Je fis un rêve magnifique.
Un rêve dans lequel Satoshi était revenu dans ma vie de tous les jours, comme si jamais rien ne s'était passé.
Comme si rien ne s'était passé, il était revenu prendre sa place dans l'équipe de base-ball.
Le Chef et moi avions décidé nous aussi de faire comme si rien ne s'était passé, et ne parlions jamais de son absence.
Comme d'habitude, il était doué à l'entraînement, mais mauvais pendant les matches officiels.
Roh, Satoshi !
Mais pourquoi tu rates tout quand c'est important ?
Mince, mets-toi à la place de tes supporters !
Et là, il avait rougi, un peu gêné, un peu content, et il avait murmuré son mot fétiche.
— ... Mhhm.
Je sentis les larmes rouler sur mes joues.
Encore.
Et encore...
de plus en plus fort...
— ... Satoshi... Satoshiiii...
Aaah... Oooh......
Incapable de me retenir, je me mis à brailler comme une gamine.
Le rêve commença à se dissiper dans mon esprit, au fur et à mesure que mes larmes coulaient.
Plus je frottais mes yeux pour essuyer mes larmes, et plus il disparaissait, et lorsque je pus à nouveau distinguer clairement la pièce où j'étais, il n'était même plus dans mes souvenirs.
Le soleil matinal filtrait à travers les rideaux.
J'étais dans la demeure principale du Clan, dans la chambre de Mion.
... Je ne me souvenais pas être retournée ici.
Il n'empêchait que j'étais recroquevillée dans un coin de la chambre, en train de pleurer.
... J'avais seulement fait un rêve. Un beau rêve, mais seulement un rêve.
Je me haïssais pour avoir eu la stupidité de me réveiller.
Mais je n'avais pas le choix.
Je vivais dans le monde réel, pas dans un rêve, alors forcément, je devais me réveiller.
J'avais par contre l'impression que Satoshi était à nouveau à mes côtés.
Qui sait ? Avec un peu de chance, je n'étais pas la seule à avoir fait ce rêve...
— ... Satoshi ?
... Tu es de nouveau là ? Tu es revenu ?
La présence tout près de moi ne répondit pas.
En même temps, c'était la règle.
Mais je dois dire que si vraiment c'était Satoshi, il aurait pu au moins me faire un signe.
À force d'attendre sur sa réaction, je finis par me demander si vraiment il était revenu à mes côtés.
Si ça se trouvait...
j'étais tout bêtement en train de m'imaginer sa présence...
J'entendis alors le téléphone sonner dans le vestibule.
... Aaah, c'est vrai.
Je suis toute seule ici, maintenant,
il faut que je réponde, j'ai pas le choix.
Je me levai pour aller à l'entrée.
... Je me mis à tituber, et dus me retenir précipitamment au mur pour ne pas tomber.
Ce n'était pas si surprenant que ça, j'avais vraiment très peu dormi.
Je me sentais presque un peu fiévreuse.
Le téléphone était toujours en train de sonner.
... J'aurais pu tout à fait ne pas répondre du tout.
Mais j'étais tellement la tête dans le jazz que cela ne me vint même pas à l'esprit.
— ... Oui allô, vous êtes bien chez les Sonozaki.
— Désolé de te réveiller de si bon matin.
Elle dort encore, la mémé ?
C'était le maire, ce brave vieux Kimiyoshi.
— Oui.
On dirait bien que la journée d'hier a été très dure pour elle.
Je compte la laisser dormir encore un peu.
— ... Oui, je ne voudrais pas la forcer à se lever.
Et toi, Mion, tu te prépares à aller à l'école, j'imagine ?
Tu sais quoi, je vais te demander de lui laisser un mot près de l'oreiller, s'il-te-plaît.
— C'est compris.
Je lui dis quoi ?
— Eh bien, euh...
À cause des événements d'hier, nous avons fixé une réunion pour les membres du comité d'organisation. Tu peux lui dire d'être là pour 17h, dans la salle du temple Furude ?
— ... C'est entendu,
je fais passer le message.
À peine avais-je posé le combiné sur son socle que le téléphone se remit à sonner.
— Oui allô, vous êtes bien chez les Sonozaki.
— Désolé de vous appeler de si bon matin, ici Kasai à l'appareil.
Mademoiselle Mion, est-ce vous ?
Bonjour.
— Oh, Kasai ? Oui, bien sûr, où ai-je la tête,
bonjour Kasai.
— Est-ce que mademoiselle votre sœur est encore chez vous ?
... Je n'avais pas lieu de paniquer, mais j'eus un moment d'hésitation.
Je pouvais dire que je n'étais pas là.
Mais je pouvais aussi jouer les deux rôles.
— ... Il me semble qu'elle est allée se passer de l'eau sur la figure.
Je vais l'appeler.
Je posai le combiné sur le côté et marchai volontairement vers l'autre bout du couloir, puis attendis quelques secondes, et revins prendre le téléphone.
— Oui allô, Kasai ?
Bonjour !
— Bonjour, Mademoiselle.
Irez-vous à l'école, aujourd'hui ?
— Non mais tu m'as regardée ?
J'ai une tête à vouloir aller à l'école, moi ?
— Non, effectivement, c'est bien ce que je pensais.
Vous avez quelqu'un pour vous ramener à Okinomiya ?
Je peux vous envoyer un jeune, si vous voulez.
— Hmmm... Non, je comptais rendre visite au vieux Kimiyoshi et à de vieux amis,
je me débrouillerai avec eux pour revenir. Ne te bile pas pour moi, va.
— Votre père m'a expressément donné l'ordre de vous faire respecter le nombre minimum de jours de présence, vous savez.
Aussi incroyable que cela puisse vous paraître, je tiens à mon auriculaire, alors essayez quand même d'être coopérative.
— Ahahaha, bah, si ça me chante, à l'occasion, j'y penserai.
... ... ... Dis-moi, Kasai, tu...
Tu es au courant ?
— Au courant de quoi, Mademoiselle ?
— ... Pour hier soir.
— Oui, j'ai appris la nouvelle.
Ça fait plutôt froid dans le dos.
— Jusqu'à présent, toutes les victimes de la malédiction avaient un rapport plus ou moins direct avec le barrage, non ?
Pourquoi c'est plus le cas, cette année ?
T'en penses quoi ?
— Allez savoir...
Ce n'est pas de mon ressort, alors je dois vous avouer que je ne m'y intéresse guère.
Kasai n'avait jamais été du genre à en dire plus que nécessaire.
Je savais qu'il ne ferait pas de chichis dans ses réponses.
— ... Tu sais pourquoi les deux victimes d'hier soir ont été tuées par la malédiction ?
— Non, du tout.
— Eh ben en fait, j'ai entendu dire que...
qu'ils sont entrés dans le temple des reliques sacrées pendant que tout le monde regardait la cérémonie.
Ils auraient ouvert le cadenas avec une épingle à cheveux ou quelque chose.
À l'autre bout du fil, il y eut un long silence.
Coupant ma respiration, je tentai d'entendre la réaction de Kasai.
J'espérais qu'il répondrait quelque chose du genre :
« Quoi, ils se sont fait tuer juste pour ça ?
N'est-ce pas un peu exagéré ? »
— ... Je vois.
Quels idiots.
— Hmm ? Ahahahaha,
bah, j'imagine que Tomitake était pas très au courant, il n'était pas de chez nous, hein.
Je jouai la sûreté et tombai d'accord avec lui pour la forme, mais en mon for intérieur, c'était plutôt chaotique.
Kasai avait sans hésiter approuvé l'équation “pénétrer dans le temple interdit = finir victime lors de la malédiction”.
C'était justement parce que je le connaissais depuis longtemps que je comprenais l'importance de ce qu'il disait dans ces petits commentaires.
— Et en fait, euh... Kasai, je…
Ahem.
Euh, ben… Moi aussi.
— ... Vous êtes entrée dans... ?
— Hmmm,
oui.
Ahahaha, haha…
— Dans le temple des reliques sacrées ?
Vous aussi ?
— Oui.
Madame Takano m'a invitée,
alors elle, Tomitake, le jeune garçon qui a emménagé à la villa Maebara et moi y sommes allés, tous les quatre.
Je l'entendis pousser un long soupir déprimé au bout du fil.
Il n'avait pas besoin de me le dire ni de me le formuler, je sentais bien qu'il était atterré par mon comportement.
Je crois bien que c'était la première fois de ma vie qu'il était vraiment en colère contre moi.
— Écoutez, Mademoiselle,
vous vous êtes déjà fait remarquer l'année dernière.
Comment comptez-vous payer l'addition, cette fois-ci ?
— Euh...
Ben, l'année dernière, c'était trois ongles, alors... j'imagine que cette année, ce sera cinq ?
— ... ...
— Non, je... Je te demande pardon.
Mais tu sais, je me doutais bien que je me ferais engueuler, hein ?
Mais enfin... Ben, j'aurais pas cru que c'était si grave, quoi.
C'est si terrible que ça d'entrer là-dedans ?
— ... ... ... Vous faites partie du clan des Sonozaki.
Vous n'allez pas me faire croire que vous ne saviez pas, quand même ? Vous ne pensez pas sérieusement que les gens vont vous croire ?
— Ben, tu sais, j'ai toujours vécu à Okinomiya, moi, hein !
Depuis que la vieille folle m'a prise en horreur, je ne viens plus à Hinamizawa.
Et puis, avant, j'étais enfermée à l'internat !
Je pouvais pas le savoir !
J'entendis encore un profond soupir de désolation au bout du fil.
Mes excuses étaient tellement lamentables qu'il ne savait pas quoi dire, apparemment.
— Mademoiselle.
Je suis de votre côté,
vraiment, je suis là pour agir pour votre bien.
Je suis prêt à vous croire, mais je ne peux pas faire de miracle, je ne peux pas vous couvrir sur tout et n'importe quoi, ça ne peut pas marcher comme ça.
D'une, vous all--
— Ah, euh,
excuse-moi,
mais Mion rapplique, je raccroche,
ciao !
Je reposai brusquement le combiné sur son socle.
Je ne voulais pas écouter ce que Kasai avait à me dire.
Je ne pensais pas pouvoir supporter ses reproches.
Depuis ma plus tendre enfance, il avait toujours été là pour moi, et je n'aurais pas supporté l'entendre me passer un savon.
— Ahaha, haaaa…
Eeeh merde…
Je suis vraiment mal,
là...
J'entendis les grillons du dehors,
dont le cri me rappela l'huile de friture.
C'était presque comme s'ils m'avaient mise dans une poêle géante...
... Un peu tardivement, le remords m'assaillait.
Donc en fait, rentrer dans ce temple, c'était vraiment pas le gag qui faisait rire les gens, par ici.
Et pourtant, j'avais bien su, avant d'y pénétrer, que c'était un truc à s'attirer de gros ennuis.
De toute façon, s'il y a un cadenas sur la porte, c'est que les gens ne sont pas censés y entrer comme dans un moulin.
Mais alors à ce moment-là, ils n'avaient qu'à garder le lourd mécanisme d'avant !
Pourquoi l'ont-ils changé, déjà ?
Rika avait dit qu'il était trop lourd pour elle ou une connerie comme ça, non ? C'est pour ça qu'ils avaient mis un cadenas à deux balles.
Il faut pas s'étonner, ensuite, que madame Takano vienne essayer d'entrer, hein...
Si la serrure n'avait pas été changée, ce ne serait pas arrivé !
Je me mis une gifle à moi-même.
Allez.
... Respire un grand coup...
Il faut se calmer, là...
C'est plus maintenant qu'il faut psychoter.
Cela fait depuis hier soir que je ne peux plus revenir en arrière. C'est trop tard maintenant !
Maintenant que je suis engagée sur cette voie, je ne peux plus me permettre d'hésiter.
J'ai déjà tué la vieille.
Même si c'était un accident, même si c'était le tazer et que c'était pas ma faute, elle était morte. Et si par hasard elle était seulement dans le coma lors des coups de fouets, je pense pouvoir affirmer sans trop me mouiller que la chute dans le puits lui a été fatale.
Alors maintenant, même si je me coupais cinq ou six doigts en demandant gentiment pardon, ça ne passerait plus.
J'eus l'impression de perdre l'équilibre, et dus vérifier que mes pieds touchaient bien le sol.
C'était un peu comme quand vous escaladiez les barrières autour des balançoires, ou plutôt comme quand vous marchiez sur des cordes.
C'est très rigolo parce que lorsqu'on tombe, la chute n'est que de quelques centimètres.
... Mais si la chute était si vertigineuse que le sol n'était même plus visible au loin, alors je crois que les gens ne trouveraient pas ça rigolo du tout.
Sauf que moi, j'étais déjà perchée tout là-haut, comme une funambule.
Je ne pouvais plus en redescendre en faisant des pas en arrière.
Il n'y avait plus rien derrière moi.
J'étais donc là, debout sur la corde, très loin du sol.
C'était déjà très difficile de rester debout sans tomber.
Ce n'était pas un terrain stable, un moment d'hésitation ou d'inattention pouvait me faire tomber au fond du précipice.
Mais en même temps, si je restais ici, j'étais sûre de tomber. Alors je devais avancer. Et cela voulait dire me mettre dans une position encore plus dangereuse...
Car je ne voyais pas où je devais aller.
Je n'étais pas sûre de retrouver la terre ferme à l'autre bout de la corde.
... Mais bon, c'était toujours mieux que d'attendre une mort certaine sans rien faire.
Alors allons-y ! Il faut aller de l'avant !
Quitte à mourir, autant le faire en essayant de se bouger et de survivre, non ?
Et même si me bouger me précipitait seulement plus vite vers une issue inévitable, je pourrais au moins me consoler en me disant que j'ai vraiment fait tout ce que j'ai pu !
... Mais je suis peut-être trop optimiste.
Si je suis vraiment toute proche de la fin, alors autant l'accepter.
Mais je ne suis pas prête à me laisser mourir sans rien dire.
Je mettrai des bâtons dans les roues du destin, encore, et encore, et encore !
J'ai tué la vieille folle.
Si je passe devant un tribunal, je suis sûre de finir avec la peine de mort !
Donc tôt ou tard, je finirai par mourir.
On pourrait presque dire…
qu'en fait…
je suis déjà morte.
— ... Si de toute façon je peux me considérer comme morte et enterrée…
Autant faire le maximum.
Je serrai les poings.
Même si je dois mourir,
je ne mourrai pas toute seule, ou en tout cas pas en vain.
C'est maintenant ou jamais l'occasion de venger Satoshi.
Qui a fait ça ? Pourquoi ? Dans quel but ?
Je dois faire des recherches.
Je dois demander au maximum de gens.
Je découvrirai ce qu'il s'est passé.
Et alors, ils paieront...
Je vais commencer par m'en tenir à la direction que j'ai prise hier.
Je peux toujours faire croire que la vieille est vivante, en tout cas encore un peu.
Il me suffit de dire que la fête a été éprouvante pour elle.
Quant à l'absence de Mion, je n'ai qu'à la remplacer.
Par contre, il me faudra clairement montrer que je ne suis pas dans mon assiette, sinon sa bande de joyeux drilles va tout de suite voir à travers la supercherie.
Heureusement, j'ai réellement besoin de sommeil, je n'aurai pas à me forcer.
Si je deviens Mion, Shion disparaîtra, automatiquement.
J'ai dit à Kasai à l'instant que Shion avait pénétré dans le temple des reliques sacrées, donc si jamais les gens se posent des questions, il pourra faire courir le bruit que j'ai été “enlevée par les démons”.
... Mouais. En fait, il me reste plus qu'à m'occuper du quatrième homme de la soirée : Keiichi Maebara.
Je peux m'en servir comme appât pour attirer mes ennemis en prenant le moins de risques.
... Désolée mon cœur, mais je ne te laisse pas le choix.
C'est dommage, je te trouvais marrant.
Bon... Allons à l'école.
J'ai déjà remplacé ma sœur une fois l'année dernière, alors je sais comment ça marche.
Je regardai ma montre : les cours allaient bientôt commencer.
— Miiiiii !
T'es en retaaaaaaaard !
— Haaa,
haa, haaa,
ouais, je sais ! Mais pourquoi vous m'avez attendue ?
Je t'avais dit que tu pouvais aller devant...
— Eh ben alors, Mion ?
T'es pas un peu rouge, dis voir ?
T'as l'air essoufflée, aussi.
— Mii, tu n'es pas bien ?
Sans se gêner, Rena poussa les mèches de ma frange et plaça sa main sur mon front.
— Tu as les mains froides.
— Non, c'est toi qui as de la fièvre.
— Mais non, c'est rien.
Ça partira tout seul cet après-midi.
— T'es sûre ?
Te force pas, hein ?
— Tiens donc ?
Depuis quand tu t'inquiètes pour moi, toi ?
Ahahaha... merci, c'est gentil.
Je pensais que ce n'était qu'un gamin farceur ; j'étais vraiment surprise de le voir se préoccuper de ma santé.
Je restai un moment sans réagir, clairement déroutée.
— Non, tu ne devrais vraiment pas te forcer.
Je peux en parler à la maîtresse, si tu veux ?
— Mais non, tout va bien !
J'ai pris des médicaments.
Ce sera vite passé.
— Bon, alors, allons-y.
Je veux pas te brusquer, mais on n'a plus trop
le temps.
— Aaah !
Vite, courez !
— Ahahahahaha !
La journée démarre sur les chapeaux de roues, dites-moi !
C'était exactement ce qu'il me fallait !
Allez, zou !
— Bien. Déléguée, à vous.
— ... Ah, euh, oui !
Levez-vous !
Ga~~arde à vous !
Je m'étais déjà fait avoir la dernière fois, non ?
C'est pas vrai, je suis vraiment trop conne...
— Mii, t'es sûre que ça ira ?
Tu n'as vraiment pas l'air bien, aujourd'hui...
— Oh, est-ce donc vrai ?
Mais quelle infortune, ma chère, vous êtes bien à plaindre.
J'ai eu une bonne idée en jouant les malades.
Mon comportement a beau faire tâche par rapport aux autres jours, l'excuse est toute trouvée.
— Bah, j'imagine bien ce que c'est, va.
Les fameux jours du mois où les filles ne se sentent pas bien, n'est-ce pas ?
— ... Ce genre de jours n'apparaissent pas encore dans mon calendrier.
Nipah☆!
La bande de gais lurons s'amusa un peu à mes dépens, mais en faisant attention à ne pas me brusquer.
... Hmmm, Keiichi Maebara, hein ?
Si lui venait à disparaître du jour au lendemain, ce serait pas bon pour moi.
Ce serait comme un pêcheur qui s'endort devant sa ligne après avoir fixé un appât, et qui rate une grosse prise.
Je devais absolument l'observer et le surveiller de très près si je ne voulais pas rater le moment où les meurtriers viendraient le cueillir.
Mais je ne pouvais pas non plus le surveiller 24h sur 24.
Et simplement le regarder du coin de l'œil à l'école, ce n'était pas assez en terme de surveillance.
Je devrais peut-être l'approcher en tant que Shion et lui faire comprendre qu'il est en danger ?
Je pourrais même lui proposer de m'associer avec lui pour développer une stratégie de défense en commun, en fait...
Il se doute bien que ce qu'il a fait était répréhensible, mais il n'imagine certainement pas que cela mérite la mort...
Et puis, les affaires de la malédiction sont mises au secret depuis l'année dernière.
Les chefs des trois clans principaux ont été mis au courant la nuit du meurtre, mais Keiichi...
Il ne sait certainement rien.
Je pense que lorsqu'il comprendra le pétrin dans lequel il est, il se montrera beaucoup plus prudent.
... Et comme ça, ce sera plus facile de savoir qui essaie réellement de l'approcher...
Keiichi se fit caler par la maîtresse en train de buller, et elle l'envoya se passer de l'eau sur la figure.
... Moi aussi, j'étais très fatiguée.
Je devais rester super prudente, je ne pouvais pas me permettre de rester comme un zombie à cause du manque de sommeil.
Je demandai à la maîtresse l'autorisation de partir, prétextant ma mauvaise santé.
Grâce au chiqué que j'avais fait toute la matinée, elle n'y vit aucun inconvénient...
Une fois passée l'entrée de l'école, je vis Keiichi se laver la figure à l'eau froide, comme un brave petit garçon.
— J'étais sûre que tu choisirais ce robinet.
C'est mieux ici qu'aux WC, hein ?
— Mion ?
*baille*
C'est pas bien de sécher les cours.
Ça avait l'air sympa de se frotter le visage avec de l'eau glacée...
Juste après Keiichi, j'allai à mon tour prendre de l'eau.
Mais ce fut nettement moins agréable que je ne l'avais imaginé.
— Mion, tu es sûre que c'est bien pour ton coup de froid ?
Tu es fatiguée à cause des médicaments, non ?
— Hmm ?
Non... Hahahaha, en fait, c'est un secret, d'accord ? Hier soir, après la fête, il y a eu une réunion de famille, et…
Bah, j'ai un peu abusé sur l'eau claire.
Gulp.
Je fis mine de quipper une coupe de saké.
— T'as la gueule de bois, alors ?
Eh, t'as quel âge, au juste, toi ?
Il avait l'air de me charrier, mais en fait, je voyais bien qu'il s'était réellement fait du souci pour moi.
— Bon, ben salut, alors.
La maîtresse attend sûrement.
Fais attention sur le chemin du retour, te plante pas dans le décor.
Alors qu'il s'apprêtait à repartir en classe, je l'arrêtai.
— Ah au fait, p'tit gars !
Il m'avait déjà tourné le dos,
aussi ne bougea-t-il que la tête pour me répondre.
— Qu'est-ce que tu veux ?
— J'ai une question à te poser, c'est pas super important, alors te prends pas le chou dessus, mais...
— Ben pose-la, je verrai bien.
— Hier, pendant la fête,
est-ce que t'as vu Tomitake et Takano ?
L'espace d'un instant, Keiichi se raidit -- cela ne put pas m'échapper.
D'après cette réaction, je pouvais en déduire qu'il s'en voulait d'avoir pénétré dans le temple.
De plus, il pensait que personne ne le savait, mais maintenant, il se rendait compte que Mion Sonozaki était au courant, et il ne savait pas pourquoi, et ça lui faisait peur.
... Je pense que j'ai réussi mon coup, cela devrait suffire...
— Tu sais qui c'est, quand même ?
Ce sont les deux avec qui tu parlais le soir des préparatifs.
Je pouvais lire son désarroi comme dans un livre ouvert.
J'entendais presque les rouages de sa cervelle en train de chercher une excuse.
— Hmmm, hier, tu dis.
Je sais pas, je crois.
Il est vraiment pas doué pour mentir, ni pour jouer la comédie.
... C'est clair que c'est pas lui qui a inventé le fil à couper le beurre.
Bah, c'est juste un pote à ma sœur, c'est largement suffisant.
... Il est vraiment immature par rapport à Satoshi.
... Quoique, pour ce qui était de mentir et de jouer la comédie, il fallait être honnête, Satoshi était un peu dans le même bateau.
D'ailleurs, Keiichi avait au moins le mérite d'essayer de mentir.
Satoshi serait sûrement très silencieux, à faire des “Mhhm” à tout bout de champ.
... ... ... Il vaut mieux que je pense à autre chose, c'est vraiment pas le moment.
— ... Mouais.
Bon, alors j'ai une autre question.
Hier soir, pendant la fête,
tu as vu Shion par la suite ?
Ça, c'était juste de la méchanceté gratuite de ma part.
Comme je l'avais prévu, Keiichi eut l'air sacrément secoué.
— Mais... tu m'as demandé ça hier, aussi, non ?
Je t'ai dit pourtant que je savais pas.
Quoi ?
Je lui ai demandé ça hier ?
Attends, Mion lui a demandé hier s'il ne m'avait pas vue ?
Si elle lui a demandé hier... cela ne peut vouloir dire que après le moment où nous sommes sortis du temple et qu'il a rejoint ses amies pour aller jeter du coton dans la rivière.
... ... ... Oooh, la petite salope...
Lorsque je l'ai cuisinée cette nuit, elle m'a bien affirmé qu'elle ne savait pas que nous étions entrés dans le temple...
... ... Merde...
— Je sais.
Mais je me disais que peut-être, aujourd'hui, ta réponse serait différente.
— Mais pourquoi, c'est si important ?
Ouh laa, mais c'est qu'il se rebelle ?
Il a mordu à l'hameçon...
— Pas vraiment, mais bon.
Il y a des gens…
qui racontent des choses pas très glorieuses sur vous quatre.
Je ne sais pas trop ce qu'ils ont, personnellement.
Il n'aurait pas pu être plus facile à comprendre, même avec une immense pancarte avec marqué “Eh meeeeerde” dessus.
Ce n'était pas spécialement amusant comme jeu,
mais bon…
ce n'était pas inintéressant non plus.
— Je ne crois pas que tu aies fait quelque chose de mal.
Mais je voulais juste te demander directement, histoire d'avoir ton point de vue.
Si je t'ai vexé, je te demande pardon, d'accord ?
Après m'être bien assurée d'avoir instauré le doute dans son esprit, je pris le chemin du retour.
À mon arrivée après le dernier virage avant les portes d'entrée de la propriété, je vis une femme en tablier, debout là, à attendre.
... Je crois que c'est Shimiko qu'elle s'appelle, elle aide ma sœur à entretenir la maison.
Elle n'était pas la seule, d'ailleurs, la vieille folle avait engagé plusieurs femmes pour s'occuper du gros du ménage.
— Ah ! Mion, tu tombes bien. Je ne savais plus quoi faire...
— Tiens donc, Shimiko, ben qu'est-ce qu'il se passe ?
Apparemment, c'était son jour de travail.
Elle était venue comme d'habitude, mais ne pouvait pas entrer, car tout était fermé à clef.
Elle avait appelé, mais personne n'avait répondu, alors elle était bien embêtée...
— Aah, en fait, Mémé est très en colère à cause d'un truc qu'il s'est passé hier soir, pendant la purification du coton.
— Oh...
Je vois... Ceci explique cela...
Shimiko m'avait bien l'air d'avoir fait dans son froc en s'imaginant que c'était sa faute et qu'elle était renvoyée.
— Oh, je pense qu'elle n'est pas en train de faire semblant de ne pas vous entendre,
c'est juste qu'elle est restée éveillée toute la nuit, elle doit sûrement dormir, encore. Elle n'est sûrement pas en état de se lever.
Et puis vous savez aussi bien que moi que lorsqu'elle fait la tête,
il ne faut pas l'approcher pendant un moment...
— ... Oui, c'est vrai aussi... Qu'est-ce que je vais faire...
— Il vaudrait mieux ne pas vous montrer pendant quelques jours.
Même si vous n'y êtes pour rien, si vous restez dans les parages, tout va être de votre faute.
Ne vous en faites pas, laissez-moi faire.
— Je vois...
Ce serait bien gentil de ta part, mais...
— Shimiko, je m'excuse de vous mettre ça sur les bras, mais est-ce que vous pourriez prévenir tous les autres de ne plus venir pendant trois ou quatre jours ?
Quand Mémé aura fini de bouder, je vous passerai un coup de fil, et on fera comme si de rien n'était, d'accord ?
Mais pour l'instant, il faut la laisser tranquille...
Elle se répandit en remerciements en baissant la tête bien bas plusieurs fois, puis repartit en sens inverse sur le chemin.
Elle avait certainement eu affaire à la vieille folle un jour où celle-ci avait été énervée. Elle devait être bien contente de ne pas avoir à subir ça encore une fois...
Je retournai dans la chambre de Mion, prit son réveil fétiche et le réglai sur 14h, puis je me glissai sous la couette.
Je devais absolument me reposer pour être un peu plus fraîche.
Pour être aussi plus calme, pour réagir plus vite, pour pouvoir rester zen...
L'école aura fini d'ici là.
Je pourrai reprendre contact avec Keiichi.
Au téléphone, ce sera plus simple.
En fin d'après-midi, je dois être au temple Furude, dans la salle commune de l'association, pour la réunion.
Lors de la réunion, il y aura le gratin des trois clans fondateurs, ainsi que les têtes des quelques associations de quartier qui donnent vie à Hinamizawa et aux villages alentours.
J'aurai littéralement toutes les chaînes de commande sous la main.
J'ai tout intérêt à y aller. Je n'aurai qu'à dire que je remplace la vieille folle.
Pour la suite... Il va falloir improviser.
Normalement, les disparitions de Mion et de la vieille devraient rester secrètes un bon moment.
Pas la peine de paniquer, j'ai encore de la marge...
Je regardai encore une fois l'heure,
et soudain, ce fut l'obscurité et le silence.
— Oui, allô ?
— Ah. C'est la petite sœur Sonozaki, tu sais qui je suis ?
Bonjour.
Tu as un peu de temps, là, maintenant ?
— Oh, Shion ?
Je croyais que tu aurais la gueule de bois, comme ta sœur.
— Quoi ?
Ma sœur a la gueule de bois ?
Ahahahahahahahaha !
Sacrée elle !
Keiichi n'avait donc rien remarqué à l'école, il pensait toujours que c'était Mion qu'il avait vue.
S'il n'y a vu que du feu en m'ayant sous les yeux, je pourrai l'avoir au téléphone aussi.
Je n'aurais jamais cru que c'était aussi amusant de jouer les deux rôles.
J'imagine que le fait de tourner la situation dramatique en jeu prouvait que quelque part, je m'y étais habituée.
... Ou bien alors que mes sens étaient complètement hors-service.
— Ah, euh, ouais.
En fait, j'ai pas trop le temps, mes parents veulent le téléphone.
C'est pour quoi ?
— J'aurais voulu te parler... mais si tu ne peux pas rester au téléphone, ça va pas être possible...
— Hmm, ok, alors on pourrait se voir, si tu veux ?
Je dois aller à la bibliothèque, tu saurais m'y conduire ?
— Tu veux dire, celle près de la gare à Okinomiya ?
Oui, pas de problème.
Faut que j'aille bosser ensuite, de toutes manières.
Nous nous mîmes d'accord sur un point de rendez-vous directement à Okinomiya.
... C'était particulièrement pénible d'aller là-bas depuis Hinamizawa.
Mais si je ne me dépêchais pas,
Keiichi allait me voir sur le chemin et me faire perdre mon temps.
Je me souvins soudain de la clef de contact de la mobylette de la vieille folle, dans son tiroir secret.
Aussi fou que cela pût paraître, elle avait une mobylette, dont elle se servait pour aller à ses activités avec le club des anciens du village. Mais d'habitude, pour les choses officielles, elle se faisait conduire par un chauffeur.
Il me fallait être là-bas bien avant Keiichi, aussi je partis en appuyant bien sur l'accélérateur.
Keiichi arriva bien après moi.
Une mobylette, c'est quand même bien pratique.
Et puis, on est dans la campagne profonde, il n'y a aucun feu entre Hinamizawa et Okinomiya, alors on peut rouler à tombeau ouvert.