Rouge pivoine, Mion se mit à bredouiller des idioties dont elle ne pensait pas le moindre mot.
Malheureusement pour elle, même Keiichi avait compris son petit manège et s'était bien rendu compte qu'elle aurait tué toute sa famille pour l'avoir.
— Mais enfin,
si je te dis que ces trucs,
ces poupées, ces rubans, ces frous-frous, quoi, tout ça,
c'est pour les filles toutes mignonnes, pas pour moi !
J'en fais quoi, moi ? Regarde-la, cette poupée, elle fait tache, quoi, je peux pas me montrer avec ! C'est même pire, elle ne peut pas se montrer avec moi !
— Allez, c'est bon, ma grande, arrête ton char, hein !
C'est marqué partout sur ta figure que tu la veux, cette poupée !
Ahahahahaha !
— Ouah l'autre, eh !
C'est même pas vrai d'abord, sale menteur !
Mais arrête de te foutre de moi !
Cramoisie, Mion se mit à secouer la poupée dans tous les sens.
On dit parfois que l'intéressé est souvent le dernier au courant. Les vieux dictons ont du vrai...
Nous restâmes tous les quatre à la regarder, ricanant ouvertement. Ça avait l'air de beaucoup la gêner, ce qui n'était pas pour nous déplaire.
— Mais tu sais, Mion, c'est pas parce que t'es une fille que je te la passe.
C'est pour te remercier de ce que tu as fait aujourd'hui ; c'est un petit cadeau pour te prouver ma gratitude !
— A-ah ouais ?
Et tu me l'aurais offerte si j'avais été un garçon ?
— Ben... Disons que si j'avais pu choisir et que tu avais été un garçon, j't'aurais peut-être donné quelque chose d'autre.
Mais bon, entre hommes, un cadeau, c'est un cadeau, sauf bien sûr quand c'est une connerie pour te foutre la honte.
Mais si le cadeau est sincère, alors c'est assez mal vu de le refuser, tu sais ?
— Ah ouais ?
Ah bon... Alors... Alors même moi, je peux accepter ça sans me prendre la honte ?
Elle faisait tellement de simagrées... Sa mauvaise foi était vraiment impayable.
Mais déjà, Rena semblait ne plus pouvoir se retenir.
Elle finit par pouffer de rire, ce qui nous entraîna, Satoko et moi, dans sa “chute”.
Je ne pensais pas que ce fût possible, mais Mion devint encore plus rouge.
— Bon, t'as compris, c'est un cadeau d'homme à homme !
Prends-en soin comme de la prunelle de tes yeux, sinon, j'te défonce toutes tes dents !
— Ouais, ouais,
bon, d'accord, j'ai compris.
Hum…
Mais que ce soit clair entre nous, je l'accepte juste parce que t'insistes comme un gros porc, hein ?
C'est parce que sinon, tu perdrais la face devant les autres !
C'est pas pour moi !
Même Hanyû se mit à rire.
Mais comme elle n'avait pas à s'inquiéter de Mion -- après tout, j'étais la seule à entendre sa voix -- elle put se permettre d'en rire à gorge déployée.
Attendez une minute... Il n'y a pas un problème avec cette expression ? “Un cadeau d'homme à homme” ?
C'est pas parce que Keiichi ne la voyait pas comme une vraie femme que Mion avait pété les plombs la dernière fois ?
Cette fois-ci, elle a reçu la poupée, mais ça ne veut pas dire que Keiichi la voit comme une femme.
En même temps, si j'en crois le visage heureux qu'elle a en ce moment, je crois que pour Mion, ce n'est qu'un vulgaire détail.
J'en connais une ce soir qui va s'endormir avec une poupée dans les bras.
Et elle lui roulera une centaine de galoches pour lui dire bonne nuit.
J'en mettrais ma main à couper.
— Ah ben quand même, c'est pas trop tôt,
quel cinéma pour une poupée !
Keiichi se retourna vers nous et nous fit un gros clin d'œil.
— Ahahahahaha ! Keiichi, ça mérite un 20 sur 20 !
— ... Je suis d'accord.
Vous avez vraiment fait fort cette fois-ci, bravo pour avoir vaincu la fierté de lionne d'une certaine personne.
— Cette chère Mion en est tout sourire, c'est exquis !
Mais avouons-le, elle ne fut pas très habile à dissimuler l'intérêt tout particulier qu'elle portait pour cette poupée !
— Tu l'as dit, bouffie !
Ahahahahaha !
— Eh, vous, là !
Je parie que vous foutez de ma gueule, cessez de rire immédiatement !
Nan mais oh !
— Mii, tu devrais pas te dépêcher, peut-être ?
Tu vas finir par être en retard au boulot !
— Raaah, mais ! Je- Ooouh, bande de sales bêtes, vous me le paierez !
Mion nous lança des regards noirs, puis regarda sa montre, sembla débattre avec elle-même, puis courut enfourcher son vélo et partit en maugréant.
Nous nous mîmes lentement sur le chemin du retour,
encore excités de la journée que nous venions de vivre.
Un jour sans la moindre fausse note, sans aucune déception, sans aucune blessure secrète.
J'ai probablement vécu d'autres mondes dans lesquels j'ai réparé certains problèmes...
Mais dans ce monde-ci, il y avait quelque chose de différent.
J'avais l'impression d'avoir lancé un 6,
puis encore un immédiatement dans la foulée.
Je ne sais pas si c'était prédestiné ou si j'ai simplement eu deux coups de chance l'un à la suite de l'autre, mais...
... Les choses s'annonçaient bien. Comme si une quelconque déesse de la chance avait voulu me féliciter de m'être résolue à me battre bec et ongles...