— ... Bien.
Merci, j'en ai fini.
Irie retira l'aiguille du bras de Satoko.
Celle-ci avait ressenti la douleur lorsqu'il l'avait piquée, mais pas lorsqu'il la retira.
Elle fermait toujours les yeux, gardant les paupières bien pressées, très nerveuse.
— ... Satoko, c'est bon, l'aiguille est partie maintenant.
— Plaît-il ?
Oh ? Est-ce déjà fini ?
Satoko ouvrit précautionneusement un œil ;
Irie s'était déjà levé, et Takano avait apporté un peu de gaze alcoolisée pour désinfecter la trace de la piqûre.
— Eh oui, c'était déjà fini.
Le Docteur Irie est plus doué que moi pour faire les piqûres.
Je parie que tu n'avais rien remarqué.
Bon, et surtout, ne te gratte pas, hein ?
Et si possible, ne porte rien de trop lourd.
— Mais oui, bien sûr, je commence à le savoir.
— ... Satoko est une grande fille, vous savez.
Elle mérite un câlin sur la tête.
— Allons, enfin, ce n'est qu'une piqûre !
Vous n'avez pas besoin d'en faire tout un événement, ma chère !
Oh, ça, aujourd'hui elle reste tranquille, mais avant, c'était une tout autre histoire.
En comparaison, elle méritait largement un câlin pour être restée aussi sage.
Et nous le savions tous, ici présents. C'est pourquoi tout le monde se mit à rire.
— Bien, alors Satoko, tu veux bien passer au test ?
Madame Takano, je compte sur vous.
— Bien sûr.
Alors Satoko, prête à répondre aux questions, cette fois-ci encore ?
— Vos questions sont parfois très sybillines, je dois bien l'avouer. Je ne suis pas très encline à m'y mettre, mais je n'ai pas le choix...
— Allons, ce sera comme d'habitude.
Si tu ne sais pas la réponse, dis-moi simplement la première chose qui te passe par la tête.
Il ne faut pas trop se monter la tête pour si peu, reste naturelle.
Takano fit un large sourire, tentant visiblement de rassurer Satoko.
Puis elle l'invita à s'asseoir à un autre bureau, où les attendait sagement plusieurs feuilles.
— ... Espérons
que Satoko aille bien...
— ... ...
Depuis le début du mois, peut-être à cause de la chaleur, Satoko montrait des signes inquiétants.
Le changement de saison était propice à la fatiguer, physiquement comme nerveusement.
C'était d'ailleurs pour ça que je m'y attendais un peu.
— Je vais aller voir Irie pour lui demander comment elle va.
Et toi, tu fais quoi, Hanyû ?
— ... Ne t'en fais pas, je vais rester avec Satoko.
— Merci.
C'est gentil à toi.
Hanyû se dirigea vers le bureau et son questionnaire.
Par chance, j'étais la seule à pouvoir remarquer son existence.
Elle ne risquait pas de déranger Satoko en regardant les questions par-dessus son épaule.
Quand c'est moi qui le fais, Takano m'engueule parce que je déconcentre Satoko.
Ce test n'est qu'un contrôle de routine, mais avec Takano et sa façon de poser les questions, on aurait pu croire que Satoko se faisait torturer.
Je parie que c'est très amusant de l'observer quand elle est si nerveuse.
Dans ce genre de moments, je suis vraiment très jalouse de Hanyû.
Ahahah…
Dans un autre coin de la pièce, Irie se tenait avec deux autres assistants et commentait les résultats des analyses.
Je me joignis à eux.
— Tant mieux.
C'est un bon signe, alors ?
Son premier commentaire résumait le tout, mais il était très engageant.
— Irie ?
Comment va-t-elle ?
— Rassure-toi, Rika,
les résultats sont bons.
... Eh bien, je compte sur vous, les gars.
Il leur donna des instructions pour continuer les analyses,
puis se mit à m'expliquer ceci et cela, me montrant des tas de graphes auquels je ne comprenais rien.
— Je crois que je me suis trop inquiété en voyant les résultats de la semaine dernière.
À cause du changement de saison, son système nerveux orthosympathique est simplement un peu plus réceptif.
Elle a pris un coup de froid cette semaine, j'imagine, non ?
... Hmmm, oui, elle s'est plaint de ne pas réussir à dormir à cause de la chaleur.
Elle a même dormi le ventre à l'air, rejetant sa couette dans son sommeil.
Elle a pu choper quelque chose cette nuit-là.
— Elle a dormi sans couverture un jour, en effet.
Je lui ai appuyé sur le nombril tout plein de fois, mais elle ne s'est pas réveillée.
— Ahahahaha ! Aah, je t'envie, tu sais.
La prochaine fois, appelle-moi à son chevet.
J'aimerais beaucoup lui appuyer sur le ventre avec les doigts.
— Oh, il est tout tendre, son ventre,
il est même tout rond et lisse comme un ballon.
Il est tellement mignon que ce serait trop dommage de le cacher sous une couette.
— Ahahahahaha, je vois pourquoi elle tombe tout le temps malade !
— Rika !
Enfin, ma chère, je vous entends !
La prochaine fois, ayez l'obligeance de me couvrir, enfin !
— Satoko, tu fais un test en ce moment,
alors concentre-toi ! Je te signale que tes réponses sont chronométrées !
Irie, Hanyû et moi nous mîmes à rire.
Satoko retourna à son questionnaire, sous le regard contrit de Takano.
Après les avoir observées quelques secondes, Irie reprit à voix basse.
— Disons que... l'activité est revenue à la normale, mais elle est encore au niveau 3-.
Elle est toujours dans une situation plutôt dangereuse, hier comme aujourd'hui. Et probablement demain aussi.
— Elle ne réussira jamais à descendre en dessous du niveau 3, hein ?
— C'est comme un choc anaphylactique. Même si l'allergène disparaît entièrement, le corps continue de produire des anticorps en masse.
Et donc si tu veux...
— Même si Satoko devait guérir un jour, elle resterait à tout jamais au niveau 3.
— ... ... Oui, pour simplifier, c'est un peu ça.
Mais tu sais, ce n'est pas une raison pour baisser les bras.
Si elle continue à mener une vie équilibrée et à se ménager,
et surtout si elle continue de prendre son sérum, nous pouvons faire en sorte de prévenir ses crises.
— Oui, mais elle ne guérira jamais. De toute sa vie.
Je lançai un regard en direction de Satoko. Elle s'amusait un peu avec son test, mais les résultats avaient l'air de lui tenir à cœur.
Takano la charriait un peu, mais Satoko avait l'air de beaucoup s'amuser.
J'avais du mal à réaliser qu'elle souffrait d'une maladie incurable...
— Il ne faut pas être aussi négatif, voyons.
Et puis, il y a certaines maladies incurables dont les gens ont appris à s'accomoder.
Prends par exemple le diabète.
Il n'y a aucun moyen de l'enlever, une fois que tu fais du diabète, tu en feras toujours, mais on peut facilement empêcher le taux de glycémie de provoquer des crises.
Je n'avais pas besoin de me l'entendre dire pour le savoir.
Il existe des tas de maladies dont on se contente d'enrayer les effets, sans pour autant les guérir.
Satoko n'était pas la plus à plaindre.
— ... ... Évidemment, je ne compte pas me satisfaire de ce résultat.
Ne t'inquiète pas, je ferai en sorte de guérir Satoko.
Je te le jure.
— ... Je vous fais confiance, Irie.
— Et vous avez raison de croire en moi.
Je ne vous décevrai pas.
Le Docteur Irie avait un air très sérieux en disant cela.
En tant que meilleure amie de Satoko, j'étais bien contente d'avoir un homme pareil pour s'occuper de son cas.
Je sais qu'il fera tout ce qu'il est en son pouvoir pour la sauver.
Et je sais aussi qu'il n'est pas motivé par une libido déviante.
J'ai pu le vérifier dans de nombreuses vies, par le passé.
Je sais pourquoi il est aussi déterminé à la sauver, mais dans ce monde-ci, je ne suis pas censée le savoir.
C'est pourquoi je fis semblant de ne pas remarquer la pointe de tristesse au fond de son regard...
— Ah oui, au fait, Rika,
à la fin du mois, il y a aura des tests un peu plus contraignants.
— ... Ce sera mon tour d'être votre cobaye, j'imagine ?
— Mais non, il ne faut pas dire ça.
Les tests seront décrits et les résultats publiés, mes recherches servent la Médecine et pourront peut-être sauver des vies.
Eh oui, Irie n'avait pas seulement que Satoko comme cobaye.
Je devais moi aussi mouiller le maillot.
... Mais c'est vrai que ce n'était pas gentil de ma part de parler de cobaye.
Si Irie n'avait pas donné autant de sa personne, Satoko n'en serait pas là aujourd'hui.
Je devrais faire preuve d'un minimum de respect envers lui.
C'est pourquoi je décidai d'adoucir mes mots.
— Miaou.
Si je peux servir à guérir Satoko, je vous autorise à vous servir de moi, même comme cobaye, avec plaisir.
— Je t'en suis très reconnaissant, tu sais.
Si j'avais un peu plus de matériel et de personnel, je n'aurais pas à vous demander tant d'efforts à toutes les deux, mais...
Soudain, le téléphone nous interrompit.
Irie reprit un visage plus sérieux -- plus digne de son poste de chef de la clinique -- puis il décrocha.
— Oui allô, Irie à l'appareil.
— C'est un appel depuis Tôkyô.
Je vous le passe.
Le son du téléphone devait être mal réglé, car j'entendis la voix de l'opératrice depuis le combiné.
— Ah, oui, Risa ?
Oui, il faut dire que nous sommes déjà en pleine saison, le Temps passe tellement vite...
Faites passer son appel dans mon bureau, je le prendrai depuis mon poste personnel.
— Très bien.
Alors dans ce cas, veuillez raccrocher.
— Oui, bien sûr.
Rika, je suis désolé,
mais j'ai un appel important qui m'attend.
— Ne vous gênez pas pour moi, allez-y.
Le Docteur reposa le combiné, ce qui déclencha immédiatement une sonnerie bien plus éloignée.
Il quitta alors la pièce et se dirigea vers son bureau administratif.
Il croisa Hanyû à la porte. Celle-ci venait me voir.
Elle n'aime pas trop rester près de moi lorsque je parle à Irie.
Je ne pense pas que c'est parce qu'elle ne l'aime pas.
Je crois surtout qu'elle n'a pas trop envie d'entendre ce qu'il a à dire.
Même si lui n'a aucune mauvaise intention, je pense que ce qu'il raconte doit beaucoup la vexer.
— Alors, comment se débrouille Satoko ?
— Comme d'habitude, elle est très mauvaise au jeu des différences.
Je suis bien meilleure qu'elle !
— ... Sauf que ton test à toi, on s'en fout un peu.
Comment s'en est-elle sortie ?
— Méé euh, méé euh, méé euh !
Moi qui m'imaginais qu'elle surveillait un peu Satoko...
En fait, elle s'est laissé prendre au jeu et a fait le test aussi.
... Bah, après tout, c'est elle tout craché.
Le test était conçu pour être un peu ludique, mais Satoko le faisait toutes les semaines, donc je suppose qu'elle devait le trouver de plus en plus rébarbatif.
Et puis, nous nous étions levées très tôt ce matin ; elle était visiblement fatiguée.
Surtout que le test ne se basait pas sur des réponses justes ou fausses.
Il servait à voir comment elle taclait les problèmes, si elle parlait, si elle avait des tics nerveux, combien de temps elle mettait selon la question, ce genre de choses.
Il n'y avait quasiment jamais moyen de donner une réponse directe, et les questions étaient bien plus gratinées que nos pires dictées et cours d'idéogrammes chinois.
— Elle en a bientôt fini, au moins ?
— Oui,
Takano en est à la dernière feuille.
Miyo avait ouvert un grand cahier et montrait à Satoko des motifs faits à l'encre de chine.
On pourrait croire que ce sont de vrais dessins, mais...
J'avais plus l'impression que quelqu'un avait simplement fait couler de l'encre et étiré ça un peu n'importe comment, puis pressé les deux pages l'une sur l'autre.
— Allez, Satoko, c'est la dernière.
Qu'est-ce que tu vois comme forme là-dedans ?
Hanyû et moi jetâmes un coup d'œil à l'image en question, par-dessus son épaule.
... L'espace d'un instant, je ne sus vraiment pas quoi faire de la tache énorme sur le papier.
— …
...
...
...
...
...
Hmmm...
...
Eh bien... Ma foi
...
Satoko avait l'air de vraiment se creuser la tête dessus.
Takano l'observait attentivement, et notait parfois quelques petites choses sur son calepin.
Elle regardait un chronomètre qu'elle cachait sous le bureau, dans sa main gauche. Le temps que mettait Satoko à répondre semblait être une information cruciale.
Je parlai à Hanyû à voix basse.
— ... Et toi, tu vois quoi,
Hanyû ?
— Eh bien, euh, je...
Hmmm, disons que…
Ah !
Oui, c'est de la glace ! De la glace qui serait tombée par terre, écrasée au sol !
Oh non, mais c'est trop dommage, c'est du gâchis !
— Je vois, ce test sert à comprendre à quoi tu penses.
Ahahaha.
Personnellement, j'aurais dit un poisson dont on aurait ouvert le ventre et laissé traîner l'intérieur à pendouiller dans le vide.
... Mais c'est aussi quelque chose de comestible.
Mais alors, je ne réfléchis pas mieux que Hanyû ? La vache...
— Alors, ça ressemble à quoi, pour toi ?
Dis-moi la première chose qui te passe par la tête.
Apparemment, Satoko n'aimait vraiment pas ce test-là en particulier.
Elle avait sûrement mis beaucoup de temps à répondre aux autres questions du cahier.
Puis, enfin, comme pour échapper à la torture, elle se mit à parler.
— ... On dirait...
deux papillons,
l'un sur l'autre. Un peu.
— Deux papillons posés l'un sur l'autre ?
Je vois, je vois, c'est bien, continue.
Pourquoi sont-ils l'un sur l'autre ?
Takano prenait des notes tout en pressant Satoko de questions.
Je me demande bien ce qu'elle écrit.
... Rah, zut, c'est de l'allemand, je parie.
J'y comprends rien.
Quelle saleté, cette femme...
— Eh bien...
Ce sont deux papillons qui ne se sont pas vus depuis longtemps, alors...
Ils sont contents de se revoir, c'est tout.
Oui, c'est peut-être un peu risible comme explication, je m'en excuse…
Je ne sais pas trop pourquoi je raconte quelque chose d'aussi ridicule...
— Non, ne t'en formalise pas, c'est très bien comme réponse.
Si c'est à ça que ce dessin te fait penser, alors il faut le dire.
C'est à ça que sert le test.
— ... Êtes-vous bien sûre que cet étrange procédé puisse servir dans vos recherches ?
— Mais bien sûr, voyons !
Rien qu'avec ce dessin, d'ailleurs.
On peut par exemple comparer ta réponse d'aujourd'hui et celle de l'année dernière,
et en tirer des conclusions sur les changements dans ton comportement pendant cette période.
— Hmm, tout cela me paraît bien intrusif...
Qu'avais-je donc répondu l'année dernière ?
Takano se mit à rire dans sa barbe, le stylo parcourant rapidement sa feuille de notes, mais elle ne répondit pas.
Je cherchai dans mes souvenirs, mais malheureusement, ma tête était un charivari d'archives de plus d'un siècle de temps.
Je n'étais pas aussi douée que Hanyû pour réorganiser mon savoir.
Je me tournai alors vers elle pour lui poser la question, et vis son visage emprunt d'une grande tristesse.
Alors j'eus une vague idée de ce que Satoko avait pu répondre, et décidai de ne pas poser la question.
L'année dernière,
nous étions en juin 1982, et Satoko subissait constamment brimades, remontrances et châtiments corporels à cause de sa tante.
Cela suffisait amplement à me passer l'envie de poser la question.
Par contre, la Satoko de cette année ne ressemble plus du tout à la Satoko qui était assise ici l'année dernière.
... Elle est devenue beaucoup plus forte.
Je suis bien placée pour savoir quelles circonstances l'ont poussée de l'avant.
C'est pour ça que quelque part, j'avais mal pour elle en me rendant compte de tous les progrès qu'elle avait faits.
— Tu as fini le test ?
Irie revint nous voir. Il en avait terminé avec ce coup de fil ?
— Oui, à l'instant.
— Satoko commence à avoir l'habitude,
elle a fini bien plus vite aujourd'hui.
— Oooohhohhohho !
C'est tout à fait naturel, voyons, c'était le but de la manœuvre !
Nous avons tant de choses à faire aujourd'hui, je ne pouvais pas me permettre de paresser oisivement dans votre établissement !
— Tiens donc, vous avez quelque chose de prévu aujourd'hui ?
Pourtant, nous sommes dimanche ?
— ... Aujourd'hui, nous avons un concours du club dans l'un des magasins de jouets en ville. C'est à un oncle de Mii.
— Ahahahaha ! Aah, je vois, ceci explique pourquoi Satoko était si tranquille et si coopérative.
Forcément, si votre agenda est plein à craquer...
Eh bien, veuillez m'excuser d'avoir dérangé votre journée, mesdemoiselles.
Satoko ? Voilà pour toi, comme d'habitude.
Irie plaça un grand sac en papier sur le bureau.
Il en sortit le contenu et se mit à nous expliquer les doses et les posologies.
Satoko considérait ces explications comme étant une perte de temps, puisqu'elle recevait les mêmes médicaments chaque semaine, mais le docteur mit un point d'honneur à réciter son laïus.
— Tu as l'air plus en forme, alors nous allons repasser à la dose normale, deux piqûres par jour.
Il faut absolument les faire avant la prise de repas à midi et avant de te coucher le soir.
N'oublie pas de changer l'aiguille de la seringue,
il ne faut jamais utiliser deux fois la même aiguille.
Quant à ces gélules, n'en prends uniquement que si tu ne te sens vraiment pas bien, et uniquement après les repas.
— Oui, bien sûr, bien sûr, c'est le même refrain toutes les semaines, je commence à le savoir, Docteur !
Satoko avait vraiment l'air surexcitée à l'idée d'aller jouer avec les autres.
J'étais vraiment contente de la voir dans un état pareil.
— Elle est revenue à deux piqûres par jour.
Tant mieux, c'est une bonne chose.
Le nombre de piqûres était inversement proportionnel à son état de santé.
Donc moins il y en avait, mieux c'était.
— Ça reste quand même un sacré effort que de se faire plusieurs piqûres par jour...
— Oui, oui, bien sûr, mais, euuuh...
Hanyû avait mal pris mon commentaire, pour ne pas changer.
Irie reprit les médicaments étalés sur le bureau, remit tout dans le sac et le tendit à Satoko.
— Allons, Rika !
J'en ai terminé !
— Oui, tu as bien travaillé.
Même si j'ai bien vu que tu avais la tête ailleurs pendant ton test.
Va donc t'amuser !
— Je suis vraiment confuse...
Vous savez, je vous suis très reconnaissante pour tout ce que vous faites pour moi...
— Ahahaha,
allons, allons, vous n'avez plus beaucoup de temps, si j'ai bien compris ?
Vous voulez que je vous y emmène en voiture ?
Ah tiens, à ce propos ! J'ai une nouvelle peluche dans l'habitacle !
Une promesse est une promesse : tu auras le droit de lui donner un nom !
— Or çà, est-ce bien vrai ?
Je me demande à quoi elle ressemble !
Aah, il me tarde de la voir, quel nom vais-je pouvoir lui donner ?
Quel animal avez-vous choisi cette fois-ci ?
— Héhéhé, c'est un chat, encore une fois.
Il a des rayures de tigre, celui-ci.
Il est mignon tout plein, je suis sûre qu'il va te plaire.
Aussi incroyable que cela pût paraître, Satoko et Takano étaient de grandes amies.
Elles avaient tissé des liens autour de leur passion pour les peluches.
Depuis quelque temps, Takano prenait un malin plaisir à se vanter de chacune des nouvelles peluches qu'elle s'achetait.
Enfin, on ne pouvait pas les appeler de grandes amies rien qu'à cause de ça.
Mais comparé à ce que Satoko avait subi pour être la dernière de la lignée des Hôjô, ceux qui avaient trahi le village... Eh bien, ça devait être un lien très important pour elle.
Il faut dire qu'à bien y regarder, les seuls adultes qui adressaient la parole à Satoko étaient ceux qui travaillaient à la clinique...
— Ahhahahahahaha !
Bon, eh bien alors, filez, toutes les deux !
Si vous ne savez pas quoi faire comme gage pour le perdant, que diriez-vous de porter un costume de soubrette ?
Je peux vous fournir toutes les tailles et toutes les variations possibles☆
Sinon, je vous verrai dimanche prochain.
— Allez vous faire voir avec vos costumes☆.
À dimanche prochain.
— Allons, nous n'avons plus de temps à perdre.
Aujourd'hui, il n'y aura pas que les membres du club qui se jetteront dans la bataille !
Aaah, qu'il me tarde !
J'inclinai légèrement la tête et m'apprêtai à quitter la salle de test.
Lorsque soudain, je remarquai enfin quelque chose.
Irie me dévisageait avec un regard particulièrement triste.
Je savais bien ce qu'il essayait de me dire.
Si jamais il devait se passer quelque chose, il m'incombait de la sauver.
J'acquiesçai encore une fois en sa direction, pour lui signifier que j'avais compris, puis rejoignis Satoko dans le couloir.
— Aaah, enfin...
Je m'y habitue peu à peu, mais cela reste bien fatiguant.
— ... Tu n'aimes pas faire les tests ?
— Oh, eh bien, j'avoue qu'ils m'insupportent, car ils sont très contraignants, mais...
Que voulez-vous y faire ? C'est un travail, après tout. Je n'ai pas à me plaindre.
Satoko aidait le Docteur Irie à écrire sa nouvelle thèse.
En échange de quoi, elle recevait une compensation financière qui lui permettait d'assurer son quotidien.
En tout cas, c'était le mensonge que nous lui avions raconté.
Satoko étant survoltée, nous mîmes bien moins longtemps que d'habitude à arriver à Okinomiya,
ce qui nous fit attendre bien plus longtemps sur Keiichi et les autres.
Et bien sûr, comme par un fait exprès, eux étaient en retard, par rapport à ce qui avait été prévu.
Quoique. Il y avait déjà eu une situation similaire dans laquelle ils étaient arrivés en retard.
Alors ce retard serait dû à la fatalité ?
Elle n'a pas autre chose à décider, la fatalité ? C'est vraiment rageant de voir tout ce gâchis de force dans des détails inutiles...
Après un long moment, les sonnettes des vélos retentirent pour nous prévenir de leur arrivée.
— Eh bien donc ?
Vous êtes fort en retard, mes amis !
Satoko était bien sûr heureuse de les voir enfin ici, mais aussi bien trop fière pour l'avouer ; pourtant, malgré les reproches dans le ton de sa voix, j'avais la forte impression de voir un petit chien battant de la queue comme un fou.
— Ooooh, mais qu'est-ce qu'elle est trognon !
— Oui, je ne m'en lasse pas.
Ahahahaha, aaah, elle est vraiment trop chou...
Heureusement qu'elle était là pour me consoler ; j'en avais déjà eu marre d'attendre sur les autres.
C'est pour ça que je l'adore, cette fille.
Si elle était plus petite et plus poilue, je la mettrais en cage pour la garder rien qu'à moi...
— Bonjour Satoko ! Bonjour Rika !
— Bien le bonjour à vous tous.
— Yo !
Bonjour Rika !
Satoko, il nous faut régler nos comptes avant que la Police n'arrive sur les lieux !
Le premier qui pique un milliard a gagné !
— Plaît-il ? Mon cher, je crains ne pas saisir la portée de vos propos...
— Est-ce que nous sommes en retard ?
Vous êtes là depuis longtemps ?
— Nous avons fini les discussions assez rapidement ce matin, et donc nous sommes ici depuis un bon moment.
Mion et Rena savaient que Satoko faisait un test sanguin tous les dimanches matin ; je n'avais donc aucun besoin de leur en dire plus.
— Aaaah, je suis vraiment désolée...
On a attendu sur Kei, mais il a mis un temps monstre à arriver, en fait !
Putain, Keiichi, tu fais chier.
C'est tout le temps à cause de toi que vous arrivez en retard ?
— ... Si c'est la faute à Keiichi, alors tant pis...
Nipah~☆
— Hé ! C'est tout ce que ça provoque comme réaction ?
Pourquoi ça n'étonne personne quand c'est de ma faute ? C'est tout le temps pour ma pomme, hein ?
— Évidemment !
Vous êtes le seul dans notre groupe à ne pas être digne de tenir un autre rôle, voyons !
OoooOhhohhohho !
— Ouais, eh ben moi, j'en veux pas, de ce rôle !
Vous allez voir ce que vous allez voir !
Keiichi et Satoko se mirent à se voler dans les plumes.
Satoko fit du chiqué pour forcer Rena à sortir ses coups spéciaux et allonger Keiichi.
Ouaip, c'est tout comme d'habitude.
Mais ça, à la rigueur, ça ne me dérange pas.
C'est un peu comme boire une brique de lait au sortir du bain. C'est une bonne habitude.
— Je préfère ce genre de réactions.
Ça au moins c'est dans l'ordre des choses, tu ne trouves pas ?
— ... Je trouve surtout que tu devrais essayer de penser à une autre chute pour tes blagues, avant qu'il ne te manque une paire de dents.
Nous éclatâmes toutes de rire, et ceci acheva nos salutations matinales.
— Ils ont tous la forme, aujourd'hui.
— Oui, et la santé est le plus grand des trésors.
— Voyons, Rika, tu parles comme une grand'mère.
— La ramène pas trop, toi, hein ?
Je te signale que c'est de ta faute. Continue comme ça et je ferai une impasse totale sur les sucreries.
— Mééé euh ! Mais non ! Mais pourquoi ? Noooon !
Déjà comme ça, elle me court sur les nerfs d'habitude, mais là, c'était encore pire.
J'ai peut-être été un peu méchante.
— Mais je rigole, enfin.
Il ne faut pas te mettre dans tous tes états.
— D'accord, d'accord,
pardon, pardon, je te demande pardon, tout ce que tu veux, pardon, pardon !
Hanyû adore tout ce qui est sucré.
Surtout les gâteaux occidentaux, les tartes et la crème glacée.
Sauf qu'elle ne peut pas manger par elle-même -- elle est un peu compliquée -- donc elle doit toujours compter sur moi pour avoir sa dose.
Si je mange quelque chose de sucré, à travers moi, elle en ressent la saveur.
Mais si l'on prend le problème dans l'autre sens, cela veut dire que même si elle a envie de quelque chose en particulier, elle doit attendre que j'en mange pour avoir ce qu'elle veut.
C'est donc sur mon bon vouloir que repose tout le système.
Cela veut aussi dire que c'est le moyen le plus efficace de me venger sur elle ou de lui jouer des mauvais tours.
Et ça m'amuse presque autant que de faire des crasses à Satoko.
— Hau, Rika, tu m'as l'air bien contente aujourd'hui !
Ouh, toi et ta mine trognonne, je te ramène à la maison !
— Ouais, ben calme-toi, hein ? L'enlèvement de petite fille, c'est un crime puni par la loi.
— Hé, Mion ? Y a ton oncle qui t'appelle.
— Très chère, avez-vous entendu la nouvelle ?!
J'ois les autres participants dire qu'il y aurait une somme d'argent à la clef !
Aaaah, oui, je me souviens maintenant.
Mion a pioché 50 000Y dans son argent de poche pour le premier prix.
Elle a de sacrées largesses, celle-là.
Je suis prête à parier qu'elle a mis en place un système pour être sûre de les récupérer...
— Imaginez donc, la somme se monte à 50 000Y !
Cinquante mille yens !
... ...
Mon regard croisa celui de Satoko.
... Ah, mais quelle idiote je fais, zut !
Satoko s'attend à ce que je pousse un cri de surprise.
N'importe qui de normal serait étonné. N'importe qui de normal pousserait des cris.
Mais moi, je sais déjà tout. Donc forcément, rien ne m'étonne. Limite, je m'étonne de ce qu'elle s'étonne.
En fait, je crois bien que mon regard ne disait pas seulement “Et alors ?”, il disait carrément “Ouais, c'est bon, je suis déjà au courant, tu vas pas me chier une pendule avec ça, maintenant, on s'en remet, quoi.”
— ... Mon cher, ne pensez-vous pas que 50 000 yens font une très belle somme ?
— Cinquante mille yens ????
C'est impossible, voyons !
Cela correspond à cinq fois le produit intérieur brut annuel du royaume de Maebara !
Satoko sentit le besoin de reposer la question à Keiichi.
Avec un peu de chance, elle a pensé que je ne l'avais pas entendue
et n'a pas osé me le redemander...
... ... ...
— Aïe, aïe, aïe, mince...
— ... C'est rien, juste une petite erreur.
Pas de quoi s'affoler.
— ... Avec 50 000Y, nous pourrions acheter suffisamment de sauce soja pour tenir toute notre vie.
— Mais enfin, ma chère, pourquoi gaspiller une telle somme dans de la sauce soja ?
— Parce qu'une certaine personne ne veut jamais aller en acheter lorsque je le lui demande.
Nipah☆!
— Eh bien, ma foi, vous avez la rancune tenace...
— Ça ferait combien de bouteilles, une telle quantité ?
J'arrive même pas à m'imaginer ça !
Heureusement qu'il est là, lui ; son commentaire me permit de faire revenir le ton de la conversation sur un terrain plus favorable.
Le pouvoir de trouver le bonheur à coup sûr a pour effet secondaire de faire perdre la notion des petits bonheurs quotidiens.
Normalement, Rika Furude devrait être une petite fille complètement époustouflifiée par la somme exorbitante en jeu, et elle devrait en pousser des cris de surprise en regardant sa copine Satoko comme une demeurée.
Sauf que malheureusement, je sais déjà tout de ce tournoi.
Dans un monde précédent, je l'ai déjà vécu, alors en entendant la somme, je me suis dit “Aaah ouais, c'est vrai, c'était 50 000Y”. Mais ça n'a pas déclenché plus de réaction que ça.
Parce que je n'arrive plus à ressentir la fraîcheur, la nouveauté et l'excitation d'une récompense aussi grande.
C'est pour ça que je ne peux plus offrir à Satoko les réactions qu'elle attend de moi.
Les petites surprises ont peu à peu disparu de mon quotidien.
Et à force de ne plus m'étonner de rien, petit à petit...
... Je finirai par ne plus trouver rien qui soit digne d'intérêt.
Je ne connaîtrai plus jamais la surprise.
Je ne pourrai plus jamais m'émouvoir.
Et je finirai par ne plus jamais ressentir d'émotion.
C'est pour ça que je suis toujours sur le qui-vive.
Je dois toujours faire la part entre moi, qui ai déjà tout vécu et qui sais tout, et Rika Furude, qui n'est qu'une petite fille.
Car même si moi, plus rien ne m'intéresse, Rika Furude découvre avec la curiosité de son âge la beauté et la complexité du monde.
C'est pourquoi elle en rajoute toujours une couche quand elle fait une “découverte”.
... Enfin, c'est ce que j'essaye de faire.
Mais plus je me démène pour qu'elle soit naturelle,
et plus Rika Furude s'éloigne de moi, comme si nous étions de part et d'autre d'un écran de télévision.
— Rika ?
— ... Désolée.
Je sais que je ne devrais pas déprimer, c'est mauvais pour ma santé.
Il me faut trouver quelque chose d'amusant.
Enfin, quand je dis santé, ma santé physique n'est pas très importante.
C'est surtout à ma santé mentale que je dois faire attention.
Plus mon quotidien se répète, plus je sais de choses par cœur,
moins je m'étonne,
moins je m'intéresse aux choses,
et puis un beau jour, ma vie devient une sorte de vidéo que l'on me force à regarder.
Mais bon, une vraie vidéo, je pourrais l'ignorer, fermer les yeux et dormir.
Après tout, après une petite sieste, la vidéo avait de grandes chances d'être arrivée à la fin.
Mais dans mon cas, ce n'est pas d'une vraie vidéo dont je parle, c'est du monde dans lequel je vis.
Si je devais fermer les yeux et me forcer à dormir... je forcerais en quelque sorte mon âme au repos éternel.
Et lorsque mon mental sera mort, alors...
... Eh bien, la petite fille que les gens appellent Rika Furude se transformera en une poupée vivante mais inanimée, incapable de bouger le moindre muscle.
Et alors, mon long voyage d'errance à la recherche du bonheur prendra fin.
... Et ça, il ne le faut surtout pas.
Cela fait bien 100 ans que je vis dans cet enfer. Cela fait même probablement plus d'une centaine d'années, je commence à ne plus réussir à me souvenir.
Je ne veux pas finir ma vie comme ça, par abandon, à me laisser disparaître dans l'oubli et le néant.
Je ne l'accepterai jamais...
— Pardon, Hanyû, ça va mieux maintenant.
Et puis, je suis un peu ridicule à me plaindre d'à peine un siècle passé sur Terre, comparée à toi...
— Allons, voyons, il ne faut pas dire ça.
Et puis, ce n'est pas la même chose, j'ai l'habitude du Destin, maintenant...
— Pouh...
Allez, on respire.
Tout va bien.
Je suis Rika Furude. Je suis Rika Furude...
Si je ne me force pas à me souvenir de qui je suis censée être, je risque de laisser ma vraie personnalité transparaître à la surface.
Rika Furude est une gentille petite fille, tout à fait normale, sans histoires, incapable de faire mal à une mouche...
— ... Miaou.
Et toi, Rena, tu achèterais quoi avec 50 000Y ?
— Hmmmmm...
Je me demande si je ne pourrais pas acheter un Kenta.
Je ne sais pas si je peux simplement me pointer au prochain Fried Chicken et leur laisser la liasse de billets dans les mains.
Hauuu☆!
— Je crois qu'il serait plus rapide d'acheter une bonne brouette et une pince monseigneur.
— Allons bon, notre chère Rena est tout à fait capable de briser la chaîne du socle à mains nues !
— Ahahahahahahahahaha !
Ouais, elle en est tout à fait capable !
— Hauuu, c'est pas gentil de se moquer !
Enfin, la conversation était revenue sur un rythme et un ton naturels.
Maintenant, je ne devrais normalement plus avoir trop de problèmes pour rester dans la bonne attitude.
Pour moi, jouer le rôle de Rika Furude, c'était un peu comme faire du cerf-volant.
Une fois que vous avez choppé le bon courant, il est facile de le garder bien en hauteur.
Mais si vous le faites tomber au sol pour une raison ou pour une autre, il est très difficile de lui faire reprendre de l'altitude, ou bien alors, il faut courir pour lui donner de l'élan.
Et chaque fois que je devais prendre de l'élan, eh bien, l'image de Rika Furude se dégradait, tout comme le cerf-volant frotte par terre et peut se déchirer lorsque vous courez.
Après quelques instants, Mion frappa dans ses mains pour demander notre attention.
Je connaissais les règles du jeu.
Tous les participants seraient séparés en cinq tables, et chaque table ferait une compétition sur un jeu différent ; seul le vainqueur de chaque table irait en phase finale.
... Quelque part dans mon cœur, je fis secrètement le souhait que Mion décidât d'une autre règle à la dernière seconde.
C'était vraiment d'un ennui indescriptible que de devoir refaire des choses connues à l'identique...
— Ce n'est pas si irréaliste que ça. Mion décide souvent des choses du club à la dernière seconde.
Les règles auront peut-être des amendements...
— ... D'habitude, j'abonderais en ton sens, Rika, mais aujourd'hui est un jour spécial -- elle a probablement tout préparé depuis plusieurs jours.
— C'est vrai, c'est vrai. Et nous savons que les volontés plus fortes arrivent plus facilement à influer sur le Destin.
Mion ne réfléchit généralement pas à quel jeu prendre, jusqu'à l'instant où elle ouvre le casier.
Et encore, même une fois le casier ouvert, elle se contente souvent de le scruter et d'attendre l'inspiration.
... C'est grâce à ce procédé que les jeux du club ne se recoupent que très rarement, malgré tous les mondes que j'ai traversés par le passé.
Et c'est l'une des principales raisons pour laquelle “je ne m'en lasse pas”.
Mais comme vient de le dire Hanyû, aujourd'hui est bien différent -- elle a dû réserver le magasin de jouets longtemps à l'avance.
Elle a forcément préparé un plan d'action et s'est fait une liste des choses à faire ou à dire pour marquer le coup.
Donc forcément, cela ne laisse plus aucune chance au hasard.
Mion n'a pas des masses de candidats pour choisir “la meilleure chose à faire”.
Nous pouvons donc considérer que toutes ses meilleures idées vont se retrouver toujours en vrac dans un seul et même Destin.
... Je peux d'ailleurs aller même plus loin dans l'analyse en affirmant que l'idée du concours dans le magasin lui est venue par hasard.
Depuis tout le temps que je revis ce mois fatidique, il n'a été organisé que très rarement.
— ... Tu ne devrais pas trop te faire d'espoirs, Rika.
— Oh, mais je ne me fais aucune illusion.
Évidemment, c'était un mensonge éhonté.
J'avais le fol espoir de voir Mion nous présenter les choses avec des règles différentes.
Si jamais ce sont les mêmes règles aujourd'hui que la dernière fois...
... Il va falloir m'armer de beaucoup de patience pour ne pas péter les plombs pendant les quelques minutes où elle nous expliquera le tout.
Il est particulièrement pénible de devoir réentendre les mêmes choses archiconnues encore et encore.
... S'il-te-plaît…
Mion...
change de règle !
Fais changer le Destin...
— Alors, tout d'abord, nous allons tirer les places au sort pour répartir les participants en cinq tables !
À la fin du premier tour, il restera un vainqueur par table, ...
... ... ... Mouais.
On prend les mêmes et on recommence...
— ... ... Pardon, Hanyû. J'ai menti, je m'étais un peu monté la tête.
— Tu te fais du mal, Rika. Tu dois pourtant le savoir, à force.
— Oui, tu as raison...
Tu me le dis à chaque incarnation. Il faut croire que je ne retiens strictement rien...
Hanyû m'expliquait pourtant presque à chaque fois comment naviguer dans le courant du Destin.
Le Destin était comme une rivière.
Il est assez facile de se diriger dans le sens du courant, il suffit de se laisser porter et de mettre quelques battements de jambes. Par contre, pour atteindre un endroit ou un résultat à contre-courant, il faut être prêt à faire de gros efforts.
Donc le but du jeu, c'est de ne pas trop s'opposer au Destin et de faire au mieux avec le moindre effort.
Mais bien sûr, il existait aussi des courants contre lesquels on ne pouvait rien.
Et donc si l'on tentait de nager à contre-courant sans remarquer que la tâche était de toute façon impossible, l'on finissait par gâcher inutilement ses ressources physiques.
Hanyû me disait donc toujours de bien “lire” les courants du Destin.
Dans notre exemple, à partir du moment où l'on se rend compte que c'est un événement planifié tout spécialement par Mion à cette fin et à cette occasion, il était facile d'inférer que les règles seraient les mêmes, plus ou moins, d'une itération à une autre.
Et que donc souhaiter un changement précisément dans les détails de l'exécution de cette journée était de la folie furieuse.
Il paraissait évident que chaque souhait de ma part serait complètement ignoré.
Et que chaque souhait de ma part rendrait plus fragile l'image que je pouvais donner de Rika Furude.
Et si jamais j'arrivais aux limites de ma patience et de mes forces... et elle et moi mourrions.
— S'il ne sert à rien de nager à l'encontre du Destin... alors il faut l'accepter.
— ... Rika... Je suis sûre que tu sais te débrouiller toute seule pour lire les courants.
— Oui, probablement.
Et puis, il ne me reste déjà que très peu de temps comme ça, alors autant en faire bon usage.
Je poussai un soupir de déception et fis de mon mieux pour avoir l'air d'écouter Mion.
— Eh ben alors, Rika ?
Ça ne t'intéresse pas ? Pas du tout ?
Lorsque soudainement, une voix me fit tressaillir : Keiichi m'adressait la parole à voix basse...
— Comment ça ? J'ai l'air de m'ennuyer ? Moi ?
Il ne me semble pas qu'il m'ait posé la question la dernière fois, pourtant ? J'ai dû confondre, il ne me parlait pas à moi...
Mais j'eus beau tourner la tête dans tous les sens, je dus me rendre à l'évidence : Keiichi m'adressait bien la parole à moi et à personne d'autre.
— Ben, oui.
Je sais pas, depuis ce matin, limite, tu tires la gueule.
C'est quoi le problème, tu t'es levée trop tôt ? C'est la fatigue ?
Ahahaha !
— Non, j'ai déjà fait un tournoi similaire, en fait, et je me disais simplement “Oh, on va à nouveau faire ça...”
Secrètement à l'affût de sa réaction, je décidai de répondre ce que j'en pensais réellement.
De toute manière, je peux lui en parler, il ne risque pas d'en comprendre les tenants et les aboutissants.
En même temps, c'est Keiichi, il sera peut-être en mesure de me surprendre, qui sait ?
— Quoi ?
Ah ouais ? Sérieux ?
Rah la vache, je me disais aussi, Mion m'a l'air vachement à l'aise avec toutes ces différentes explications...
Bah, tant pis, pour moi, c'est la première fois, donc je trouve ça plutôt excitant !
S'il savait comme je l'envie à cause de ça...
Je savais bien que je ne pouvais rien y faire, mais je poussai quand même un soupir de frustration.
— Je te comprends, c'est dur de réentendre des trucs que tu connais déjà par cœur.
Je me souviens, quand j'allais prendre des cours spéciaux, on faisait déjà des trucs vachement en avance sur le programme,
alors du coup, mes cours à l'école étaient d'un ennui, mais phénoménal !
Non, il ne comprend pas ce que je veux lui dire...
Mais au moins, il comprend un peu ce que je ressens. C'était peu, mais quelque part, ça me faisait plaisir.
— ... Oui, Keiichi, c'est tout à fait vrai.
Moi aussi, à l'école en particulier, la situation est très dure pour mes nerfs.
— Quoi ?
Non, sérieusement ?
Pourtant, tu as l'air si heureuse et si souriante ?
Oui, je sais : Rika Furude aime aller à l'école.
C'est pour ça que je veille à bien jouer ce rôle.
— ... Pour parler franchement, je pense que le fait de devoir s'entendre dire encore et encore les mêmes choses connues et rabâchées devrait être considéré comme de la torture et de la cruauté mentale.
Si le Destin veut que Satoko prépare à manger et que je sais pertinemment que je n'aime pas sa cuisine, alors c'est tout simple.
Il me suffit de lui dire que j'ai envie de le faire et de cuisiner moi-même.
Mais je ne peux rien faire contre les leçons à l'école.
Soit je vais en cours et je subis cette torture, soit je fais bleu et je dois me trouver une occupation pour passer le temps.
— Ahahahaha ! Ouais, c'est vrai que les cours, tu peux pas faire grand'chose.
Je veux dire, si chaque fois je disais à la maîtresse “J'ai déjà vu ça à l'école dans mes cours spéciaux” au bout d'un moment elle en aurait sérieusement marre et je pourrais me prendre des avertissements.
Mais là, c'est pas la même chose !
C'est juste un jeu.
— ... Oui, ce n'est qu'un jeu, mais tout est déjà décidé.
— Mais non, qu'est-ce que t'en sais ?
On va être tirés au sort !
En plus, chaque table pourra décider elle-même du jeu qui départagera les concurrents.
Tu peux pas prévoir quels jeux tu vas jouer contre qui, c'est impossible !
— ... ... ... J'ai ma petite idée sur la question.
— Mais non, tu peux pas le savoir, voyons.
Keiichi eut un éclat de rire, qui sembla vouloir couper court à toute protestation.
Or, je savais très bien que celui qui ne savait rien ici, c'était lui.
— Oui, nous allons tirer nos places au sort, mais les membres du club seront tous placés chacun à une table différente, comme par hasard.
Vous serez à cette table, là-bas.
Moi, à celle-ci.
À ma table, nous jouerons à pêcher des poissons,
et vous jouerez au Jeu de la Vie.
Je ne sais pas par quelle magie c'était arrivé, mais la dernière fois, nous nous étions retrouvés séparés.
D'un point de vue mathématique, la probabilité que cela soit le cas est astronomiquement faible.
Ce qui veut dire que Mion a triché pour nous séparer.
Donc je peux être sûre et certaine que nous serons encore une fois séparés.
Par contre, pour les jeux, c'est autre chose.
Mais tant que les gens à ma table penseront en gros à la même logique pour gagner, alors je pense qu'il y a de fortes chances pour qu'ils choisissent le même jeu.
Plus on lance les dés, plus la somme des résultats tend vers la moyenne. Pour les décisions, c'est pareil.
Si le Destin est laissé au libre arbitre d'une seule personne, alors des variations assez importantes peuvent survenir. Mais si plusieurs personnes contribuent, alors le hasard prend une part nettement moins importante, et donc, le résultat tendra vers la moyenne.
Donc plus le nombre de personnes qui prennent part à une décision est important, plus cette décision est ferme et donc à-même de faire partie du Destin.
Je peux donc affirmer sans trop me mouiller qu'il y a de très fortes chances pour que le jeu à ma table soit le même que la dernière fois.
Évidemment, ma déclaration eut son petit effet ; Keiichi me dévisagea avec des yeux ronds.
— C'est quoi, ça ?
Tu fais dans la divination ?
Je te trouve bien sûre de toi.
— ... C'est comme ça que ça fonctionne, le Destin.
— Heh. Le destin… hein ?
Je sais pas, mais quand j'entends ce mot, ça me donne encore plus envie de me rebeller et de tout faire capoter.
Keiichi eut un petit sourire narquois.
Je savais qu'il parlait sans vraiment savoir,
mais sa confiance en soi était troublante.
Après tout, il avait réussi un coup d'éclat la dernière fois.
Mais en même temps, la dernière fois, c'était un miracle, ça ne comptait pas vraiment.
Je ne pouvais pas me permettre de compter sur lui à cause de ce miracle dans un autre monde.
Sinon, j'aurais trop d'espoirs déçus, cela serait désastreux pour mon mental...
— Bien ! On va tirer chacun un papier dans la boîte.
On commence par les membres du club !
Mion tira la première, puis Satoko.
Elles furent placées aux mêmes tables que la fois d'avant.
— J'ai vraiment pas envie de tomber sur l'un d'entre nous au premier tour !
Si je tombe contre toi, Rika, ne m'en veux pas !
— Ne vous faites pas de soucis, Keiichi, nous ne tomberons pas à la même table.
Vous serez là-bas,
et moi ici.
— Si ça fonctionnait comme selon ton bon vouloir, ce serait un peu gros, non ?
Allez, je me lance !
...
...
...
...
...
...
Hmm.
Regardant à nouveau le papier dans ses mains, Keiichi perdit son sourire.
— ... Alors ? Je vous l'avais dit, pourtant.
Mes prédictions ne ratent jamais.
— Pour trouver la bonne table sur cinq, c'est quand même 20% de chances.
Tu aurais pu tomber juste même en racontant n'importe quoi !
Pauvre petit, tu crois trop aux forces du hasard...
— ... Et si je tombe juste sur ma table, ce sera quel pourcentage ?
— Eh bien... 20% de 20%, ça fait... Euh, 4% si je compte bien.
Tu sais quoi ? Si tu tombes juste, je veux bien y croire !
Je le vis sourire en coin. Il ne pensait pas que je tomberais juste encore une fois.
— Allez, Rika, tu es la dernière, c'est à toi maintenant !
Mion me tendit la boîte.
Je savais que quoi que je fisse, je tomberais sur cette table en particulier.
Et je sais la raison pour laquelle le Destin semble aussi acharné sur ce détail.
C'est parce que Mion triche et fait en sorte de nous envoyer aux quatre vents.
Je pondérai la question : pourquoi Mion faisait-elle ça ?
Je comparai l'image que j'avais de Mion, grâce aux nombreux mondes que j'ai déjà visités. La réponse n'était pas évidente, mais je pense savoir pourquoi.
— Elle doit sûrement penser que ce serait injuste si vous deviez vous éliminer mutuellement au premier tour.
— Sûrement, oui.
Si jamais nous tombions l'un contre l'autre, cela éliminerait forcément un membre de notre joyeuse troupe.
Elle veut donc nous laisser à tous une chance de passer au moins une étape de la compétition.
... Enfin, j'imagine que c'est le but recherché.
Je plongeai la main dans la boîte.
Je sentis plusieurs morceaux de papier.
Mais curieusement, un étrange sentiment de certitude m'envahit.
Je pourrais arrêter mon choix sur n'importe lequel d'entre eux que cela n'aurait aucune incidence.
— À ton avis, comment s'y prend-t-elle pour t'envoyer à la table qu'elle veut ?
— Va savoir.
Il faudra lui demander, je suppose.
Il est fort possible que tous les papiers de la boîte désignent tous la même table.
Nous allions rapidement être fixées.
— Quoi ? Tu penses qu'ils ont tous le même numéro ?
— Oui, il y a des chances.
La boîte doit être truquée.
Cette boîte vient peut-être d'un ensemble complet de magicien. Elle doit avoir plusieurs compartiments séparables...
Grâce à cela, elle peut séparer les billets selon leurs numéros, et enlever les séparations une fois le résultat désiré obtenu.
Ou bien alors, elle a le moyen de changer tous les billets entre chaque tirage.
Je ne sais pas trop comment elle s'y prend, mais le résultat sera là ; la manière de procéder semblait être employée maintenant aussi.
Et après tout, la manière de procéder n'était pas si importante.
Il me suffisait de savoir le but et l'effet recherché, le reste importait peu, au final.
— Miaou...
Je ne sais vraiment pas lequel choisir !
— Allons, allons, choisis lequel tu voudras ! Après tout, le Destin est déjà écrit !
Écoutez-la un peu, elle se permet même de donner la réponse !
Je le savais...
Je ne peux rien dire simplement en me basant sur les sensations de mes doigts, mais je dirais qu'il y a moins de 10 morceaux de papier dans la boîte.
Ce qui signifie que forcément, elle cache une partie des billets ailleurs.
J'eus un petit sourire en coin pour lui signifier que je voyais clair dans son jeu, mais Mion n'eut pas l'air de comprendre.
— ... Eh bien alors, je vais prendre celui-là.
— D'accord, montre-moi ça ?
Ooooh !
Rah la vache, cinq candidats, cinq tables différentes ! On est tous séparés !
Évidemment, elle en fit des tonnes pour feindre la surprise.
Quelle faux-cul, cette fille...
L'assistance fut prise d'un vent de panique.
On sentait clairement le dépit et le désespoir à l'idée de tomber contre nous.
Je me retournai et pus constater la surprise aussi sur le visage de Keiichi.
Mais lui avait plus de raisons que les autres de s'étonner.
— Alors, je vous l'avais bien dit ?
Tout est déjà prédestiné.
Je lui fis un sourire goguenard.
Pendant l'espace d'un instant, je pus lire clairement qu'il ne comprenait pas l'énormité de ce dont il avait été témoin. Mais bien vite, il me rendit mon sourire.
— Eh ben, une chance sur 25, et tu l'as eue ?
Bravo !
C'était un mensonge, et il le savait.
J'avais prédit que nous serions tous à des tables différentes, et je les avais montrées. La probabilité de tomber juste cinq fois de suite était beaucoup plus basse.
Et Keiichi en semblait bien conscient.
Mais il était un être humain normal ; il ne pouvait pas prendre conscience du “Destin”.
C'est pourquoi il lui fallait tout placer sur le compte du “hasard”.
Sauf que mon garçon,
je te signale que j'ai aussi prédit le jeu à ta table, et la probabilité de tomber juste descend à des chiffres infinitésimaux.
Et si en plus je tombe sur le bon jeu pour ma propre table, par-dessus le marché ? Malgré les centaines de jouets et de jeux qui se trouvent dans ce magasin ?
Est-ce que tu viendras encore une fois me parler de chance et de hasard ?
J'observai les autres joueurs de ma table pendant leur choix.
... Je sais très bien qu'ils choisiront le jeu avec les poissons.
Je ne dois surtout pas me faire d'espoirs et rêver de les voir choisir autre chose.
— Plus mes espoirs seront déçus,
moins mon mental sera fort pour la suite...
— ... ...
Je vis l'un des garçons se lever.
Il s'approcha d'une étagère croulante sous les jeux, promena sa main le long des boîtes, et en sortit une bien spécifique.
Il l'observa un moment, fier de sa découverte, et s'apprêta à se retourner pour revenir vers nous, triomphant.
Au moment où il se tournait à nouveau vers nous, je fermai les yeux.
... Mais mes oreilles purent entendre ses paroles, et je sus ce qu'il avait pris.
— Eh les gens, regardez !
Rah, ça faisait tellement longtemps, j'y crois pas !
Vous voulez pas qu'on joue à ça ?
— Ouah, la vache !
Mais je le connais, ce jeu ! C'est celui où les poissons nagent avec la gueule grande ouverte et il faut les pêcher avec des aimants, hein ?!
... ... ... ... ...
J'eus l'impression qu'une soupe de substance cérébrale acide me coulait dans la bouche.
Je serrai les dents, incapable de faire plus qu'attendre stoïquement. La douleur finirait bien par s'en aller...
— ... Aïe, aïe, aïe...
— Désolée, je...
Je ne suis pas en forme, aujourd'hui,
je n'arrive pas à éviter les pièges les plus faciles...
Évidemment, cela n'avait rien à voir avec ma forme physique.
C'était un problème dans ma tête, ou plutôt dans mon âme.
Hanyû et moi n'avions plus aucune force. La preuve, nous n'avions pu remonter le Temps qu'à peine sur deux semaines.
La fin était proche, trop proche. Je commençais à devenir nerveuse...
Pour affronter mon futur prédestiné, il me fallait absolument me préparer le mieux possible.
Mais désormais, je ne pouvais plus revenir que jusqu'à deux semaines avant la date fatidique ;
cela diminuait d'autant plus mes possibilités, qui tombaient à des niveaux vraiment minimes.
Même une feuille emportée par le courant peut éviter le tourbillon ou la cascade, si elle s'y prend suffisamment en amont.
Mais placée juste derrière le point de non-retour, elle n'a aucune chance.
C'est comme si le Destin était déjà joué.
J'avais déjà vécu suffisamment souvent pour savoir qu'invariablement, la Mort me saisirait bientôt.
Mais j'avais vécu ces morts encore et encore, dans l'espoir qu'un jour, je trouverais le moyen de la tenir en échec. Et dans chaque monde, j'avais déployé une attention de tous les instants pour essayer de découvrir des indices, pour saisir ma chance.
Mais il n'y a pas un nombre infini d'essais.
Je ne peux pas remettre toujours à la prochaine fois.
D'ailleurs, si ça se trouve...
Il n'y aura peut-être même pas de prochaine fois.
C'est pour ça que j'étais si nerveuse...
— ... Arrête, Rika.
Plus tu vas y réfléchir, et plus tu vas te faire du mal.
— Je sais…
Fais-moi plaisir, tais-toi un peu !
— Méé euh, méé euh, méé euh !
Mes oreilles se mirent à siffler, faisant résonner un son strident dans mon crâne. J'eus l'impression d'être enveloppée dans une sorte de brouillard gris.
Je savais que j'étais dans un magasin de jouets à l'ambiance survoltée, et pourtant, mes sens ne percevaient qu'un vague bruit ouateux, comme si le bruit en lui-même était dans un autre monde, très éloigné.
Plus je serrai les paupières, plus je serrai les dents, et plus ma tête me fit mal.
Non, non, non, c'est foutu, je peux plus, non !
— Rika !
Rika !
Tiens bon...
— ... ... Ooh...
Haaaah...
Hmmm...
À force de concentration, je sentis peu à peu ma conscience revenir.
Hanyû plongea son regard dans le mien, anxieuse.
Les premiers jours après mon retour d'entre les morts étaient les plus dangereux, car j'avais de fortes chances de devenir folle.
D'habitude, j'avais toujours le temps de me remettre lentement dans le bain du quotidien et de me calmer.
Mais cette fois-ci, je n'avais plus ce luxe.
La purification du coton était dans à peine deux semaines.
Je ne pouvais pas me permettre de me la couler douce !
Allons, Rika Furude, ne te berce pas d'illusions !
Bats-toi contre le Destin.
Et au bout du compte, il finira par m'avoir.
Alors fais l'inverse !
Ne te révolte pas, accepte tout !
Et au bout du compte, comme à chaque fois, quelques jours ou quelques semaines après la purification du coton de juin 1983,
la Mort me happera.
Bats-toi...
Accepte tout...
Démène-toi...
Ne te révolte pas...
Bats-toi...
Accepte tout...
Démène-toi...
Ne te révolte pas...
Bats-toi...
Accepte tout...
Démène-toi...
Ne te révolte pas...
Bats-toi...
Accepte tout...
Démène-toi...
Ne te révolte pas...
À force d'entendre tout et n'importe quoi résonner dans ma tête, les mots finirent par progressivement perdre leur sens, un peu comme des incantations.
Je me mordis légérement la langue, pour me forcer à ne plus réfléchir.
Ce qui me permit aussi à me calmer.
Lorsque j'ouvris les yeux, je vis que quelqu'un avait eu la délicate attention de placer une canne à pêche magnétique devant moi.
Tout était déjà prêt pour notre partie.
Comme si l'on voulait me placer devant le fait accompli.
Comme si le couperet était déjà tombé.
Alors, qu'en dis-tu,
Keiichi ?
Tu comprends maintenant ce que c'est, le Destin ?
Je ne sais pas ce que je recherchais au juste, peut-être une épaule compatissante ?
Je me levai et me rendis aux côtés de Keiichi.
À sa table, ils n'avaient pas encore réussi à se décider sur un jeu, et venaient de demander au patron du magasin d'aller leur choisir quelque chose.
... Comme la dernière fois, donc.
Il va revenir avec une boîte de Destin, le jeu de la vie, c'est sûr.
— Ben, ce serait clairement pas à mon avantage d'accepter les propositions des adversaires, mais vu que nous sommes tous dans le même bateau...
Forcément, nous n'arrivons pas à nous mettre d'accord.
Et à ta table, Rika, ça c'est passé comment ?
— ... ... Regardez donc par vous-même, vous comprendrez.
Keiichi jeta un bref coup d'œil à ma table et y vit le jeu avec les poissons.
Un battement de cœur plus tard, il lui était clairement revenu en mémoire ce que j'avais prédit.
Et un battement encore plus tard, il sembla se souvenir de ma prédiction pour sa propre table.
— Mais alors... Attends, tu veux dire qu'il va revenir avec le jeu de la vie ?
— Je vous avais pourtant dit qu'il m'arrivait de faire des prédictions.
Nipah☆
— Oh, eh, sans déconner ?
OK, eh bien si vraiment le patron revient avec des boîtes de Destin dans la main, je veux bien croire en tes super-pouvoirs !
— Eh bien alors, préparez-vous,
parce que je peux vous affirmer que vous y jouerez.
— Très bien, Rika, je te prends au mot, on parie !
Eh, t'as intérêt à ne pas avoir payé le patron !
— Non, je ne l'ai pas payé. Le patron veut absolument se débarrasser des jeux qu'il n'arrive plus à vendre. Il choisira forcément celui-là.
Le patron avait sorti tout un assortiment de cartons poussiéreux, preuve irréfutable que les jeux contenus là-dedans ne se vendaient plus depuis un moment.
Et comme en plus la règle stipulait que les perdants étaient obligés d'acheter le jeu, il était évident qu'il allait en profiter pour nous refiler tous ses invendus.
Et donc forcément, il ne choisira pas les jeux au hasard.
Il cherchera un jeu dont il sait qu'il se débarrasserait jamais en temps normal.
En y mettant toute son ardeur et toute sa volonté.
Et la volonté permet de sceller le Destin.
Oh, bien sûr, je ne pouvais pas affirmer à 100% quel jeu il allait ramener.
Après tout, s'il avait plusieurs jeux dans son stock qui se vendaient extrêmement mal, il resterait quand même quelque part un élément de choix.
Passant la main sur les boîtes poussièreuses, le patron revint vers nous avec quelques boîtes jaunies par le soleil, en s'excusant de nous avoir fait attendre.
— ... ... Oh putain...
— Alors,
je vous l'avais bien dit, non ?
C'était écrit en toutes lettres sur la boîte : Destin, le jeu de la vie.
Si j'avais pensé très fort “par pitié, pas ce jeu”, j'aurais été amèrement déçue. Mais en pensant “je te parie que ce sera ça”, le résultat, bien que le même, n'avait plus le même effet sur moi.
... C'était peut-être d'ailleurs pour ça que mon caractère était devenu ce qu'il est aujourd'hui.
— Euh, Monsieur, mais pourquoi vous avez pris ce jeu en particulier ?
— Hein ?
Eh bien, ahahah…
Je sais pas, hein,
c'est au hasard.
J'ai pris parmi ceux qu'il me reste dans un coin sombre, tout au fond du stock.
C'est pas parce que j'arrive plus à les vendre ou qu'ils ont une sale tête, hein, je t'assure !
Keiichi se rendit bien compte que le gérant avait choisi le jeu tout seul, comme un grand. Il baissa les épaules, dans un grand soupir de frustration.
... Ça y est, enfin, il abandonne...
— ... Dis-moi, Rika...
Tu... C'était vraiment une prédiction ?
— ... Nipah☆
— Nan, ce que je veux dire, c'est, en fait, l'autre jour, les anciens du village m'ont fait toute une histoire comme quoi tu étais la réincarnation de la déesse Yashiro et que tu avais des dons de double-vue.
Que tu pouvais voir dans l'avenir, et que tu tombais souvent juste.
... C'est... C'est pas des conneries, alors ?
Je le regardai, abasourdie. Il était en train d'avouer un penchant pour les histoires surnaturelles, mine de rien. Les vieux ont dû sacrément le cuisiner...
— ... Je ne fais que lire les choses déjà prédestinées.
... Pour être plus précise, je ne fais que me souvenir de mondes que j'ai déjà visités.
— Tu sais quoi ?
Le pire, c'est que je peux même pas dire que c'est un ramassis de conneries, parce que tu viens de me faire une sacrée démonstration.
Il semblait quand même être en train de se moquer de moi.
Il s'imaginait sûrement que je faisais ma maligne parce que quelques détails que j'avais donnés étaient tombés juste.
... ... Je devais reconnaître que j'avais eu quelques espoirs.
Keiichi avait inversé la vapeur l'autre fois. J'avais eu bon espoir de passer à d'autres jeux, grâce à lui.
Mais malheureusement…
ces espoirs s'avéraient infondés.
Ce qui quelque part était normal.
... Encore des espoirs déçus.
…
J'avais un goût amer en bouche.
— ... J'ai donc comme pressenti gagné notre pari.
Je lui lançai ça sur un ton insidieux.
Je voulais lui faire comprendre que personne, non, personne ne pouvait se rebiffer face au Destin.
Mais Keiichi eut alors un sourire funeste.
— Ahahahahaha !
Ne viens pas trop la ramener, Rika, c'est la fête du slip, ma parole ?
Tu lis des choses prédestinées ? Fais attention à ce que tu racontes, hein !
Pour nous les hommes, le mot “destin” contient une certaine noblesse, une certaine grandeur !
Il impose le respect ! On n'en parle pas comme des pronostics du tiercé !
— ... Miaou ?
Je ne comprenais rien à son charabia, mais mon cœur battait à tout rompre,
et pas à cause de la peur.
Je sentais que quelque chose d'énorme allait se passer...
— Tu m'as dit tout à l'heure que le gérant rapporterait ce jeu, que c'était écrit.
Une chose est sûre, c'est bien le jeu qu'il a ramené, donc tu es tombée juste.
Mais tu as aussi dit autre chose !
— ... Qu'ai-je donc dit d'autre ?
— Tu as dit que j'étais destiné à jouer à ce jeu à cette table !
Oui.
Parce que c'était ça, ce que le Destin avait en réserve pour toi.
Le Destin n'est pas absolu, il est composé de nombreux paramètres inconnus qui s'accumulent avec le temps.
Mais dans un plan d'espace-temps aussi fermé, et à quelques secondes de son exécution,
il n'y a plus aucune inconnue qui pourrait tout chambouler...
— Et si tu me le permets, j'aimerais bien le prendre, lui défoncer la tronche et le jeter dehors à grands coups de pompes dans le cul !
— ... Pardon ?
Keiichi se leva brusquement.
Il se tourna vers ses deux adversaires, Tomita et Okamura, et déclama d'une voix forte :
— Désolé, vous deux, mais j'ai ce jeu à la maison depuis super longtemps,
et je connais toutes les manières de gagner, même celles de tricher !
— Quoi ?
Ah ben non, alors, on peut pas jouer à ça !
— Non,
effectivement, ce serait pas du jeu.
Monsieur, je suis vraiment désolé, mais on pourrait pas avoir autre chose ? Genre, le jeu qui était juste à côté, dans le stock ?
— Hmmm, je vois…
Ben écoute, garçon, ça ne pose pas de problème, non. Je vais vous chercher ça, bougez pas !
Il nous fit un grand sourire et repartit en direction de l'arrière-boutique. Je le regardai, sidérée, incrédule.
Puis, après quelques instants, il revint avec un Pic'pirate.
— Et celui-là, il vous va ?
— Aaaah,
c'est celui où on enfonce les épées dans le tonneau ?
— Ça vous dit, vous deux ?
Ça vous paraît équitable ?
— Ben, les règles sont faciles,
moi je trouve que c'est un bon choix.
— OK, ben alors on jouera à ça !
C'est parti pour un tour !
J'étais encore bouche bée, paralysée par l'incrédulité, lorsque Keiichi se retourna et me fit un clin d'œil, comme pour se moquer.
On pourrait croire que Keiichi a simplement joué sur les mots et modifié un tout petit détail juste pour ne pas perdre son pari.
Mais moi, je savais que ce qu'il venait de faire...
c'était un truc de dingue.
Tout avait été déjà décidé.
C'était la boîte de Destin qui avait été ramenée sur la table.
Normalement, ils auraient dû jouer à ça.
Comme la dernière fois !
Et d'ailleurs, ils allaient commencer à y jouer cette fois-ci aussi !
Mais Keiichi avait tout foutu en l'air, en un instant.
Comme si j'avais été désespérée devant un œuf, me demandant comment le faire tenir droit,
et que Christophe Colomb lui-même l'avait frappé sur la table pour me montrer comment faire.
Comment était-ce possible ? Je possédais des centaines de millions de fois plus de force que Keiichi, j'étais infiniment mieux placée que lui pour me battre contre le Destin, et je faisais ma pleureuse ?
Comment ça, “autant ne pas se révolter contre le Destin pour ne pas être déçue” ?
“Regarder le courant et nager de façon à ne pas se fatiguer” ? Vraiment ?
Mais c'est complètement n'importe quoi !
— Rika, tout à l'heure, tu tirais une gueule pas possible.
C'était quoi ?
Tu avais simplement peur de tomber sur ce jeu avec les poissons et tu as boudé en voyant que ta mauvaise prémonition s'était avérée exacte ?
— ... ... Oui, c'est un peu ça.
Non, en fait, c'est exactement ça.
— Eh ben alors, c'est quand même pas compliqué, non ?
Moi, une sorcière vieille de plus de cent ans ?
Et donc un être bien supérieur aux simples mortels ?
Mais quelle arrogance, quelle stupidité aveugle !
Keiichi me donna une tape dans le dos.
C'était un remontant, une incitation à me ressaisir et à montrer ce que je savais faire.
C'était peu de choses, mais le contact de sa main était brûlant presque, il me démangea dans le dos et se propagea dans tout mon corps.
Désormais, fini de bouder...
Le Destin est trop fort ?
Deux semaines, ce n'est pas assez ?
Keiichi n'a eu besoin que de quelques secondes pour lui faire ravaler ses dents !
— ... Moi je veux pas tuer les petits poissons. Je veux pas jouer à ça !
Mes adversaires me regardèrent avec de grands yeux, la surprise évidente sur leur visage.
Pendant un instant, l'absence totale de réaction provoqua en moi une peur irrationelle.
J'avais l'impression de m'être pris un mur et de le voir à peine vaciller.
Mais mes craintes se révélèrent infondées.
— Hmmmmm, dommage, mais tant pis.
Ben alors, tu préfèrerais jouer à quoi, Rika ?
Viens voir ce qu'il y a, si tu veux choisir.
Le mur tomba. J'avais été destinée à jouer avec les poissons, et pourtant, je venais de tout faire changer.
J'aurais dû le savoir, pourtant, j'avais combattu comme ça autrefois, avec une gniaque de tous les instants.
Mais à force de réincarnations, j'avais fini par en être fatiguée.
Puis j'étais devenue aigrie
et j'avais fini par bouder dans mon coin,
maugréant contre le Destin, mais belle et bien soumise face à lui.
Mais cela n'arrivera plus.
Encore une fois, Keiichi m'a donné une grande leçon.
Il avait beau ne pas se souvenir du monde d'avant, il était tout aussi extraordinaire.
Il n'en avait rien à foutre, lui, des plans du Destin...
— Je crois que pour la première fois depuis bien longtemps, je devrais avoir de quoi me révolter.
Tant que je garde l'envie de me battre, je pourrai toujours réussir quelque chose, même en un instant.
Et là, il me reste deux semaines !
Cette fois-ci, les choses seront différentes.
Cette fois-ci, j'arriverai à quelque chose ! Je me battrai, encore et encore !
— ... Si tu le dis. Faisons de notre mieux.
Curieusement, en contraste total avec mon optimisme retrouvé, Hanyû n'avait pas l'air très convaincue.
— Je vois…
C'est vraiment dommage, mais bon, si c'est pour du travail, tu dois y aller...
— Oui, c'est un petit, mais bon...
Enfin, moi, ce qui m'étonne surtout,
c'est qu'il devrait savoir qu'une promo exceptionnelle, ça attire les clients !
Alors si déjà comme ça il a pas assez d'employés, pourquoi il fait en plus une promo à 10 yens la boîte de 6 œufs, tu peux me le dire ?
Même si c'est limité à une boîte par personne, toutes les femmes au foyer des alentours vont se ramener, c'est prévisible, pourtant !
Finalement, le Destin était quand même retombé sur ses pattes : Mion avait reçu un coup de fil par l'un de ses oncles, qui gérait un magasin, et elle avait dû partir juste quand nous aurions dû passer aux phases finales.
Si j'avais encore boudé, comme d'habitude, ça ne m'aurait certainement pas plu.
Mais vu ce que j'avais réussi à accomplir juste avant, limite, je m'en fichais éperdument. J'étais encore trop contente de moi-même.
Keiichi et Mion se lançaient des piques, dépités de ne pas avoir pu décider de qui était le meilleur entre eux.
Ils s'entendaient vraiment bien, ces deux-là.
— Regardez-les, ces deux-là ! Le courant passe bien, on dirait !
Un peu trop, même, je vais finir par être jalouse, hau !
— Il faut dire que dans notre classe, il n'y a aucun garçon qui soit de l'âge de Keiichi.
Heureusement que notre chère Mion est là.
— Ahahahahaha !
Hmmm, mais tu sais, Satoko, Mion n'en reste pas moins une fille.
Elle ne sera jamais son meilleur ami.
— Oui, j'entends bien, très chère, j'entends bien.
Mais ils ont vraiment l'air de deux garçons lorsqu'ils sont ensemble, vous ne trouvez pas ?
Rena et Satoko étaient en grande discussion, encore excitées de la journée.
Soudain, le gérant nous rattrapa au dehors.
— Merci pour tout ce que vous avez fait aujourd'hui.
Les gens se sont vraiment bien amusés !
Je remarquai quatre sacs dans ses mains.
Aaah, oui, il nous avait donné quelque chose aussi dans l'autre monde, il me semble.
Des poupées, non ?
— Ce n'est pas grand'chose, mais tenez, une petite compensation !
— Beuh eh ?! Yoshirô, et pour moi ?
Ma compensation elle est où ?
Non, il n'y en avait que pour nous, pas pour Mion.
Elle faisait partie de la famille, elle n'y avait pas eu droit.
Comme la fois d'avant.
— Tiens tiens, voyez donc cela !
Mais c'est très joli !
Satoko avait regardé la première dans son sac. Son cri de surprise en disait long sur l'appréciation du cadeau.
Rena aussi semblait très contente.
— Ouah,
mais c'est tout mimii, ça !
Je peux vraiment le ramener chez moi, dites ?
Pour de vrai ?
— Ouh là, mais alors moi aussi, j'ai-
wooooh !
Regardez-moi celle-là !
Keiichi sortit de son paquet une poupée assez grande, habillée d'une robe somptueuse.
... C'était un peu lui qui décrochait le gros lot.
Sa poupée me semblait être la plus jolie de toutes.
Satoko et Rena semblaient du même avis que moi. Mion ne disait rien, mais je sentis bien qu'elle pensait exactement la même chose.
— Ahahaha !
Ben mon p'tit Kei, tu as eu la plus belle, pas de bol !
Elle fut prompte à lui balancer une pique.
J'imagine que l'on pouvait lui placer ça sur le compte de la jalousie. Après tout, si elle n'y avait pas droit, autant pourrir la vie des autres.
— Comment dire, c'est très mignon, c'est très... joli, je suppose, mais...
Disons que jouer à la poupée fait pas partie de mes habitudes...
— Si tu la ramènes demain à l'école, tu passeras pour un détraqué, c'est clair !
Elle ne sait pas dire ce qu'elle pense, celle-là.
Tout le monde voyait pourtant à des kilomètres qu'elle la voulait, cette poupée. C'était désarmant de naïveté...
Elle n'aurait pourtant qu'à le dire.
C'est cette timidité qui fait son charme, mais Keiichi n'est qu'un garçon, il ne comprendra jamais ce qu'elle veut.
Tsss... Ahahaha....
Bien sûr, après tous ces commentaires, Keiichi ne pouvait décemment pas garder la poupée en sa possession.
Mais il avait l'air de ne pas trop savoir à qui la donner.
... Il n'osait peut-être pas la donner à Mion ?
Alors, le Temps suspendit son vol, encastré dans la glace.
Hanyû me murmura quelque chose à l'oreille. Sa voix était sèche et concentrée.
— Rika.
... ... Tu te souviens de ça ?
— ... ... Oui.