— KeeeWOUAH ?
Je veux dire, ouais, je le savais, je l'avais déjà entendu quelque part, mais... je croyais pas que...
Vous savez, parfois, au détour d'une conversation, il arrive de dire des choses du genre “Ben un jour, si tu veux, tu pourras venir et...”, vous savez, ce genre de propositions pour des boulots ou des services dont on parle plus pour être poli que parce qu'on est sérieux.
Et souvent, la réponse est toute trouvée : “Ouais, bien sûr, il faudrait, on verra, un de ces quatre...”.
Mais d'habitude, ni la personne qui propose, ni celle qui accepte, ne s'attend à ce que les plans se réalisent !
— Ah ouais, non mais c'est sérieux, c'est pour de vrai, hein ?
Mon oncle Yoshirô était vraiment emballé !
Il a vraiment adoré votre partie de Pic'pirate d'hier !
— Je dois dire que je ne savais pas qu'on pouvait jouer comme ça à ce jeu ! Ahahahaha !
— Juste entre nous, mon cher, mes infortunés adversaires se sont lamentés de ne pouvoir jouer avec vous.
— Vous pourriez rendre l'enfer aussi agréable qu'un parc d'attractions.
Elles comprennent pas, c'est pas que je m'amusais comme un fou, je faisais juste tout et n'importe quoi pour ne pas perdre !
Sauf qu'évidemment, ça les a tellement fait se marrer qu'elles aimeraient voir des animations pareilles plus souvent...
— De toute façon, même déjà rien que lors des jeux de tous les jours, tu mets de l'ambiance, mon cœur.
Même le Chef me disait que si tu entrais dans l'équipe des Fighters de Hinamizawa, les entraînements changeraient du tout au tout.
— Oui, il a dit cela, c'est vrai.
D'ailleurs, lors de la réunion d'hier soir, M. le Docteur Irie disait le plus grand bien de toi, Maebara.
— Keiichi, tu ne t'en rends pas compte, mais ta présence a une forte influence sur les gens, tu sais.
— ... Hmmm... Je sais pas trop...
— Tu sais, p'tit gars, c'est pas parce que t'as un beau petit cul que j't'ai proposé comme candidat.
C'est parce que je pensais que tu étais capable de tenir le rôle et d'en faire quelque chose de bien !
— J'étais présente à la réunion, et à ma grande surprise, personne n'a eu d'objection.
— Tu es bien plus populaire au village que je ne le pensais, Maebara...
— Il est même connu à Okinomiya !
Vous auriez dû le voir l'autre jour, il est arrivé en plein match de base-ball, il est devenu une légende maintenant !
— Oui, c'était quelque peu... intimidant, il faut bien le dire.
Les journalistes qui étaient présents pour Kameda ont eu la surprise de leur vie !
Aah, oui, le match truqué...
Officiellement, il a préféré faire exprès un but-sur-balle parce qu'il savait que je n'aurais aucun mal à voir la balle arriver et à la frapper.
Depuis, il se considère comme mon disciple dans une certaine activité, mais c'est une autre histoire...
— Qu'en dis-tu, Keiichi ?
Moi, je pense que tu en es capable.
Si l'appui de Mion ne suffit pas, je suis prête à appuyer ta candidature aussi.
Je suis persuadée que tu feras un très bon ajout pour la purification du coton !
La purification du coton, c'est le nom de la fête du village, qui a lieu tous les ans en juin.
C'est la fête la plus importante par ici, elle rassemble presque tous les habitants des environs.
Bien sûr, il faut des gens au comité d'organisation, ce n'est pas un petit truc de rien du tout. Les préparatifs durent pendant des mois, tout est fait minutieusement.
Il ne reste plus que deux semaines avant la fête,
mais pour je-ne-sais-quelle raison, les gens se sont mis en tête de m'accueillir dans ce comité, alors que je viens à peine d'emménager !
— Et puis d'abord,
je sais même pas ce que c'est comme boulot ! Je vous servirai à rien !
— Nan, mais c'est juste un titre un peu pompeux, hein !
À l'unanimité, nous avons décidé de te demander… d'être notre commissaire-priseur pour la vente de charité !
— Mais c'est quoi, vot' truc ?
Je dois vendre des bananes ?
— Laisse-moi t'expliquer.
Cette année, nous avons voulu essayer quelque chose de nouveau. Nous voudrions vendre des objets donnés comme lors d'une vente aux enchères.
— Disons que c'est très compliqué à expliquer dans les détails,
mais toujours est-il que l'association de quartier recueille des objets et voudrait les redonner sous forme de prix,
mais bon, par le passé, on a eu des problèmes avec le système de tirage au sort. Donc on voudrait autre chose.
— Disons qu'autrefois, une certaine vieille folle nous a chié une pendule à cause de ça,
mais bon, elle regrette en avoir fait tout un foin maintenant...
— Ouais, enfin bon, bref.
On s'est posé la question de savoir comment partager les objets entre les habitants sans recourir à un tirage au sort.
Et donc au bout du compte, tout le monde est tombé d'accord pour dire qu'une vente aux enchères, ce serait pas mal !
— Moi, ça me paraît passionnant !
On sait jamais, on tombera peut-être sur une super bonne affaire !
Et au pire, on pourra voir les gens s'affronter et faire monter les prix !
— Et puis, la vente ne concerne que des objets donnés à la charité.
C'est très habile, cela leur permet de dégager un bénéfice net...
— ... Mais bon, tous les gains réalisés serviront à payer l'ardoise du thé d'orge qui mousse servi pendant la cure hivernale aux sources chaudes,
c'est pas du jeu ! Ça pousse à la consommation !
— Furude, je te l'ai déjà dit, le thé d'orge qui mousse, ce n'est pas pour toi !
— Hmmm... Je crois que je commence à comprendre.
Mais je sais pas, vous croyez vraiment que je saurais le faire ? C'est pas comme si j'avais l'expérience !
— Ooh, tu te débrouilleras très bien, va.
Surtout si on y met 10% pour ta poche, tu nous mettras le feu !
— Euh, ben, en même temps,
c'est sûr que si je suis payé au mérite, j'y mettrai du cœur, hein...
— Et qui sait ? Si vos performances sont trop faibles, nous pourrions inclure un gage truculent, histoire de vous motiver ?
— Eh, une seconde, Satoko !
Pourquoi est-ce que je devrais accepter une condition pareille, c'est un risque inutile !
Et n'oublie pas que c'est vous qui êtes en position de faiblesse, je peux aussi vous envoyer paître !
Je suis un homme occupé, moi, j'ai un agenda bien rempli !
Alors voyez avec ma secrétaire !
— Ahahahahahahahahaha !
Bon, alors, p'tit gars ?
Si vraiment il te faut de quoi te motiver, dis toujours, je suis prête à arranger quelque chose.
Je veux que ce soit toi qui le fasses, sinon je n'aurais pas parlé de toi à la réunion.
Donc je ferai tout ce qu'il faut, dans les limites du raisonnable.
— Hmmm !
Eh ben, t'es très généreuse.
Qu'est-ce que je pourrais demander...
Hmmmmmm...
— Nous devons souvent nous casser la tête sur les gages, mais sur les récompenses, c'est une première.
— Oui, maintenant que vous le dites, c'est bien vrai.
Nous évoluons dans un environnement particulièrement hostile.
Rena avait raison, quelque part.
De base, nous jouions avec entrain uniquement pour fuir le gage terrible qui attendait le perdant.
Le but était de finir premier, mais ce n'était pas pour une quelconque récompense.
— ... Regardez-le comme il hésite. Il n'a pas l'habitude de propositions aussi alléchantes.
— Mii, tu pourrais proposer quelque chose, peut-être ?
Si tu lui laisses trop le choix, il ne saura pas dans quelle direction réfléchir.
— Hmm, pas faux, pas faux.
Ah, je vois ! Dis voir ce que t'en penses !
Un billet d'entrée pour la fiesta des desserts de l'Angel Mort !
— Oh, eh, grande sœur, un billet, c'est pas cher payé. Donne-lui tout de suite l'entrée pour les trois prochaines années !
— Eh bien dites-moi,
que voilà de bien belles largesses !
— Mais, c'est pas les fameux tickets qui se retrouvent toujours au marché noir à des prix faramineux ?
T'es sûre que tu peux me donner des tickets pour trois ans ?
— Ah ben ouais, bien sur que je peux !
Mais ça dépendra de ta performance, aussi, hein ! T'as intérêt à ce que les gens soient contents !
— Ne t'en fais pas pour ça !
Je suis sûre que tu y arriveras, Keiichi !
— Je suis d'accord.
Je dirais même plus, je suis curieuse de voir quels trucs de ouf il va réussir à faire croire aux gens !
— Il ferait sûrement passer des beignets de poulpe sans morceaux de poulpe pour les mets les plus sapides et raffinés !
— Non, Satoko, pour réussir à faire ça, il faudrait un miracle, je peux pas tout faire non plus !
— Allons, allons ! Sois pas modeste, p'tit gars, j'te parie qu'tu y arriverais !
— Oui,
je l'imagine bien en train de nous dire que le goût simple et rustique de la farine est bon pour la santé.
— En fait, vous vous foutez de ma gueule, c'est ça ?
— Alors, Maebara ?
Je pense aussi que tu réussiras à mettre de l'ambiance.
La maîtresse aussi faisait partie du comité d'organisation.
Si elle aussi appuyait la demande de Mion, elle avait de grandes chances de faire accepter ma candidature.
— ... Je veux voir notre tombeur aux lèvres magiques à l'œuvre.
Nipah☆!
— C'est comme pour la vente de bananes, ça dépend surtout du baratin du vendeur !
— Je vois d'ici les annonces, “Keiichi Maebara, le One Man Show” !
Aaah, qu'il me tarde !
— Bon, eh, les enfants, je vous signale que j'ai pas encore accepté !
— Rah, mais n'aie pas peur, Keiichi, tu peux le faire !
— C'est facile de dire ça, Rena, c'est pas toi qui seras responsable !
— Mais je ne dis pas ça pour te forcer la main, tu sais !
Soudain, le Directeur, qui avait observé nos échanges en silence, prit la parole.
— Alors, Maebara,
qu'est-ce que tu comptes faire ? Je suis, pour ma part, convaincu que tu serais à la hauteur.
— Hmmm...
— Mon garçon, tu es un homme, les gens comptent sur toi. Tu ne veux pas répondre à leur attente ?
Même s'ils me mettent au pied du mur, je pense que je saurais me débrouiller.
J'en ai déjà vu d'autres avec les jeux du club, de toute manière.
Et puis, c'était la première fois qu'on me proposait un truc avec une récompense et sans gage à la clef.
Et puis, ce serait sûrement vraiment marrant à faire...
Mais surtout, c'était la première fois de ma vie que des gens comptaient sur moi et me confiaient une tâche vraiment importante.
À dire vrai, j'étais très flatté et plutôt content.
Mais quelque part, je cherchais la petite bête.
J'avais un peu peur de me faire rouler dans la farine et de me retrouver avec un boulot pénible sur les bras.
Sauf que là, je pensais comme un neuneu de la ville.
À Hinamizawa, quand les gens vous parlent avec le sourire, ce n'est pas pour sauver les apparences.
Ils sont réellement persuadés que si je suis le maître de cérémonie, la fête sera un succès et que nous nous en souviendrons longtemps.
J'avais emménagé il y avait à peine quelques jours, mais rien que pendant ce cours laps de temps, j'avais compris cela.
— Bon, ben écoutez...
Oui, vous avez raison, après tout, je suis un homme.
Je ne peux pas faire ma princesse et vous laisser tomber par la suite.
Vous allez voir, je vais vous montrer ce que c'est qu'une fête !
Et toi, n'oublie pas ce que tu as dit pour les tickets, ça aura tellement de succès que tu voudras m'en donner pour au moins dix ans !
— Aaaahahha ! Je savais que je pouvais compter sur toi, p'tit gars !
Il y eut un tonnerre d'applaudissements, rien que pour moi.
Combien de fois avais-je déjà vécu cela ?
Jamais.
Non, jamais je n'avais ressenti pareille chose. Et c'était un sentiment merveilleux.
— N'empêche, je me demande vraiment comment vous avez fait pour convaincre les autres de me laisser une chance.
Je veux dire, l'association de quartier était composée surtout de vieilles personnes, elles devaient sûrement ne pas trop aimer les jeunes.
En plus, j'étais un nouveau dans le village, les gens ne me connaissaient pas.
Je sais que Mion a du poids dans les décisions, mais quand même !
— Bah, tu sais, le noyau dur est composé de vieux grabataires,
mais bon, les temps changent, j'imagine.
— Nous avons gagné la guerre du barrage, alors maintenant, il faut penser au futur, au renouveau.
C'est pour ça que nous voulons accueillir de nouveaux visages, des gens plus jeunes. Quelque part, nous n'avons pas le choix.
— ... Vous êtes nouveau, vous êtes jeune, et les gens vous aiment bien, Keiichi. Vous êtes parfait pour ce rôle.
— Les gens m'aiment bien ?
Mais ils ne me connaissent même pas ! Comment sauraient-ils qui je suis ?
— J'imagine que ça a un rapport très étroit avec les gages du club...
— Nooon, tout mais pas ça !
— Ahhhahahahahahahaha!
— Eh bien, la décision est donc prise.
Je pense appeler tes parents ce soir pour leur expliquer les tenants et les aboutissants, mais préviens-les d'abord toi, c'est important.
Ouais, j'imagine bien qu'il me faudra l'accord de mes parents.
... Normalement, c'est dans la poche.
À moins qu'ils ne veuillent absolument savoir pourquoi ma candidature est si populaire...
Après m'avoir remercié pour ma décision, Madame Cie et le Directeur repartirent en salle des professeurs.
La pause de midi était loin d'être terminée.
Mais entre les adultes qui m'ont sauté dessus
et Mion qui m'a mis la pression en me disant juste « J'ai quelque chose que je voudrais te dire et c'est super important »,
je dois vous avouer que j'avais pas trop la tête à me concentrer sur ma digestion.
— Eh, Maebara ! J'ai entendu pour toi, c'est génial !
— C'est un grand honneur, tu sais, l'association fait pas ça pour tout le monde !
— Vous savez, vous deux,
si vous voulez ma place, je vous la donne, hein.
— Non, mais t'es pas bien, on n'arriverait jamais ! Non, il faut que ce soit toi !
Toute la classe était déjà au courant ; j'occupais d'ailleurs toutes les conversations, ou presque.
Aaah, ça sera chouette, cette année.
On peut s'attendre à un truc génial.
C'est de pire en pire, ma parole, c'est vraiment un rôle super important !
Je vais devoir y mettre toutes mes tripes...
— Ah ouais, au fait, j'ai failli oublier.
Mon aïeule a fait une montagne de gâteaux de riz.
Elle m'en a filé plein pour vous !
Mion prit son deuxième sac -- celui qui avait soulevé bien des questions dans mon esprit depuis ce matin, pour être honnête -- et en sortit une grande boîte entourée d'un foulard, qu'elle plaça sur son pupitre.
Elle en souleva le couvercle et découvrit une montagne de gâteaux de riz, bien rangée et ordonnée.
— Eh bien ma chère, quelle abondance !
Il y en a bien assez pour tous les élèves de la classe !
— Hauuu !
Mais qu'ils sont mimiiis ! Ils sont sûrement très bons, aussi !
— La vieille folle aime bien faire des gâteaux de riz. Je n'ai jamais vraiment compris pourquoi...
— ... C'étaient les préférés de Sôhei.
— Aaaah ouais, c'est vrai, Pépé en parlait souvent !
Il paraît qu'il s'empiffrait presque jusqu'à s'étouffer dessus !
— Alors à chaque fois qu'elle en fait, elle doit sûrement penser à lui...
— Vraiment ?
Je croyais que Pépé préférait les boîtes de conserves ?
— Ahahahaha !
C'est juste toi qui te fais des films, parce que tu ne les supportes pas !
— Quoi ?
C'est vrai ?
Mais pourquoi ?
— Hmmmm... Comment dire, elles... Elles sentent.
Je sais pas, j'aime pas l'odeur.
— Tiens, tiens ?
Mais rappelez-moi donc, très chère, n'y avait-il point quelqu'un qui, dans cette classe-même, m'a fait toute une scène parce que ne “n'avais pas à ne pas vouloir manger de potiron” ? J'ai bien peur que votre système de valeurs ne souffre d'un grave manque d'égalité !
— Eh bien en fait...
héhhéhhé…
— Toi, tu la fermes si tu tiens à la vie !
Non mais tu n'as pas honte de révéler ce genre de choses ?
— Je suis pas au courant de vos affaires, mais apparemment, c'est l'un des rares détails gênants avec lesquels ta sœur te tient !
Vas-y, Mion, venge-toi ! Allez, allez !
Parle, ça ira mieux après !
Il paraissait évident que Mion trouvait l'histoire désopilante et que Shion en avait honte, mais genre, vraiment honte.
Pendant quelques instants, les deux sœurs jumelles restèrent immobiles, aux prises l'une de l'autre.
Mion s'est bien débrouillée avec son knee machine gun à bout portant, mais elle n'avait pas pensé que sa sœur en profiterait pour lui placer un capture supplex.
Shion était vraiment plus douée au corps à corps...
— Puisque c'est comme ça, je préfère encore le dire moi-même !
C'est à cause de Kasai -- c'est un homme qui s'est occupé de nous quand nous étions plus petites, un psychopathe --
enfin bref, lui donc, m'a raconté un jour,
alors que j'étais encore toute petite et que je ne savais pas ce que c'était que mentir,
que dans certaines boîtes de conserves, il y avait parfois aussi de la viande d'être humain qui était mélangée !
— Ahahahahahahaha ! Oui, c'est une histoire qu'on entend un peu partout !
— Ouais, c'est classique !
Chez nous, ils disaient que la viande de bœuf, en fait, c'était du chien. J'ai aussi entendu parlé de vers de terre mélangés aux hamburgers, je crois.
— Comment, l'on vous a raconté ça ?
Forcément, après une histoire pareille, je comprends ceux qui ne pourraient plus en avaler...
— Tu vois, Satoko !
C'est pas de ma faute, je ne suis qu'une victime !
— J'entends bien, mais il reste encore de la marge avant que je vous pardonne le repas complet au potiron que vous m'avez imposé tantôt...
— Satoko, tu es trop rancunière.
Moi, je me suis régalée, ce jour-là !
— Ahahahahaha !
Dites, je sais pas pourquoi, mais plus je les regarde,
plus je me demande si Mion n'aurait pas mis de truc louche dedans...
— Ah ouais ?
Hmm, faut dire, c'est pas étonnant, après tout, ils viennent de moi...
Je les ai peut-être un peu améliorés, alors fais attention, p'tit gars...
Éhhéhéhé !
... Les gâteaux de riz sont peut-être pas sûrs...
Telle que je la connais, Mion a sûrement caché une surprise dedans...
... Je sais pas pourquoi,
mais il y a quelque chose qui cloche.
Quelque chose d'important que j'ai oublié, mais quoi ?
Je dois être fatigué.
Il m'arrive de voir des petites scènes dans ma tête parfois, des impressions de déjà-vu.
Comme si ma tête se mélangeait les pinceaux et créait des souvenirs de toutes pièces...
— ... Que se passe-t-il, Keiichi ?
— Non, non, rien.
Je me disais juste, il me semblait en avoir déjà eu, des gâteaux de riz de chez Mion.
Mais c'est la première fois que tu en rapportes, hein ?
— Je sais pas du tout.
Mii ?
— C'est la première fois que je t'en donne, je crois.
T'es sûr que tu confonds pas avec un autre ?
— J'ai beau faire marcher mes cellules grises, il me semble bien que c'est la première fois cette année que Mion nous apporte les gâteaux de sa grand'mère.
— ... ... ...
— Ahhaa ! Je sais ce que c'est, p'tit gars !
C'est parce que c'est moi, hein ? Tu imagines que je les ai piégés ?
— Il ne faut pas venir t'en vanter, idiote ! Tu devrais plutôt changer ton comportement habituel, les gens n'imagineraient pas toutes ces histoires sur toi.
— Heh, elle a pas tort.
Si c'était Rena qui les avait faits, ces gâteaux, je suis sûr que je réagirais pas comme ça.
Et puis déjà, les siens sont plus ronds,
on voit qu'elle s'applique, même s'ils sont plus...
— Hein ?
Keiichi, je n'ai jamais fait de gâteaux de riz de ma vie…
... Hein ?
Mais... Mais pourtant...
Attends, mais pourquoi elle en ferait, d'abord ?
Et pourquoi est-ce que je sais qu'ils seraient plus petits et plus jolis ?
Purée, j'y comprends plus rien, moi...
Mes souvenirs étaient confus.
Je pourrais tout à fait me dire que je me suis trompé et passer à autre chose.
Surtout que Mion elle-même me certifie en rapporter pour la première fois.
Pendant que je penchais ma tête sur le côté pour mieux réfléchir, les autres se servirent sans vergogne.
Rena en prit un pour moi et le posa sur le couvercle en plastique de la boîte.
Je me mis à le transpercer du regard, très sérieusement.
Mais pourquoi est-ce que ça m'obsède ?
Mion a supposé que j'avais peur d'une mauvaise surprise, mais ce n'était pas ça.
... En tout cas, ce n'était pas de la peur.
C'était... Je ne saurais pas trop l'expliquer.
Comme si j'avais oublié un truc de super important.
Comme quand vous êtes à vous retourner furieusement le cerveau
parce que vous savez que vous avez oublié un truc super important.
Toute cette histoire pour un con de gâteau de riz posé devant moi, n'empêche.
Il me rendait nerveux,
mais je ne comprenais pas pourquoi.
Et puis,
comment me “souvenir” de ce gâteau ?
Je ne les avais jamais vus auparavant !
— ... Keiichi, je vous vois fixer ce pauvre gâteau depuis tout à l'heure. Que vous a-t-il fait ?
— Ahahaha, non, c'est juste... Je sais pas, j'ai l'impression de l'avoir déjà vu quelque part, celui-là,
tu vois le genre ?
Je sais pas si ça t'arrive à toi, mais moi, parfois, j'ai l'impression d'avoir déjà fait des trucs, alors que mon cerveau sait que c'est la première fois que j'essaie.
— ... Vous avez l'impression d'avoir déjà mangé des gâteaux de riz faits par Mion ?
— Ouais ! Mais je sais aussi que je me fais des films.
Même Mion m'a assuré qu'elle m'en avait jamais donnés.
— Keiichi.
Les souvenirs de choses qui n'existent pas, eh bien justement, ça n'existe pas.
Si vous en avez le souvenir, c'est que vous en avez réellement déjà eus.
Rika dit alors quelque chose de bien curieux.
En temps normal, je l'aurais ignorée. Elle disait souvent des choses bizarres rien que pour nous surprendre.
Mais depuis ses “prédictions” de l'autre jour, je repensais souvent à ce que les anciens du village racontaient sur elle.
Et si elle avait vraiment des dons ? Si vraiment, ce qu'elle disait avait un sens plus profond ?
— Alors, qu'as-tu encore lu dans tes boules de cristal ? Allez, Dame Rika, parlez !
De quoi s'agit-il, aujourd'hui, de réincarnation ? De métempsychose ?
— ... Non, je n'y comprends pas grand'chose à la religion, vous savez.
Ce que je veux dire, c'est que si vous vous en souvenez, c'est que vous l'avez vraiment vécu.
C'est pourquoi je veux que vous vous en souveniez.
Ne mettez pas ça sur le compte de la fatigue, cherchez dans vos souvenirs.
Vous comprenez ce que je veux dire par là ?
— ... Euh...
pas vraiment ?
Je restai un peu idiot devant Rika, clairement pas préparé à la voir débarquer avec une conversation d'un niveau philosophique aussi élevé.
La Rika que je connaissais disait des petites choses, elle faisait “Miaou !” ou “Nipah☆!”, c'était juste une petite fille, quoi.
Mais là, elle dégageait une toute autre impression.
Bon, je fais quoi, je joue l'innocent et je raconte une connerie ?
Ou bien alors je la prends au sérieux ? Parce que son regard, lui, il n'est pas joueur. Non, c'est pas le moment de déconner...
— ... Tu vas me dire que dans un autre monde, Mion m'en a donnés, alors ?
— Disons que j'attends de voir ce que vous avez à me dire.
Où et quand vous en aurait-elle donnés ? Et pourquoi ?
— J'aurais bien du mal à répondre à toutes ces questions, tu sais.
C'était peut-être juste un rêve que j'ai fait.
— ... Ce n'est pas grave, racontez-moi ce rêve.
Vous devez sûrement vous souvenir de quelque chose de plus que ça ?
Allez-y.
Je ne sais pas ce qu'elle a aujourd'hui,
mais Rika est bien pressante.
Je n'aurais pas pensé que ça l'intéressait à ce point.
Nous n'avions manifestement pas les mêmes centres d'intérêts, elle et moi.
Mais la nervosité qui m'avait gagné tout à l'heure me pressait de lui répondre avec le plus grand sérieux.
Et puis, elle peut peut-être interpréter les rêves, qui sait ?
Ça pourrait être intéressant.
Et puis, elle est la prêtresse du sanctuaire dédié à la déesse Yashiro, c'est une vraie de vraie !
— ... ... Eh bien,
je crois que c'était un jour où je ne suis pas allé à l'école.
Je pense que j'étais malade.
J'eus l'image d'un fragment de verre brillant, tout petit, comme un flocon de farine.
Puis, regardant à travers ce morceau de verre, mon image, debout près de la porte d'entrée, chez moi.
... Il y avait Mion.
Et aussi la silhouette de quelqu'un d'autre.
Probablement Rena.
— Et là, Mion me fait « Ouais, vu qu't'es malade et tout, alors je t'ai ramené des gâteaux de riz ».
Il me semble bien que la fois-là aussi, c'était sa grand'mère qui les avait faits.
— ... ... Et ensuite ?
— Ben,
et ensuite, je les ai mangés.
Mais d'abord, elles sont parties.
... Seulement, dans les gâteaux...
Ahahaha,
c'est con hein, mais... Je crois qu'une fois, dans un manga,
j'ai lu une histoire qui m'a bien foutu les jetons, et que je confonds avec ça.
Parce que c'est pas possible, en fait… Ahahahahaha !
— Keiichi, continuez, ne cherchez pas à noyer le poisson.
Il y avait quoi dans les gâteaux ?
— Non, en fait, c'était dans une histoire avec des hamburgers. Le héros tombait sur un hamburger avec des aiguilles à coudre dedans.
Ahahaha. C'est un peu comme Shion tout à l'heure,
cette histoire m'a traumatisé quand j'étais gamin.
Je ne me souvenais plus trop du reste de l'histoire.
C'était une gamine qui avait une blessure au visage qui ne partirait plus jamais à cause d'un mec, et qui lui avait jeté un mauvais sort, je crois...
Je sais plus trop.
Maintenant que j'y pense, c'est une ficelle scénaristique bien grosse. Ça ne fait pas vraiment peur.
Mais à l'époque, j'étais à l'école primaire et j'aimais bien me faire peur. Et là pour le coup, j'avais eu un sacré choc.
À un moment, le mec se rend compte qu'il y a un truc bizarre, parce qu'il trouve tout le temps des choses dans ce qu'il mange.
— Gyaaaaaaaah!
Et je crois même que le premier truc qu'il lui arrive, c'est de mordre dans un hamburger et de hurler comme un fou parce qu'il tombe sur une aiguille.
En fait, si, ça me fait plutôt peur, même maintenant. C'est assez choquant, je trouve. Plutôt grotesque, même.
Je crois même qu'après ça, j'ai eu une période où je commençais par tout couper en tout petits morceaux pour être sûr de ne pas avoir de mauvaise surprise en avalant.
Pendant une période même, je refusais de manger les choses rondes. Plus de hamburgers, même plus de boulettes de riz !
En même temps, ça n'a pas duré. Ma mère m'a fait tout un foin, et puis aussi, les garçons, vous savez, quand ils ont faim, au bout d'un moment, ils ne se posent plus de questions.
C'est comme pisser au lit, ça part en grandissant, sans vraiment qu'on sache précisément pourquoi ni comment. Ben là c'est pareil, ça m'est passé tout naturellement.