Après en avoir terminé avec ses explications, le docteur Irie éteignit le projecteur, puis ralluma la lumière.
Autour des tables disposées en un grand carré, il y avait huit personnes en blouse blanche -- dont le docteur, bien sûr.
Mais l'homme assis à leur opposé n'en portait pas.
Cet homme applaudit quelques secondes, en signe d'appréciation.
Les autres personnes présentes eurent la politesse d'en faire de même, réalisant leur erreur.
— C'était bien, Docteur.
C'était même très bien, et je vous le dis sincèrement, je suis bien content.
Les résultats que vous venez de présenter sont pour moi des plus satisfaisants.
— Vos efforts considérables semblent porter leurs fruits, Docteur.
— Allons, je n'en serais pas là aujourd'hui si je n'avais pas une équipe aussi talentueuse pour m'épauler.
C'est à vous tous que je dois ces résultats. Merci pour votre travail.
— Eh bien, je pense qu'avec ceci, la guérison complète ne sera bientôt plus un doux rêve, mais une possibilité bien réelle.
Il reste encore beaucoup à faire, j'en suis bien conscient, mais tout n'est plus qu'une question de temps et de budget.
— Je compte sur votre générosité sur ce dernier point.
Avec une équipe et des moyens appropriés, je pense que nous aurons les premiers résultats tangibles d'ici trois ans.
Oui, je pense que d'ici l'an 61, la guérison sera devenue possible. Un changement d'ère étant possible, puisque notre empereur se fait malheureusement âgé, je préfère parler de l'an 1986, si cela ne vous dérange pas.
Quoi qu'il en soit, j'aimerais pouvoir compiler une documentation à l'usage des personnels médicaux n'ayant pas étudié nos molécules, pour ensuite créer une sorte de traitement tout-en-un, plus facile à inoculer, et surtout moins onéreux.
— Pour ce qui est du dépistage, nous testons en ce moment une méthode se basant sur une analyse de sang.
Si nous parvenons à détecter sans erreur de diagnostic les porteurs potentiels, le dépistage pourra être effectué lors de simples analyses médicales, ce qui devrait grandement diminuer les coûts des traitements.
— Ce serait formidable !
La méthode actuelle est plutôt gourmande en ressources...
Je veux dire par là que je vous suis reconnaissant de vous préoccuper des coûts des opérations.
La santé publique influe directement sur la prospérité du pays, mais évidemment, il faut justifier le moindre yen dans le budget,
donc si vous pouvez nous faire faire des économies, faites-le !
— Oui, je comprends tout à fait votre position.
Si le traitement médical est possible, mais à un coût astronomique, alors cela restera comme une image d'un beau repas sur la carte d'un restaurant grand luxe.
Notre travail est de réfléchir à des solutions praticables, pas de faire de la théorie.
Tomitake applaudit de plus belle, mais cette fois-ci, les autres ne furent pas pris de court.
— Vous n'êtes pas seulement un brillant médecin, vous êtes aussi une personne sensée et respectable.
Je suis vraiment fier de pouvoir travailler avec vous, vous savez.
— C'est très aimable à vous, mais je ne mérite pas encore tout cela. Les applaudissements devront attendre le jour où enfin, nous aurons pu traiter tout le monde, et que “la malédiction de la déesse Yashiro” n'existera plus.
Mais d'ici là, j'espère que tout le monde ici présent continuera de donner le maximum et de se serrer les coudes.
— Bien évidemment !
Je ferai tout mon possible pour que le budget qui vous sera alloué soit le plus proche de vos exigences.
Alors je vous en prie, continuez sur votre lancée !
Tomitake tendit le bras, et le docteur Irie lui serra la main.
Des applaudissements nourris résonnèrent encore une fois dans la salle de réunion.
— Bien ! Je propose d'en finir avec notre réunion de ce soir.
Demain, nous aurons l'attraction principale que vous attendez tous avec impatience, l'audience des allocations budgétaires.
Bonne chance à tous.
Bien évidemment, Miyo Takano disait cela pour se moquer.
Le reste des hommes en blouse blanche se mit à rire, par gêne plus que par politesse.
— Ahahahaha,
voyons, voyons, les crédits nécessaires à ces recherches seront approuvés, je vous l'assure !
Si cela ne tenait qu'à moi,
je me joindrais à vous pour justifier vos demandes auprès de mes supérieurs, mais je dois les convaincre seul, et c'est moi qui me fais taper sur les doigts chaque année.
C'est pourquoi même si je suis désolé de devoir le faire, il me faut scruter chacun de vos dossiers et faire une sélection très stricte.
Je compte sur votre compréhension.
— Ahahahahaha, allons, nous savons bien que c'est votre travail et que vous avez des obligations.
Nous nous verrons donc tous demain.
Je déclare cette réunion terminée ! Bonne nuit à tous.
Sur ces mots, la plupart des personnes présentes se levèrent et prirent chacun leurs documents, puis, après avoir brièvement regardé l'heure, quittèrent la salle.
Il était bientôt minuit.
Les gens qui n'étaient pas de service le lendemain pouvaient se permettre quelques libertés, mais les autres devaient se coucher sans tarder s'ils voulaient être frais et dispos pour le lendemain matin.
Takano fit le tour des tables pour ramasser les cendriers et les éventuelles canettes de café vides oubliées çà et là.
— Tiens donc, certains ne boivent pas leur café ?
Quand je pense à tout le mal que nous avons eu à nous faire rembourser nos stocks de café ! Il vaudrait mieux les boire si nous ne voulons pas voir cette partie du budget disparaître... N'est-ce pas, Jirô ?
Éhéhéhéh…
— Ahahahaha, aaaah, tu es bien mauvaise langue, Miyo.
Tu sais bien que je n'ai pas le choix ?
— Ah, Madame Takano ?
Je peux en avoir un, s'il en reste ?
— Moi aussi, en ce cas.
C'est vraiment plus facile de redemander le même budget lorsqu'il est effectivement utilisé au cours de l'exercice.
— Ahahahaha !
Les autres membres de l'équipe n'étant plus présents, l'atmosphère pouvait se détendre.
Les deux hommes défirent un peu leur col de cravate et détendirent leurs traits.
— Comment se portent Rika et Satoko ?
La semaine dernière, vous me disiez que les résultats de Satoko étaient préoccupants ?
— Oui, mais je me suis inquiété pour rien.
Son corps a simplement un peu de mal avec le changement de saison, il a fait très chaud, très vite.
Mais dans ses dernières analyses, son état a l'air très stable.
— Notre cher docteur Irie est particulièrement intéressé par Satoko, il est vrai.
— Mais non, voyons, ne vous méprenez pas.
Un médecin doit faire tout son possible pour tous ses patients !
Bien sûr, si ce patient pouvait me montrer sa gratitude en devenant ma soubrette attitrée, ce serait merveilleux !
Mais... Cela n'arrive que bien trop rarement !
— Si nous pouvions trouver le moyen de la guérir complètement, ce serait bien.
Mais je suppose que c'est très difficile ?
— ... Les patients qui, comme Satoko, ont fait une crise de niveau 5, ont la fâcheuse propension de faire des rechutes et de revivre les faits traumatisants.
Pour être tout à fait exact, ce n'est pas un phénomène dû à la maladie ; c'est en réalité un mécanisme de défense psychique développé naturellement en chaque individu.
Vous connaissez le proverbe, “chat échaudé craint l'eau froide”. Le corps se base sur l'expérience acquise par le passé pour se maintenir hors de danger, c'est tout à fait normal.
— C'est un traumatisme psychologique, en somme.
Mais comme on suppose que le lobe frontal a subi de nombreux chocs, il faut procéder beaucoup plus délicatement et prudemment qu'avec des patients normaux.
— Donc, si je vous comprends bien... vous devriez pouvoir guérir son corps, mais pas son esprit ?
C'est ça ?
— ... Beaucoup de gens souffrent de traumatismes psychologiques.
Si Satoko pouvait être traitée comme l'un d'entre eux, ce serait déjà un énorme progrès, quand on pense à l'état dans lequel elle était avant...
— Pensez à sa situation comme à celle d'une personne diabétique.
On ne peut pas guérir le diabète, mais en suivant les traitements, on peut éviter les crises et mener une vie normale.
— Elle est toujours à trois injections par jour ?
— Non, son état s'est grandement amélioré, nous sommes descendus à deux.
C'est bien moins contraignant pour elle, je pense.
— Au départ, elle ne voulait vraiment pas.
Heureusement que Rika est pleine de ressource.
— Que veux-tu dire par là ?
— Elle a raconté à Satoko qu'en contrepartie des piqûres, je m'engageais à leur donner de quoi vivre toutes les deux, car cela m'aidait dans mes recherches.
— Et donc elle prend ce traitement non pas parce qu'elle sait qu'elle est malade,
mais parce qu'elle croit qu'elle aide la médecine à faire des progrès ?
— Jirô,
je ne sais pas si tu te rends compte de ce que ce serait d'expliquer à Satoko les tenants et les aboutissants de sa maladie.
Je ne t'en avais pas parlé, une fois ?
— Euh... Si, en fait, si.
Oui, je me souviens maintenant.
Je suis désolé, ce n'était pas très malin de ma part de vous en faire le reproche...
— ... Si jamais vous la rencontrez, soyez gentil avec elle, d'accord ?
— Oui, vous avez raison.
Je le ferai, c'est entendu.
— En tout cas... Rika est vraiment d'une grande force de caractère.
Elle se débrouille vraiment bien dans la vie, alors qu'elle est dans la même situation que Satoko.
— Oui, nous lui devons beaucoup, à elle et à ses défunts parents.
Sans eux, nous n'aurions jamais pu faire toutes ces découvertes et tous ces progrès.
— ... Elle a supporté beaucoup d'expériences inhumaines sans broncher.
Nos résultats auraient été impossibles à obtenir si elle n'avait pas su se remettre du choc de la mort de ses parents.
J'aimerais pouvoir lui rendre la pareille.
— Ce serait juste, en effet.
Tôkyô aussi a bien compris que Satoko et Rika étaient les plus à plaindre dans cette affaire.
Je pense que mes supérieurs sauront se montrer généreux.
— Ah oui ? Mais lorsque c'est pour nous, ils refusent de nous rembourser les filtres à café ? Eh bien, quelle générosité sélective !
Ahahahahaha...
— Ne sois pas méchante avec moi, je n'y suis pour rien.
Et puis arrête de m'en vouloir pour tout ce qui n'est pas passé les autres années !
— Ahahahaha !
— Ce qui me gêne un peu, c'est que finalement, nous autres adultes ne pouvont les récompenser qu'avec des sommes d'argent.
Je pense qu'elles apprécieraient beaucoup plus si nous pouvions faire quelque chose de plus concret pour elles...
Takano avait parlé à voix basse, mais dans la salle de réunion quasiment déserte, son monologue avait sonné aux oreilles des autres comme un reproche.
— ... Il y a sûrement moyen de leur rendre l'ascenseur au quotidien.
Ce sont de petites choses, des petites attentions, mais elles comptent.
— Docteur,
vous êtes aussi le chef de l'équipe de base-ball, je suppose que vous faites quelques choses par ce biais ?
J'espère pouvoir trouver moi aussi de quoi leur prouver ma gratitude...
— Oui, Miyo, il serait temps, surtout après ce que Rika a fait pour toi aujourd'hui !
— Aaah zut ! Maintenant que tu le dis, je sais ce que je dois faire demain !
Il faut que je me lève aux aurores pour donner le film à développer !
Aah là là, c'était vraiment une expérience formidable !
Cette histoire !
Et toute cette culture !
Et cette odeur...
C'était génial !
Le docteur Irie semblait bien en peine de comprendre quel genre d'expérience l'infirmière avait vécue,
mais Tomitake, qui, lui, était au courant, eut toutes les peines du monde à faire dévier le sujet.
— Ah, au fait !
Finalement, Miyo,
tu penses quoi du service qu'elle t'a demandé ?
À ton avis, qu'est-ce qu'il se passe ?
— ... J'aimerais croire que ce n'est qu'un délire paranoïaque,
mais elle nous a avoué d'elle-même qu'elle n'avait pas de preuve tangible de ce qu'elle nous avançait.
— S'est-il passé quelque chose ?
À vous entendre, c'est comme si Rika montrait des symptômes préoccupants.
— Les résultats de la semaine dernières étaient pourtant bons.
Pour ma part, il m'a semblé comprendre qu'elle était dans un état très stable. Docteur, est-ce que par hasard, vous y auriez décelé quelque chose ?
— Non, pourquoi ?
Ses résultats étaient très bons, comme toujours.
Si ceux de Satoko sont comparables aux vagues déchaînées de la Mer du Japon, alors ceux de Rika sont la surface parfaitement lisse et calme des eaux du Lac Biwa.
D'ailleurs, ça pourrait expliquer leurs caractères si différents !
— ... N'y a-t-il pas la possibilité d'une crise aiguë ?
— Attendez, c'est grave, ce que vous me dites.
Aurait-elle commencé à montrer des symptômes de la maladie ?
— Eh bien, pour tout vous dire, elle est venue nous voir pour nous demander un service, aujourd'hui.
... Elle se sentirait en danger de mort, et nous a demandé de renforcer sa protection personnelle.
— Enfin, c'est ridicule !
Mais personne n'en a après elle, personne ne peut en avoir après elle !
C'est absolument impensable.
— Rika est un peu la mascotte du village, tout le monde ici l'adore. Je n'arrive pas à m'imaginer qui pourrait la haïr au point de vouloir la tuer.
Pour moi, ce sont des affabulations, purement et simplement.
— Qu'a-t-elle dit ? Sur quoi se base-t-elle pour dire que sa vie est en danger ?
Si c'est un délire de persécution, cela peut effectivement correspondre à des symptômes de niveau 5.
— ... Elle a dit qu'elle avait rêvé.
Qu'elle avait fait des cauchemars et qu'elle se réveillait la peur au ventre tous les matins. C'est pourquoi elle a demandé une protection plus importante, juste le temps de retrouver son calme.
— C'est encore une petite fille, les enfants font souvent des cauchemars à cet âge-là.
Mais elle n'est pas une petite fille comme les autres, et nous devons absolument définir si c'est un simple cauchemar ou si ce sont réellement des symptômes...
— Je vois. Très bien.
Nous ferons exceptionnellement quelques tests demain.
J'espère sincèrement qu'elle n'a rien.
Elle est la personne la plus importante dans ce village, son existence est cruciale...
— Tant qu'elle n'a rien, c'est le principal.
Mais si jamais elle avait quelque chose, que faire ?
— ... Jirô.
Rika nous a montré des choses très importantes, et tout ce qu'elle a demandé en retour, c'est ce petit service. C'est peu de choses, tu ne crois pas ?
Si elle nous a demandé de l'aide en disant qu'elle ne se sentait pas en sécurité, il est de notre devoir de la rassurer, ne serait-ce que pour tisser des liens de confiance avec elle.
Ce serait un bon moyen de lui retourner l'ascenseur sans toujours convertir tout en argent.
— Hmmm, oui, vous avez raison.
Et même si d'aventure ce n'était vraiment qu'un mauvais rêve, nous risquons de perdre sa confiance si nous ne réagissons pas.
Dans un certain sens, c'est un coup de chance.
Nous tenons maintenant le moyen de lui signifier notre gratitude autrement que par des chiffres.
— ... Oui, vous avez tout à fait raison.
Et de toute façon, ce qu'elle nous demande fait partie des choses que nous lui devons, contents ou pas.
— Et puis de toute manière, nous devons la protéger coûte que coûte, qu'elle fasse des cauchemars ou pas.
— Oui, c'est bien vrai...
C'est mon travail, enfin, c'est notre travail, à tous.
Je compte sur vous.
— C'est entendu.
Miyo, je peux te demander de t'occuper de ça ?
Je me vois mal demander l'envoi des chiens de garde depuis Tôkyô.
— Ahahahaha, j'imagine déjà ton rapport, “Rika Furude a fait un cauchemar, envoyez-nous des renforts de toute urgence”.
Non, effectivement.
Alors c'est entendu, je vais donner l'ordre de la surveiller 24h24. Quatre chiens de montagne y seront employés, nous ferons une rotation.
— ... Eh bien, c'est un dispositif impressionnant.
C'est plus que ma protection personnelle lorsque je dois me rendre à la capitale !
— Ahahahaha...
Si vous saviez tout ce qu'elle a fait pour moi !
Je lui dois bien ça, si ce n'est pas plus !
Je ferai déjouer tous les plans qui tentent de la faire assassiner !
Les meilleurs éléments des chiens de montagne seront sur l'affaire, Kennedy ne serait pas mort s'ils les avait eus, eux !
D'ailleurs, je parie que même Golgo 13 refuserait de s'y frotter !
Miaou, miaou, miaou !
Vive Onigafuchi et ses légendes ! Banzaï !
— ...
...
...
...
Miyo…
Elle a eu une bonne nouvelle, aujourd'hui ? Que lui arrive-t-il ?
— Aaah, euh... Eh bien…
Bah, vous savez comme elle est, hein ?
Ahahahaha...