Keiichi

— ... Arrête avec tes conneries, bordel de merde...

Ooooh !

Ça, c'est une belle voix, grave, pleine de haine, grondante, menaçante !

Il ne lui manquait plus que le mordant !

Shion

— Ah tiens, t'es enfin réveillé, toi ?

Je m'excuse de t'avoir menti tout à l'heure.

Je t'ai dit que je voulais la tuer de la façon la plus horrible et que je n'avais rien trouvé de bien,

ben j'ai menti.

Je cherchais des clous parmi tous les autres objets de torture, et finis par trouver une trousse de couvreur -- c'était sûrement ce qu'il me fallait.

Shion

— Je lui fais écouter les cris de souffrance et d'agonie de toutes les personnes qui devaient mourir par sa faute, et quand elle aura bien mijoté dans sa propre peur, je la supprimerai.

Pas mal, hein ?

Héhéhéhéhéhé !

Keiichi

— ... Mais en fait...

t'es qui au juste, toi ?

Shion

— Hein ?

Ben, Mion, ça se voit, quand même, non ?

Tu sais bien, Mion Sonozaki.

La peur t'aurait-elle fait perdre la raison, mon grand ?

Héhéhéhéhéhé !

Keiichi

— ... Non, je ne crois pas, non.

Tu ne peux pas être Mion !

Ma main s'arrêta tout net.

...... ... P'tit gars ?

Hmmm, que faire.

Je viens de dire “Game Over” tout à l'heure.

Normalement, le jeu devrait arriver à la séquence de fin, là.

... ... Allez, bon, OK,

d'accord.

Une dernière chance,

mais vraiment la toute dernière !

Shion

— Hmmm, tu crois vraiment ?

Mais alors, si je ne suis pas Mion, qui suis-je ?

Allez, mon cœur,

devine un peu !

Si tu trouves la bonne réponse, Shion sera sauvée.

Keiichi

— ...

Tu es... le démon.

Shion

— Hein ?

Keiichi

— ... Tu n'es pas Mion.

Elle était là tout à l'heure, rends-la-moi.

Shion

— P'tit gars, tu es sûr que ça va, la tête ?

La peur te fait délirer, je crois bien.

Keiichi

— Ne me touche pas !

Sale monstre !

Rends-la-moi !

Rends-moi Mion !

Rends-moi ma meilleure amie ! Rends-moi Mion !!!

Je restai un moment interdite, bouche bée, incapable de réaliser l'énormité de ce qu'il venait de dire.

Keiichi

— Ma tête comprend bien que ce que je dis n'a pas vraiment de sens.

Mais d'un autre côté...

C'est impossible ! La fille qui se tient devant moi ne peut pas être Mion !

Je ne peux pas accepter une chose pareille !

Ahaha, ahahahahahahahahahaha !

Ah putain ! Rah le con, non mais quel con !

Il croit que je ne suis pas Mion, mais en plus, même pas Shion ?

Mais il est complètement barjot !

Aaaah, quoique, non, en fait.

Il a protégé l'image qu'il avait de Mion dans son cœur.

Il n'a pas accepté de la voir en tant que meurtrière psychopathe,

mais ce n'était pas tout.

Il avait aussi préservé l'image qu'il avait de Shion dans son cœur.

La logique aurait voulu que si ce n'était pas Mion la meurtrière, forcément, ce serait Shion, mais Keiichi avait aussi refusé de croire à la logique.

Pour lui, Shion était une fille un peu taquine, qui aimait le charrier, une fille marrante et boute-en-train.

Mais il n'en savait pas plus sur elle,

il ne lui avait pas parlé souvent.

Et pourtant,

il mettait un point d'honneur à ne pas croire à sa culpabilité.

Ahahahahahahahaha ! Et donc du coup, si ce n'est ni Mion, ni Shion qui a fait le coup, il a trouvé un tour de passe-passe : Il a dit que c'était le démon !

Le démon !

Non mais tu l'as entendue, celle-là ? Le démon !

Ahahaha, elle est bien bonne !

Il est trop fort, ce con !

Il a sorti une connerie tellement grosse qu'il est tombé sans le faire exprès sur la bonne réponse ! La bonne réponse ! Rah mais quel con !

Shion

— AaaaAAHHHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !

P'tit gars ! P'tit gars, j'ai compris, ahahaha, tu as envie de littéralement me faire mourir de rire, c'est ça ?

AAAHHHHHHAAHAHAHAHAHAHAHAHA !

Il lui en fallait plus pour se laisser intimider, apparemment.

Il hurlait lui aussi.

Il hurlait du plus profond de ses tripes, du plus profond de son âme, pour que moi aussi, prisonnière à l'intérieur du meurtrier, je l'entendisse.

Keiichi

— Allez, Mion !

Du nerf, bordel ! Montre-lui ce que tu sais faire !

Montre-lui que c'est toi, la plus forte !

Shion

— AhahaHAHAhaha, AHAHAhahAHAHA

HAHAHAHHahHAhahAhAHahAhahaAHhHAhAHha !

Nan, c'est pas possible, il ne peut pas avoir découvert mon secret, il ne sait pas vraiment que je suis la vraie Mion.

Je ne dois pas me laisser embobiner.

Je ne dois pas l'écouter... surtout pas !

Keiichi

— J't'en supplie, Mion !

MION !

Comment as-tu pu perdre face à lui ?

T'es pourtant pas si faible que ça, non ?

Baisse pas les bras...

Bats-toi !

BATS-TOIIII !

Non, c'est vrai, je ne me suis pas battue, mais comment tu peux le savoir ?

D'ailleurs, est-ce que tu sais seulement POURQUOI je ne me suis pas battue ?

Oui, c'est vrai, le démon en moi m'a vaincue.

Mais c'est parce que je suis faible, déjà à la base ! Je n'ai jamais eu la force de lui résister !

Keiichi sembla redoubler d'efforts.

Peu à peu, sa voix se fit rauque, éraillée. Il avait mal à la gorge.

Il continua à m'exhorter, mais moins fort.

« Mion !

Mion ! »

Shion

— ... Kei...

Je ne veux pas jouer au méchant à la James Bond et t'expliquer mon plan maléfique, mais...

puisqu'apparemment tu veux absolument savoir, je vais t'avouer une chose.

Shion

Cela fait longtemps que je porte le démon en moi.

Il a essayé de me dévorer de l'intérieur, de me pousser à la violence.

Mais je l'ai toujours réprimé au fond de moi.

Shion

Pendant longtemps, j'ai cru que je l'avais vaincu à tout jamais.

J'ai fini par oublier qu'il était là.

Mais il attendait son heure... Il dormait simplement, patiemment.

C'était vrai, en plus.

Lorsque je sus que Satoshi avait disparu, mon cœur n'avait pas pu supporter toute cette peine et cette tristesse, alors il avait triché : il s'était empli de colère.

Sauf que je n'avais jamais laissé libre cours à cette colère et à ces sentiments violents.

Et après, le Temps avait guéri ma blessure, et les souvenirs de Satoshi avaient été recouverts, puis cachés bien au fond de mon âme, pour ne plus y toucher.

Shion

— Et puis un jour, il s'est réveillé.

Tu sais pourquoi ?

Il s'en était fallu d'un rien, quand j'y pensais.

Shion

— ...

C'est ironique que ce soit le démon qui t'en parle, mais tu sais,

c'est toi qui as tout chamboulé.

Je sentis les larmes poindre, puis glisser sur mes joues.

Shion

— ... Ce jour-là…

si tu m'avais donné cette poupée sans hésiter...

rien de tout cela ne serait arrivé.

Je parie que tu comprends pas ce que c'est.

Bah, c'est normal, après tout.

Shion

Mais tu sais, ça a été le truc qui a tout déclenché. Un peu comme une série de dominos, tu sais.

Shion

Toutes mes défenses sont tombées les unes après les autres... Je sais que tu ne t'es pas rendu compte du mal que tu m'as fait, mais...

C'est à cause de toi, tout ça.

Si tu n'avais pas eu cette réaction insensible ce jour-là, Shion n'aurait pas pleuré au téléphone.

Si elle n'avait pas pleuré,

elle ne m'aurait pas avoué ses sentiments pour toi.

Si elle ne m'avait pas avoué ses sentiments, je n'aurais pas pensé à Satoshi.

Si je n'avais pas pensé à Satoshi, je n'aurais pas été jalouse de savoir qu'elle vivait auprès de la personne qu'elle aimait.

La jalousie de femme, c'était si peu de chose.

Mais c'est ce petit rien qui a réveillé le démon qui sommeillait en moi, depuis tout ce temps.

Et ensuite, il a pris le contrôle, de plus en plus.

Après s'être nourri de ma peine, il m'a donné un but, une envie,

celle de me venger, de venger la mort de Satoshi.

Puis il a attendu le bon moment, et il m'a entraînée jusqu'au point de non-retour, et il a continué à me traîner derrière, sur la route de la Mort, celle du royaume des démons.

Keiichi

— Mais enfin... t'es pas sérieuse ?

Shion

— Je sais que tu ne l'as pas fait exprès.

Mais c'est toi la cause de tout ça, je t'assure.

Si tu m'avais donné cette poupée sans trop faire d'histoires...

nous n'en serions pas là aujourd'hui.

C'est quand même gonflé de ma part de rejeter l'entière responsabilité de tout sur ses épaules, quand même.

Il faut croire qu'un rien aurait suffit à me faire dévier du droit chemin, de toute façon.

Si Keiichi n'avait rien fait, j'aurais eu d'autres occasions de devenir folle.

... En fin de compte, tout est de ma propre faute.

Je n'avais pas combattu le démon dans mon âme.

Je l'avais hébergé, nourri, fortifié,

et je lui avais laissé le contrôle sans faire d'histoires.

Keiichi

— ......Ooh...... ooh… !!

Keiichi pleurait à chaudes larmes, sans essayer de le cacher.

Peut-être pleurait-il pour moi, qui n'avais plus la liberté de pleurer de mon propre chef.

Shion

— Bon, je vais t'expliquer.

Tu verras, c'est tout simple.

Je vais te planter un clou dans l'extrémité de l'auriculaire de ta main gauche.

Shion

Ensuite, je passe aux autres doigts. Quand j'aurais cloué ton pouce, je reviendrai à ton petit doigt, et là, je te planterai un clou dans la deuxième phalange.

Shion

Je continue comme ça jusqu'à ce que tu aies quinze clous plantés dans les doigts,

Shion

puis je passe à ta main droite.

Et après, je... bah, ce sera une surprise, enfin, si tu es encore conscient.

Les doigts contiennent beaucoup de terminaisons nerveuses, tu vas déguster, p'tit gars.

Shion

La plupart des gens perdent connaissance avant la fin des trente clous, il paraît...

Je pris un clou et l'apposai contre l'auriculaire de sa main gauche.

... Plus qu'à y mettre un gros coup de masse,

et tout commencerait.

Ou plutôt, tout prendrait fin.

Shion

— ... Tu sais, pour les autres, j'ai pas hésité une seule seconde,

mais pour toi, c'est dur.

Keiichi

— ... ... Si après ça, le démon se rendort...

Si après ça, tu redeviens normale, alors vas-y, fais-le autant que tu voudras.

Pendant un bref instant, je ne compris pas ce qu'il voulait dire par là, et laissai l'information faire plusieurs fois le tour de mon cerveau.

Shion

— ... Oh putain... t'es pas sérieux ?

Keiichi

— Comparé à ce que tu as subi, ce ne sera pas grand'chose, non ?

Shion

— ... ... ...

Keiichi

— Vas-y, lâche-toi.

Mais en contrepartie, j'ai deux choses à te demander. Je veux que tu me promettes de les faire !

Quand tu en auras fini avec moi, je veux que tu pardonnes Shion.

Keiichi

Elle a suffisamment payé pour s'être introduite dans le temple, tu crois pas ?

Shion

— Eh gamin... Dans la situation où t'es, tu te fais plus de souci pour elle que pour toi ? Vraiment ?

Eh, je suis Mion, Mion Sonozaki, moi.

Pas de larmes, pas maintenant, c'est pas le moment. Il se fait du souci pour Shion, pas vraiment pour moi...

Keiichi

— La deuxième chose que tu dois me promettre,

c'est que quand tu en auras fini, tu disparaîtras.

Keiichi

Je veux que tu te rendormes à tout jamais.

Redonne à Mion le contrôle de son corps.

Keiichi

...

Keiichi

Je t'en supplie, c'est tout ce que je te demande.

Shion

— ... T'es pas croyable, putain.

Il te viendrait pas à l'idée de demander quelque chose pour toi, non ? Que je te laisse partir, par exemple, je sais pas ?

Keiichi

— Ben écoute, si tu veux bien me faire une troisième promesse,

ce serait sympa de me laisser en vie.

Shion

— Ahahahahahaha !

Petit sacripant, va ! Tu m'as d'abord dit deux, il ne faut pas être trop gourmand non plus.

Alors la dernière, c'est niet.

Keiichi

— Ah ben merde alors, c'est con pour moi, ça...

Malgré la situation si absurde,

nous trouvions encore le moyen de faire de l'humour

et d'en rire...

Haaa,

je crois que je comprends pourquoi Shion est tombée amoureuse de lui, en fait.

Il ne valait pas Satoshi, mais...

Mais…

c'était un brave gars, ce gamin.

Shion

— Tu sais, je ne tiendrai probablement pas ces promesses.

Je suis un démon, n'oublie pas.

Keiichi

— Bah là, écoute, tant pis, c'est la vie...

Keiichi eut un petit sourire forcé, comme un condamné à mort, puis, s'armant de résolution, il serra les paupières.

Shion

— Kei...

Je... je veux bien t'accorder ton troisième souhait.

Keiichi

— ... Hein ?

Shion

— Ton premier souhait,

Shion

c'est de sauver Shion.

Shion

Je ne peux pas te l'accorder, ce n'est plus possible.

Shion

Le démon se chargera d'elle.

Shion

Je l'ai décidé il y a longtemps, je ne peux plus revenir en arrière là-dessus.

Shion

Abandonne cette idée.

Je passai mes doigts le long de son visage, jusqu'à son menton. Le seul homme dont ma sœur était tombée amoureuse.

Shion

— Quant à ton deuxième souhait...

Shion

Rendre son corps à Mion.

Shion

Je ne peux pas te l'accorder non plus.

Shion

Je pense que Mion ne reprendra plus jamais le contrôle de son corps.

Shion

Si jamais tu devais me revoir un jour, sache que ce ne sera pas moi,

Shion

mais le démon qui sera devant toi.

Keiichi

— ... Mais non, faut pas dire ça !

Mion doit rester Mion !

Ce serait trop triste !

Shion

— ...

Tu entends ?

Ce bruit.

Je l'entendais depuis tout à l'heure.

Je savais parfaitement ce que c'était.

......Baang.........

Baang...

C'était un sorte de boooohmmm très grave, qui se répétait régulièrement.

Un bruit sourd mais régulier, répétitif, accompagné de vibrations fortes.

Plusieurs personnes étaient en train de se jeter sur les lourdes portes en fer du temple souterrain pour entrer ici.

Shion

— Hmmm, je suppose que Rena a appelé Ôishi quand elle a vu que nous ne revenions pas.

C'est dingue, cette cruche est d'habitude deux de tension, mais là, elle tourne à plein régime... J'aurais jamais cru.

Keiichi

— Je vais te dire, pour une fois, je suis d'accord avec toi.

Oooh, ça, j'en suis pas si sûre.

À mon avis, tu n'as aucune idée de ce qu'elle cache.

Rena Ryûgû, hein ?

... Cette fois-ci, c'est moi qui gagne.

Tu n'as pas réussi à me démasquer.

... ... ...

Quoique, peut-être que si, après tout.

Elle n'avait pas eu l'air d'hésiter quand elle m'avait dévisagée.

Peut-être avait-elle flairé à l'instinct qui j'étais.

Peut-être avait-elle eu une méthode infaillible pour nous discerner l'une et l'autre, depuis toujours.

Nan, c'est pas crédible.

Elle peut pas être aussi forte, c'est moi qui me fais des films.

... ... ...

Je sortis mon tazer et l'activai dans le vide, pour le montrer à Keiichi.

Shion

— Je parie que c'est la première fois que tu en vois un ?

Shion

C'est un taz, enfin, un “pistolet incapacitant” pour parler correctement.

Shion

Je ne l'ai pas acheté au supermarché, tu t'en doutes, alors il est beaucoup plus puissant que les vrais.

Keiichi

— Aaah, c'est avec ça que tu m'as eu tout à l'heure ?

C'est pas un jouet pour les enfants, tu devrais le remettre dans sa boîte.

Shion

— Éhéhéhéhé,

ouais, t'as raison.

Un bruit sourd énorme se fit entendre.

Ils avaient réussi à défoncer la première porte.

Le chemin était encombré là-haut, mais à part la distance, plus grand'chose ne séparait la Police et cette salle.

Shion

— Je ne vais pas te tuer, mais j'aimerais que tu fasses une petite sieste.

La police sera vite là.

Tu supporteras ?

Keiichi me fit un sourire désabusé, puis serra les dents.

J'hésitai encore.

Keiichi ouvrit les yeux et me dévisagea, comprenant que quelque chose ne tournait pas rond.

Shion

— ... ... Je te demande pardon...

Pardonne-moi d'avoir souillé l'image de Mion.

Keiichi

— Je t'ai fait une promesse avant d'entrer ici, non ?

Quoiqu'il arrive, Mion restera toujours la même dans mon cœur.

Shion

— ... Alors oublie-la.

Même si tu devais me revoir bientôt…

ne t'approche surtout pas de moi.

Je serai déjà morte. Ce sera le démon devant toi, contrôlant mon cadavre.

Bzzzzt

Keiichi perdit immédiatement connaissance.

Je fermai la salle de torture à clef, de l'intérieur, puis courus à l'autre bout.

Une fois dans la salle des prisonniers, je fermai l'issue à clef, encore une fois.

Ça, ça devrait me faire gagner un peu de temps.

Shion

— Shion !

Viens ici, allez, c'est l'heure de sortir.

J'ouvris les grilles de sa cellule et l'invitai au dehors.

Shion était en train de pleurer, à genoux.

Shion

— Tu as voulu que je l'épargne, alors j'ai tenu ma promesse, je l'ai épargné.

Shion

Il est encore vivant, je lui ai mis un coup de tazer, donc il fait dodo, là, mais il est vivant.

Shion

La police ne va tarder à arriver, il sera sain et sauf.

Mion

— Merci...

Merci !

Oh...

Shion

— Mais par contre, Shion peut encore servir.

Je dois sortir d'ici.

Je l'emmenai sans ménagement vers le puits.

Shion

— Faisons vite, mais bien.

Pour commencer, Shion, je te rends Mion, je n'en veux plus.

Mion

— Quoi ? Comment ?

Shion

— Allez, zou, à poil, ma grande.

On échange les rôles. Eeeeh oui.

Allez, ton élastique, vite.

Sidérée et sans trop comprendre le pourquoi de la chose, Shion se déshabilla et me donna ses vêtements, puis mit les miens.

Je lui passai alors la lampe-torche autour du cou.

Shion

— Allez, tu peux filer, passe devant.

Il y a un passage secret un peu plus bas dans le puits.

Le puits était très profond, et la lumière de la lampe-torche ne suffisait clairement pas à en percer les ténèbres.

Personne n'oserait descendre là-dedans, moi pas, en tout cas.

Mais Shion n'osa pas se rebeller. Elle tâta lentement avec les pieds pour trouver un appui, et se plaça sur l'improbable échelle creusée à-même la paroi.

J'attendis qu'elle fût descendue un peu, avec à peine la tête dépassant du trou, avant de sortir mon tazer et de le lui placer sur le crâne.

Shion était stupide, mais tout de même -- elle comprit instantanément ce que j'avais l'intention de faire.

Mion

— ... ... Grande sœur ?

Shion

— Comme tu l'as voulu, Keiichi vivra.

Je t'avais promis de te tuer à la place, tu te souviens ?

Héhhéhhé, je suis du genre à tenir mes promesses, moi.

Dans sa position, Shion était obligée de se tenir tranquille, les mains et pieds cramponnés à la paroi. Elle ne pouvait pas esquisser le moindre geste pour se défendre.

Elle était bien consciente d'être à deux doigts de la mort.

Shion

— Tu vas tomber au fond et mourir,

Shion

habillée comme Mion.

Shion

Quant à moi... Ben, disons que je suis habillée en Shion, alors Keiichi témoignera que j'étais une victime.

Shion

J'irai me placer dans ta cellule et j'attendrai les policiers, je jouerai la comédie.

Shion

Avec un peu de chance, s'ils pensent à relever des empreintes partout,

Shion

ils ont une chance de découvrir la supercherie, mais je serai déjà loin...

Shion

Qu'est-ce que t'en dis ? C'est un super plan, non ? Elle est maligne, ta grande sœur, tu trouves pas ?

Shion

Héhéhé.

Mion

— ... Tu penses que…

si tu me tues…

tu vengeras Satoshi ?

Shion

— Si tu le sais, pourquoi tu poses la question, bêtasse ?

Quand tu seras morte, n'oublie pas de lui présenter tes excuses.

Mion

— ... Grande sœur... Je veux pas te vexer, mais...

Satoshi n'est pas au fond de ce puits.

Shion

— Quoi ?

Mais pourtant, tu l'as même dit toi-même l'autre jour, non ?

Qu'il avait été jeté ici.

Mion

— J'ai dit que

si effectivement les Sonozaki l'avaient tué,

alors oui, il serait ici, au fond. C'est pas la même chose.

Shion

— ... Eh vas-y, tu vas pas jouer sur les mots, là, merde, j'ai pas le temps.

Qu'est-ce que tu veux dire au juste ?

Mion

— Tu sais…

moi aussi, je… j'étais amoureuse

de Satoshi.

Shion

— ... J'imagine, oui.

Ça ne m'étonne pas, ce mec a réussi à me séduire moi, alors toi...

Mion

— C'est pourquoi... lorsqu'il est mort, j'étais tellement folle de rage et de douleur...

que j'ai

décidé de faire mon enquête.

Shion

— ... ... Ah ouais ?

Mion

— Je... je me suis jetée sur Mémé,

tu sais, j'ai failli l'étrangler de mes propres mains.

... Alors elle m'a révélé le plus grand secret des Sonozaki.

Un secret que seul l'héritier est en droit d'apprendre.

Ça m'avait l'air un peu gros pour être vrai, cette histoire.

Alors soi-disant, la vieille folle aurait avoué un truc à Shion.

Comme quoi les Sonozaki n'avaient rien fait contre Satoshi.

Alors comme Shion ne comprenait pas trop ce que ça voulait dire, elle avait reposé la question.

Surtout que le clan avait des liens étroits avec la pègre, qu'il était très influent, et que pendant la guerre du barrage, les gens du clan avaient fait pas mal d'actes répréhensibles par la Loi.

C'était d'ailleurs pour ça que tout le monde croyait que les Sonozaki étaient responsables de tout ce qu'il se passait par ici.

La vieille folle était toujours à ricaner, à dire des choses un peu bizarres et funestes, comme si elle savait toujours tout, donc forcément, les gens étaient persuadés que c'était elle qui tirait les ficelles.

Sauf que pas de bol, c'était justement là la nature du plus grand secret du clan.

C'était du flan.

Le chef de clan était obligé de faire semblant, de profiter des hasards des événements pour faire croire que c'était voulu et calculé, de façon justement à faire croire qu'ils avaient le bras long, qu'ils pouvaient faire tout et n'importe quoi à leurs ennemis.

Tout ça, ce n'était que du bluff, mais grâce à leur influence parmi la Pègre, ce bluff ne paraissait jamais trop absurde ou démesuré.

C'était pour ça que toutes ces rumeurs couraient sur le clan -- avec ça, les ennemis potentiels se tenaient à carreaux.

Oryô s'était bien servie de ça pendant la guerre du barrage.

Lorsque les gens rapportaient des incidents, elle souriait toujours, comme si elle en savait plus --

et ce, même quand elle n'avait rien organisé !

Mais comme les gens qui étaient plus proches d'elle la voyaient sourire comme lorsque l'un de ses plans avait été rondement mené, ils pensèrent tous qu'elle était vraiment responsable de tous les incidents de la région, et ils eurent peur d'elle, évidemment.

Lorsque le corps du chef de chantier fut découvert en morceaux...

Oryô Sonozaki eut un rire sinistre, et elle passa un moment à sourire en silence.

Tout le monde pensa instantanément qu'une autre branche active de l'association avait fait le coup, sous ses ordres.

Lorsque les Hôjô chutèrent dans le ravin.

Lorsque le prêtre Furude mourut.

Lorsque la tante de Satoshi fut retrouvée, lorsque sa disparition fut découverte, elle fit pareil : elle rit, d'un petit rire narquois, comme un enfant facétieux pris la main dans le sac.

Personne ne douta une seule seconde de sa responsabilité pour les meurtres.

Shion

— Non ! Tu mens !

Tu oses prétendre que les Sonozaki n'ont rien à voir là-dedans ?

Je ne te crois pas !

Mion

— ... Tu sais, je ne pense pas que Mémé m'aurait mentie.

Je l'ai cuisinée sur Satoshi, tu sais, mais elle a toujours nié.

Elle avait accepté ta relation avec lui, tu sais ?

Mion

Elle t'a officiellement donné l'autorisation de le fréquenter le soir où tu t'es arraché les ongles, devant tout le monde.

Shion

— C'est pas vrai, tu mens !

Tu racontes ça comme ça, c'est le premier mensonge qui te passe par la tête, hein ?

Alors, qui a tué Satoshi ?

QUI ?

Mion

— ... Je sais pas.

C'est pas le clan Sonozaki, c'est tout ce que je sais.

C'est Mémé qui me l'a dit. C'est pas elle.

Shion

— Mais enfin, tu connais bien le système ?

Elle n'avait pas besoin de donner un ordre précis ! Il lui suffisait d'attendre, il y avait toujours quelqu'un pour essayer de s'attirer ses bonnes grâces !

Shion

Ça marche comme ça depuis le début !

Mion

— ... ... ...

Shion ne répondit rien.

Elle savait que même si la vieille folle n'avait plus rien eu contre lui, il avait continué à être une cible potentielle, et qu'il pouvait donc à tout moment être englouti par le système.

Mion

— ... Tu sais…

Mémé a cherché pendant longtemps

qui pouvait bien être le commanditaire des meurtres de la malédiction de la déesse Yashiro.

... Mais elle n'a rien trouvé.

Mion

Personne, personne au village n'a pu faire le coup, et pourtant, c'est forcément quelqu'un du village. Mais elle n'a trouvé personne.

Shion

— Alors quoi, tu vas pas me dire que le meurtrier n'existe pas ?

Sinon, pourquoi est-ce que les meurtres se suivent, chaque année ?

Mion

— C'est étrange, hein ?

Mais, elle a rien trouvé, rien du tout !

Tout le clan a cherché, et on a rien trouvé !

Shion

— ... Je t'ai raconté comment Rika Furude m'avait attaquée ? Elle est venue chez nous et m'a combattue à mains nues, enfin presque, elle avait une bombe de gaz lacrymogène et une seringue avec un produit bizarre.

Shion

Comment t'expliques ça ?

Shion

C'est pas comme si elle avait été en danger et qu'elle avait pris le premier truc qui lui tombait sous la main pour se défendre,

Shion

elle a préparé ses affaires avant de venir.

Et d'après son suicide, c'est avec le produit de la seringue qu'elle a tué Tomitake.

Mion

— ... Je sais pas.

Je... j'arrive pas à croire que... Je vois pas Rika faire

ce genre de choses, vraiment.

Shion

— Mouais. C'est pas étonnant, même moi qui l'ai vue faire, j'arrive pas à y croire non plus.

Quelle étrange manière d'en finir.

... Shion n'est pas en train de mentir, la vieille folle lui a probablement dit la vérité.

Ce qui voulait dire qu'elle n'était pas à la tête du village, en tout cas pas autant que je ne l'avais imaginé.

Elle ne connaissait sûrement pas l'existence de ce médicament dans la seringue,

et elle ne s'était sûrement jamais doutée que c'était Rika qui exécutait toutes les victimes.

Si les Sonozaki n'étaient pas dans le coup, qui a organisé ces meurtres ?

Le hasard aurait frappé cinq fois de suite à la même date, sur des gens du même village ?

Non, c'était strictement impossible.

Il y avait une intelligence humaine derrière ces événements, ça crevait les yeux !

Mais en plus, la personne derrière tout ça devait être indétectable par le clan.

Les Kimiyoshi ne savaient sûrement rien.

Le vieux avait été persuadé qu'Oryô avait tiré les ficelles.

Les Furude, alors ?

Entre les agissements incroyables de Rika et la foi aveugle des anciens du village,

il y avait peut-être moyen de former une milice autour du noyau dur du clan ?

Non... Non, c'est ridicule, c'est impensable, c'est surréaliste.

Le prêtre et sa femme se sont fait tuer par la malédiction, ça n'aurait aucun sens !

Est-ce que ce serait la gamine qui aurait tout organisé ? Pour accéder au statut de chef de clan ? Et qui aurait bluffé la Terre entière ?

Non, je n'y crois pas, c'est du grand n'importe quoi.

Mais alors... Ça voudrait dire que j'ai désormais tué les trois chefs de clan, que le rideau va se refermer, mais que cette histoire de malédiction restera à jamais un mystère ?

Mais... Et ma vengeance, alors ?

J'aurais tué des tas de gens innocents, en les accusant de trucs qui n'auraient été vrais que dans ma tête ?

Shion

— ... Ahahaha, eh ben, tu es douée, Shion, je te concède un point.

Tu crois avoir réussi à retourner toute cette histoire, alors ?

Mion

— Grande sœur, je te le jure, il faut que tu me croies...

Je ne suis pas dans le camp ennemi.

Je te le jure.

Je t'en supplie, crois-moi...

Shion se mit à plaider encore, les yeux pleins de larmes.

Si j'avais encore été sa grande sœur, ce regard m'aurait peut-être fait hésiter, il m'aurait peut-être touchée et arrêté mon geste.

Mais je n'étais plus sa sœur,

j'étais le démon.

Je n'avais plus qu'à la tuer, et le tour était joué.

J'avais décidé de ce plan d'action il y avait longtemps maintenant.

Si je n'allais pas jusqu'au bout, comment justifier mon existence ?

Quelle valeur donner à ma vie, si je l'avais gaspillée en me jetant à tort corps et âme dans cette quête vengeresse ?

Shion ne pouvait pas tout foutre en l'air à la fin.

Si je ne la tue pas, j'aurais tout fait en vain, ma petite comédie ne sera qu'une farce.

Ma noble vengeance ne sera que l'acte d'une déséquilibrée, perturbée par les incidents de la cinquième malédiction...

Shion

— ... Shion.

Si vraiment tu es innocente, alors tu iras au Paradis.

Présente des excuses à Satoshi. Fais-le pour moi.

Mion

— Grande sœur ?

Il y eut un crépitement, quelques étincelles bleutées, puis Shion disparut dans les ténèbres, laissant derrière elle deux traînées de larmes.

Shion

— Une fois au Paradis, retrouve Satoshi, et excuse-toi à ma place, c'est compris ?

... Moi, après tout ce que j'ai fait, je ne risque pas d'y aller.

En échange, je te jure qu'à ma mort, j'atterrirai au plus profond des enfers.

Je pourrais me jeter dans le puits, mais ce serait trop facile. Ce ne serait pas assez.

Je survivrai, jusqu'à ce que je me trouve une façon de mourir qui soit digne de mes crimes.

Jusqu'à ce jour lointain, je survivrai, coûte que côute. Dussé-je vivre parmi la fange et la souillure...