Keiichi

— ... Arrête avec tes conneries, bordel de merde...

Ooooh ! Ça, c'est une belle voix, grave, pleine de haine, grondante, menaçante !

Il ne lui manquait plus que le mordant !

Shion

— Ah tiens, t'es enfin réveillé, toi ?

Je m'excuse de t'avoir menti tout à l'heure.

Je t'ai dit que je voulais la tuer de la façon la plus horrible et que je n'avais rien trouvé de bien,

ben j'ai menti.

Je décochais mon sourire le plus menaçant en sortant les énormes clous et le marteau spécifiquement conçu pour cet exercice de style.

Shion

— Je lui fais écouter les cris de souffrance et d'agonie de toutes les personnes qui devaient mourir par sa faute, et quand elle aura bien mijoté dans sa propre peur, je la supprimerai.

Pas mal, hein ?

Héhéhéhéhéhé !

Keiichi

— ... Mais en fait...

t'es qui au juste, toi ?

Shion

— Hein ?

Ben, Mion.

Tu sais bien, Mion Sonozaki.

La peur t'aurait-elle fait perdre la raison, mon grand ?

Héhéhéhéhéhé !

Keiichi

— ... Non, je ne crois pas, non.

Tu ne peux pas être Mion !

Ma main s'arrêta tout net.

... ... ... P'tit gars ?

Hmmm, que faire.

Je viens de dire “Game Over” tout à l'heure.

Normalement, le jeu devrait arriver à la séquence de fin, là.

... ... Allez, bon, OK,

d'accord.

Une dernière chance,

mais vraiment la toute dernière !

Shion

— Hmmm, tu crois vraiment ?

Mais alors, si je ne suis pas Mion, qui suis-je ?

Allez, mon cœur,

devine un peu !

Si tu trouves la bonne réponse, Shion sera sauvée.

C'est là, que je l'ai entendu. Oui, aucun doute là-dessus.

La bouche de Keiichi tremblait au moment de prononcer ces mots, mais ses yeux, eux, affichaient une solide détermination.

Et alors, il révéla la vérité.

Keiichi

— … Tu es Shion, n'est-ce pas ?

Shion

— …

… Alors ça.

Eh bien oui, en effet. Contre toute attente, tu as gagné. Tu es formidable Kei...

Héhé… héhéhéhé !

Une drôle de sensation se fît sentir jusqu'à dans ma poitrine. J'en frissonnais.

Je m'étais persuadée qu'il n'avait aucun moyen de deviner.

Force est de constater que j'avais tort…

Keiichi avait, une fois de plus, été capable de voir à travers mon déguisement.

Keiichi

— ... Tu n'es pas Mion.

Elle était là tout à l'heure, rends-la-moi !

Shion

— …

Qui est tu ?

Shion

— Hein ?

… Tu n'es pas Mion, n'est-ce pas ?

Shion

— Hein ?

Je viens de te le dire, je suis Mion.

Non, tu ne comprends pas. Je ne te parle pas de ça.

Tu n'es pas Mion…

Shion

— Héhéhéhé !

Qu'est-ce qui te fais dire que je ne suis pas la grande sœur ?

Je ne sais pas... Une intuition.

C'est alors que je me remémorai la fois ou Keiichi m'avait reconnu au magasin de jouet.

Oui.

À ce moment-là, Keiichi avait été capable de nous différencier.

J'avais été capable de garder mon sang froid, mais seulement en apparence. J'étais secouée.

Nous étions toutes deux capables de devenir Mion et Shion. Mais comme j'étais la vraie Mion, Shion n'étant que mon identité légale, c'était encore plus simple pour moi d'inverser les rôles.

Nos intonations, nos manies et même nos prestances respectives… On maîtrisait à la perfection les habitudes de l'une et de l'autre, même nos propres parents étaient incapables de nous différencier.

D'ailleurs, la brillante et terrifiante Rena n'avait pas été capable de me distinguer de sa meilleure amie. Et ce malgré le fait qu'elles soient très proches.

Mais alors comment ?

Comment ce type, qui ne paie pourtant pas de mine, avait pu me percer à jour ? Et deux fois de surcroît.

Shion

— Héhéhéhé…

Qu'est-ce qui te fais dire que je ne suis pas la grande sœur ?

Mes oreilles se dressèrent, impatientes d'entendre sa réponse. Alors qu'il se battait pour respirer, la réponse de Keiichi fut une douce murmure, semblable au chant d'un insecte.

Sa voix était très faible, s'en était presque inaudible. Mais je pus quand même déduire ce qu'il disait en lisant sur ses lèvres.

Oui… “Une intuition”, qu'il a dit !....

Shion

— Wow…

Héhé… Héhéhé… Héhéhéhéhéhéhéhé……

“Une intuition”, hein ?

C'est exactement ce qu'il m'avait dit la dernière fois, au magasin de jouet.

Ahahahahahaha. J'adore ! Vraiment, j'adore ! Quelle splendide réponse !

D'un coup, je comprenais mieux pourquoi ma cruche de sœur l'aimait autant.

Ahahahahahaha, ahahahahahahahahahahahaha !!

Shion

— …

… Cependant…

Hum, ou plutôt à cause de cette réponse.

En plus de ma folie meurtrière, le sang qui bouillait dans mes veines jusqu'à présent s'est rapidement mis à refroidir et à se coaguler. Si je devais le décrire, on aurait dit de l'eau boueuse, stagnante, qui s'écoule tant bien que mal dans une gouttière.

Même maintenant, tout était si hilarant que je pouvais éclater de rire à tout moment, mais je ne souriais pas. Au contraire, mon visage était vide et austère, comme un masque de Nô.

Et puis finalement…

Les ténèbres se sont infiltrées dans les profondeurs de mon esprit, balayant les derniers vestiges de mon humanité.

Shion

— …

Je tendis la main pour atteindre les cheveux de Keiichi, ils étaient pleins de sueur et maculés de sang. Keiichi remua la tête avec dégoût, comme pour faire fuir une mouche - puis il me lança un regard de défiance.

Keiichi

— Ne me touche pas !

Sale monstre !

Rends-la-moi !

Rends-moi Mion !

Rends-moi ma meilleure amie ! Rends-moi Mion !!!

N'ayant aucun moyen de bouger, il continua à hurler et à pleurer, comme le ferai quelqu'un qui vomissait du sang.

... J'étais censée avoir vendu mon âme au diable et être devenue un démon, mais devant un rejet si amer, je sentis les restes émiettés de mes émotions vibrer en moi.

*gratte* *gratte* *gratte* *gratte*

Ma gorge commence à me démanger. Les coudes, les poignets et toutes les autres articulations de mon corps commencent à picoter... et je me sens irrationnellement agitée.

Plus l'agitation et l'irritation s'accumulaient, plus cette personne gémissante à côté de moi me semblait ennuyeuse et répugnante... C'était si intense que je pourrais le massacrer tout de suite.

Pour être honnête… avant cet instant précis, je n'avais pas l'intention de tuer Keiichi.

J'étais vraiment prête à lui laisser la vie sauve s'il trouvait la bonne réponse.

Après tout, c'est moi qui ai fixé la règle.

Bon, ok… J'avoue. Tout comme Shion, je suis moi aussi tombée amoureuse de Keiichi.

Il était incroyablement idiot mais si gentil, si facile à vivre, si chaleureux et si doux ... parler avec lui me rendait heureuse.

Et puis, j'ai fini par sympathiser avec lui.

Contrairement aux autres, Keiichi n'était qu'une victime prise dans ma vengeance égoïste. Maintenant que ma vengeance contre les Sonozaki était presque achevée, je ne voyais pas d'inconvénient à lui laisser la vie sauve.

Cela peut sembler bien pratique, mais peut être que mon côté humain, qui appréciait Keiichi, voulait le sauver - dans l'espoir qu'il m'accorde son pardon pour les crimes que j'ai commis.

Mais… changement de plan.

Après avoir vu Keiichi deviner la bonne réponse devant mes yeux, mon cœur était plongé dans une obscurité cinglante, béante et accablante, comme s'il gelait.

Pourquoi.

Pourquoi c'est toujours Shion ? Pourquoi c'est elle qui a rencontré une personne aussi merveilleuse ?

Satoshi était à peine capable de faire la distinction entre moi et Shion.

Il m'a abandonné… Il a fui.

Mais Keiichi, lui, il croît en Shion. Il défend celle qu'il considère comme sa meilleure amie en voyant aux travers de mes mensonges.

De ce fait... Lui aussi m'a abandonnée.

Détestables. Exaspérants. Méprisables. Enviables… Ils sont tout ça. Et c'est pour ça que je veux les tuer.

Au moment où il avait pris la défense de Shion, il était devenu l'un d'entre eux. Il est tout aussi coupable que les autres. Espèce de misérable ordure, je te hais, je te hais, je te hais, je te hais, je te hais sale sac à merde !!!

Mion

— Je t'en prie, arrête !!

Ne le tue pas !!

Kei, va-t'en !

*gratte* *gratte* *gratte* *gratte*

… Ah, mais tais-toi donc…

Il y a encore quelques minutes, les cris de Shion étaient particulièrement amusants. Mais maintenant, ce ne sont plus que des sons stridents insupportables.

Pourquoi je ne m'occuperai pas d'elle en premier ?

J'avais prévue de la tuer une fois qu'elle aurait atteint le paroxysme de l'angoisse et de la terreur. Mais là, c'est tout juste si j'arrive à réprimer l'envie de massacre qui monte au fond de moi.

Keiichi hurlait ses revendications sans relâche.

Finalement, sa bouche se referma, il avait le souffle coupé. Mais ça ne l'empêchait pas de continuer à demander, de façon éraillée, le retour de Mion.

Shion

— ... Kei...

Je ne veux pas jouer au méchant à la James Bond et t'expliquer mon plan maléfique, mais...

puisqu'apparemment tu veux absolument savoir, je vais t'avouer une chose.

Shion

Cela fait longtemps que je porte le démon en moi.

Il a essayé de me dévorer de l'intérieur, de me pousser à la violence.

Mais je l'ai toujours réprimé au fond de moi.

Shion

Pendant longtemps, j'ai cru que je l'avais vaincu à tout jamais.

J'ai fini par oublier qu'il était là.

Mais il attendait son heure... Il dormait simplement, patiemment.

C'était vrai, en plus.

Lorsque je sus que Satoshi avait disparu, mon cœur n'avait pas pu supporter toute cette peine et cette tristesse, alors il avait triché : il s'était empli de colère.

Sauf que je n'avais jamais laissé libre cours à cette colère et à ces sentiments violents.

Et après, le Temps avait guérit ma blessure, et les souvenirs de Satoshi avaient été recouverts, puis cachés bien au fond de mon âme, pour ne plus y toucher.

Shion

— Le démon… Il s'est réveillé suite à un évènement.

Tu sais pourquoi ?

Il s'en était fallu d'un rien, quand j'y pensais.

Keiichi

— …

Shion

— C'est ironique que ce soit le démon qui t'en parle, mais tu sais,

c'est toi qui as tout chamboulé.

Je sentis les larmes poindre, puis glisser sur mes joues.

C'est vrai…

Si tu n'avais pas donné cette poupée à Mion… Rien de tout cela ne serait arrivé.

Shion

— Je parie que tu ne comprends pas ce que c'est.

Bah, c'est normal, après tout.

Shion

Mais tu sais, ça a été le truc qui a tout déclenché. Un peu comme une série de dominos, tu sais. Toutes mes défenses sont tombées les unes après les autres…

Shion

Je sais que tu ne t'es pas rendu compte du mal que tu m'as fait, mais... C'est à cause de toi, tout ça.

Si tu n'avais montré aucun signe d'affection ce jour-là, Shion n'aurait pas été si enjouée.

Si elle n'avait pas été aussi enjouée, je n'aurais pas eu à l'écouter vanter tes mérites.

Si je n'avais pas eu à l'écouter vanter tes mérites, je n'aurais pas pensé à Satoshi.

Si je n'avais pas pensé à Satoshi, je n'aurais pas été jalouse de savoir qu'elle vivait auprès de la personne qu'elle aimait.

La jalousie de femme, c'était si peu de chose.

Mais c'est ce petit rien qui a réveillé le démon qui sommeillait en moi, depuis tout ce temps.

Et ensuite, il a pris le contrôle, de plus en plus.

Le démon s'est nourri de la tristesse que j'ai éprouvée pour Satoshi, et en retour il a commis des actes atroces dont Satoshi lui-même n'aurait jamais pu se réjouir, tout ça au nom de la vengeance.

Et maintenant, les horribles événements qui ont suivi étaient en train de m'inviter, dans un aller simple, au royaume des démons.

Keiichi

— Mais enfin... t'es pas sérieuse ?

Shion

— Je sais que tu ne l'as pas fait exprès.

Mais c'est toi la cause de tout ça, je t'assure.

Si tu n'avais pas donné cette poupée à Mion… L'issue aurait été différente.

… Mais qu'est-ce que je raconte.

C'est quand même gonflé de ma part de rejeter l'entière responsabilité de tout sur ses épaules, quand même.

Il faut croire qu'un rien aurait suffi à me faire dévier du droit chemin, de toute façon.

Si Keiichi n'avait rien fait, j'aurais eu d'autres occasions de devenir folle.

... En fin de compte, tout est de ma propre faute.

Je n'avais pas combattu le démon dans mon âme. Je l'avais hébergé, nourri, fortifié, et je lui avais laissé le contrôle sans faire d'histoires.

Keiichi

— ......gh...... ugh...!!

Keiichi pleurait à chaudes larmes, sans essayer de le cacher.

Peut-être pleurait-il pour moi. Moi, qui n'avais plus la liberté de pleurer de mon propre chef. Moi, qui avais choisi d'être un démon sans larmes.

Et c'est pourquoi je dois continuer, en tant que démon.

Il n'y a pas de place pour les émotions humaines, encore moins pour l'hésitation.

Puis alors…

*gratte* *gratte* *gratte* *gratte*… kurf kurrrrrf kurf kurf !

Mion

— .........n... NOOOOOOONNNNNNNNNN !!

Shion

— Ahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahaha...!!!

Les gémissements de Shion crissaient comme de la soie qui se déchire, accompagnés de mes cris d'extase.

La dernière chose que j'entendis... fût cet éternel écho.