Dans ma nouvelle école, malgré mon arrivée bien tardive dans l'année scolaire, je réussis progressivement à me faire quelques amies.
De temps en temps, on m'autorisait à travailler dans l'un des nombreux magasins tenus par les Sonozaki, alors j'avais de l'argent de poche.
Et comme j'étais revenue vivre à la maison, je n'avais pas à dépenser un kopek pour me loger ou me nourrir.
C'était formidable de pouvoir consacrer 100% de ses ressources dans ses loisirs.
Je me servais encore de l'appartement que Kasai m'avait mis à disposition lorsque je m'étais enfuie de l'internat.
C'était très pratique pour les jours où je n'avais pas envie de voir mes parents.
Des jours comme aujourd'hui, par exemple.
— Saleté de prof !
Il avait pas besoin de cafter à mes parents que j'avais fait bleu, quand même !?
Mon père avait été complètement furax quand j'étais rentrée, donc du coup, impossible de rester chez moi à buller. Quelque part, c'est vrai que c'était ma faute, mais bon.
Il va falloir que j'explique à mes profs que mon père est un gros poisson parmi les Yakuzas et que quand il s'énerve après vous, c'est la fin des haricots, voire pire. Ils pourraient au moins m'épargner ça, quand même...
Ma vie était devenue d'une banalité sans nom, mais bon, ce n'était pas la mort non plus.
En fait, je pense que j'aimais cette vie si simple précisément parce que j'avais dû vivre cachée pendant un certain temps.
C'était un sentiment indescriptible que de pouvoir vivre son quotidien sans avoir à mentir à tout bout de champ, même sur son nom.
Mais bon, cette époque-là commençait à dater, mine de rien.
C'était il y a presque un an déjà...
Je faisais mes courses pour pouvoir tenir dans mon appartement secret non seulement ce soir, mais aussi carrément pour le reste de la semaine.
Je faisais cela dans l'intérêt de mes parents. Ils devaient comprendre que c'était une chance pour eux de me voir tous les jours, alors pour le leur apprendre, je devais disparaître un peu de leur champ de vision.
— Ah, oui!
Aujourd'hui, il y a les promos à 100Y !
J'ai failli oublier !
Aussitôt, je tournai les talons, dans la joie et l'allégresse, mes deux bras emportés par l'élan,
comme un tourbillon.
Et ce petit tourbillon heurta malencontreusement l'une des motos mal garées qui barraient presque le trottoir -- ceux qui ont fait ça l'ont fait exprès, c'est évident...
— Mais AÏEeuh !
Roh,
mais quel est le couillon qui se gare là, aussi ?
Sans y réfléchir plus avant, aussi sec, je collai des coups de lattes à tout ce qui traînait.
Il y avait trois motos sur le trottoir.
Comme des dominos, elles tombèrent l'une après l'autre.
Et comme elles étaient bien tombées régulièrement, j'ai trouvé ça plutôt drôle.
... Eh mais...
C'est bizarre, tiens...
Je sais pas, j'ai l'impression que... J'ai déjà vécu ça un jour, non ?
Alors que je restais debout, perdue dans mes pensées à la recherche de mes souvenirs, quelqu'un me traîna pour m'emmener dans une ruelle sombre.
Trois jeunes voyous patibulaires, supposément propriétaires desdites motos, me prirent à partie.
... Non, sérieusement, je suis sûre d'avoir vécu ça avant...
— Bon cômôksé, t'sens p'us pisser, là ?!
J'ais t'faire, moi !
— Quand tu veux tu dis kéchose ! Scuztoi, sale pute !
— A'ors, hein ?
Crache ! Salope de ta mère, crache ou j'te rétame !
Aaah, je sais !
Ce sont les trois trouffions qui m'avaient cherché des noises le jour où j'ai rencontré Satoshi !
Oui, bien sûr, le fameux jour où il s'était interposé pour me sauver...
... Et si je me mettais à pleurnicher ?
Est-ce que Satoshi reviendrait-il à mon secours ?
C'est tellement stupide que ça pourrait marcher...
Je pris un air de plus en plus misérable, puis demandai pardon.
Et là...
J'ai bien cru que mes oreilles avaient des hallucinations.
— Bon, eh ! Vous n'avez pas honte, à trois contre une fille ?
Vous voyez bien qu'elle pleure, alors foutez-lui la paix !
C'était un garçon qui avait à peu près mon âge.
Il avait le soleil dans le dos, aussi avais-je du mal à distinguer son visage.
— ... C'est pas vrai... C'est toi, Satoshi ?
Mais évidemment, ça ne pouvait pas être Satoshi.
Ç'eût été trop beau, vous pensez bien...
Lorsque ma vue s'accomoda du contre-jour, je pus malheureusement être certaine que ce n'était pas lui.
Si je devais comparer le nouveau venu avec Satoshi, je dirais qu'il avait beaucoup moins de prestance.
Par contre, là où Satoshi était un peu “aseptisé”, lui ressemblait à un corps meurtri, qui en avait vu de pires.
Bref, il ne lui ressemblait pas du tout, et pourtant... Je sentais qu'ils avaient quelque chose en commun.
— Kest'as, toi?
On t'a sonné, sale fils de pute ?
— T'viens faire le kéké ? Mais on va t'buter ta sale gueule de con, toi, t'a'ar !
— A'ors, t'ais moins le malin ?
T'sais p'us parler ? J'te parle, ducon !
Le jeune homme sembla visiblement intimidé par les trois autres.
— Nan mais bon, je veux dire...
Regardez-la, elle pleure, quoi ! Soyez sympa, la pauvre !
— K'a ?
Et qu'essa peut t' fout'e, on t'en pose des questions, connard ?
— Oh là, du calme, les enfants,
temps mort, pause !
La violence, c'est pas bien !
Ahaha !...
Mais quelle misère...
Quand je pense que pendant un instant, je l'ai comparé à Satoshi...
Au début, oui, forcément, il était arrivé à l'improviste, comme l'avait fait Satoshi, mais maintenant, ce n'était plus du tout la même chose.
— Nan mais, qu'on se comprenne, hein, je suis d'accord, c'était pas gentil de sa part de faire tomber vos motos, mais bon...
C'est pas la fin du monde, elle peut s'excuser,
il doit bien y avoir moyen de trouver un arrangement, non ?
Enfin bon, ni elle ni moi n'avons des masses d'argent, j'imagine, donc...
Ahaha…
— Ouais ! Ouais, je sais pas, si elle a pas d'argent, on n'a pas des masses de choix, hein ?
— Et alors, ranàfoutre, si elle peut pas payer en liquide,
elle paye en nature !
— En plus, elle a un joli rack...
Sans les habits, moi je dis, ça peut le faire !
... Merde, ils sont sérieux ?
C'est une blague, putain ?
Je pris incognito mon porte-bonheur -- un tazer modifié que Kasai m'avait laissé pour me défendre en cas de pépin.
Je mis la puissance max -- désolée les pervers, mais si vous crevez à cause du choc électrique, ce sera bien fait pour vos gueules...
— Hé, hé, moi ce que je préfère dans les films de boules, c'est la scène où ils se déshabillent !
Hin hin hin...
— Ouais, moi aussi, les scènes où la nana se fait bouiller, c'est bien mais sans plus, mais les scènes juste avant, où elle se fait déshabiller, mais j'ai une trique en béton armé, quoi !
... Ils sont en train de s'exciter tout seuls, ces cons.
... Et pourquoi ils me regardent, là ? C'est quoi, ça ?
Et leurs mains avec leurs doigts qui bougent, là,
c'est pas bon pour moi, ni pour ma virginité, je le sens...
— Ah ben là, y a pas le choix, ma grande, il va falloir te foutre à poil !
— Allez, allez, hop hop hop !
On va t'aider à enlever tout ça, ma jolie !
— On commence par le haut, et on termine en bas, sans rien oublier entre-temps !
Faut qu' tu sois comme quand t'es née, pour qu'on puisse bien voir comme t'as grandi, alors oublie pas d'enlever le string ni les chaussettes !
— Mais putain, ça va pas la tête ?
Approchez pas vos sales pattes, bande de cons !
Il y eut alors une explosion de lumière.
Mais qu'est-ce qu'il lui arrive, à ce gamin ?
— Tas de punaises !
Rapide comme l'éclair, il leur mit des mandales à tous les trois, les projetant au sol sous la violence des coups.
Mais alors en fait, il est super fort ?
— Eh qu'essit'prend, sale toquard !
T'as envie qu'on te fasse ta fête ou
qbrg ?
— Vous n'êtes tous que des vrais connards,
vous n'y connaissez rien !
— Hein ? À quoi ?
— Vous voulez juste la voir à poil, c'est nul ! Ça ne respire pas la PASSION !
Vous ne savez même pas la règle de base, on n'enlève jamais les chaussettes !
Même si d'aventure le soleil devait se lever du mauvais côté de l'horizon,
on n'enlève PAS les chaussettes, tas de punaises !
Écoutez-moi bien, bande de singes.
C'est quoi la différence entre l'être humain et les animaux ?
C'est les habits !
Sans habits, l'être humain perd son humanité !
C'est fini de vous cogner sur de la donzelle à poil !
C'est même pas humain, bande d'enfoirés !
Je vais vous mettre au pas, moi,
je vais vous dresser !
— Uopf !
— Aang !
— Aïe !
— Vous parliez d'enlever les petites culottes roses de pucelle tout à l'heure, hein ?
Alors imaginons qu'on ait ici une cassette vidéo de cosplay érotique.
Cosplay érotique, c'est une expression trop vague !
Ça servirait à rien de vous l'expliquer en long, en large et en travers, autant apprendre l'art du thé à un bataillon de yankees sortis en parachutes de leur B29 !
Je vais vous expliquer avec un truc plus connu, les uniformes !
Donnez-moi les trois uniformes indispensables !
Alors, tas de punaises ?
La vareuse d'écolière, le justaucorps de gym et le maillot de bain !
Pour la vareuse d'écolière, il y a des sous-catégories, avec ou sans veste blazer, par exemple.
Bien évidemment, c'est pareil pour les justaucorps, il y a aussi les bloomers, les spats, et plein d'autres.
Quant aux maillots de bains, il y a les anciens modèles bleu marine et les nouveaux modèles blancs.
Alors, ça y est, vous visualisez ?
Chacun d'entre vous va prendre un des trois comme fétiche !
Toi, grand dadais, tu seras la vareuse !
Toi, le gros, le justaucorps !
Et toi le minus, tu prends le maillot de bain !
Vous avez trois secondes pour vous l'imaginer !
Alors, c'est fait ?
Mais qu'est-ce que c'est que ces couilles de loups ? Vous allez me travailler ça !
Bon, on reprend ! Vous avez devant vous une vidéo porno avec votre fétiche préféré,
vous la visualisez ?
Je vous demande si vous la visualisez, tas de punaises !
Pour répondre, on dit “Chef, oui, Chef” !
Mon cul ! Je n'entends rien !
Passons à la suite !
Maintenant que vous voyez ces vêtements qui réveillent votre PASSION, vous allez les enlever !
Sauf que justement, c'est ce qu'il ne faut pas faire !
Sans les vêtements, comment savoir de quel fétiche il s'agit ?
Et pour votre gouverne, vous saurez que ce genre de coup en traître est de plus en plus fréquent dans les pornos en ce moment !
Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? Sans habits, je l'ai dit, on n'est plus des êtres humains !
Si vous vous cognez là-dessus, vous n'êtes que des chiens ! Des singes ! Des lapins !
Prenez vot' paquetage, vous m'f'rez du parcours à en têter du p'tit lait par le fion !
Restez ici, j'en ai pas fini !
Depuis quelque temps, les relations avec la Russie sont redevenues bonnes, alors il y a plein de ruskoffs dans les pornos maintenant ! Mon cul !
Me dites pas que vous le saviez, c'est pas vrai !
Ils essaient de nous pondre des lycéennes ultimes, le genre à réussir l'assemblage des trois robots divins même sans Getter 2, ou bien à marier l'eau et l'huile, mais sachez que je suis votre instructeur et que je ne tolèrerai pas ce genre d'ineptie !
Les fétiches des uniformes, c'est l'essence même de la libido japonaise ! C'est de l'Art !
Ces chiens d'européens ne peuvent rien y comprendre, c'est clair, tas de punaises ?
Bon sang, les louloutes,
mais vous n'écoutez pas ou quoi ?
J'ai vos noms, et vous en allez en chier !
Ce soir, vous ne partirez pas avant d'avoir réussi !
sinon je vous dévisse la tête et je vous chie dans le cou !
J'entendis alors des bruits de pas précipités qui s'approchaient.
— Maebara !
On a été appeler les autres !
Nous fûmes soudain encerclés par toute une troupe d'enfants qui avaient visiblement envie d'en découdre.
Les trois guignols sortirent de leur rêverie et remarquèrent la situation dans laquelle ils se trouvaient.
— Merde...
On se casse !
Ils déguerpirent en quatrième vitesse...
— Sacré toi, Maebara !
T'as réussi à les scotcher sur place, seul contre trois ? T'es vraiment trop fort !
— J'en ai même vu un des trois qui saignait du nez !
Tu sais te battre, en tout cas, respect !
— Pfou...
J'arrive de mieux en mieux à déformer la réalité pour créer un monde rien qu'à moi, c'est bon signe !
Un jour, je réussirai à faire mieux que l'attaque du Maid in Heaven de notre Chef, il verra !
Enfin bon, bref, c'est pas le propos.
Mion, ça va ?
Le garçon pour le moins étrange que les autres avaient appelé Maebara se retourna vers moi.
Lui aussi, il me prend pour Mion, comme l'avait fait Satoshi à l'époque...
Mais Satoshi n'était pas un pervers en puissance, ah ça, non !
— Tu es l'invincible Mion, alors je me suis arrêté pour observer, j'étais persuadé que tu allais leur mettre une râclée avec je ne sais quel art martial.
Enfin bon, j'imagine qu'à une seule contre trois grands gaillards, tu as dû penser que c'était pas gérable ?
Moi, à mon avis, t'aurais eu aucun problème, je parie ! Ahahahahaha !
Incapable de faire redémarrer mon cerveau, je restai sans voix, sans accès à ma banque de données.
C'est QUI, ce type ?
Je savais pas que Mion connaissait quelqu'un comme ça !
Je restai bouche bée, le regard fixe.
Je ne repris conscience de mes environs
que lorsque sa main se posa gentiment sur ma tête.
— Ben, écoute, tu, euh...
T'en fais pas, hein, je dirai à personne que t'as failli pleurer.
Alors, arrête de tirer la tête, souris, d'accord ?
Il m'ébouriffa les cheveux.
C'était rustre et vulgaire et absolument pas tendre.
Il me grattait presque la tête.
Ça ne me plaisait pas du tout.
Et pourtant... Je sentis bien une certaine chaleur humaine dans son geste.
Par la suite, en parlant avec Mion, j'appris enfin qui était cet énergumène.
Il s'appelait Keiichi Maebara.
Ma sœur l'appelait “Kei” ou “p'tit gars”.
Il était une classe en dessous de nous.
Il venait à peine d'emménager à Hinamizawa, apparemment.
Son plus grand atout, c'était son sans-gêne et son manque de politesse -- il avait tapé l'incruste chez tout le monde sans faire son timide, et du coup s'était fait très vite de nombreux amis.
Ma sœur me raconta des tas de choses sur lui, apparemment d'excellente humeur.
... Oui, je suppose que ça doit être marrant de lui parler.
Je voyais bien pourquoi il plaisait à ma sœur.
... Mais bon,
je trouvais Satoshi franchement une classe au-dessus de lui.
Pas la peine de le séduire lui, ma sœur peut l'avoir, je n'en veux pas...
Quoique.
Curieusement, mon cœur battait la chamade.
Enfin, c'était pas vraiment ça. J'étais excitée comme une puce, comme un enfant qui a vu un nouveau jouet.
Mion était si timide, je me demandais bien comment elle s'y prenait avec lui. Pour le coup, ça m'intéressait.
J'avais bien envie de la charrier là-dessus...
— Merci, p'tit gars.
Pour te remercier, je peux te payer un coup, si tu veux.
J'ai un oncle qui tient un café dans le coin. Ça te tente ?
Satoshi refuserait.
Mais lui, Keiichi Maebara, fut prompt à accepter, d'un “OK, pas de prob' !” tout sauf romantique.
Alors, passons à l'attaque...
Comment rendre leur relation très compliquée le plus facilement possible ?
Avec ça, mon quotidien monotone allait sûrement reprendre des couleurs.
— Eeeh, mais ça va pas, non ? T'accroche pas à mon bras comme ça !
— Ben quoi p'tit gars, ça te plaît pas ?
— Ben, c'est pas... C'est que... Je veux dire, j'ai le bras qui touche tes, euh...
— Mes quoi ? Hmm ? Alors, p'tit gars, mes quoi ? Mes miches ?
Ahahahaha !
Ce fameux Keiichi Maebara était vraiment un garçon très marrant.
Mion est du même avis que moi.
Lorsqu'elle discutait de tout et de rien avec moi, elle n'arrêtait pas de me parler de lui.
Ça me faisait sourire de la voir tellement dingue de lui.
— Eh ben, il a l'air de beaucoup te plaire, dis voir.
Mais dis-moi,
à ton avis, qu'est-ce qui lui donne son charme fou ?
— Ahahahaha, hmmm, eh bien...
Si vraiment je ne peux donner qu'une seule qualité... Je dirais qu'il est marrant.
Roh, il a fait un truc l'autre jour, il faut que je te raconte !
Elle l'adore, mais elle ne s'est pas encore rendu compte qu'elle était amoureuse de lui, c'est touchant de naïveté.
Enfin bon, elle était tellement lente à la détente, tellement cruche et timide à la fois, que ça ne m'étonnait pas plus que ça venant d'elle.
Oh, moi aussi, je ne le déteste pas.
Je dirais même que je l'aime bien.
Mais je sais que ce n'est pas du tout la même chose que ce que ma sœur ressent pour lui.
Keiichi n'était qu'un gamin comparé à Satoshi, il était immature.
Ah, Satoshi... Je me demande où il est en ce moment.
Est-ce qu'il attend, caché ailleurs, que tout se soit tassé pour pouvoir revenir ici ?
Pourtant, l'affaire est déjà classée, c'est officiellement un toxicomane qui a tué la tante.
Satoshi n'a aucune raison de rester caché...
Je secouai la tête.
Mieux valait ne pas y réfléchir plus avant.
Aah, je sais, en fait.
L'affaire de ce meurtre a été mise au secret, alors les journaux n'en parlent pas.
Donc du coup, il ne peut pas savoir que le meurtrier a été arrêté. Il ne sait même pas qu'il pourrait revenir à Hinamizawa.
... Et puis, il n'est pas du genre à oser.
Je parie qu'il est prêt à la jouer sûr et à attendre autant qu'il le faudra.
Il pourrait au moins essayer d'appeler sa sœur au téléphone, en secret.
Lui dire qu'il était vivant, qu'il se cachait ailleurs,
qu'il reviendrait un jour.
... Sauf que non.
Sa conne de sœur avait emménagé avec son amie Rika Furude.
Donc même si lui l'appelle au téléphone, il n'y a personne chez eux pour décrocher.
Ah, cette Satoko,
même pas foutue d'attendre sur son frère...
En plus, tel que je le connais...
Il n'a jamais appris qu'un seul numéro de téléphone, le sien.
Donc du coup, il ne peut contacter personne d'autre à Hinamizawa...
Si ça se trouve, il appelle sa sœur de temps en temps, tard le soir, et comme elle ne répond jamais,
il s'imagine qu'elle est aux toilettes, ou qu'elle prend son bain, il s'imagine des excuses pour expliquer qu'elle ne réponde pas...
Il reste devant le combiné, bien embêté, à dire des “Mhhm” à tout bout de champ...
— ... Mhhm...
J'aimais bien le dire aussi, ça me faisait penser à lui, c'était une de ses phrases fétiches.
— Et alors, tu vois, i--
hein, de quoi ?
— Hmm ?
Qu'est-ce qu'il y a ?
— ... T'as dis quelque chose à l'instant ?
Je me mis à rire.
C'est là que je me rendis compte que Mion n'était pas comme d'habitude.
J'avais pensé à Satoshi pendant tout ce temps, et je n'avais pas réellement écouté ce qu'elle avait raconté.
Je pensais qu'elle avait parlé de son Keiichi en étant de très bonne humeur.
Mais en fait, je remarquai soudain son expression abattue et son sourire forcé.
Je ne pouvais pas décemment lui avouer que je n'avais rien écouté et lui poser la question directement,
aussi je pris une approche par la tangeante et me concentrai sur la conversation.
— ... Et donc là,
Yoshirô nous fait “merci d'être venus aujourd'hui, tenez, c'est pour vous !”, et il leur a filé une poupée à chacun.
À tout le monde, sauf à moi.
— Oui.
Sauf à toi, bien sûr.
— Comment dire... Moi aussi, j'en voulais une, tu sais.
Mais bon, je voulais pas mendier devant les autres, alors j'ai pas osé lui dire...
— Tu changeras jamais, hein ? Tu ne sais jamais dire ce que tu veux.
Bref, et ?
Mion se mit à renifler.
... Je n'avais pas remarqué, mais elle était au bord des larmes, en fait.
— Kei avait... Kei a eu la plus belle de toutes dans son paquet.
— Et donc c'est celle que tu aurais voulu avoir ?
— Bah, pas spécialement, en fait.
Mais Kei a vu que j'étais la seule à pas avoir eu de poupée... et pourtant, il m'a pas donné la sienne.
*sniff* Il m'a pas donné la sienne...
Il a dit que... que c'était pas trop mon genre... et il l'a donnée à une autre...
Il a dit que... que je devais me ré--réincarner en mec la prochaine fois...
C'est ce qu'il a dit…
— ... ...
C'est ça, surtout, son problème, à Keiichi.
Oui, il est marrant, il se fait remarquer, il est impétueux, c'est bien, mais...
En tant qu'homme, c'est vraiment pas encore ça. Il est pas mûr, encore, même pour son âge.
Comparé à Satoshi, il se comporte vraiment comme un petit garçon.
— ... J'aimerais tout recommencer à zéro.
Revenir en arrière dans le temps, à l'époque où je l'avais à peine rencontré... Je veux qu'il se rende compte que je suis une fille comme les autres...
— Grande sœur, tu prends des airs trop graves.
Si tu veux faire table rase et que lui en face n'a rien remarqué, alors tu as encore largement le temps de rattraper le coup.
Bon ensuite, si c'est pour vous complaire dans vos blessures et pour aggraver le tout, c'est pas la peine, hein.
— ... Tu crois que c'est jouable ?
— Si tu n'as pas pleuré devant lui à cause de ça, il n'est pas trop tard, non.
Même si tu avais pleuré, il te suffirait de changer à partir d'aujourd'hui. Ça va marcher, t'inquiète.
— ... Ouais.
— Je veux dire, OK, son manque de délicatesse est assez sidérant, mais bon, ce résultat est pas innocent, c'est arrivé à cause de vos relations jusqu'à présent.
Il va falloir que tu changes, histoire de marquer des points dans son estime et dans son cœur.
— Mais... comment je fais ça ?
— ... Si je te dis de te comporter comme une fille plus nunuche, tu vas te pointer à l'école avec des robes à fleurs et des rubans partout, ça va pas le faire.
Non, ce qu'il faut, c'est faire comme d'habitude, mais pas tout à fait.
Genre, faut commencer à changer ton comportement dans des détails précis.
Et aussi, la fille qui a eu sa poupée, Rena, hein ?
Il faut lui faire comprendre que pas touche, qu'il est à toi.
Je parie que pour l'instant, c'est elle qui a marqué le plus de points dans son esprit.
— ... Ouais, t'as raison, je crois. Elle est vachement féminine,
elle est mignonne, et puis elle lui rend pas mal de services...
— Si tu as une rivale pour son cœur, c'est pas le moment de traînasser.
Les larmes peuvent attirer son attention sur toi momentanément, mais tu vas pas le coincer avec.
Il faut sourire d'habitude, mais pleurer dans les grandes occasions.
Je pense qu'avec ça, tu devrais réveiller sa PASSION.
Hmm, en fait, le plus facile serait que je te montre sur lui l'effet que ça peut faire.
— Hein, quoi ? Ah non, eh, non, non, t'as pas le droit, me fais pas ça !
— Ahahahahahaha !
S'il te plaît à toi,
il me plaira forcément à moi aussi.
Hmm, comment est-ce que je vais pouvoir l'attirer dans mes bras ?
Si tu veux, on peut faire une compétition, voir qui de nous deux arrive à le séduire la première ?
— Ah, non !
Je refuse, tu peux toujours courir !
Shion, si tu te pointes à Hinamizawa, je te fais foutre dehors !
— Ahhahhahhahha, ahahahahahahahaha !
Eh ben alors, tout va bien, grande sœur, tu vois ?
Il n'est pas encore trop tard.
Il t'arrive aussi les mêmes soucis qu'à toutes les jeunes filles en fleur de temps en temps, c'est mignon comme tout.
Regarde-moi, par exemple, eh ben…
j'ai personne.
Je ne sais pas où il est parti.
Je ne sais pas quand il rentrera. Je ne sais même pas s'il rentrera un jour...
Mion avait tellement de chance comparée à moi...
Je la vis acquiescer faiblement, les yeux rougis par les larmes, me jurant qu'elle ferait de son mieux dès le lendemain, et je sentis alors naître en moi une émotion que je n'avais pas ressentie depuis un moment.
Même si elle et lui devaient être vus ensemble…
il n'y aurait personne pour leur faire de reproche.
Oh, je ne suis pas envieuse.
Et je ne suis pas jalouse non plus.
Ce n'est pas parce que moi j'ai eu à en souffrir que tout le monde doit souffrir.
Mion ne pense qu'à Keiichi et à ses amies...
Il n'y a plus de place dans sa tête pour Satoshi.
Pour elle, que Satoshi fût là ou pas, cela n'avait pas la moindre importance. Elle ne souciait pas non plus de savoir s'il rentrerait
ou pas.
C'était comme le temps, un coup il fait beau, l'autre il pleut, mais en temps normal, tout le monde s'en fout.
Mais moi, alors ?
Est-ce que j'ai vraiment passé un an à penser tout le temps à Satoshi ?
... Si je disais oui, ce serait un mensonge, et je le savais mieux que quiconque.
Je suis en train de m'habituer à l'absence de Satoshi dans ma vie.
Je suis en train de trouver normal que plus personne ne parle de Satoshi.
... Et je commence à m'habituer à entendre tout le monde parler de Keiichi Maebara...
Mais le pire... c'est que si je n'y prends pas garde,
il finira par s'asseoir dans un coin de ma tête que j'ai toujours réservé uniquement à Satoshi.
Si moi, Sonozaki Shion, j'avais daigné penser un peu plus fort à lui, alors Satoshi serait peut-être revenu chez nous...
... Où est-ce qu'il a bien pu passer ?
L'année dernière, peu après sa disparition, j'ai tourné mes antennes vers les réseaux d'informations du Clan
et je me suis rendue régulièrement chez l'inspecteur Ôishi pour savoir s'il avait du nouveau ou pas.
Mais comme je n'ai pas pu obtenir la moindre information sur lui...
j'ai fini par m'intéresser à cette “malédiction” qui semblait faire autorité au village pour expliquer sa disparition,
et j'ai commencé à en apprendre de bonnes sur l'histoire du village.
... Et plus je recherchais des informations, plus j'obtenais la certitude que Satoshi n'était plus de ce monde...
Alors j'ai rendu les cahiers de recherches à Miyo Takano.
Et je ne suis plus jamais retournée à la bibliothèque.
Et puis il y a eu la nouvelle école.
Et puis mes nouvelles amies.
... Et puis des tas d'autres choses.
Et peu à peu, comme les feuilles mortes recouvrent les chemins en automne,
elles ont pavé mon cœur et m'ont empêchée de voir ce à quoi je tenais réellement, en enterrant et en recouvrant tous mes souvenirs.
D'ailleurs, nous étions bientôt à la fin du printemps.
L'été était presque déjà là, il faisait déjà si chaud.
Normalement, nous devrions être en pleine saison des pluies, mais cette année, apparemment, la Nature avait l'intention de sauter cette étape.
Et bientôt, ce serait à nouveau la fête de la purification du coton.
Cela ferait donc bientôt un an que Satoshi avait disparu...
À Hinamizawa, il est devenu tabou de parler de ces meurtres, même en utilisant l'excuse de la malédiction. Il ne fallait jamais en parler en public, on m'avait déjà fait comprendre que c'était plus ou moins interdit.
D'ailleurs, c'est bien simple, les gens se comportaient presque comme si le meurtre de sa tante, l'année dernière, n'avait jamais eu lieu.
Satoshi Hôjô n'était qu'un membre de la famille de traîtres au village.
Il n'a pas été épargné par la déesse, et a été enlevé par les démons lors de la quatrième année.
C'était le nouveau consensus au village, et depuis, peu à peu, les gens tentaient d'oublier tout de lui -- jusqu'à son existence.
Mais bon sang, les gens, n'effacez pas simplement Satoshi à cause de cette bête histoire débile de malédiction !
Ne faites pas comme s'il n'avait jamais existé.
Il était là il y a à peine un an.
Il allait à l'école au village.
C'était un bon élève.
Il faisait partie des Fighters de Hinamizawa, c'était un batteur exceptionnel qui avait malheureusement le trac.
Il était pataud, il fallait toujours être derrière lui, il était pur, il était innocent !
Il était généreux, aussi...
Avec vos manies stupides...
vous l'avez effacé.
À force de ne plus parler de lui...
de faire comme s'il n'avait jamais existé...
Il y a maintenant même des gens, comme Keiichi,
qui connaissent à peine son nom, qui ne savent rien de lui.
Et qui croient naïvement qu'il a réellement simplement changé d'école...
Satoshi, j'ai tellement envie de te revoir...
J'ai envie d'aller à nouveau faire les courses avec toi.
J'ai envie d'aller t'encourager pendant les matches de base-ball... J'ai envie de boire un jus de fruits après l'entraînement avec toi.
J'ai envie de me moquer de toi et de te faire rougir, et j'ai envie que tu me caresses la tête.
Tu étais si gentil, si chaleureux...
Quand tu me caressais la tête, j'étais enveloppée dans une vague de chaleur, comme si tu m'avais tenue dans tes bras...
... Oh, Satoshi...