J'avais peur de dormir.

J'avais peur que Satoshi ne disparût pendant mon sommeil.

C'est pourquoi je me mis à lui parler, toute la nuit, pour ne pas perdre mon combat face au marchand de sable.

Et aussi pour lui raconter tout ce qu'il s'était passé pendant l'année entière où je ne l'avais pas vu.

Je lui ai raconté comment je m'étais rendu compte, précisément à cause de son absence, que je l'aimais sincèrement.

Je lui ai aussi raconté tout ce que j'avais fait pour le chercher.

Comment j'avais obtenu des tas d'infos grâce à Kasai, comment j'avais été marchander avec Ôishi.

Comment surtout je n'avais rien pu découvrir, mais continué malgré tout de penser à lui, moi seule, alors que tous les autres l'avaient oublié depuis belle lurette.

Et encore des tas de choses.

Mes joies et mes surprises du quotidien.

Je lui ai décrit les endroits où je voulais aller lorsqu'il reviendrait.

Ce que je voulais faire.

Ce que je voulais manger.

Et…

Et encore des tas d'autres choses...

Au début, j'étais assise.

Mais cela a été de plus en plus dur de rester assise droite, alors je me suis allongée, et j'ai continué à lui parler.

... Et puis à un moment, il est devenu de plus en plus dur de parler, alors j'ai simplement pensé dans ma tête tout ce que je voulais lui dire.

... Je crois bien que ce fut la plus belle nuit de ma vie.

Lorsque j'ouvris les yeux...

Satoshi n'était plus à côté de mon lit.

Oh, je l'avais su, quelque part.

C'était ce que j'avais redouté le plus.

C'était la raison pour laquelle j'avais voulu ne pas dormir.

Alors que j'étais en train d'essayer de me consoler en me disant que je l'avais au moins revu le temps d'une nuit...

... Je ressentis à nouveau sa présence. Je n'avais donc pas rêvé tout cela ! Je me répandis aussitôt en remerciements envers tous les dieux du monde.

À partir de ce jour, Satoshi et moi vécûmes ensemble.

Il tint sa promesse et resta toujours à mes côtés.

Il ne pouvait plus rire, ni dire “Mhhm”, ni même me caresser la tête.

Mais au moins, il restait à mes côtés.

Je sentis sa présence tous les jours, près de moi.

Parfois, il m'arrivait de ne plus le sentir, alors je me mettais à le chercher, et il revenait, quasiment tout de suite.

De plus, le bruit de ses pas semblait imperceptible aux autres gens.

... Enfin bon, je ne pouvais pas trop me plaindre.

C'était un peu triste de se dire que la Réalité n'était pas la même pour moi et pour les autres, mais je devais bien m'en contenter.

La présence de Satoshi était très... immatérielle, un peu éthérée, si vous voulez. Il était difficile de distinguer le bruit de ses pas dans la foule ou dans les endroits animés.

Par contre, même dans la foule, il me suivait toujours, sans se perdre.

C'était d'ailleurs assez rigolo, car s'il avait été vivant, je suis sûre que j'aurais dû le tenir par la main pour qu'il me suive sans se perdre.

En tout cas, dans les endroits très calmes, le plus souvent quand j'étais seule, je pouvais ressentir sa présence d'autant plus facilement.

Et bien sûr,

logiquement, puisqu'il n'avait pas d'existence matérielle, je ne pouvais pas voir son expression, ni ses gestes, ni ses petites manies.

Mais l'être humain est une chose formidable. À force de m'habituer à sa présence, je pus finir par déceler ses sentiments et ses expressions.

Au départ, ce n'étaient que des conjectures de ma part, je me disais “Oh, ça le ferait certainement bien rire”.

Mais à force, un jour, j'eus réellement l'impression de le sentir rigoler.

Et plus je réussis à comprendre ce qu'il ressentait,

plus je me mis à apprécier la solitude, qui était une condition essentielle pour bien ressentir Satoshi.

Je perdis tout intérêt pour l'école, et me mis à décliner presque systématiquement les invitations de mes amies.

Mais ceci ne plut pas à Satoshi.

Enfin, il ne m'a pas enguirlandée non plus, hein, mais il m'a dit “Mhhm” plusieurs fois, d'un air réprobateur.

Alors j'ai fait comme il m'a dit de faire,

j'ai fait attention à ne pas négliger ma vie sociale, à ne pas me replier sur moi.

Et pourtant, croyez-moi, j'avais vraiment peur de voir Satoshi disparaître sans prévenir, alors j'avais tendance à chérir par-dessus tout les instants que nous pouvions passer ensemble.

Mais bon, je m'étais plainte de son absence, et il avait fait un geste, il s'était forcé à rester avec moi.

Il m'a fait la promesse qu'il resterait.

Oui.

C'est pour ça que je savais avec la plus grande certitude…

qu'il ne manquerait pas à cette promesse et qu'il ne me quitterait pas en faux-jeton.

Satoshi était avec moi, alors je me sentais bien.

Bon, j'admets que c'était frustrant de ne pas pouvoir en parler à ma sœur ou aux autres.

Ben oui, même en leur expliquant, je ne pense pas qu'ils me croiraient. Ils ne sont pas capables de comprendre un truc pareil.

Mais moi, je savais. Je savais ce qu'il en était.

Je sentais sa présence, toujours auprès de moi, rassurante, engageante.

J'allais bien dans ma tête et dans mon corps.

Tout allait bien...

Kasai

— Mademoiselle, que comptez-vous faire ce soir ?

C'est la fête de la purification du coton à Hinamizawa.

Shion

— Je sais.

Je pense y aller et y passer un peu de temps, histoire de me détendre.

Et puis, j'irai un peu me moquer de ma sœur et je m'amuserai avec ses amis.

Ahahahaha !

J'ai envie de faire le tour des stands avec Satoshi.

Et puis, il aime me voir m'amuser avec les autres.

Je pensais qu'il serait jaloux si j'abusais un peu trop avec Keiichi, mais en fait, non.

Il ne sait pas être jaloux, ou alors il est trop naïf pour comprendre. C'était lui tout craché, ça...

Mais bon, s'il aime nous voir en train de nous amuser comme des fous,

alors, je vais lui faire plaisir et aller m'amuser comme une folle, pourquoi pas ?

Et quand tout sera fini, je pourrai en parler avec lui.

Kasai

— Vous comptez y aller comment ?

Vous voulez que je vous dépose en voiture ?

Shion

— Non, pas la peine, j'irai en moto.

Kasai

— Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée, Mademoiselle.

Kasai

Je me doute bien que vous comptez vous joindre aux autres membres du Clan et faire la fête avec eux.

Kasai

Je ne peux pas vous laisser rouler alors que vous risquez d'être ivre.

Mine de rien, il me reproche le fait d'éventuellement rouler bourrée,

mais pas le fait de me bourrer la gueule, la nuance était intéressante.

Shion

— Hmm, bon, d'accord, alors dépose-moi, si tu y tiens.

Kasai

— Très bien.

Je propose de partir en début de soirée.

Je passerai vous prendre.

Une fois Kasai parti, je sentis Satoshi tout excité à l'idée d'aller à la fête.

Shion

— ... La purification du coton, hein ?

Cela va donc faire presque un an que tu es parti, Satoshi. Comme le temps passe vite...

Satoshi resta silencieux, ne sachant pas quoi répondre.

Shion

— Laisse-moi deviner, le mot que tu cherches, c'est “Mhhm”, n'est-ce pas ?

Ahahahahahahaha !

Nos éclats de rires résonnèrent encore un moment dans mon appartement vide...