— Keiichi !
Je t'appelle depuis tout à l'heure, tu es sourd ou quoi ?
Téléphone pour toi !
Une certaine Sonozaki.
— Sonozaki, mais laquelle ?
La grande ou
la petite ?
— Comment veux-tu que je le sache.
Tu n'as qu'à répondre et le lui demander.
— A-a-a-
allô ?
Mion ?
Shion ?
— C'est moi.
Shion.
Bonsoir.
— Shion,
je...
je m'excuse pour hier soir.
J'étais tellement énervé, je...
Apparemment, j'avais bien fait de raccrocher pendant qu'il était en train de pleurnicher sur son sort au téléphone.
— Comme tu l'as dit, nous partageons le même sort désormais.
Nous devons sans cesse nous assurer que l'autre est sain et sauf, c'est notre seule chance.
— Oui, je suis d'accord.
— ... Du coup, je me suis dit qu'il valait mieux mettre nos informations en commun.
Histoire de ne pas finir comme Takano.
Gulp...
À l'autre bout du fil, je pus entendre Keiichi déglutir bruyamment.
— Bon, reprenons là où nous en étions hier.
Tu veux bien m'écouter, sans te fâcher cette fois-ci ?
— Ouais...
pas de problème.
Parfait, aujourd'hui, il était calme et plus disposé à m'écouter.
Je commençai par lui réexpliquer, comme hier, la situation dangereuse dans laquelle il se trouvait.
Des gens mal intentionnés avaient eu madame Takano, et maintenant, ils en avaient après lui.
Le plus rigolo, c'était que c'était moi qui les avais poussés contre lui -- mais bien sûr, il n'avait pas besoin de savoir ça...
— Si tu remarques quelque chose ou si tu apprends quelque chose de louche, fais-moi signe. Je ferai pareil, bien sûr.
En mettant nos informations ensemble, nous arriverons peut-être à en découvrir plus sur le meurtrier de Takano...
ou même d'ailleurs sur l'auteur de tous ces meurtres, en fait.
Nous aurons peut-être au moins un indice.
— Hmmm, tu n'as pas tort.
Si, c'est logique.
— Bon, autant commencer par moi, puisque c'est moi qui ai eu l'idée.
J'ai l'impression d'être observée en permanence par plusieurs personnes.
— QUOI ?
Évidemment, c'était du flan,
mais avec ça, j'étais sûre de le rendre encore plus nerveux.
— Enfin, c'est peut-être juste moi qui me fais des idées.
Mais bon, je préfère le dire.
Si toi aussi tu te sens observé, alors, ben...
C'est peut-être pas seulement la peur qui te joue des tours.
— Non, si ce n'est que ça, tu peux te rassurer.
Personnellement, rien à signaler de ce côté-là.
Ce qui voudrait dire qu'en tout cas aujourd'hui, il n'a rien remarqué de suspect dans son entourage.
Maintenant que les trois chefs des clans sont morts, le système de la malédiction est peut-être devenu inopérant.
Si c'est le cas, alors effectivement, plus personne ne peut plus l'attaquer.
Mais si quelqu'un tente effectivement quelque chose contre lui, cela voudra dire qu'une branche ou une partie du système est encore active.
Et si c'est le cas, je saurai de qui je dois encore me débarrasser.
Keiichi était un peu comme ces papiers dont on se sert pour tester les réactions chimiques.
Si je le trempe et qu'il n'y a aucune réaction, c'est que j'ai tué tout le monde, sinon, il en reste.
... C'est vraiment pratique de l'avoir sous la main, en tout cas.
Je continuai la conversation, sans trop y réfléchir -- Keiichi faisait tout le travail.
Il avait l'air d'avoir pris peur de Mion Sonozaki et de la toute-puissance de sa famille.
Je lui expliquai pourquoi il était probable qu'elle fût liée à toute cette histoire, et lui détaillai quelques points sur le fonctionnement de la malédiction de la déesse Yashiro.
Puis il me revint en tête que j'étais Shion, et que Shion n'était sûrement pas au courant de la disparition du maire.
— J'ai entendu tout à l'heure que...
que l'on était toujours sans nouvelles de M. Kimiyoshi. C'est vrai ?
— Qui, le maire ?
De quoi, mais,
t'étais pas au courant ?
— Non, je sais rien du tout !
J'ai surpris une conversation au téléphone, enfin, j'écoutais aux portes, quoi, c'est comme ça que je l'ai su.
— Ouais, ben…
en fait, hier, après la réunion du conseil municipal, il n'est pas rentré chez lui, alors les gens l'ont cherché partout.
Mais ils ne l'ont pas trouvé.
Je pense que la Police doit aider dans les recherches, d'ailleurs.
— Aaaaah, mais pourquoi tu ne me l'as pas dit tout de suite !
— Désolé,
écoute, je croyais que tu le savais...
J'ai aucune raison de te le cacher, tu le sais bien !
— ... Kei…
Dis-moi ce que je dois faire, Kei…
Oh, mais qu'est-ce que j'ai fait...
— Qu'est-ce que tu as ?
Ben, dis-moi.
Pas de secrets entre nous, allez, quoi.
— Je te demande pardon...
Je voulais pas te le cacher,
mais en fait, c'était pas encore venu dans la conversation, c'est tout, je...
— T'en fais pas, c'est rien. On est ensemble maintenant.
Allez, je m'énerverai pas, je te promets.
— Je...
......
Je lui ai parlé…
je lui ai dit pour le temple.
— Je suppose qu'à tes yeux, c'était quelqu'un digne de confiance ?
— ... Oui.
Il a... Il a toujours été très gentil avec moi, depuis que je suis toute petite.
Je n'arrêtais pas de faire des bêtises et des choses méchantes, mais il ne s'énervait jamais.
Il m'a toujours écouté...
Il était tellement gentil...
— Ne parle pas de lui au passé, Shion.
Il n'est pas obligatoirement mort.
N'abandonne pas !
Il était en train d'essayer de me remonter le moral. Il essayait de montrer de la compassion.
Sauf qu'il ne savait rien de rien, ni sur moi, ni sur le maire. Ce qu'il racontait, c'était du vent.
C'était franchement ridicule de l'entendre déblatérer là-dessus.
— J'ai avoué au maire
que nous étions entrés
dans le temple des reliques ce soir-là.
Et que quelqu'un nous avait vus et qu'il en avait après nous.
— Il savait pour la mort de Mme Takano ? Il savait que ce n'était pas une mort normale ?
— ... Oui,
il savait.
Je lui ai même demandé si je risquais d'être sacrifiée pour apaiser la colère de la déesse.
Je lui ai demandé cash.
— Et,
il a répondu quoi ?
— Il a... Il ne s'est pas mis en colère...
Il m'a fait un petit sourire, et il m'a dit que si je le regrettais vraiment, eh bien la déesse m'épargnerait.
Il m'a vraiment…
vraiment dit ça en souriant… Et puis il m'a dit que... qu'il s'en chargeait, qu'il ne m'arriverait rien…
...ngh...!!
En racontant tout ça, je me sentis vraiment triste.
J'avais réellement cru que je pouvais lui faire confiance. Aaaah, ce brave vieux grand-père Kimiyoshi...
Quand il m'avait promis de couvrir Shion, ça m'avait vraiment fait chaud au cœur, vraiment !
Ça m'avait rendue super heureuse...
Si seulement il n'avait pas parlé de Satoshi comme il l'a fait juste ensuite !
— ... C'est de ma faute.
C'est parce que je lui ai parlé...
— Ne dis pas ça, voyons.
Ce n'est pas ta faute.
— SI !!
Si, c'est MA faute !
Si je ne lui avais.... rien dit...
S'il ne l'avait pas su... Il serait encore là !
Il s'est fait tuer, j'en suis sûre !
Mais enfin réfléchis, c'était JUSTE pile le jour où je lui ai avoué !
Il venait de me dire que tout irait bien... et le soir-même, il a disparu !
J'eus une sensation très étrange.
Je ne paniquais absolument pas.
Et pourtant, à force de parler en faisant croire que j'étais déboussolée, et de l'entendre me réconforter, je commençais réellement à ne plus trop savoir où j'en étais.
Je ne faisais que faire semblant, pour pouvoir mieux le berner,
mais cela se retournait contre moi -- toutes ces émotions étaient en train de me submerger.
Ce que je disais n'était désormais plus exactement voulu ni planifié.
C'étaient là les mots de ces émotions qui avaient pris le contrôle de mon esprit.
Un peu comme si quelqu'un parlait à ma place, alors que moi, j'étais persuadée de me taire.
J'observais simplement la scène, j'écoutais la conversation, si l'on peut dire, un peu en retrait...
— Je n'aurais jamais dû lui dire !
C'était notre faute, à nous quatre !
On aurait dû payer pour nos crimes, mais sans y mêler les autres !
Je lui en ai parlé, et il est mort !
Tous ceux qui seront mis au courant se feront tuer !
Il s'est fait tuer…
…
parce que je lui ai tout avoué !
!!!
— Oh, attends une seconde !
Avant de tuer le maire, le ou les meurtriers auraient dû nous tuer nous, tu ne crois pas ?
L'ordre est complètement inversé !
S'il faut absolument tuer quelqu'un ce serait d'abord toi ou moi !
Pourquoi tuer un autre d'abord ?
— Mais justement, c'est celui-là, le bon ordre logique !
Ils vont nous laisser en vie jusqu'à la fin, ils vont nous tuer en dernier !
— Que... Comment ?
Quoi ?
— Ils ne vont pas nous tuer si facilement... ils vont d'abord tuer tous nos amis, l'un après l'autre... et après nous avoir fait mal, après nous avoir fait peur, après nous avoir tout pris, ils nous tueront nous !
... Je ne réalisai l'énormité de ce que j'étais en train de dire que plusieurs secondes après.
Tuer d'abord toute sa famille et tous ses amis, et après lui avoir infligé toutes ces souffrances, tuer la cible en dernier...
Oh putain...
Un frisson d'excitation se mit à me remonter tout le long du dos.
Oh putain ! Oh putain !
Je le savais, je ne suis plus un être humain, je suis un démon désormais !
Il ne viendrait jamais une idée aussi cruelle à un simple mortel !
Ouah, ça c'est de la torture psychologique, ce serait l'enfer sur Terre !
Non mais imaginez l'état dans lequel on doit être après avoir vu ou entendu tous ses amis mourir dans des souffrances atroces et des humiliations indicibles !
Surtout qu'après, on passe soi-même à la casserole !
Ouah, il fallait y penser, tout ça juste pour faire souffrir une seule personne...
Mais en fait, le plus beau dans tout ça, c'est que...
Je peux mettre ce plan immédiatement à exécution !
Héhéhé, hahahahaha !
— Mais alors... Rika !
RIKA !
— Hein ?
Quoi, qu'est-ce que tu viens de dire ?
— Moi aussi !
Moi aussi j'en ai parlé aujourd'hui !
Oh non…
Je lui ai tout dit...
J'ai tout avoué à Rika...
aujourd'hui, à l'école !
— Rika, tu veux dire, la petite ?
La prêtresse ? L'héritière du clan des Furude ?
— Ben oui, Rika, quoi !
J'avais tellement peur... J'ai pas pu lui mentir.
Je lui ai tout raconté.
— Et qu'est-ce qu'elle a dit ?
— Elle a dit « Ce chat est un grand peureux.
Mais je saurai le protéger, vous verrez.
Je me débrouillerai. »
Désolé, Shion,
mais je suis pas tranquille, il faut que je sache qu'il ne lui est rien arrivé !
— Oui, oui, bien sûr ! Appelle-la au téléphone.
Histoire de savoir si elle n'a rien.
— Ouais !
Oui, bien sûr, tout de suite !
— Écoute, je te rappelle demain, vers cette heure-ci, encore une fois, d'accord ?
Si je t'appelle, tu sauras que tout va bien pour moi.
— D'accord,
compris.
Allez, salut !
Désolé hein !
Je raccroche !
Il raccrocha violemment.
— ...
Pkrhh... Ahahahaha, HAHHAHAHAHAHAHA !
Aah, sacré lui, quand même.
Il est vraiment marrant, ce gamin. On ne s'ennuie pas avec lui.
Keiichi Maebara,
va, cours, agite-toi et résiste autant que tu veux.
Va voir un peu partout dans le village, seul si possible, je veux savoir dans quel coin les malédictions ont lieu.
Je veux que tu te fasses attaquer, que je puisse savoir si des ennemis se cachent encore dans le coin !
Après en avoir ri comme une demeurée, je me calmai, et me remis à réfléchir.
Je me suis déjà débarrassée des vélos et de leurs chaussures.
Normalement, j'ai rien à craindre.
Que va-t-il se passer maintenant ?
Keiichi va sûrement faire du grabuge.
Il va vouloir en parler à quelqu'un.
Ce qui veut dire qu'il risque de vouloir en parler à Mion.
J'imagine qu'il va falloir rameuter les jeunes encore une fois, histoire de faire des recherches.
Eh merde, il va encore falloir rester debout comme une conne dans la nuit fraîche en attendant qu'ils se rendent compte qu'ils ne les trouveront jamais... Va chier.
En tout cas, une chose est sûre, lui ou quelqu'un d'autre va m'appeler dans pas trop longtemps.
J'allai au salon et allumai la télé, attendant tranquillement l'appel téléphonique qui, fatalement, viendrait me déranger encore cette nuit...