Rena

— Eh ben ?

Mii, toi aussi tu as l'air de ne pas avoir beaucoup dormi,

dis-moi ?

Shion

— Ouais,

je me suis couchée vers 3h du matin, alors...

Chuis fatiguée.

Keiichi

— 3h du matin ?

Qu'est-ce que tu foutais debout à cette heure-là ?

Keiichi

Laisse-moi deviner, t'as commencé une série de mangas et tu les as tous lus à la suite ?

Ouais, je connais, c'est vite arrivé...

Rena

— ... Mais alors... Me dis pas que...

vous n'avez pas retrouvé le maire ?

Shion

— ... Non.

La veille, j'avais rejoint le groupe des jeunes au temple Furude, puis nous nous étions séparés pour les recherches.

Mais évidemment, comme j'avais pertinemment su que nous ne le trouverions pas, j'avais été, moi seule, particulièrement peu motivée, et donc très fatiguée.

Enfin, c'est pas la mort non plus.

Surtout comparé au maire, qui est resté debout sur la pointe des pieds depuis hier, sans pouvoir dormir ni même s'asseoir...

À l'école, la maîtresse nous apprit la disparition du maire et nous demanda si l'un d'entre nous savait quelque chose.

Deux élèves levèrent la main, mais ils étaient tellement à côté de la plaque que j'aurais pu me fendre la poire.

Moi, je trouvais cette histoire banale et ennuyeuse au plus haut point, mais tous mes petits camarades de classe ne firent que parler de ça, jusqu'à la pause midi...

J'observais Keiichi Maebara.

Il m'était évidemment impossible de deviner si le danger était tapi dans l'ombre, près de lui.

... Je vais devoir l'appeler en tant que Shion ce soir, pour lui en parler à nouveau.

Hier, je l'ai fait paniquer en lui en disant trop d'un coup.

Mais là, après une nuit de sommeil, il avait l'air de s'en être remis.

J'entendis alors les éclats de rire d'une certaine petite fille.

Rika Furude.

... La dernière survivante du clan des Furude, et donc, faute de mieux, le chef de clan.

Enfin, elle avait un traitement un peu particulier.

Lors des réunions de clan, elle ne faisait que dormir blottie près la vieille folle, ou dessiner dans ses cahiers.

Elle n'était même pas venue à la réunion hier soir.

Ce n'était qu'une gamine, je la voyais mal se charger des besognes pour le clan, ni même prendre des décisions.

Mais même sans cela...

Il y avait de très nombreux anciens du village qui se prosternaient devant elle, en la désignant comme la réincarnation de la déesse Yashiro.

... Rika Furude était bizarre. D'ailleurs, elle-même semblait être consciente d'être cette réincarnation divine, en tout cas, son comportement semblait le prouver, parfois.

... Enfin, c'est ce que madame Takano m'avait raconté à la bibliothèque, l'année dernière, il me semble.

Lorsque Rika Furude se plaint, l'un des anciens du village fait un petit geste.

... Exactement comme la chaîne d'ordre des Sonozaki.

... Je me demande si elle est courant pour Takano et Tomitake.

Est-ce qu'elle sait que quelqu'un est entré dans le temple des reliques sacrées ?

Combien sait-elle sur cette affaire ? Est-ce que quelqu'un la tient au courant ?

... Vu que c'est elle qui a la responsabilité du bâtiment, il est même possible que ce soit elle qui ait découvert l'intrusion.

D'ailleurs, qui sait ? Elle est peut-être la seule à l'avoir remarqué, et a prévenu qui de droit pour déclencher la malédiction...

Lorsque nous sommes entrés dans le temple interdit, cet idiot de Keiichi a allumé la lumière.

Peut-être que ça a déclenché une alarme quelque part, ce n'est pas si saugrenu comme idée.

... En tout cas,

ça pouvait se révéler intéressant de lui parler en privé...

Shion

— ... Toi qui es le chef de clan des Furude, que sais-tu sur ce qu'il se passe en ce moment ?

Je n'y allai pas par quatre chemins.

Son visage était impossible à lire ; je ne réussis pas à déceler si elle comprenait que je lui parlais non pas comme son amie,

mais comme représentante du Clan.

Rika

— Tu parles de Tomitake et de Takano ?

Sa réponse n'hésita pas le moins du monde.

Elle sait tout à propos de cette nuit-là, alors...

Elle n'est pas le chef du clan pour rien, cette gamine. Comme quoi, les apparences sont trompeuses.

Rika

— Que veux-tu que je te dise, c'est la malédiction de la déesse Yashiro.

Shion

— Je sais tout ça, je te signale.

Rika

— ...

Shion

— C'est donc pas encore terminé, j'imagine ?

Il en reste encore deux.

Tu sais ce qu'il va leur arriver ou pas ?

Je restai volontairement vague sur les tenants et les aboutissants, histoire de voir où elle allait mener cette conversation.

Peut-être que son apparence me faisait trop d'effet, mais j'avais toujours imaginé qu'elle n'avait rien à voir avec le côté obscur du village.

Mais elle connaissait des choses dont personne d'autre ou presque n'était au courant.

C'était là la preuve irréfutable que lorsque le côté obscur faisait ou devait faire quelque chose, elle était sur la liste des gens qui étaient mis au courant.

Rika

— ... ... ... Honnêtement, ce n'est pas si grave.

Par rapport à l'information sur Tomitake, elle avait mis un moment avant de répondre...

Elle aurait donc pas mal réfléchi à cette réponse ?

... Merde, elle a vraiment pas un visage expressif, cette gamine,

j'arrive pas à la lire.

Shion

— C'est pas si grave ?

T'es pas sérieuse, là ? Comment on va faire pour racheter leur faute ?

Rika

— ... Je pense que... S'ils regrettent leur geste, alors tout est pardonné.

Pour moi qui avais vu la réaction de tous les autres membres du conseil hier soir, cette réponse était proprement stupéfiante et inattendue.

Pénétrer dans le temple interdit était un crime, c'était une insulte et un affront direct à la déesse.

Tous les autres membres étaient d'accord pour considérer la mort comme un châtiment tout à fait normal.

Mais elle, qui pourtant était la première intéressée, voulait simplement des excuses et du repentir ? C'était trop magnanime pour être honnête.

Mais bien sûr ! Son père aussi était comme ça...

Oui...

Pendant la guerre du barrage, son père s'était montré très conciliant et très compréhensif avec les traîtres.

Il s'était d'ailleurs élevé contre l'association, dont il jugeait les actions trop violentes et disproportionnées.

... Oui, tel père, telle fille, c'était pas si étonnant, en fait.

Je la chopai par la chemise et la soulevai, menaçante.

Shion

— Quoi ?

Tu te fous de ma gueule ou quoi ?

On n'est pas au pays des ours en peluche ici. T'es comme ton père en fait, une vraie tafiole.

Rika

— ... ...

Shion

— Vous devriez pourtant savoir mieux que quiconque qu'il est interdit d'entrer dans ce temple, il est sacré !

Tu es le chef de clan des Furude, tu peux pas être permissive comme ça, c'est pas sérieux !

C'était ironique, quelque part.

Je reprochais à tout le monde d'en faire tout un fromage, de ce temple, et maintenant que quelqu'un pensait comme moi, je lui reprochais de justement ne pas en faire tout un fromage...

Shion

— Tu vas pas me dire que

tu ne comprends pas l'énormité de ce crime, quand même ?

Rika

— ... Le temple des reliques sacrées est un endroit très important pour la déesse Yashiro.

Les gens n'ont pas le droit d'entrer dedans comme chez eux.

Shion

— Eh ben alors, tu vois que tu le sais ?

Eh ben, ces quatre gusses l'ont souillé, ce temple.

Rika

— ... C'étaient des vilains chats.

Miaou ! Miaou !

Shion

— Oh, oui, de très vilains chats.

On en a attrapé deux et on les a punis.

Mais il en reste deux.

Rika

— ... Miaou !

Shion

— Alors, comment on leur fait payer ça ?

En tant que chef du clan, tu dois bien avoir ta petite idée là-dessus, non ?

Rika ne modifia en rien son expression. Il m'était toujours impossible de savoir à quoi elle pouvait penser.

Mais plus je la maintenais en l'air, et plus je me rendis compte de ce qu'elle faisait.

Elle était assez affolée, et cherchait désespérément à comprendre ce que j'avais l'intention de faire...

Rika

— ... J'ai envie de prendre ces deux petits chats...

de les gronder et de leur pardonner.

Shion

— Et tu crois que ça va suffire pour payer ?

Rika

— Mii, je ne comprends pas pourquoi tu t'acharnes avec cette idée de payer.

Shion

— Oh, mais c'est une excellente question, alors laisse-moi te donner une petite leçon de choses.

Shion

Quand on a commis un crime, il faut payer sa dette.

Shion

On ne peut pas laisser un crime impuni.

Shion

Si l'on fait ça, la déesse Yashiro sera encore plus en colère.

Shion

C'est pourquoi plus le crime est grand, plus il faut payer.

Tu comprends, ça ?

Rika

— Mais... la déesse ne s'énerve pas pour si peu ? Entrer dans le temple, ce n'est pas la fin du monde.

Shion

— Hein ? Mais qu'est-ce que tu racontes ?

Rika

— ... Il est interdit de pénétrer dans le temple car les objets qui sont rangés dedans ont servi à faire des choses horribles,

et que les gens pourraient en avoir peur.

C'est pourquoi ils sont cachés dans le temple.

Rika

D'ailleurs, ceux qui sont entrés ont dû avoir très peur en les voyant.

Et je suis sûre qu'ils regrettent.

Shion

— Et tu comptes leur pardonner, juste comme ça ?

Mais pour qui tu te prends, c'est à la déesse Yashiro de prendre la décision !

Rika

— ... Mion, je suis la prêtresse de la déesse Yashiro, je te signale.

Shion

— Je le sais, merci !

Ou bien quoi, tu lui as demandé et elle t'a dit que non, ça ne la dérangeait pas, peut-être ?

Rika acquiesça sans hésitation.

Je la regardai, sidérée. Elle avait quand même pas dit ça ?

Je l'ai rêvé, c'est pas possible !

Shion

— Ha !

Non mais tu t'es écoutée ? C'est pas étonnant que tes parents soient morts de la malédiction !

La déesse en a sûrement eu marre d'avoir cette bande d'incapables pour s'occuper de son culte

et s'est mise en colère !

Rika

— ... Non, ce n'est pas le genre de la déesse Yashiro.

Père n'a pas... Père n'a pas été tué par la malédiction.

Shion

— Tss,

et ça, c'est la dernière prêtresse du temple ?

Eh ben pas étonnant que la déesse soit sur les nerfs !

Quand je pense que c'est à toi que l'on confie le soin du culte de la déesse, en plus !

C'est déprimant !

Rika

— ... Mii, je ne vois pas pourquoi tu te mets en colère, en fait.

À cet instant, je sus.

Elle n'avait peut-être pas trop d'influence sur les décisions, mais en tout cas, elle était forcément tenue au courant de tout, même des trucs pas très reluisants.

Elle connaissait les détails sur les meurtres de cette année, et elle en parlait le plus naturellement du monde.

... Et en plus, elle garde toujours la même tête, je n'arrive rien à lire dans son regard.

Bordel, mais c'est pas croyable !

Elle est encore plus douée que moi pour cacher son jeu !

Je lui mis quelques baffes et la repoussai.

Elle était tellement légère que cela suffit à la faire rouler en arrière. Elle releva la tête, les larmes aux yeux.

Shion

— Tout ça a commencé parce que tu voulais une autre serrure, non ? Tu t'es plainte que c'était trop lourd, si je me souviens bien.

Rika

— ... Oui, c'est vrai.

C'était trop dur à manipuler pour moi. Alors j'en ai parlé à Kimiyoshi et il a fait changer la serrure.

Shion

— Si tu n'avais pas été fainéante, si tu avais gardé tout comme c'était, on n'en serait pas là aujourd'hui.

Tu devras prendre tes responsabilités à cause de ça un jour ou l'autre.

Ne t'avise pas de l'oublier.

Shion

Et le chef des Kimiyoshi aussi devra payer...

J'étais un peu en train de parler sans savoir, mais bon.

En amenant sur le tapis cette histoire de changement de serrure, j'essayais de lui faire croire que c'était lié à la disparition du maire.

Et comme elle était impliquée là-dedans, je lui mettais, l'air de rien, la pression.

Shion

— Le chef des Kimiyoshi a déjà payé.

C'est pour ça qu'il a disparu.

Rika

— ... ... ...

Shion

— Le chef des Furude devra payer aussi, un jour ou l'autre.

Rika était toujours à terre. Incapable de faire autre chose que de pleurer face à mon comportement, elle finit par baisser la tête, toujours au sol.

Shion

— Il ne reste plus que Keiichi Maebara.

J'aimerais que le clan Furude s'occupe de son châtiment.

Rika

— ... Je

ne sais pas ce que je devrais faire...

Shion

— Tu n'as rien besoin de faire, pourtant ?

Tu n'as qu'à te plaindre de lui en public.

Quelqu'un finira bien par le supprimer à ta place.

Je peux compter sur toi ?

Rika

— ... C'est pas vrai...

Rika ne s'était toujours pas relevée.

Elle avait l'air de vouloir me répondre quelque chose, mais aussi de savoir qu'elle en prendrait encore plus dans la figure si elle le faisait.

... Je n'arrive pas vraiment à m'imaginer que Rika Furude soit aussi en position de donner des ordres, comme la vieille folle.

Ce n'est pas très réaliste, mais en même temps, elle était nettement plus au courant que moi des choses peu claires qui se passent par ici, et ça, c'était un fait avéré.

Normalement, avec ça, tous les assassins potentiels du village devraient être au courant pour Keiichi.

Hier, j'ai prévenu le conseil.

Aujourd'hui, le clan Furude.

Et j'ai lourdement insisté.

Normalement, il ne devrait pas tarder à être “enlevé par les démons”.

Il va falloir bien l'observer pour tirer sur la ligne à temps et pêcher mes ennemis.

Si c'est un assassin aux ordres de Rika, alors...

elle morflera comme la vieille folle.

Je ne lui ferai pas de cadeau simplement parce qu'elle est toute jeune.

Je lui ferai subir les pires mutilations avant de la tuer...

Ah, il me semble avoir entendu dire qu'on avait une cloueuse parmi les objets de torture.

J'ai trouvé le meuble sur lequel on fixe les mains hier soir, en regardant parmi le matériel.

... Attends un peu, ma mignonne, tu vas voir la gueule de tes petites mimines quand j'en aurai fini avec toi...

Elle devait le lire dans mes yeux, parce qu'elle se mit à reculer de peur...

Ah, au fait, il devient quoi, le vieux Kimiyoshi ?

Je ne pense pas qu'il soit mort simplement à force de rester debout, mais bon, la vie humaine tient parfois à peu de choses...

En même temps, je lui ai demandé tout ce que je voulais hier soir, ou presque, et puis, je me doute bien qu'il ne sait rien de plus.

Et puis, je sais qu'il est en partie responsable dans la mise en place du système de la malédiction.

Il est donc condamné à douiller, de toute façon.

Aah, ce brave Kimiyoshi…

Je l'ai toujours adoré, c'est vraiment dommage.

Il avait toujours été gentil avec moi.

La vieille folle était pas du genre à faire des câlins à ses petits-enfants, mais lui…

Il me passait presque tous mes caprices.

Lorsque je lui avais parlé hier soir...

et qu'il avait dit compter pardonner à Shion, ça m'avait vraiment fait super chaud au cœur.

Il avait promis de tenir tête à la vieille folle, ça m'avait vraiment fait quelque chose.

Alors ne t'en fais pas pour elle.

Si vraiment elle regrette ce qu'elle a fait, il ne lui arrivera rien.

Laisse-moi faire, tu verras.

Ça m'avait fait chaud au cœur.

J'en tremblais encore.

C'était merveilleux et triste à la fois.

Juste après m'avoir émue avec ça...

il a enchaîné en disant tout le mal possible de Satoshi. Franchement, je n'aurais jamais imaginé ça, même pas dans mes pires cauchemars.

D'après l'agencement des phrases, la conversation d'hier lui a surtout servi à rassurer Mion, qui se faisait du souci pour sa sœur.

Les Hôjô sont maudits, c'est normal s'ils se font tuer, mais les Sonozaki, c'est pas la même chose, alors ne t'en fais pas.

Oui, je suppose que c'est avec cette comparaison qu'il a voulu me rassurer.

Ce qui voulait dire qu'aux yeux des Kimiyoshi, les Hôjô étaient des sous-merdes, des insectes, en tout cas moins que des humains.

Vivants ou morts, ils n'étaient pas suffisamment importants pour justifier de perdre du temps de cerveau à réfléchir à leur existence.

Le crime des Kimiyoshi est d'avoir propagé cette idée à tout le village.

À cause d'eux, lorsque les Hôjô sont morts, tout le village s'est simplement dit que c'était dans l'ordre des choses.

À cause d'eux, personne n'a vu d'objection lorsqu'ils se sont fait tuer.

C'était simplement la malédiction. C'était normal.

En ce cas...

... j'imagine que si Takano et Tomitake n'avaient pas attiré la colère des habitants en entrant dans le temple,

les victimes de cette années auraient été les derniers survivants des Hôjô. Comment s'appelait l'oncle, déjà ? Teppei, je crois. Et puis la sœur de Satoshi aussi.

... Oui, Satoko Hôjô...

Toujours à se cacher dans les jambes de Satoshi, toujours à lui faire des caprices.

Toujours à pleurer et à se jeter sur son frère en espérant qu'il la sauverait.

... Vu que lui ne savait pas comment dire non, il lui passait tout. Elle était en grande partie responsable du stress qu'il avait eu.

Si elle n'avait pas été un tel fardeau pour lui,

il n'aurait peut-être pas été contraint de tuer sa tante.

... Il me semble que l'inspecteur Ôishi pensait que…

quelqu'un avait soufflé à Satoshi l'idée de supprimer la tante,

puis avait supprimé Satoshi pour couvrir ses arrières.

Si c'était le cas, il n'aurait pas commis le crime, qui sait ?

Il n'aurait peut-être même pas été choisi comme victime.

Je me doute bien que l'ordre donné a été assez vague, en fait. Il a suffi de dire qu'un Hôjô serait maudit, et le tour était joué.

N'importe quel Hôjô faisait l'affaire, personne ne les aimait dans le village.

La tante de Satoshi était très mal vue dans son quartier, ce qui était assez compréhensible.

Elle s'entendait mal avec tout le monde, elle était hystérique et n'avait aucune qualité respectable par ailleurs.

... Je parie que Satoshi n'aurait pas eu à se salir les mains, quelqu'un d'autre l'aurait volontiers tuée à sa place.

Donc on aurait eu un Hôjô avec une mort horrible.

Plus qu'à en faire disparaître un autre pour calmer la colère de la déesse.

Il paraît que son oncle vivait avec l'une de ses maîtresses, quelque part à Okinomiya.

Mais bon, Okinomiya, c'est moins... influençable.

Oh bien sûr, le clan Sonozaki est très influent à Okinomiya,

mais... même eux ne pourraient pas enlever quelqu'un au vu et au su de tout le monde et étouffer l'affaire. À Hinamizawa, je ne dis pas, mais Okinomiya, non...

Donc automatiquement, les deux seules cibles qui restaient étaient Satoshi et sa sœur Satoko.

Lequel des deux choisir pour la malédiction ?

La question ne se pose même pas.

Évidemment, il fallait prendre sa conne de sœur, cette gamine insolente, capricieuse et pénible.

Satoshi était toujours calme et compréhensif, les gens l'aimaient bien dans le quartier.

Oui, c'était le fils des traîtres du village,

mais comparé à sa sœur, il n'avait aucune raison d'être assassiné.

Ce qui voulait dire que l'année dernière...

ç'aurait normalement dû être sa tante et sa sœur qui y passaient.

En une seule nuit, il se serait retrouvé seul au monde.

Il n'aurait plus eu son hystérique de tante, ni son connard d'oncle,

ni même le parasite énorme qui lui servait de sœur.

C'était un tendre, Satoshi, je suis sûre qu'il aurait vraiment souffert, même si ses problèmes étaient plus ou moins réglés, et même si cela le rendait plus ou moins libre.

Mais le Temps guérit toutes les blessures.

Et puis, j'aurais été là pour le consoler...

Et puis, il n'aurait plus eu besoin de vivre à Hinamizawa.

Il y avait tellement de chambres et d'appartements libres là où j'avais mon appartement.

Et pour payer le loyer, il aurait pu facilement obtenir un job, grâce à moi et ma famille.

Pour l'école, il n'aurait pas eu besoin de faire tout le chemin jusqu'au village,

il n'aurait eu qu'à s'inscrire à mon école.

Il n'a jamais été à l'autre école d'Okinomiya, et puis, il ne connaît pas trop le coin.

J'aurais dû être constamment à ses côtés.

Je lui aurais appris les raccourcis pour aller à l'école, les petites ruelles, les petits magasins géniaux un peu à l'écart...

Ç'aurait été un happy end tout ce qu'il y a de plus merveilleux.

Une fin heureuse, chaude, gentille, confortable, réjouissante,

un rayon de soleil dans notre histoire glauque, dans nos histoires glauques, même, lui qui avait tant souffert, et moi qui avais toujours dû me cacher pour vivre.

Mais malheureusement, je ne pouvais même plus me complaire à m'imaginer vivre dans le bonheur.

Vu qu'Oryô ne répondait plus au téléphone, tous les gens qui avaient quelque chose à lui dire, à elle ou au Clan en général, s'étaient passé le mot pour appeler à l'heure où je rentrais de l'école.

D'ailleurs, c'est bien simple, je n'ai fait que répondre au téléphone de toute l'après-midi, avec uniquement de très courtes pauses. Même pas le temps de penser à Satoshi...

Je me gardai bien de trop parler, et ne fis plus ou moins qu'écouter toutes les infos que les gens voulaient me faire parvenir.

Comme je l'avais pensé, tout le monde au village savait désormais que Keiichi Maebara serait la prochaine victime.

Je décidai de faire courir le bruit que le maire avait été puni pour avoir changé la serrure…

ce qui finalement avait encouragé les hérétiques au crime.

La plupart des anciens du conseil eurent l'air terrorisés en entendant cela -- et pourtant ils accordaient beaucoup plus d'importance que moi à cette intrusion dans le temple.

Parmi tous les appels reçus, il y en avait eu un de l'inspecteur Ôishi.

Il me fit part d'une rumeur qu'il avait entendue à ce sujet : le maire aurait disparu parce qu'il aurait fait changer la serrure du temple.

... Il était vraiment très impressionnant.

Son réseau d'informateurs était super efficace : j'avais moi-même fait courir cette rumeur depuis aujourd'hui.

Mais Ôishi avait un gros défaut : il ne faisait que retenir avec ses bras le flot d'informations.

Il n'arrivait pas à remonter le courant jusqu'à la source.

Plus tard ce soir, il faudra que j'appelle Keiichi.

J'imagine bien que les membres les plus actifs du conseil sont déjà en train de préparer leur coup.

J'espère en tout cas que Keiichi a pu sentir le danger qui le guette.

Je dois absolument faire attention à ce qu'il ne se fasse pas tuer trop facilement.

Si j'arrive à le sortir de là à temps, je pourrais m'en servir pour appâter les meurtriers une deuxième fois.

... Sacré lui, quand même.

Cela ne faisait pas si longtemps que ça que je le connaissais, en fait.

Il n'était pas très intelligent, mais il savait me faire rire, c'était toujours ça.

Oh, il était évident qu'il était loin de pouvoir rivaliser avec Satoshi.

Mais bon, c'était toujours sympa de l'avoir pas loin.

En fait, il n'y a qu'une seule chose qui m'énerve chez lui.

... C'est sa propension à me caresser la tête sans se gêner.

Ce qui m'énerve surtout d'ailleurs, c'est que sa main ose dégager la même chaleur humaine que Satoshi. Ça, je ne pourrai jamais lui pardonner.

Mais bon, c'est à peu près tout ce que j'ai contre lui.

Il n'a rien à voir avec le sort de Satoshi, ce n'est pas un ennemi.

Il est marrant quand il est là,

mais s'il devait lui arriver malheur, ça ne me ferait ni chaud ni froid.

Bon, oui, je fais tout pour qu'il lui arrive malheur, justement, mais c'est pas comme si j'essayais activement de le tuer, hein.

D'ailleurs, j'ai bien dit qu'il serait puni, mais j'ai pas donné l'ordre de l'abattre.

... Ah, quoique, j'ai dit à Rika Furude de se débarrasser de Keiichi, ce midi, il me semble.

... Merde. Ça va pas le faire, ça...

Je suis là pour venger Satoshi,

pour me venger de ce système qui permet de donner des ordres sans les donner et de tuer qui bon nous semble,

mais pour ce faire, je suis moi-même en train de l'utiliser, c'est pas bon !

... Hmmm, Keiichi Maebara, hein ?

Bah, je ne fais que l'utiliser pour mes propres desseins.

C'est vrai qu'il est à moitié dans le mécanisme, maintenant, mais je peux lui donner quelques mises en garde pour qu'il puisse essayer de se protéger.

Et s'il essaye effectivement de s'en sortir, je suis prête à l'aider.

OK, c'est décidé. Si jamais...

Si jamais je devais réussir mon coup et trouver tous ceux qui sont derrière tout ça, et que Keiichi est encore en vie,

alors je le laisserai filer.

Je ne suis pas comme la vieille folle. Je ne suis pas du genre à insuffler des idées bizarres dans la tête des gens et à les supprimer une fois qu'ils ont fait ce que je voulais.

Je ne tuerai pas Keiichi.

Ce n'est peut-être qu'une seule différence, mais c'est une différence de taille. Je ne suis PAS comme la vieille folle...

Dehors, le ciel passa du pourpre au bleu profond.

Je devais préparer à manger.

Si je ne mangeais rien, je n'aurais pas d'énergie, et sans énergie, pas de revanche. Et j'avais une revanche à prendre.

Dans ce petit village reclus de tout, souvent enseveli sous la neige en hiver, il n'était pas rare d'avoir plusieurs réfrigérateurs de grande taille -- on n'était jamais assez prudent.

Et dans ceux d'ici, je trouvai de quoi tenir pendant très longtemps sans avoir à aller faire de courses à l'extérieur.

Depuis l'extérieur, les cris stridents des cigales du soir transpirèrent à travers les fenêtres.

Beaucoup de gens associent le chant des cigales avec une certaine nostalgie de leur enfance.

Mais moi, c'est tout le contraire.

Il n'y a bien qu'à Hinamizawa que j'aie jamais entendu les cigales chanter.

C'est pourquoi je les associais toujours à ce village.

Et ce village, ce n'était pas là où j'habitais, je n'avais pas eu le droit d'habiter ici, je n'avais rien à faire ici. C'était triste, quelque part.

Je fus surprise par la sonnerie de la porte d'entrée.

La porte principale de la résidence était assez éloignée, il avait donc fallu installer une sonnerie et un interphone.

Il y avait même une caméra de surveillance, pour tout dire.

Ça faisait bizarre de voir un moniteur pour cette caméra dans la cuisine. J'étais dans un village rural, bien comme il fallait, qui fleurait bon le passé, pourtant !

J'allumai l'écran, mais je n'eus aucune image.

... Je devinai que cela devait être le câble qui était décroché, aussi me penchai-je derrière le moniteur pour le retrouver, mais il se perdait dans les câbles électriques des autres appareils. Je n'avais pas la moindre idée de quel câble cela pouvait être.

Alors que j'étais en train de me demander si c'était moi qui étais trop conne ou si effectivement, le moniteur était cassé, la sonnerie retentit une nouvelle fois.

... Franchement, j'aurais préféré aller répondre après avoir vérifié qui c'était -- pas la peine de me montrer à n'importe qui non plus.

Et puis, je pourrais faire semblant de ne pas être là, aussi.

M'enfin, c'était peut-être pas très malin, en fait.

Je suis là, tous crocs découverts, à attendre l'ennemi.

Il faut que je reste tapie dans l'ombre à observer, d'accord, mais me barricader ici, c'est pas la même chose.

Tout le monde devrait savoir que la vieille folle ne se sent pas super bien et qu'elle est très en colère.

J'ai d'ailleurs bien insisté sur le fait qu'elle ne voulait voir personne.

... Et pourtant, il y a quelqu'un qui vient nous voir... Qui est-ce que ça pouvait bien être ?

... Prenant ma décision, j'appuyai sur le bouton de l'interphone.

Si c'est quelqu'un de pénible, je n'ai qu'à l'envoyer paître.

Mais il faut que ce soit naturel, sinon, les gens auront des soupçons...

Alors allons-y gaiement, restons naturelle...

Shion

— ... Oui ?

Qui est-ce ?

Rika

— Bonsoir, bonsoir.

La voix ne donna pas son nom, mais je la reconnus immédiatement.

Shion

— Oh, Rika ?

... Un problème ? Que viens-tu faire ici

à une heure pareille ?

Rika

— ... Eh bien en fait, je suis venue demander un peu de sauce de soja.

De la quoi ?

Me retenant de crier haut et fort ma surprise, je considérai la situation.

La ville était plutôt loin, donc si les gens avaient l'habitude de prendre des stocks, ils devaient sûrement se prêter ce qu'il leur manquait en cas de pénurie imprévue. C'est pas impossible, comme scénario.

Surtout si le village est coupé du monde extérieur en cas de grosses chutes de neiges, là, les gens ont absolument besoin de s'aider les uns les autres.

Mais le temple Furude, c'était pas juste à côté de chez nous.

Ce n'était pas normal de la voir venir exprès ici, avec sa bouteille, elle est sûrement venue en vélo, la gamine.

Et si cette histoire...

c'était du flan ?

C'était probablement juste une excuse pour entrer.

Me retournant à nouveau vers l'interphone, je remarquai cette fois-ci une petite plaque magnétique juste à côté, sur le réfrigérateur. Elle maintenait un petit mot en place, plié en deux.

« Nous avons encore beaucoup de sauce de soja première qualité. Venez chez nous sans vous gêner ! -- la famille Sonozaki »

On dirait bien un extrait du journal du village que la vieille folle faisait publier à travers l'association des femmes au foyer du village.

L'article précisait qu'ils en avaient plusieurs tonneaux,

et que les gens pouvaient venir avec leurs grandes bouteilles...

Je vois, ceci explique cela, en fait.

Au dos de l'article, je remarquai une écriture différente -- sûrement l'une des femmes qui aidaient au ménage.

« La sauce de soja est en dessous de l'étagère des légumes séchés.

Donnez-en autant que vous voulez. »

Devant l'étagère des légumes, il y avait une trappe au sol.

Je l'ouvris et trouvai un soubassement avec plusieurs jarres basses en terre cuite, bien encapuchées. Pas de doute, les voilà. Il y avait un entonnoir et une louche à manche long.

... Bon, d'accord. Et puis, je ne veux pas que les gens se doutent de quelque chose, c'est encore trop tôt.

Je vais la lui donner, sa sauce de soja.

Shion

— Ok, pas de problème.

Tu as ramené de quoi transporter de la sauce ?

Rika

— J'ai ramené notre grande bouteille de 1,8l.

Shion

— D'accord.

Vas-y, rentre.

Je t'attends à l'entrée.

Au moment où je tournai les talons pour sortir de la cuisine, la sonnerie retentit une troisième fois.

Rika

— ... Mii, c'est fermé de l'intérieur, la porte ne s'ouvre pas.

Shion

— Aah, j'ai complètement oublié.

Désolée,

bouge pas, j'arrive.

Hinamizawa était un petit patelin, les gens avaient confiance en leurs voisins, personne ne fermait sa porte à clef. En tout cas, très peu de monde.

Mais moi, évidemment, j'avais passé toute ma vie dans des quartiers sensibles en ville, c'était tellement normal de fermer à clef que je faisais ça sans le remarquer...

Je dus mettre des sandales et sortir exprès dehors pour lui ouvrir la porte.