.

Et puis, il faudra bien leur expliquer la situation.

Les adultes quittèrent la salle de classe.

Keiichi, Rena et Mion s'assirent en groupe et se mirent à discuter de la meilleure marche à suivre.

Quand à Shion, elle avait enfoui sa tête dans ses bras et pleurait en silence.

Quant à Rika Furude...

... elle était assise en retrait dans la salle de classe, et avait dévisagé toute la scène d'un œil morne, comme une ménagère fatiguée regarde distraitement les téléfilms à deux balles qui passent à la télé et dont elle ne daigne même pas retenir les noms.

... ... Tout est pareil que d'habitude.

Ils vont prévenir les services de l'enfance, et eux décideront de regarder la situation évoluer.

C'était toujours comme ça -- le même résultat à chaque fois.

Elle eut un vague pressentiment qui lui dit que peut-être, avec un peu de chance, les services compétents pourraient faire autre chose.

Mais de toute façon, elle n'avait plus rien à miser.

Dans l'un des derniers mondes qu'elle avait visités, Keiichi avait assassiné l'oncle.

Mais Shion n'avait pas été présente.

Lorsque Shion est là, c'est apparemment elle qui s'en occupe.

Rika savait que les faibles espoirs de ses compagnons seraient déçus demain matin.

Ce soir, une personne irait rendre visite aux Hôjô, et Satoko nierait les faits, et la personne repartirait sans même se poser de question.

Et alors, l'oncle viendrait demander des comptes à Satoko, et elle prendrait cher, très cher.

Mais la visite de cette personne aurait sûrement un effet positif. Satoko serait peut-être à l'école demain.

Sauf que la vue de Satoko, sans vie dans le regard, sans force, aussi inanimée qu'un cadavre, serait une épreuve encore plus terrible, les renforçant dans leur sentiment d'impuissance.

Une impuissance partagée même par la personne la plus puissante de tout le village, une sorcière vivante depuis plus de 100 ans.

Même elle n'avait jamais pu se rebeller contre le Destin lorsque celui-ci avait décidé de lui faire affronter Teppei Hôjô.

Quand je pense à toute cette chance.

Quand je pense que j'ai vraiment cru que cette fois-ci, j'allais gagner...

Finalement, je n'aurais rien réussi par moi-même.

De toute façon, tout effort est inutile.

Ce monde est foutu.

Tout ça ne sert à rien. À rien.

Et plus elle y pensait, plus Rika trouvait les discussions interminables entre ses amis d'un insoutenable ridicule, et d'une tristesse infinie, et lentement mais sûrement, sa vue se brouilla par les larmes...