Shion

— Quoi ?

Attends, qu'est-ce que tu viens de dire ?

Kasai

— Je disais, j'ai appris de source plutôt sûre que le meurtrier de la tante de Satoshi avait été retrouvé.

Cela faisait maintenant plusieurs semaines que l'incident avait eu lieu.

Bien sûr, je ne savais toujours pas où était Satoshi.

... Je n'avais aucune nouvelle, et mes recherches n'avançaient pas.

Mais ce que Kasai me racontait là m'avait fait l'effet d'une bombe.

Shion

— Mais alors quoi, il s'est fait arrêter par la Police ?

Kasai

— À ce que j'ai entendu, ce n'est pas vraiment cela. En fait, le meurtrier aurait avoué lors d'une garde à vue pour des faits complètement différents. Lorsqu'il a craqué, il a fini par avouer ce meurtre aussi.

... Quelque chose clochait dans cette histoire.

Kasai ne me dirait pas ça si Satoshi s'était accusé du meurtre.

Il parle comme si Satoshi n'était pas le meurtrier de sa tante, en fait...

Shion

— ... Euh, mais alors, finalement, Kasai,

c'était qui, le meurtrier ?

Je faillis ajouter « C'était pas Satoshi ? »

mais je me suis retenue.

J'étais persuadée que c'était lui qui avait fait le coup.

D'ailleurs, la Police devait s'en douter aussi, ne serait-ce que l'inspecteur Ôishi.

Il est venu plusieurs fois me voir moi pour les alibis, c'est qu'il devait avoir conclu que Satoshi était bel et bien le coupable.

Kasai

— Ne vous en faites pas, Mademoiselle,

ce n'était pas Satoshi.

Si j'ai bien compris, c'était un fou qui s'est amusé à imiter une série de meurtre.

Shion

— Pardon ?

Un fou ?

Attends voir, là, de quoi tu parles ?

Kasai haussa les épaules.

Kasai

— Vous savez, je n'en sais pas plus que cela.

Il faut dire que l'enquête a été mise au secret, alors presque personne n'ose en parler.

Ce n'est pas évident d'en apprendre plus dessus.

Shion

— Une enquête secrète ?

Non mais c'est quoi ce délire !

Kasai

— En fait, c'est pour éviter que les habitants du village aient à souffrir d'une mauvaise réputation à cause de cette affaire.

Kasai

Vous savez, lorsqu'il y a un enlèvement et que des tractations sont en cours, les journaux et les médias en général évitent d'en parler, histoire de ne pas compromettre les parties concernées.

Kasai

Eh bien, c'est un peu la même chose.

Maintenant qu'il le disait, c'était vrai que ni la télé, ni les journaux n'avaient parlé de l'affaire...

Kasai

— Il faut dire que c'est la quatrième fois en quatre ans, aussi.

Il y a beaucoup d'idiots qui seraient fous de joie de l'apprendre.

Kasai

D'ailleurs, oui ! Le fou dont je vous parlais, il est passé à l'acte pour imiter les meurtres de la malédiction, à ce qu'il a dit.

Shion

— ... ... ...

Si Kasai n'en savait pas plus, pas la peine de le cuisiner plus avant.

... Pour être honnête, j'étais très surprise par la tournure des événements.

J'étais pourtant certaine que c'était Satoshi qui avait fait le coup.

Pour moi, cela expliquait pourquoi il avait dû diparaître dans la nature.

Mais apparemment, aussi dingue que cela pût paraître, c'était un parfait inconnu qui avait commis ce meurtre.

Mais alors... Satoshi n'avait rien à voir là-dedans ?

Mais s'il était innocent du crime...

Pourquoi avait-il dû s'enfuir ?

À dire vrai, j'avais du mal à accepter ce coupable providentiel, c'était trop pratique.

Et surtout, Kasai m'avait mise mal à l'aise en parlant de “la quatrième malédiction en quatre ans”.

L'incident de cette année, c'est quelque chose que Satoshi a été obligé de planifier et d'exécuter plus ou moins contre son gré, pour pouvoir se protéger, lui et sa sœur, à cause des mauvais traitements qu'ils subissaient à longueur de temps.

Cela n'avait rien à voir avec les trois incidents précédents.

J'avais l'impression qu'on avait retiré tout le... “mérite”, si l'on peut dire, à Satoshi, qu'on avait volé son histoire pour en faire une autre.

Les meurtres de Hinamizawa sont désignés sous le terme plus général de “la malédiction de la déesse Yashiro” par chez nous.

Et donc l'histoire de Satoshi avait été mélangée là-dedans.

Je n'aimais pas cette situation.

En particulier, je n'aimais pas cette impression diffuse que son histoire avait été “avalée” par celle de la déesse Yashiro...

Ôishi

— Non, malheureusement.

Ôishi

C'est pareil pour cette histoire de TGV. D'ailleurs, je n'ai pas pu confirmer qu'il s'agissait bien de Satoshi.

Ôishi

Pour être franc avec vous, je ne sais même pas s'il est encore dans la préfecture ou pas.

Ôishi ouvrit la boîte de granulés de café pour se refaire un instantané.

Shion

— Vous aviez l'air tellement persuadé que Satoshi était le meurtrier, je pensais que vous lui mettriez la main au collet.

Ôishi

— Éhhéhhéhé !

Oui, je sais, c'est pas très glorieux.

Riant pourtant de bon cœur, il plaça un café bouillant devant moi.

Ôishi

— ... En tout cas, les nouvelles vont vite.

Shion

— Pardon ?

Ôishi

— C'est une enquête secrète, vous savez,

je me demande qui a pu lâcher l'info.

Bon sang, c'est pas croyable, il faudrait revoir la formation de nos agents, vraiment...

Ôishi me dévisagea en souriant, un peu narquois.

Il avait l'air de savoir parfaitement pourquoi j'étais ici.

Shion

— Bah, vous savez, le fruit ne tombe jamais bien loin de l'arbre, on est comme ça chez les Sonozaki.

S'il y a une chose que l'on sait faire, c'est écouter et espionner la rumeur.

Il me fallait lui faire croire que j'étais déjà au courant de tout.

Avec un peu de chance, il me dévoilerait plus que nécessaire...

Ôishi

— Bah, après tout, pourquoi pas.

Nous avons déjà un petit passif vous et moi.

C'est d'accord, faisons la conversation.

Éhhéhhé...

Shion

— Je commence alors.

J'aimerais d'abord savoir qui est le coupable.

J'ai entendu dire que c'était un fou, mais je ne comprends pas trop.

Ôishi

— Éhhéhhéhhéhhé !

Que voulez-vous que je vous dise de plus ?

C'est à moi de demander ça, oui !

J'étais persuadé que Satoshi avait fait le coup, ça me paraissait évident.

Faut croire que je n'ai pas misé sur le bon cheval...

L'inspecteur Ôishi s'assit brusquement sur le sofa, puis plaça les mains derrière la tête et regarda au plafond, gêné.

Ôishi

— ... L'autre jour, nous avons été contactés par le commissariat central.

Un suspect déjà arrêté et entendu dans une autre affaire venait d'avouer le meurtre de madame Hôjô.

Shion

— Mais c'est qui, ce type ?

Ôishi

— Un accro à l'héroïne, complètement barjo.

Ôishi

Il a passé sa vie entre les ruelles, à voler les gens et s'envoyer des doses, et la prison.

Ôishi

Il trouvait cette histoire de meurtres en série à Hinamizawa très amusante, alors il a voulu contribuer aussi, pour marquer le coup de la quatrième année.

Shion

— ... Et c'est vraiment lui le coupable, alors ?

Ôishi

— Je ne sais pas, je ne lui ai jamais parlé en personne.

Ôishi

Dans le rapport du commissariat central, ils indiquent les fameux “détails que seul le meurtrier peut connaître”.

Ôishi

Il a dit qu'il avait jeté l'arme du crime dans la rivière d'Ôji.

Ôishi

On a plusieurs équipes sur le coup.

Si jamais on la retrouve, tout sera parfait dans le meilleur des mondes, je suppose.

Shion

— Et si vous ne la retrouvez pas ? C'est quand même très plausible ?

Ôishi

— Oh, je pense que ça passera devant les juges et qu'ils approuveront.

Il a pu décrire exactement le corps et l'endroit du meurtre.

Mais genre, avec plein de petits détails que seul l'agresseur peut avoir remarqués.

Shion

— ... Ça n'a pas l'air de vous convaincre des masses, à ce que je vois.

Ôishi

— ... ... ...

Ôishi resta les yeux levés au plafond, croisa les jambes et eut l'air de réfléchir en silence.

Ôishi

— En fait, surtout, le problème,

c'est qu'il est déjà mort.

Il était déjà mort quand on nous a prévenus de sa déposition.

Shion

— Quoi ? Il est mort ?

Ôishi

— Vous voyez les sortes de cuiller-fourchettes, je sais pas comment on les appelle.

Ôishi

Enfin bref, c'est ce qu'on donne aux prisonniers pour qu'ils ne puissent pas intentionnellement se blesser, eux ou leurs compagnons de cellule.

Ôishi

Enfin bon, bref, il en a avalé une et il s'est étouffé avec.

Ôishi

Personne ne sait si c'est un suicide, si on l'a peu aidé, ou s'il était simplement complètement taré.

J'imaginai la scène et dus me passer la main sur la gorge tellement c'était dégoûtant.

Ôishi

— En fait, je n'ai pas pu mener ma propre enquête dessus, et ça me chiffone.

Ôishi

... Enfin, moi, ça me chiffonne, mais mes chefs en sont très satisfaits.

Ôishi

Je pense qu'ils vont déclarer qu'il était effectivement le meurtrier et que l'affaire va être classée.

L'inspecteur détourna le regard du plafond pour le poser sur moi.

Il avait l'air bien plus sérieux que d'habitude.

Ôishi

— ... Écoutez, c'est que mon avis, d'accord ?

Gardez-ça pour vous, si possible.

Ôishi

... Je pense que ce mec, là, c'est une erreur monumentale.

Shion

— ...

Ôishi

— Soit c'est une série de hasards dans la déposition qui a induit les gens en erreur, soit...

Vous voyez, quoi ?

Ôishi

Éhhéhhéhhé !

Shion

— Non, je ne vois pas trop, je dois dire.

Ôishi

— Je pense encore et toujours que Satoshi est le meurtrier dans cette histoire.

Shion

— ... Vous n'y allez pas de main morte en affirmant cela.

Ôishi

— Je n'ai malheureusement pas pu trouver d'indice tangible sur la scène du crime.

Ôishi

Mais après sa disparition, nous avons eu l'autorisation de fouiller la maison. Nous l'avons retournée de fond en combles,

Ôishi

mais nous n'avons rien trouvé.

Shion

— Et vous persistez quand même à croire que c'est lui ?

Ôishi

— Oui.

Shion

— Mais comment vous faites pour en être aussi sûr ? Vous n'avez aucune preuve, rien, pas un indice !

C'est incroyable.

C'est quoi, votre intuition de flic ?

Ôishi

— Exact.

Vous savez, je gagne mon pain dans ce métier depuis des dizaines d'années. Et mon intuition me dit que c'est lui.

Il me fit un petit sourire qu'il devait vouloir enjôleur, mais honnêtement, ça ne m'a pas super emballée.

Shion

— ... Où est-ce qu'il peut être allé...

Ôishi

— Je pensais que sa disparition était la preuve qu'il était coupable, je dois dire.

Si ce n'est pas lui, alors... ma théorie est tout de suite moins crédible.

Shion

— ... Ce meurtre, c'est l'autre fou qui l'a perpétré, Satoshi n'a rien à voir là-dedans.

Shion

Quant à sa disparition, je pense que c'est le clan des Sonozaki qui a arrangé ça, pour nous séparer lui et moi.

Vous n'arrivez pas à imaginer qu'il n'ait rien à voir avec le meurtre ou quoi ?

Satoshi est-il le malfaiteur

ou la victime, dans cette affaire ?

Plus les choses vont, et moins la raison de sa disparition me paraissait claire...

Ôishi

— Hmmm...

Vous savez, je trouve que ce serait un peu beaucoup exagéré de le supprimer simplement parce qu'il est amoureux de la mauvaise fille, c'est un gros risque.

Ôishi

D'ailleurs, vous qui avez accès à l'envers du décor chez les Sonozaki, qu'est-ce que vous en dites ?

Vous n'avez rien découvert, rien entendu à son sujet ?

Shion

— Si j'avais su quelque chose, je ne serais pas venue vous voir, voyons.

Ôishi

— Éhhéhhéhhé ! Aaah ça, je vous crois ! Et vous auriez bien raison, d'ailleurs !

Il partit d'un fou rire en se grattant la tête.

Une fois calmé, il se pencha en avant, tapant sur ses genoux, et me parla encore.

Ôishi

— Paaarfait ! Dites-moi,

qu'est-ce que vous diriez de nous associer tous les deux ?

D'avoir une sorte de gentlemen's agreement ?

Shion

— Hein ?

C'est quoi vot'truc, là ?

Ôishi

— Je vous propose de s'échanger nos infos sur cette disparition et sur l'enquête en général.

Ôishi

Si vous entendez quelque chose là-dessus dans votre milieu, prévenez-moi.

Ôishi

Je vous ferai part de toutes mes découvertes, de mon côté.

Ôishi

... Qu'est-ce que vous en dites ?

Shion

— Vous ne manquez pas d'air, c'est une très bonne idée, mais uniquement pour vous.

L'inspecteur repartit d'un rire gras.

Ôishi

— ... Mademoiselle…

Ôishi

Vu comme c'est parti, mes supérieurs vont dire que c'est ce toxico qui a tué cette pauvre femme.

Ôishi

Si cela devait se produire, Satoshi passerait du statut de criminel en fuite à celui de petit garçon qui a fait une fugue.

Ôishi

Et nous, en tant que policiers, nous sommes payés pour rechercher les criminels en fuite, mais pas les petits garçons qui font des fugues.

Shion

— ... ... ...

Ôishi

— Mais bon, je continuerai quand même à chercher Satoshi,

quels que soient mes ordres.

Ôishi

Cela nous fait un point commun, non ?

Shion

— Sauf que nous n'avons pas le même objectif.

Moi, je veux juste savoir s'il est sain et sauf, vous, vous voulez le mettre au frais pendant une petite vingtaine d'années.

Ôishi

— Éhhéhhéhhé !

Vous oubliez que quand mes supérieurs auront décidé de classer le dossier, Satoshi ne sera plus accusé de rien de tout !

Que ce soit lui qui ait vraiment fait le coup ou pas.

Shion

— ... Je suis pas convaincue.

Ôishi

— Éhhéhhéhhé !

Encore une fois, Ôishi se mit à rire de bon cœur,

mais son regard resta très sérieux.

Ôishi

— ... Allez, quoi, il faut se serrer les coudes.

L'ennemi de mon ennemi est mon ami, vous connaissez ?

Shion

— Aah, mais, au risque de vous décevoir, le clan Sonozaki n'est pas mon ennemi.

Ôishi

— Ah bon ?

Ah, ben là, toutes mes excuses...

Éhéhé…

Kuraudo Ôishi, hein ?

Je commence à comprendre pourquoi ma sœur et Kasai parlent de lui comme ils le font.

Il est rusé comme un renard, et il vaut vraiment mieux ne pas en faire un ennemi, mais en même temps, c'est dur de lui faire confiance et d'en faire un ami...

Je n'avais pas la gorge sèche, mais je bus quand même un peu de café, histoire de faire durer le silence.

Au dehors, de l'autre côté de la vitre, le monde vaquait à ses occupations, banal et ordinaire.

Mais dans mon quotidien banal et ordinaire, désormais, Satoshi n'était plus là.

En fait, c'était son absence qui était devenue banale et ordinaire.

Et je redoutais le jour où tout le monde penserait la même chose à son sujet.

... ... Où peut-il être passé ?

Shion

— ... ... ... Je me demande ce qu'il fait en ce moment.

Ôishi

— ... Espérons qu'il soit vivant.

Shion

— Vous savez,

si vous êtes tellement sûr qu'il est déjà mort,

ce n'est pas la peine d'essayer de me consoler...

Ôishi

— Tiens au fait, vous savez ce que les gens disent à propos de sa disparition, à Hinamizawa ?

Shion

— Pardon ?

Ôishi

— Il disent qu'il a été enlevé par les démons, si j'ai bien compris.

C'est un peu du patois de par chez nous,

ça veut dire qu'il a disparu sans laisser de traces.

Shion

— ... Et quoi encore, les démons qui vivent dans le marais l'auraient emmené chez eux ?

Allons bon, ce sont des conneries, tout ça...

Ôishi

— Il n'empêche que pour le pire comme pour le meilleur, cela fait quatre incidents à la même date, quatre années de suite.

Ôishi

Les gens sont déjà en train de se demander qui sera la victime l'année prochaine.

Shion

— Ils pensent que la tante de Satoshi a été maudite par la déesse Yashiro ?

Ôishi

— En même temps, c'était une Hôjô.

Elle avait des liens de sang avec les “chiens” qui avaient pactisé pour la contruction du barrage.

Ôishi

Et puis, elle est morte le jour de la fête de la purification du coton, c'est un hasard qui intéresse beaucoup les ragots.

Shion

— ... ... Quelle bande de blaireaux. Je leur en foutrais, moi, des malédictions.

Il n'empêche que j'arrivais pas à supprimer un sentiment de malaise en moi.

Pourquoi est-ce que Satoshi a-t-il disparu ?

Est-ce que c'est le Clan Sonozaki qui a fait le coup, pour empêcher notre relation ?

Est-ce qu'il a fui pour échapper à la Police ?

Et puis déjà, est-ce qu'il a réellement tué sa tante ?

En fait, je vois vraiment pas pourquoi il devrait disparaître.

Satoshi n'a rien à voir avec la malédiction.

Rien à voir avec la déesse Yashiro.

Et pourtant...

Je sais pas,

il y a un truc qui me chiffone depuis tout à l'heure...

Satoshi n'a rien à voir avec la malédiction de la déesse Yashiro...

Pourtant, j'ai déjà entendu ces deux-là dans la même phrase, quelque part...

Mais je ne sais plus où ni quand...

Aaah,

c'était un jour où il pleuvait !

J'étais assise dans l'ancien abri-bus abandonné, sur la route de Hinamizawa.

C'est Rena Ryûgû qui m'en a parlé.

Shion

— Ah !

La conversation avec elle me revint instantanément en mémoire.

Rena

« Parce que Satoshi, quelque part dans son cœur,

a envie de s'enfuir très loin d'ici. »

Oui, il y a tout ce temps déjà, Rena savait pertinemment que Satoshi avait projeté de partir loin du village...

Qu'est-ce qu'elle a dit d'autre, déjà ?

Rena

« Ce que Satoshi subit en ce moment, ce sont les premiers signes annonciateurs de la malédiction de la déesse Yashiro. »

Oui...

Elle l'a dit, c'est ce qu'elle a dit !

Elle a parlé de la malédiction ce jour-là.

Il n'empêche que désormais, la série de meurtres à Hinamizawa en est à quatre morts de suite.

Est-ce Satoshi aurait été possédé par la déesse et qu'elle l'aurait forcé à tuer sa tante ? Pour ensuite le faire enlever par les démons ?

... ... ... Je débloque complètement, ma parole.

Les malédictions, ça n'existe pas.

L'image souriante que je gardais de Satoshi se mit à se déformer lentement, jusqu'à disparaître, inexorablement...

La climatisation commençait à se faire sentir un peu trop fort à mon goût, aussi décidai-je de changer de place.

Je pris mon cahier de brouillons, ma trousse, mes clefs et ma tasse de thé -- enfin, mon gobelet en plastique. Le thé devait être froid, d'ailleurs, et le lait était remonté à la surface.

Une fois le tout rassemblé, je me mis en quête d'une place un peu mieux située.

Enfin, installée ailleurs, je réouvris mon cahier de brouillons et me replongeai dans la quiétude solitaire -- ou la quiète solitude -- de mes pensées.

Je me creusais la tête sur les meurtres en série à Hinamizawa.

Les gens d'ici les appelaient tous “la malédiction de la déesse Yashiro”.

J'avais toujours considéré chaque événement comme étant un incident séparé, ayant ses propres raisons d'exister. Je pense que tous les gens qui pensaient comme moi, même s'ils étaient peu nombreux, avaient du mal à les considérer comme faisant partie d'un ensemble cohérent beaucoup plus grand.

Mais en fait, à bien y regarder, on pouvait déceler une certaine logique dans la chaîne des événements.

Je réécrivis les victimes, dans l'ordre.

La première année, le chef de chantier.

La deuxième année, les parents de Satoshi.

La troisième année, le prêtre du sanctuaire.

La quatrième année, la tante de Satoshi.

... Quoique, la quatrième année, c'est pas sûr, c'est peut-être plutôt Satoshi lui-même la victime, dans ce cas.

En tout cas, on pouvait facilement leur trouver un point commun à toutes : le barrage.

Commençons par le commencement.

Le chef de chantier s'est fait tuer parce qu'il était un peu le symbole visible et palpable de l'État, qui menaçait le village avec ce projet.

Le véritable adversaire à vaincre, ce serait le gouvernement, ou bien les gens du ministère des travaux publics. Mais ces gens-là sont loin, ils ne sont que des concepts, des mots, ils ne sont pas concrets.

Par contre, le chef de chantier, les gens le voient tous les jours, ils l'entendent lorsqu'il nous insulte, qu'il nous crie dessus, qu'il nous chasse. Il était très facile de se dire que lui, c'était pas un copain.

Honnêtement, si la justice divine devait frapper quelqu'un, j'estime que ce sont les planqués et les haut-placés qui devraient en prendre pour leur grade.

Le simple fait que ce soit “l'ennemi” le plus réaliste aux yeux des habitants qui ait payé pour les autres prouve que les cibles sont désignées par quelqu'un qui possède leur point de vue.

Voyons pour la deuxième année, maintenant.

L'accident mortel des parents de Satoshi.

Le rapport dit qu'ils sont tombés d'un petit promontoire en bois, dans un parc naturel, mais en fait, rien ne prouvait que ç'avait bien été un accident.

Si le chef de chantier était un “ennemi” du village, les parents de Satoshi étaient un peu des “traîtres”.

D'ailleurs, la famille Hôjô avait vraiment eu des problèmes avec les autres villageois à l'époque. Je pense que le traitement qu'ils ont subi a découragé pas mal de dissidents potentiels.

Pendant la guerre du barrage, ils avaient un rôle très important à jouer dans la propagande du village.

Ce qui veut dire que...

... Une fois la guerre finie, ils ne servaient plus à rien.

Le chef de chantier symbolisait l'ennemi extérieur.

Les parents de Satoshi, l'ennemi intérieur.

En deux ans et deux malédictions, les gens pourraient se dire que la déesse devait s'être calmée.

Sauf que l'addition n'était pas encore réglée.

Regardons la troisième année...

Le prêtre Furude, le chef de clan de l'une des pierres angulaires du village, est emporté soudainement par la maladie.

Le soir-même, sa femme se suicide en se noyant dans le marais.

Elle avait laissé derrière elle un message pour expliquer son geste : elle voulait apaiser l'ire de la déesse.

Ces deux morts-là sont louches, l'une comme l'autre.

Mion m'a avoué il y a quelques mois que le clan des Sonozaki n'aimait pas l'attitude du prêtre.

Il avait été trop pacifique alors que le village aurait dû faire front uni face à l'ennemi. Les plus actifs parmi “la résistance” n'ont vraiment pas apprécié.

Il n'était pas un traître, non, mais en tout cas, il n'avait pas apporté sa contribution.

Donc en fait, on pourrait dire que “la malédiction” a suivi une logique qui passe de

“l'ennemi”

aux “traîtres”

puis au “lâche”.

Mais alors, cette malédiction, en fait, c'est comme pour mes ongles, on leur a demandé des comptes.

C'est un peu un système comme un tribunal de guerre, en fait.

Et là... on passe à la quatrième année.

Et franchement... Je ne savais pas trop quoi en penser.

Depuis le début, j'ai toujours pensé que le meurtre de la quatrième année était là un peu par hasard, dans la série certes, mais sans aucun rapport avec les trois précédents.

Je devais me détacher un peu de ce que je savais sur Satoshi. Sa tante, qui était-ce, pour le village ?

... Je suppose qu'elle faisait partie de “la famille des traîtres”.

Hmmm... “L'ennemi”, les “traîtres”, le “lâche”, la “famille du traître”, hein ? Mouais, c'est pas idiot.

C'est encore un peu tarabiscoté, mais pas irréaliste.

Chaque année, le jour de la cérémonie religieuse dédiée à la divinité protectrice du village -- la déesse Yashiro, donc -- les anciens ennemis du village sont tous “mortellement frappés par la malédiction”.

On les force donc à répondre de leurs crimes, un peu comme le Clan principal m'a ordonné de “prendre mes responsabilités”.

Oui, décrit de cette manière, on pourrait presque penser que le quatrième meurtre fait bien partie d'une seule et même série...

Quel que soit le coupable -- Satoshi ou cet autre toxico --

ils ne sont que les bourreaux de la quatrième victime ; rien n'empêche le crime d'avoir pu être planifié avant, dans l'optique de cette série de meurtres.

Même si Satoshi est le coupable, et même s'il a un mobile compréhensible (les problèmes à l'intérieur du cercle familial),

ça n'empêche pas qu'au bout du compte, on pouvait relier cette victime à cette sorte “d'addition à régler”, qui serait collectée, année après année, sous la forme de tous ces morts.

... Le meurtre de cette année est dû à Satoshi, je pense, et surtout à la décision déchirante qu'il s'est résolu à prendre.

Et si même cette décision avait été incluse dans le plan ?

Par exemple…

Ça voudrait dire que quelqu'un aurait pu souffler à Satoshi l'idée de tuer sa tante à cet endroit, ce soir-là, de cette manière-là...

Je ne doute pas une seule seconde que Satoshi pensait à sa sœur lorsqu'il a pris la décision de supprimer sa tante, et que ça n'a pas dû être facile, mais...

Je ne sais pas s'il en est arrivé “tout seul” à se résoudre au meurtre, c'est ça, le nœud du problème.

Le Satoshi que j'ai connu était optimiste, il était agréable, mais en retrait, passif, presque…

Est-ce qu'il était capable de planifier un meurtre ?

Même pour sa sœur, ça ne me paraît pas une évidence...

Imaginons... Imaginons qu'il y ait une liste de gens à tuer, et que la tante y figure depuis longtemps, en quatrième position.

On pourrait tout à fait imaginer quelqu'un en train de convaincre Satoshi, de le pousser à supprimer sa tante, pour x raisons.

Et une fois la tante morte, ce quelqu'un aurait, à son tour, supprimé Satoshi ?

Ça se tient... et ça rend ce meurtre très similaire à celui de la première année, celui du chef de chantier.

L'homme supposé être le cerveau de l'affaire est resté insaisissable pendant toutes ces années, malgré les recherches acharnées de la Police.

Et surtout, on ne sait même pas s'il est encore vivant... Tout comme Satoshi.

Les hommes arrêtés pour cette affaire ont déclaré qu'une dispute avait éclaté et escaladé jusqu'au meurtre, mais peut-être ont-ils menti ?

Peut-être que tout cela n'est qu'un leurre pour berner la Police, et qu'il est dû au “vrai” meurtrier ?

Et si quelqu'un avait insufflé l'idée à ces hommes de tuer le chef de chantier ce jour-là ? Précisément à cette heure-là, à cet endroit-là, pour x raisons ?

Oui...

Le premier meurtre ressemble beaucoup à ce qu'il s'est passé pour Satoshi, lors de la quatrième année.

Ce qui revient à dire... que Satoshi s'est fait embobiner par quelqu'un d'autre.

L'inspecteur Ôishi a émis l'hypothèse que le vrai responsable aurait fait disparaître Satoshi pour le séparer de moi.

Mais à bien relire toutes mes réflexions jusqu'à présent,

je pense que Satoshi n'a pas disparu par hasard, pour éviter une relation avec moi, mais bien parce que cela était planifié depuis très longtemps.

Je ne peux pas avoir fait partie des plans, personne ne se doutait de mon existence, donc les vrais responsables ont dû d'abord m'éloigner de Satoshi...

Et ensuite, sans attendre, ils ont mis leur plan à exécution, et Satoshi a été “enlevé par les démons”...

Honnêtement, moi aussi, au début, j'avais cru que la disparition de Satoshi était un signal fort pour montrer que le clan n'acceptait pas de voir la sœur jumelle de la future héritière s'enticher d'un homme méprisé pour appartenir à une famille de traîtres.

Mais quelque chose clochait avec cette théorie.

Je ne sais pas trop quoi, mais quelque chose ne fonctionne pas dans cette théorie.

En fait, je n'ai rien à voir avec sa disparition.

Je suis sûre que même si je ne l'avais jamais rencontré, et même si nous ne nous étions pas liés d'amitié,

Satoshi aurait disparu, enlevé par les démons, en juin 1982.

Je dois avouer que pendant une période, j'avais eu la ferme intention de me venger de la vieille folle.

J'étais persuadée que c'était elle qui avait fait le coup, juste pour nous séparer.

Mais si sa disparition n'avait rien à voir avec moi, alors... Alors quoi ?

À quoi ça rime, tout ça ?

Qui a pu vouloir supprimer Satoshi ?

Pour obtenir la réponse à toutes ces questions... Il va falloir résoudre cette sombre histoire de meurtres en série, j'en ai bien peur.

Finalement, c'est quoi, cette histoire ?

Qui fait ça, une personne seule, un groupe armé ? Pourquoi fait-elle ça, et surtout, jusque quand ?

C'est quoi, le but de la manœuvre ?

Qui est le cerveau derrière tous ces meurtres ?

Et surtout... Qui a supprimé Satoshi ?

En fait, je ne sais pas s'il est mort ou pas, mais c'est dans ce contexte qu'il a été poussé à bout...

Hmm...

En fait, cette série de meurtres est intimement liée à la malédiction de la déesse Yashiro,

donc il faudrait d'abord se pencher là-dessus, en fait...

La déesse Yashiro a toujours été...

C'est quoi comme déesse, en fait, cette Yashiro ?

Elle est censée donner quoi, le bonheur ? La fécondité ? L'argent ?

Histoire d'être sûre de ne pas perdre le fil de mes pensées, je laissai mes mains écrire le tout de la pointe de mon critérium.

La déesse Yashiro...

La déesse Yashiro...

Perdue dans mes pensées, je remarquai alors quelque chose.

Derrière moi, quelqu'un se tenait debout

depuis un bon moment, sans rien dire...

et lorsqu'elle se pencha pour me regarder, je ne pus réprimer un cri de surprise.

Femme

— Oh ?

... Pardon, je ne voulais pas t'effrayer.

Hphffhffhff...

C'était une femme jeune, apparemment très intelligente, qui avait l'air de se moquer de moi.

Shion

— Non, ce n'est rien,

je, enfin, vous m'avez surprise, c'est tout.

Ce serait à moi de m'excuser pour avoir crié.

Je m'excusai, par automatisme plus que par politesse, mais ma mystérieuse interlocutrice n'avait pas l'air de vouloir me rendre la pareille.

Elle resta plantée là, m'observant avec curiosité.

Femme

— ... ... Alors c'est toi, Shion Sonozaki ?

Shion

— ... Vous me connaissez, mais moi pas. Puis-je en conclure que vous connaissez ma sœur ?

C'est dans ce genre de situations que je déteste avoir une sœur jumelle.

Des tas de gens vous connaissent, sans vous demander votre avis.

Femme

— Oh, je suis désolée.

Femme

En fait, la jeune Sonozaki que je connais n'est vraiment pas du genre à aller passer du temps dans une bibliothèque.

Femme

C'est pour cela que j'ai pensé que c'était peut-être cette fameuse sœur jumelle “Shion”, dont tout le monde parle tant.

Elle eut le culot d'en rire, comme d'une blague vraiment exquise.

Shion

— Eh bien vous avez vu juste, je suis cette Shion Sonozaki, en effet.

Ravie de vous rencontrer, je suppose.

Et vous êtes ?

Femme

— Ah, bien sûr, pardon, je ne me suis toujours pas présentée.

Elle se passa une main dans les cheveux -- je parie qu'elle en était très fière.

Takano

— Je m'appelle Miyo Takano,

mais tu peux m'appeler Miyo.

Shion

— Merci à vous, vous êtes très aimable, Madame Takano.

Ça lui apprendra à se foutre de moi depuis tout à l'heure.

S'il y a bien une chose que je déteste, c'est d'être prise de haut par de parfaits inconnus.

Histoire d'être claire envers elle, je fermai mon cahier d'un claquement sec et me levai.

Takano

— Tiens donc, tu m'as l'air en colère, je me trompe ?

Shion

— Vous êtes très observatrice, cela m'évite de bien pénibles explications.

Shion

Il se trouve que je préfère le calme pour réfléchir, alors si cela ne vous fait rien, je vais aller me chercher une autre place. Je vous souhaite une agréable journée.

Shion

Au revoir.

Takano

— ... C'est dommage,

je pensais que nous aurions des tas de choses à nous dire toi et moi.

Shion

— Ah oui ?

Éclairez donc ma lanterne, je ne vois absolument pas à quoi vous pourriez faire allusion.

Takano

— Voyons, ce n'est pas tous les jours que je tombe sur une personne plongée elle aussi dans l'étude de la malédiction de la déesse Yashiro.

Pour moi, cette rencontre est d'une importance capitale !

Je sentis mon visage devenir rouge carmin.

La honte... Elle a tout lu par-dessus mon épaule !

Shion

— Eh bien, je, enfin, c'est une occupation de l'esprit, voilà tout !

Ce ne sont que des gribouillages d'enfants,

vous ne devriez pas y accorder la moindre importance !

Takano

— Cette malédiction n'est qu'une excuse pour désigner toute une ribambelle de meurtres plus ou moins sordides.

Takano

Chaque incident à l'air d'être indépendant des autres, et pourtant, ils sont tous manifestement planifiés et exécutés selon une même méthode, dans un même but.

Takano

Chaque année, une personne meurt à cause du mauvais œil de la déesse, et une autre disparaît, offerte en sacrifice pour apaiser la déesse.

Shion

— Hein ?

Mais de quoi parlez-vous donc ?

Une personne meurt et une autre est... quoi ?

J'eus un mouvement de recul, dû à ma stupeur et à mon incompréhension.

Mais mon cerveau ne mit pas longtemps à se rendre compte qu'elle venait de me dire un truc inimaginable.

Takano

— Voyons, tu as bien dû te rendre compte que les victimes de la malédiction allaient toujours par paires ?

... Ou peut-être n'avais-tu pas encore poussé ton raisonnement jusque là ?

Il y a toujours un nombre pair de victimes ? Mais qu'est-ce qu'elle raconte ?

Je réchéchis à toute vitesse aux détails des meurtres, essayant d'enrayer la débandade à l'intérieur de mon cerveau.

La première année, seul le chef de chantier est mort.

Normalement, il n'y a eu qu'une seule victime.

La deuxième année, les parents de Satoshi sont morts... donc il y a eu deux victimes, OK.

La troisième année, le prêtre est mort.

Mais si le suicide de sa femme était un meurtre maquillé, cela ferait deux victimes, en effet.

Et la quatrième année, la tante de Satoshi est morte, et il a disparu.

Si la disparition de Satoshi est due à un complot, effectivement, on pourrait dire que la malédiction a fait deux victimes.

... Mais alors, elle a raison, en fait ?

À part la première année, il y a toujours deux victimes. C'est bien un nombre pair.

Quoique, minute, minute !

J'ai bien dit tout à l'heure que la situation de la première année ressemblait à celle de Satoshi, non ?

Le responsable du meurtre de la première année a peut-être été “supprimé” comme l'a été Satoshi... Il a été enlevé par les démons. Peut-être.

Shion

— ... ...

Takano

— Alors ?

Ai-je raison ou ai-je tort ? Convaincue ?

Je me sentais comme si elle m'avait fait une résolution d'équation à plusieurs inconnues au tableau.

Je ne dis rien, incapable de trouver à redire à sa démonstration.

Takano

— Est-ce que cela suffira-t-il, comme indice ?

Je reste persuadée que nous aurions des tas de choses à nous dire, mais si tu préfères la solitude...

Takano

Mphhfhff.

Shion

— ... Je m'excuse d'avoir été aussi malpolie tout à l'heure, Miyo.

Appelez-moi Shion, bien sûr. Pour tout vous dire, vous pouvez même me tutoyer.

Takano

— Mphhfhff… Éhhéhé…

Voyant le virage à 180° effectué dans mes manières de parler, elle dut placer la main devant elle pour s'empêcher d'éclater de rire.

Elle me regarda, un peu triomphante, et se contenta de sourire, très satisfaite.

Pour tout vous dire, je n'étais pas très chaude à l'idée de discuter avec cette fameuse Miyo Takano, car elle me paraissait un peu folle dans sa tête, si vous voyez ce que je veux dire.

Mais en même temps, je ne pouvais plus rencontrer qui bon me semblait, ce qui faisait de notre rencontre un moment très important.

Et puis, je mourais d'envie de savoir ce qu'elle avait à me dire sur cette histoire.

Takano

— Eh bien alors, reprenons depuis le début.

Je m'appelle Miyo Takano,

mais tu peux m'appeler Miyo.

Shion

— Ravie de faire votre connaissance, Miyo.

Je m'appelle Shion Sonozaki,

et je suis la sœur jumelle cadette de Mion, que vous connaissez déjà.

Vous pouvez m'appeler Shion et me tutoyer.

Ainsi donc, nous repartîmes sur de bonnes bases.

Shion

— Vous pourriez m'en dire un peu plus ?

Vous m'avez affirmé qu'il y avait toujours deux victimes,

une de par la malédiction propre, et une autre... donnée en sacrifice, c'est bien cela ?

Takano

— ... Shion.

Avant de poursuivre avec ça, j'aimerais beaucoup que tu me dises pourquoi cette histoire t'intéresse.

Elle se pencha vers moi et me regarda droit dans les yeux.

Ce n'était pas très agréable.

Shion

— ... Mais justement, Miyo. Si vous me connaissiez un peu,

vous sauriez que j'ai de bonnes raisons de m'y intéresser.

Takano

— Tu me poses une colle, je dois dire.

Tout ce que je sais de toi, c'est que tu as vécu dans un internat et que tu es revenue il y a quelque temps à Okinomiya.

Shion

— Oh, je vois.

Shion

Eh bien donc, la raison est simple.

Shion

Ces meurtres ont eu lieu pendant la période où je vivais loin d'ici,

Shion

alors je dois dire qu'ils me fascinent, c'est pour ça que je fais des recherches.

Shion

Pour ma propre curiosité.

Takano

— ... Je vois.

Pour ta propre curiosité...

Après tout, elle avait su instinctivement que j'étais Shion et non pas Mion.

Elle savait peut-être aussi pour moi et Satoshi...

... Quoique. Ôishi dispose d'un sacré réseau d'informateurs, donc il obtient “naturellement” ce genre d'infos, mais elle ? Pourquoi est-ce que je m'imagine qu'elle saurait tout cela ?

Et pourtant... Je ne sais pas, elle avait une lueur dans le regard qui semblait dire qu'elle savait tout sur tout...

Shion

— J'aimerais vous retourner la question.

Vous avez dit tout à l'heure “plongée elle aussi dans l'étude de la malédiction”.

Vous aussi, donc ? Mais pourquoi ?

Shion

De plus, vous avez affirmé que les victimes des meurtres vont toujours par paires.

Je sais bien que cette série de meurtres est appelée “la malédiction” par les gens qui habitent à Hinamizawa,

Shion

mais pourquoi est-ce que l'étude de cette malédiction vous a-t-elle amenée à enquêter sur les meurtres ?

Takano

— Non, Shion, tu poses trop de question à la fois.

Comment veux-tu que je te réponde si je ne comprends pas exactement ce que tu veux savoir ?

Ah... Euh... Ouais. Pas faux.

Je fus incapable de sortir le moindre mot.

Je voulais tout savoir d'un seul coup, il m'était difficile de faire un choix...

Takano

— Bon, eh bien alors, je vais reprendre cela dans l'ordre.

Je n'étudie pas la malédiction à proprement parler, en fait, mon sujet est plus vaste.

Takano

Je m'intéresse aux rites et à l'histoire du village des abysses des démons.

Pour faire simple, je veux en savoir plus sur le passé peu connu et surtout peu glorieux de Hinamizawa.

Shion

— Je ne comprends pas trop.

Les abysses des démons, c'est pas le nom du marais dans la légende ? Celui qui n'a pas de fond et qui mène au royaume des morts ?

Et c'est quoi cette histoire de passé connu ou glorieux ?

Ses réponses amenaient de nouvelles questions de ma part, qui fusaient sans crier gare.

Elle devait aimer répondre à ces questions-là, car je vis son regard s'illuminer et son sourire devenir plus large encore.

Takano

— Le village des abysses des démons, c'est l'autre nom que portait Hinamizawa, jusqu'à la révolution de l'ère Meiji, en 1871.

Takano

Quant au passé peu glorieux...

Takano

Tu dois bien être au courant ? Je parle des ogres mangeurs d'hommes.

Oh…

cette histoire-là ?

C'était une vieille légende qui se racontait à Hinamizawa.

Il y a fort longtemps, les démons qui vivaient dans le royaume des morts, au fond du marais sans fond, sortirent de l'eau et se battirent contre les villageois, mais au bout du compte,

ils finirent par devenir amis et par vivre ensemble.

Et ce qui devait arriver arriva, et depuis, les villageois ont du sang de démon dans leurs veines, ce qui les a poussés à se retirer sur la montagne, comme des sages.

On me l'avait racontée quand j'étais toute petite...

Takano

— Puisque tu es née à Hinamizawa, tu dois connaître cette histoire, n'est-ce pas ?

Takano

Alors tu sais aussi que ces sages, mi-hommes, mi-démons, allaient parfois dans les villages au pied de la montagne pour enlever quelqu'un et faire un festin cannibale, non ?

Shion

— Pardon ?

Mais de quoi vous parlez, là ?

Takano

— On ne t'a jamais dit que le sang des démons venait des ogres mangeurs d'hommes ?

Shion

— ... Aaaah, hmmm, si, c'est possible, il me semble l'avoir entendu quelque part.

Je finis ma phrase par un rire gêné.

Le village de Hinamizawa avait toujours été très reclus, mais depuis la fin de la seconde guerre mondiale, il étendait son influence sur Okinomiya et sur les villes voisines.

En réaction, il y avait pas mal de gens qui n'aimaient pas trop les gens de Hinamizawa, voire qui carrément les stigmatisaient à tout bout de champ. Même moi, j'ai déjà été traitée de “cannibale”, c'était la pire insulte qu'on nous faisait.

Enfin, nous les jeunes, ça ne nous touchait pas vraiment, tout ça. Par contre, les grandes personnes et les anciens du village, ils étaient du genre à réagir au quart de tour lorsqu'ils entendaient ça,

et ils se mettaient dans une colère noire.

C'est la raison pour laquelle nous n'en parlions jamais.

Même maintenant, au meilleur de ma période rebelle, il ne me viendrait pas à l'esprit d'en parler en public.

Miyo devait cacher quelque chose sous sa jupe, ou bien se moquer éperdument des conséquences, car elle en parlait sans complexe.

Takano

— ... Tu es vexée ?

Shion

— De quoi ? Non, pourquoi ?

Takano

— ... Beaucoup de gens du village n'aiment pas cette expression.

Si je t'ai vexée, je veux m'excuser.

Shion

— Bah, les vieux, oui, ils sont très sensibles là-dessus, mais moi, ça ne me choque pas tant que ça.

Mais continuez donc, je vous en prie.

Takano

— Merci d'être aussi compréhensive.

Takano

Très bien, poursuivons-donc.

Takano

Je disais, il semble bien que les gens qui vivaient autrefois dans ce village étaient cannibales.

Takano

Au fil des ans et des siècles, ils ont transformé cette habitude en une cérémonie, lui ont dédié un culte et y ont inclus de nombreux éléments religieux.

Takano

D'ailleurs, la fameuse purification du coton du mois de juin, je pense que ce n'était pas une cérémonie pour célébrer la fin de la saison froide.

Takano

À mon avis, c'était un festin pendant lequel on enlevait un humain dans un autre village, et tout le village était convié à venir le manger.

Takano

Je pense qu'ils le préparaient comme les poissons, ils lui ouvraient l'abdomen et commençaient par lui retirer ses entrailles, pour les jeter ensuite dans la rivière.

Takano

'Wata' can mean 'cotton,' but it also means 'organs.'

Enfin bref, c'est ça, l'origine du nom de cette fête.

Shion

— La purification... des entrailles ?

Takano

— Eeeeh oui.

Takano

D'après mes recherches, l'explication officielle est passée des entrailles au coton juste autour de l'époque de l'ère Meiji, comme par hasard.

Takano

De toute façon, ce n'est pas comme si l'on pouvait se permettre de conduire ce genre de cérémonies encore de nos jours, c'est fini tout ça, les gens feraient un scandale.

Shion

— ... ...

En tout cas, Miyo n'y allait pas de main morte avec sa théorie.

Mon rire gêné se termina dans un silence, qui se prolongea, incrédule.

Bien évidemment, Miyo put lire tout cela sur mon visage -- je n'essayais pas spécialement de cacher mes émotions.

Takano

— Je tiens quand même à te rassurer, je n'ai pas inventé cette histoire de toutes pièces.

Takano

Si tu me jures de ne le montrer à personne, je peux te prêter un cahier dans lequel j'ai consigné un abrégé de mes notes de recherches.

Elle chercha dans un sac posé à ses pieds, et en sortit un cahier assez écorné, qui avait manifestement beaucoup, mais alors beaucoup servi. Elle chercha une page bien précise de l'index et m'en montra le contenu.

À première vue, il y avait une sacrée masse de texte -- elle n'avait pas fait semblant quand elle avait fait ses recherches.

Shion

— Eh bien, merci mille fois, vraiment !

Si vraiment j'ai le droit de vous l'emprunter, ce serait avec plaisir. Je le lirai plus tard, en prenant bien mon temps, histoire d'être sûre de bien tout avoir compris.

Takano

— Pas de problème, tu peux.

Normalement, je ne le montrerais à personne, mais bon...

Takano

Tu es un peu spéciale, puisque tu t'intéresses aussi à cette malédiction, alors je veux bien faire un geste.

Elle fit encore tout un tas de manières, mais elle finit par me prêter ce cahier.

Je crois bien qu'il va me falloir toute la nuit, ne serait-ce que pour le lire une seule fois.

Je n'ai pas pu y jeter un œil en profondeur, mais ça m'a l'air d'être du lourd.

Je peux voir des morceaux de photocopies collées, des post-it et des marques pages qui dépassent de partout. Ce n'est pas un livre de science-fiction, ce cahier, c'est quelque chose de très sérieux.

Shion

— ... Je voudrais revenir sur un truc que vous disiez tout à l'heure.

Chaque année, une personne meurt et une autre disparaît, “donnée en sacrifice”.

Satoshi a disparu.

Est-ce que c'est ça, l'explication ?

Il a été sacrifié à la déesse Yashiro ?

Ça veut dire quoi au juste ?

Ma question eut l'air, encore une fois, de beaucoup plaire à Miyo, qui sortit un autre cahier et me le força dans les mains sans rien dire.

Takano

— Lis le tout pour bien comprendre, mais je peux t'en parler un peu.

La malédiction de la déesse Yashiro, pour faire simple, est due à la colère de la déesse.

Takano

Quand elle se met en colère, elle maudit la personne qui l'a offensée.

Tu me suis jusque là ?

Shion

— Oui, je comprends.

Lors de la guerre du barrage, les gens qui travaillaient contre les intérêts du village ont énervé la déesse, et donc elle les a maudits, c'est ça ?

Takano

— Oui.

Sauf que la déesse Yashiro, une fois qu'elle a maudit quelqu'un, il ne faut pas la laisser dans son coin et ne plus s'en préoccuper,

car sinon, elle déclenche une malédiction encore plus terrible.

Takano

C'est pour cela que le prêtre du village, le chef de clan des Furude, a toujours sacrifié des gens à la déesse, après chaque mort par malédiction, pour apaiser sa colère.

Takano

Ils appellent ça le rituel du sacrifié, mais bon, c'est pas le plus important...

Shion

— Mais donc, ce que vous êtes en train de dire... C'est que chaque année, une personne est tuée à cause de la malédiction,

Shion

et une autre est tuée pour calmer la colère de la déesse ?

Shion

Mais pourtant, les gens ne parlent que des meurtres, et puis, il n'y a qu'un seul mort !

Shion

Je n'ai jamais entendu parler de cette histoire de sacrifice humain !

Takano

— Évidemment qu'il n'y a pas de deuxième cadavre, voyons.

Le corps sacrifié est plongé dans les abysses des démons.

Le marais n'ayant pas de fond, le corps y plonge et ne remonte jamais.

Takano

Depuis la nuit des temps, on n'a jamais rien retrouvé dans ce marais, donc ça ne m'étonne pas plus que cela.

Shion

— Mais alors... Il y a les corps de ces sacrifices dans le marais ? Ceux de chaque malédiction ?

Satoshi aussi serait parti rejoindre les autres dans les eaux vertes et croupies du marais ?

Takano

— Va savoir...

Takano

Je ne sais pas si les corps sont vraiment dans le marais ou pas.

Takano

Mais une chose est sûre, chaque année, une personne disparaît, et les gens qui organisent ces meurtres veillent bien à cela précisément à cause de cette cérémonie du sacrifice. En tout cas, je serais prête à le parier.

Tous les gens qui ont soutenu le projet de barrage meurent un à un, chaque année, lors de la purification du coton.

Et à cause d'eux, chaque année, une victime innocente est enlevée, et disparaît sans laisser de trace.

Et elle n'est jamais retrouvée, car son corps est plongé dans le marais du village, les abysses des démons, et que ce marais sans fond ne régurgite jamais rien.

Takano

— Enfin bref, tout ça pour dire :

Takano

ces meurtres sordides à Hinamizawa fonctionnent toujours par paquets de deux, c'est le principe de cette légende qui veut cela.

Takano

Et en répétant ces meurtres chaque année, le village se débarrasse de deux de ses anciens ennemis. C'est ça, la base de cette malédiction.

Shion

— ... ... ...

Takano

— Mais bon, là, je t'en parle à la va-vite et je fais l'impasse sur pas mal de détails.

Takano

Si tu ne me crois pas, je ne t'en voudrai pas, mais lis bien les deux cahiers que je t'ai prêtés, tu verras.

Takano

Prends ton temps, histoire d'être sûre de bien tout comprendre,

Takano

et tu devras, je pense, admettre que ma théorie n'est pas fabriquée de toutes pièces...

Soudain, une voix d'homme retentit.

À l'entrée, un homme d'âge mûr l'appelait, lui faisant de grands signes de la main.

Takano

— ... Désolée, la personne que j'attendais est arrivée.

Takano

C'est dommage, j'aurais voulu te parler un peu plus longtemps.

Takano

Mais bon, tant pis, ce sera pour une prochaine fois.

Takano

Et puis, tu devras bien me les rendre un jour, ces cahiers !

Takano

Nous en reparlerons en détail, je verrai bien si tu as réellement lu et compris tout ce que j'y ai consigné...

Miyo se leva d'un seul coup, mettant fin abruptement à notre conversation, puis se dirigea à pas précipités vers l'homme qui l'attendait.

Je me retrouvai seule avec ses deux cahiers de recherche, qui avaient visiblement bien vécu.

Après avoir rejoint l'homme à l'entrée, elle se retourna et me fit un signe de la main, avant de quitter la bibliothèque.

Je me rassis à ma place et feuilletai mollement les précieuses notes de recherche.

Alors comme ça, tout ce qu'il y a à savoir sur cette fameuse malédiction

est consigné là-dedans ?

En les lisant, je pourrais peut-être découvrir la vérité...

En tout cas, en connaissant tous ces détails, je pourrai faire un lien avec la personne du village la plus à même d'organiser ces événements.

Je me demande dans quelles circonstances Satoshi a été embobiné... et dans quelles circonstances il a disparu.

Je suis persuadée que j'obtiendrai de nombreux indices dans ces deux cahiers pour découvrir cela aussi. Commençons par le commencement...

Notes de recherches - Miyo Takano

Cette fois-ci, je fis bien attention à ce que personne ne pût lire dans mon dos, et me plongeai dans une lecture attentive du document que j'avais entre les mains...