Je me réveillai.
J'avais un mal de crâne épouvantable, et mes souvenirs étaient confus. Je ne savais plus trop ce qu'il s'était passé, ni comment j'étais arrivée ici.
Ma main gauche était bandée.
Je pouvais quand même sentir que les trois doigts sans ongle avaient bien gonflé.
... Oui, c'est vrai, ils m'ont arraché les ongles manquants, et au bout de trois, j'ai donc pu régler l'addition.
Je vois encore la vieille folle me texter pendant une éternité sur je-ne-sais-quelle leçon de savoir-vivre, mais franchement, je n'avais rien retenu.
Je sais qu'ensuite, ils m'ont emmenée dans une clinique de chirurgie esthétique.
La voiture avait beaucoup tremblé sur la route, ça m'avait fait très mal.
Quelqu'un m'a passé une boîte de douze pilules contre le mal de tête en me disant qu'elles arrêteraient la douleur, et j'en avais avalé une.
La pub à la télé disait vrai, elles faisaient de l'effet très rapidement, ces pilules.
Mais ce que la pub ne disait pas...
c'est que l'effet s'estompait au bout d'à peine dix minutes...
Alors j'ai pris ces pilules dès que nécessaire, sans eau.
On m'a prodigué des soins à la clinique, et pendant que j'étais en train d'attendre dans la salle d'examen,
... Kasai fut soudain en face de moi.
Je suis sûre qu'il voulait me demander si j'allais bien, mais il s'est retenu.
Il avait bien vu que mon bras était en bandoulière et que ma main était cachée par des bandages, et que donc non, je n'allais visiblement pas très bien.
Kasai m'avait l'air sain et sauf.
... En tout cas, je ne pus voir aucune trace de coups sur lui, même en essayant de faire attention.
... Au moins, je n'ai pas subi tout ça pour rien... Tant mieux...
Il ne disait rien.
Son visage restait impassible, mais il semblait déterminé à rester à mes côtés, comme s'il attendait des ordres... Je crois qu'en fait, il avait envie de me dire quelque chose, mais qu'il se retenait.
— ... ... ... Kasai ?
— ... ... Qu'y a-t-il, Mademoiselle ?
— ... ... ...
Il a attendu avant de me répondre... Comme s'il avait dû réprimer une remarque. Il doit être en colère après moi...
Je ne regrettais pas avoir révélé mon identité en public pour venir en aide à Satoshi.
Mais quand je me mettais à penser à Kasai et à mon oncle Yoshirô, c'était déjà nettement plus compliqué.
— ... Tu sais ce qu'il est arrivé à Yoshirô ?
— Non.
— ... ... ...
— ... Ne vous en faites pas, il a la peau dure.
Il s'en est sorti sans encombre, j'imagine.
Mais n'oubliez pas d'aller lui présenter vos excuses quand même.
— ... ... ... Oui, tu as raison.
À dire vrai, j'aurais aussi voulu lui demander comment allait Satoshi.
J'avais vraiment peur que le clan l'eût simplement emmené en salle de torture sans autre forme de procès, pour lui faire subir des tas de supplices.
Et pourtant, j'hésitai franchement à prononcer son nom devant Kasai.
Après tout, mise au pied du mur, j'avais bien dû peser le pour et le contre, et Satoshi m'avait paru bien plus important que les vies de Kasai et de Yoshirô, ce qui était une insulte grave, quelque part.
... Je me demande s'il est sain et sauf.
Même en admettant qu'ils ne l'aient pas torturé... Ils l'ont peut-être enfermé quelque part. J'espère que non, mais bon...
... Après encore quelques longs moments d'attente, on m'appela à la caisse pour régler les frais de consultation et les soins, puis Kasai me ramena en voiture jusqu'à mon appartement...
J'avais la tête un peu dans le jazz, et je mis un moment à comprendre que quelqu'un toquait à la porte.
— Mademoiselle Shion ?
Vous devriez vous lever, je vous assure. Ce n'est pas bon de rester trop longtemps alitée.
Il n'y avait aucun doute, c'était Kasai.
Il plaça sur mon bureau les différents paniers-repas et les légumes qu'il avait achetés, puis nous nous mîmes à piocher dedans un peu au hasard.
— ... Vous avez pu reprendre vos esprits ?
— ... ... ... J'ai plus l'impression d'être déprimée que vraiment calmée, je dois dire.
... Pouh...
— Vous êtes restée allongée tout le temps, ces derniers jours ?
Vous avez bien pris vos repas ?
— ... Oui, j'ai pris ce qui venait dans le frigo.
Sinon, je n'ai fait que regarder le plafond ou dormir.
Cela faisait maintenant trois jours.
J'étais restée couchée la majeure partie du temps.
J'avais eu parfois le sommeil léger, et m'étais réveillée de nombreuses fois, mais n'ayant ni la force ni la volonté de me lever, j'avais préféré rester dans les bras de Morphée, histoire de ne pas trop réfléchir non plus.
J'avais plus ou moins oublié la faim qui me tenaillait, mais maintenant que je pouvais sentir les paniers-repas tout proches, il m'était impossible de l'ignorer plus longtemps.
N'ayant rien de particulier à raconter, je mangeai en silence, amenant rapidement les baguettes à ma bouche, sans trop me poser de questions.
— Hier... Mademoiselle Mion a essayé de vous contacter.
Elle m'a dit avoir appelé plusieurs fois le numéro de votre appartement, mais que vous n'aviez pas répondu.
Lorsque j'entendis ce prénom, j'eus un haut-le-cœur, comme si quelque chose en moi s'était soulevé, prêt à tomber de son socle.
Mais je laissai Kasai continuer.
— ... Le clan principal estime que vous avez su prendre vos responsabilités toute seule et que vous avez donc acquitté votre dette d'honneur.
Vous serez renvoyée de Sainte Lucia
et inscrite dans une école d'Okinomiya.
— ... ... Ils ont donc enfin reconnu mon existence...
— Oui, il semblerait.
Elle m'a dit que vous aviez tout à fait le droit de vivre ici en utilisant votre vrai nom désormais.
Pour autant, il vous est interdit de vous installer à Hinamizawa,
et aussi de vous faire passer pour Mion Sonozaki.
Vous êtes aussi conviée à ne pas trop vous montrer. Il y a encore quelques petites choses, mais...
— Ouais, je vois le topo. Ils m'accordent le droit de vivre, mais il faut pas que j'abuse, en gros. J'ai pas intérêt à refaire une connerie.
— Je pense que cela résume assez bien la situation, en effet.
Oh, bien sûr, cela ne vous concernera pas toute votre vie,
simplement pendant quelques mois, le temps que les choses se calment d'elles-mêmes.
Enfin, ils n'ont pas cité de date précise, mais je pense que vous feriez mieux de vivre sans faire trop d'éclats jusqu'aux fêtes de la nouvelle année.
— Tu sais, j'en demandais pas plus, à la base.
... D'ailleurs, c'est ce que je faisais jusqu'à l'autre jour.
Kasai eut un petit rire gêné.
Au moins, il en était conscient... Moi aussi, je me mis à rire, même si le cœur n'y était pas tout à fait.
Puis, refusant de laisser la conversation mourir et de retourner m'enfermer dans le silence, je me décidai enfin à lui poser la question.
— ... ... Que... Qu'est-il arrivé
à Satoshi ?
— ... ... ...
Je ne demandais pas le bout du monde. Kasai n'avait qu'à me dire que Satoshi allait bien, sans entrer plus dans les détails.
Sauf qu'il ne répondit rien. Ce n'était pas normal.
— ... Kasai ?
Est-ce que Satoshi va bien ?
— ... Mademoiselle.
Kasai posa ses baguettes sur leur reposoir.
— Le Clan Principal m'a ordonné de bien vous faire comprendre que vous devriez oublier Satoshi Hôjô.
— ... ... ...
C'est quoi, ces conneries ?
— Mademoiselle,
je n'ai pas envie de me disputer avec vous à ce sujet. N'en parlons plus.
Je vous ai fait savoir ce que le Clan avait à vous dire dessus, mais je ne désire pas en discuter plus avant.
— Mais qu'est-ce que ça veut dire au juste,
“Je veux pas en discuter plus avant” ? Kasai !
— ... ...
Kasai reprit ses baguettes et se remit à manger, faisant comme s'il ne m'entendait pas.
C'était la première fois que je le voyais aussi têtu et aussi méchant avec moi.
... Le clan Sonozaki s'est toujours servi de la famille Hôjô comme d'une brebis galeuse, coupable toute désignée pour être le souffre-douleur du village.
Évidemment, si une Sonozaki venait à s'enticher d'un Hôjô, cela ferait sacrément tache, je pouvais comprendre cela.
Sauf que moi, ça ne m'amuse absolument pas.
Sa sœur Satoko est bien considérée comme une amie de ma sœur, non ?
Donc en fait, c'est juste parce que je suis une fille et qu'il est un garçon ?
... De toute façon, je n'ai pas trop le choix. Si je me fais encore une fois remarquer en rapport avec lui, il pourrait réellement lui arriver des problèmes.
Ils m'ont forcée à m'arracher des ongles.
Si vraiment il devait se passer quelque chose, le clan n'hésitera pas.
Je n'ose même pas imaginer quelle torture sadique et cruelle ils lui infligeront.
... Si vraiment je l'aime, il vaut mieux ne plus m'approcher de lui... Quoique, ça me paraît dingue.
En plus, à moins qu'il ne réintègre l'équipe des Fighters de Hinamizawa,
je le vois mal revenir souvent à Okinomiya.
Et moi, si je veux me rendre à Hinamizawa, il faut que je me fasse passer pour ma sœur.
Sauf que Mion ne risque pas de me revenir en aide.
Ou alors, vraiment dans très longtemps, quand tout ça se sera bien calmé et bien décanté. C'est clairement pas pour tout de suite, donc.
... Même si le clan ne m'a pas interdit expressément de le rencontrer…
Il se trouve qu'en fin de compte, je n'ai plus aucun moyen de le voir.
Ah, mais si !
Mion m'a donné son numéro de téléphone l'autre jour, non ?
Je peux donc lui téléphoner !
Et lui demander s'il ne peut pas venir pour que l'on puisse se voir...
... ... ... En même temps, j'ai déjà été forcée une fois à prendre mes responsabilités vis-à-vis du clan, précisément à cause de ça. Ils ne seront pas aussi “indulgents” la prochaine fois.
Alors pourquoi est-ce que je tiens tellement que ça à mettre Satoshi dans une situation aussi dangereuse ?
— ... ... Kasai ?
Je... J'aimerais rester seule un moment.
Il se mit à empiler les restes du repas avec précipitation, pensant certainement que je le mettais dehors.
— Non, non, bouge pas,
tu peux manger.
Je vais aller me promener toute seule, c'est tout.
— ... Je dois quand même sortir d'ici, Mademoiselle, ou bien vous ne pourrez jamais fermer à clef.
Il termina de débarrasser la table, jeta les ordures, puis sortit avec moi de l'appartement.
— ... Ah, et juste pour que tu le saches, non, je ne compte pas aller rencontrer Satoshi, alors pas la peine de me prendre en filature.
— Très bien, Mademoiselle.
Je lui tournai le dos et m'en allai sans plus rien dire.
En quête de solitude, mes pas me conduisirent là où j'avais encore des regrets.
Pour être plus précise, je me retrouvai devant le magasin de jouets dans lequel Satoshi avait réservé cette fameuse peluche pour sa sœur.
Je ne peux pas nier que quelque part, j'avais eu un mince espoir de le croiser sur le chemin du magasin.
D'ailleurs, j'ai bien regardé tous les gens dans la rue qui lui ressemblaient de près ou de loin.
Je jetai un coup d'œil dans la vitrine.
... La grosse peluche avait disparu.
— Félicitations, Satoshi.
Tu l'as enfin eue.
Sa salope de tante était morte et son connard d'oncle était encore chez sa maîtresse.
Il a donc pu jouer le grand frère attentionné et offrir son cadeau. Je parie que sa sœur a adoré.
Il n'y a plus personne pour le faire souffrir.
Et il n'est plus obligé de travailler tous les jours.
Il est donc enfin libre. L'enfer de son quotidien est enfin terminé.
Avec le temps, il finira bien par retrouver le sourire.
Et il redeviendra le Satoshi que j'aime tant...
... ... Sauf que moi, désormais, je ne serai plus là.
Un coup de klaxon retentit derrière moi.
Au départ, je ne pensai pas qu'il m'était adressé, aussi n'y prêtai-je aucune attention.
Mais au bout d'un moment, excédée par le bruit, je finis par lever la tête.
Quelqu'un me faisait signe de la main depuis la voiture.
... C'était le Chef.
Il avait l'air tout jovial, en plus. Il ne ferait pas cette tête s'il savait ce qu'il s'était passé...
— Bonjour, Sonozaki !
Ça fait un moment qu'on ne te voit plus.
Oh, laisse-moi deviner, tu attends Satoshi ?
— ... Non, pas vraiment, non.
— Ah bon ? Non parce que, Satoshi venait souvent regarder cette vitrine.
C'est pour ça, je me suis dit que vous vous étiez peut-être donné rendez-vous ici.
— Non, en fait, je ne fais que passer par hasard dans cette rue.
... On dirait bien qu'il a pu l'acheter, cette peluche.
Le Chef avait l'air d'être au courant, lui aussi.
Il regarda l'immense espace vide laissé par la peluche manquante en souriant.
— Hier, c'était l'anniversaire de Satoko.
Je parie qu'il la lui a offerte.
— Je vois. Il n'a donc plus besoin de se tuer à la tâche avec tous ces petits jobs, alors.
— Oui, en effet.
— ... Dites-moi... Est-ce que... Est-ce que Satoshi a donné sa démission du club ?
— Quoi, il a rempli un formulaire de résiliation ?
J'ai rien reçu, moi.
Toi qui es la manager, tu as eu quelque chose ?
— Ahahahaha, non, il ne m'a rien donné.
— Ah, ben si ni toi ni moi n'avons reçu de formulaire, c'est qu'il n'a pas encore officiellement quitté l'équipe.
Il y a de fortes chances pour qu'il revienne jouer lorsque les choses se seront un peu calmées dans sa vie.
Et si tu n'es plus là quand il reviendra, il risque d'être très triste, le pauvre.
Il est vraiment doué,
ce mec.
Il a bien compris que j'avais le moral à zéro, et il fait semblant d'être insouciant pour me faire rire.
— ... Sonozaki, toi aussi, tu devrais revenir quand tu t'en sentiras capable.
Je me sens un peu seul quand tu n'es pas là.
Et quand tu reviendras, je pense instaurer l'uniforme de soubrette pour la manager, j'ai déjà commandé le tien.
C'en était vraiment trop : je ne pus pas m'empêcher de pouffer de rire.
C'est vraiment toujours le même, ce type...
— ... Ah, au fait !
C'est vrai, j'ai eu l'autorisation de vous le dire, maintenant.
Chef, je suis désolée de vous avoir menti jusqu'à présent.
Je ne suis pas Mion, en fait.
Je suis sa sœur jumelle, Shion, sa petite sœur, en fait.
J'ai dû me faire passer pour elle ces derniers temps, c'est un peu compliqué, mais bon, c'est fini maintenant.
— Quoi, comment,
qu'est-ce que tu dis ? Sa sœur jumelle ?
Il avait l'air tellement décontenancé que je pouffai de rire à nouveau.
— Oui, sa sœur jumelle.
Je m'appelle Shion.
Le clan principal des Sonozaki ne peut pas me voir en peinture, alors je n'ai pas trop le droit de me montrer dehors.
— ... Alors ça... Je n'étais pas au courant !
Mion a donc une sœur jumelle... Eh ben...
— Éhhéhhéhhé ! Ouais, je vous le fais pas dire !
Soudain, contrastant avec la voix douce du chef, un rire gras, rauque, vicieux, nous interrompit.
Encore
Ôishi ?
— Bonjour, Docteur Irie.
Merci d'être resté si tard l'autre soir.
— Oh, je vous en prie, Inspecteur, je n'ai rien pu faire pour vous aider, je vous présente mes plus plates excuses.
Aaah, la façade de politesse des adultes...
Toute cette haine contenue dans le regard, malgré ces beaux sourires fallacieux. Que du bonheur...
Le chef se mit à me chuchoter rapidement :
— ... Il vaut mieux que je parte tout de suite. Tu veux monter ?
Je te dépose chez toi, si tu veux.
Apparemment, il est persuadé que l'inspecteur en a après moi. C'est sympa de sa part de me proposer son aide...
Hmmm, à bien regarder Ôishi, il avait effectivement l'air plus intéressé par moi que par le Chef.
Je suppose qu'il veut me cuisiner sur ma déposition jusqu'à ce que je fasse une erreur, pour pouvoir enlever tout alibi à Satoshi...
Franchement dit, je ne devrais avoir aucun problème à éviter ses pièges et ses questions, mais ça me ferait chier de perdre mon temps au commissariat.
— Hmmm, pourquoi pas, oui.
Bon, ben, Chef,
je pense qu'on devrait y aller, tout doucement.
— Aïe, vous êtes en route pour ailleurs, en fait ?
— Eh oui.
En fait, nous cherchons des lots pour la fête du club de baseball.
Il nous reste encore plusieurs magasins à aller vérifier, pour tout vous dire, alors nous allons devoir y aller, effectivement.
Le Chef inclina la tête pour prendre congé, et j'en fis de même.
Sacré lui quand même, il a réussi à mentir comme si de rien n'était.
Ça doit beaucoup lui servir avec les autres adultes, cette capacité...
Pourtant, Ôishi semblait avoir compris que c'était du flan et que cela devait simplement nous permettre de nous barrer à toute vitesse.
Sauf qu'il ne pouvait pas nous en empêcher, vu qu'il n'avait pas de mandat d'arrêt.
— ... Au fait, ça va mieux, votre main ?
Mademoiselle Sonozaki.
À ces mots, je ne pus m'empêcher de m'arrêter brusquement, figée tout net, en plein élan pour m'asseoir sur le siège passager.
Ma main gauche est complètement enveloppée dans des bandages.
Et comme c'est très ridicule, je la cache en gardant les mains dans les poches.
L'inspecteur ne peut pas avoir vu mes mains...
— Tant que vous faites juste bien attention à ne pas laisser de pus se former, ne vous en faites pas, vos ongles redeviendront beaux.
Moi aussi quand j'étais gamin, il m'est arrivé de perdre un ongle ou l'autre en faisant l'imbécile, et pourtant regardez mes mains, mes ongles sont impeccables !
Éhhéhhéhhé !
— ... ... Un homme qui fait attention à ses ongles, c'est plus dérangeant qu'autre chose, vous savez.
... L'inspecteur Ôishi était réputé être le meilleur élément du commissariat d'Okinomiya, et très au courant de ce qu'il se passait à Hinamizawa.
Et cette réputation n'était pas usurpée, puisqu'il avait appris ce qu'il m'était arrivé.
Je vous rappelle tout de même que tout ceci s'est passé dans un endroit secret, caché au plus profond de la propriété du clan principal.
Je ne sais pas comment il a obtenu cette information, mais il doit avoir un sacré réseau.
— Eh bien, merci beaucoup pour venir me remonter le moral, c'est très gentil et très honorable de votre part.
Ce sera tout ?
Je peux y aller ?
— Mademoiselle,
vous ne voudriez pas aller boire quelque chose avec moi ?
— ... Pardon ?
Vous êtes ici pour m'emballer ?
— Oh, si vous y tenez, ça peut s'arranger, hein ?
Éhhéhhéhhé !
— Non merci, je préfère décliner votre offre.
Il n'y a que 24h dans une journée et pas une minute de plus.
Je serais stupide d'aller expressément perdre mon temps avec vous.
— Haa là là là là, bon, d'accord, j'ai compris.
Que dites-vous de ça, alors ?
Si jamais je vous ennuie avec la conversation, vous pourrez partir sur-le-champ.
Je ne vous retiendrai pas.
C'est une promesse, hein ? Ça vous va ?
— ... Si vous voulez tellement parler, je vous en prie, parlez tout votre saoul, mais moi, je vous préviens, je ne dirais pas un mot.
Si ce genre de conversation vous va...
— Oui, bien sûr, pas de problème.
Je parlerai tout seul,
et vous ne ferez qu'écouter, cela me convient parfaitement.
Vous pourrez boire un café en passant le temps pendant que je parle.
... ... Il était beaucoup trop arrangeant pour être honnête.
Et pourtant, il n'avait pas l'air d'en avoir après ma déposition.
S'il sait pour mes ongles et qu'il me promet une conversation passionnante, c'est qu'il a du lourd…
Je ne me cachais pas d'une certaine méfiance, mais j'étais, à l'évidence, intéressée.
— ... Chef, je...
Désolée, mais j'ai un rencard avec M. Ôishi.
— Mion ! Euh, non, Shion, je suppose...
Je lui fis un clin d'œil.
Le Chef ne dit plus rien. Il remonta dans sa voiture en silence et repartit.
De l'autre côté de la route, l'inspecteur faisait une marche arrière avec son véhicule pour se rapprocher de moi.
Comme je ne voulais pas être à la place du mort, je préférai monter sur la banquette arrière.
— ... Vous m'emmenez vraiment dans un café ?
— Hmmm... Si vous connaissez un café dans le coin où vos parents n'auraient pas d'oreilles, il va falloir me l'indiquer, et croyez-moi, je suis très friand de ce genre d'informations...
— Tsss, je le savais.
Bah, emmenez-moi au poste, alors. C'était ce que vous comptiez faire, de toute façon, j'imagine ?
Ôishi ne répondit pas. Après avoir bien regardé la circulation, il mit son clignotant et s'inséra prudemment dans le flot de véhicules, ce qui, sur le moment, me parut assez surréaliste venant de lui...
La voiture d'Ôishi ne faillit pas à mes attentes ; elle nous conduisit devant le commissariat d'Okinomiya.
S'il m'avait vraiment emmenée dans un grand restaurant ou un café bien sympathique, je me serais découvert un nouveau respect pour lui,
mais je suppose que c'était trop espérer...
— Ne vous méprenez pas, je vous emmène ici uniquement parce que c'est plus pratique pour moi.
Si je vous bassine avec mes histoires, ma promesse tient toujours, vous pourrez vous en aller quand vous le voudrez.
— ... Eh bien, il ne vous reste qu'à me sortir le grand jeu pour ne pas m'ennuyer, je suppose.
... Vous voulez que je vous donne le bras ?
L'inspecteur partit d'un grand fou rire, puis passa devant moi pour m'indiquer le chemin...
Il me conduisit non pas vers une salle étroite pour me cuisiner avec un interrogatoire musclé, mais devant un bureau orné de la plaque de la Section d'Investigation n°1.
Il y avait dans cet immense espace des policiers en uniforme comme en civil qui s'affairaient qui sur leurs dossiers, qui au téléphone, qui encore à se détendre.
Devant un bureau en marbre, très imposant, sur lequel on pouvait lire un écriteau proclamant « Chef de Section », il y avait un large sofa.
L'inspecteur m'invita à y prendre place et se dirigea vers un petit meuble à couverts pour y sortir de quoi me préparer un café instantané.
N'ayant pas pour habitude de visiter ce genre d'endroits, je lançai des regards furtifs et nerveux un peu partout dans la salle.
— Quoi, vous pensiez que je vous ferais manger un morceau de porc pané en salle d'interrogation ?
Ôishi m'apporta un café dans une jolie tasse, avec une cuiller d'un ton argent mat.
— ... En fait, je suis surprise par la qualité de votre hospitalité.
J'étais sûre de finir sur le cheval en bois, je suis presque déçue, pour le coup.
— Non, vous devez me confondre avec un autre, ce n'est pas moi qui forme les prostituées du coin à leur métier, je ne suis pas de ces gens-là.
Éhhéhhéhhé !
— Et donc ?
... Vous n'étiez pas censé me faire la conversation ?
— Si, d'ailleurs, je vais commencer par du lourd, histoire de ne pas tourner autour du pot.
Dites-moi, mademoiselle Shion Sonozaki, est-ce que vous ne seriez pas, par hasard, un tout petit peu beaucoup amoureuse de ce cher Satoshi Hôjô ?
— ... Pardon ? Vous êtes sérieux ?
Je crois que je vais rentrer alors, vous me tapez déjà sur le système...
— Éhhéhhéhhé... Bon, faites comme si vous n'aviez rien entendu, alors.
... S'il sait que j'ai été forcée à m'arracher les ongles, il sait aussi forcément pourquoi et comment.
Sa question n'était pas sérieuse dans le sens où il savait pertinemment que j'étais amoureuse de Satoshi ; il voulait juste me le faire savoir.
— Écoutez, si vous voulez l'alibi de Satoshi pour le jour de la mort de sa tante, demandez donc à votre collègue Kumadani, là, ou je ne sais plus. Je lui ai tout dit ! Enfin, il me semble.
— Ne vous en faites pas, j'ai lu le rapport de Nounours. Euh, de l'officier Kumadani, oui, effectivement.
Vous étiez avec Satoshi, vous le lui avez raconté.
— Alors quoi ? Vous pouvez me poser la question vingt fois, je vous ressortirai vingt fois la même histoire, vous savez.
Si vous croyez que je vais me trahir avec un détail à force de répéter tout le temps la même chose, vous vous fourrez le doigt dans l'œil jusqu'à l'omoplate.
— Allons bon, loin de moi cette idée.
Vous êtes une personne intelligente,
je sais que vous ne tomberiez pas dans le panneau.
— Alors je suis curieuse de savoir à quoi vous pensez, je dois dire.
De toute façon, je n'ai rien à vous raconter de plus que la dernière fois,
pas de chance, hein ?
Bon, cette discussion ne nous mènera à rien, alors je vais partir, je pense.
Vous m'aviez promis que je pourrais partir,
et bien, il est grand temps de le faire, je pense.
Sur ce.
Ne lui laissant pas le temps d'en placer une, je me levai.
— Mademoiselle.
Oui, j'ai effectivement envie de vous demander de fournir un alibi à Satoshi,
c'est vrai, je l'avoue, MAIS.
— Il n'y a pas de mais.
Je vous laisse.
Bonne journée.
Je tournai les talons et me dirigeai vers la sortie.
L'inspecteur resta où il était, sans se démonter, et parla simplement un peu plus fort.
— Mais, disais-je donc,
je ne souhaite pas connaître l'alibi du jour du meurtre.
Je voudrais savoir où il était hier.
— Hier ? Pourquoi hier, il lui faut un alibi pour hier ? C'est quoi cette histoire ?
Ça n'a rien à voir avec le meurtre de sa tante, à ce que je sache ?
— Eh bien hier, Satoshi a disparu, et il n'est pas rentré, voyez-vous.
... Quoi ?
— ... Tiens ? Vous ne saviez pas qu'il avait disparu ?
— ... ... ... ...
Je ne pus rien dire, mais je pense que mon silence choqué sut très bien tenir lieu de réponse.
— Qu'est-ce que ça veut dire ?
Comment ça, “disparu” ?
— Vous devriez vous asseoir, vraiment.
— Mais c'est quoi, ça ? Il a disparu ?
C'est quoi ces conneries, là, oh !
— La seule chose que nous sachions pour sûre pour l'instant, c'est qu'il a vidé son compte en banque à la Poste d'Okinomiya peut avant 15h hier après-midi.
Après cette heure, nous ne savons pas où il est allé.
Je savais pourquoi il avait vidé son compte en banque.
Il lui fallait acheter cette fameuse peluche pour sa sœur.
... Oui, bien sûr, il est allé acheter la peluche hier, donc.
— Écoutez, c'est juste mon idée sur la question, d'accord ?
Je pense qu'il s'est servi de cet argent pour s'évanouir dans la Nature.
— Quoi, vous pensez que ce serait son pécule pour se mettre à l'ombre ?
Mais vous êtes pas bien dans vot' tête, ma parole.
Cet argent, il l'a gagné ces dernières semaines pour pouvoir acheter le cadeau d'anniversaire à sa petite sœur, Satoko.
Vous vous souvenez du magasin de jouets ? La peluche énorme qu'il y avait dans la devanture, eh bien il l'a achetée.
Donc cet argent n'a rien à voir avec sa fuite.
— Oui, c'est vrai, la peluche la plus chère du magasin a été vendue.
Mais nous n'arrivons pas à trouver la preuve que c'est bien Satoshi qui l'a achetée, voyez-vous.
— Mais enfin, demandez donc au proprio !
J'étais là le jour où il l'a réservée !
Oh, c'est vrai...
Une idée effarante me traversa la tête.
... Ce jour-là, c'était un vieillard qui s'occupait du magasin,
et il n'avait carrément plus toute sa tête.
Si ça se trouve, c'était lui qui était à la caisse hier,
et même si Satoshi a effectivement acheté la peluche, lui-même,
le vendeur, ne s'en souvient pas !
Ôishi se mit à rire, un peu gêné.
... Je parie qu'il a effectivement été demander des explications à ce vieil homme...
— Oui, enfin bon, bref !
C'est Satoshi qui l'a achetée !
Il avait à peine de quoi se la payer,
alors il n'a pas pu acheter la peluche et ensuite, encore en plus, s'acheter un billet pour partir très loin.
C'est complètement dingue, votre histoire !
— OK, comme vous voudrez, Mademoiselle.
Alors admettons, il a acheté la peluche.
Mais alors, pourquoi n'est-il pas rentré chez lui ?
À ces mots,
je sentis mon cœur s'emplir d'aiguilles de glace, gelant et perçant tout sur leur passage.
Satoshi s'est donné un mal de chien pour gagner cet argent, il s'est forcé à bosser comme un malade, jusqu'au bout de ses forces, jusqu'au bout de ses nerfs.
Puis, enfin, il a pu acheter cette peluche dont sa sœur rêvait tant.
Personne ne peut être simplement entré par hasard dans le magasin et avoir acheté cette peluche avant lui, sur un coup de tête, c'est absolument impossible !
Si elle a été vendue, elle l'a été à Satoshi.
Ça, c'est sûr et certain !
Mais alors, dans ce cas...
S'il a pu enfin l'obtenir, Satoshi l'aura forcément donnée à sa sœur, quitte à en mourir.
Et pourtant, apparemment, il a acheté cette peluche...
et n'est pas rentré à la maison.
Il n'est pas rentré à la maison ?
Non, c'est pas possible.
S'il a acheté la peluche, il a dû rentrer à la maison illico presto, sans se soucier du reste du monde.
S'il a acheté cette peluche, il n'a pas pu se mettre en tête de s'enfuir et de disparaître.
D'ailleurs, même en imaginant qu'il pense à se cacher de la Police, ça n'a aucun sens, cette affaire.
Il n'a pas pu se tuer à la tâche pour finalement acheter le cadeau à sa sœur et finir par se dire “Bah, non, je lui ai acheté un cadeau, mais je lui donnerai pas”, c'est n'importe quoi.
C'est lui qui a acheté cette peluche !
Lui et pas un autre, ça ne peut faire aucun doute.
Le problème, en fait, c'est de découvrir pourquoi il ne l'a pas ramenée chez lui pour l'offrir à sa sœur !
Elle est pas petite, cette peluche.
Il ne peut pas l'avoir calée dans son panier avant, sur le guidon.
Au pire, il peut avoir ramené un grand sac en plastique et des tendeurs pour la fixer sur son garde-boue arrière, mais même là, il pourrait pas vraiment rouler à vélo avec ce truc...
Dans ces conditions, je le vois mal se décider à faire un détour pour en profiter et faire d'autres courses.
Il a forcément dû : Retirer l'argent à la Poste ➔ Acheter la peluche au magasin ➔ Rentrer à la maison
Je pense que le chemin entre “la Poste” et “le magasin” est le bon,
il ne peut rien y avoir entre !
De toute façon, qui d'autre peut avoir acheté cette poupée, hein ?
Personne ! C'est pas possible, personne d'autre !
Cette poupée, ça faisait des mois qu'elle était dans la devanture, à prendre la poussière.
Pourtant, tous les passants la voyaient, forcément !
Et malgré cela, elle est restée là-dedans pendant des mois, car personne n'en voulait !
Personne n'a pu entrer par hasard dans le magasin et décider de l'acheter, personne à part Satoshi !
Donc c'est sûr et certain, il a rien fait entre “la Poste” et “le magasin”.
Non, s'il s'est passé quelque chose, c'est obligatoirement entre “le magasin” et “la maison”.
Mais là aussi, il peut rien avoir fait d'autre.
Qu'aurait-il pu vouloir faire avec un truc aussi énorme et encombrant ?
Je le vois mal traîner sur le chemin du retour et s'arrêter à droite à gauche pour regarder le paysage !
Une fois la poupée dans les mains,
il a pris ses cliques et ses claques et il a tracé sa route jusqu'à la maison !
Et pourtant, justement, personne ne l'a plus revu depuis.
Donc en fait, c'est tout simple.
Il a disparu quelque part entre “le magasin” et “la maison”, ça paraît évident.
Il aurait disparu ?
Mais ça veut dire quoi, ici, disparu ?
Le meurtrier de sa tante, c'est lui, je pense que ça ne fait aucun doute.
Et il ne fait aucun doute non plus qu'il n'a pas les mêmes ressources que moi.
Il a peut-être perdu son calme lorsqu'il a compris que la Police l'avait à l'œil ?
Même si j'ai pu lui sauver la mise ce jour-là, il a bien compris que la Police savait qu'il était le meurtrier. Aurait-il abandonné ?
Ce qui expliquerait sa décision de prendre la fuite, d'un côté.
Il s'est peut-être dit qu'il valait mieux se tenir à carreaux et se cacher en attendant le retour au calme.
Non, c'est du grand n'importe quoi, ça tient pas debout !
Il peut pas avoir pensé à ça entre le moment où il a eu la poupée et le moment où il est rentré chez lui, ça n'a aucun sens !
Et même en imaginant que ce fût le cas, il aurait certainement pris la fuite APRÈS avoir donné la poupée à sa sœur, c'était le but de la manœuvre, quand même !
Satoko était tout pour lui.
Je peux pas la saquer parce qu'elle est trop gâtée-pourrie, mais n'empêche que Satoshi faisait tout son possible pour être un grand frère modèle.
Il ne peut pas s'être mis en tête de disparaître avant de lui donner cette peluche, c'est strictement impossible, c'est pas le genre d'idées qui pourraient germer dans son cerveau !
La boule d'aiguilles de glace dans mon cœur finit par grossir et détruire mes organes de l'intérieur. Je la sentis m'envahir, petit à petit.
Si Satoshi n'a pas pu disparaître “de son propre chef”...
... alors la réponse est très simple.
Il a disparu, mais justement PAS de son propre chef.
— Mais alors... Satoshi a... été supprimé ?
Ahaha, ahahahahaha !
Naaan, c'est pas possible, c'est des conneries… C'est des conneries, hein ? Ouais, je vais rentrer, vous me faites marcher, j'aime pas ça !
Ha ! Hahahahahaha, hahaha, hahahahaha !
J'avais espéré qu'en rigolant un bon coup, la boule de glace dans mon cœur se mettrait à fondre.
Alors j'ai ri.
Encore et encore.
À m'en rendre malade.
Peu à peu, les autres policiers se sont tournés vers moi, se demandant clairement ce qu'il m'arrivait.
D'ailleurs, ils avaient l'air de penser que j'étais folle dans ma tête.
Mais à vrai dire, ça m'était complètement égal.
Je continuai à rire, comme une folle, jusqu'à me mettre à tousser incontrôlablement...
— Ahaha, hahaha, haHAHAhahahahkhahhhh,
*kheuf*, *kheuf* *kheuf* *kheuf*, *kheuf*
*kheuf* *kheuf* !
Pour calmer mes accès de toux, j'avalai d'un trait le café froid de ma tasse.
La boule d'aiguilles glacées dans mon corps avait déjà envahi mes tripes et me remontait le long du dos, menaçant de percer ma colonne vertébrale à tout moment.
J'avais tellement froid, d'un seul coup, que mes doigts se mirent à trembler autour de ma tasse.
— Mademoiselle Sonozaki,
je veux que vous m'écoutiez sans m'interrompre, d'accord ?
Je vais vous faire part de ma théorie sur la question.
C'est juste une théorie, il n'y a rien de sûr dans ce que je vais vous dire.
Je parie que vous trouverez ça stupide et que vous aurez envie de me crier dessus quand vous l'entendrez,
mais vraiment, j'aimerais beaucoup que vous vous taisiez et que vous me laissiez finir, si possible.
Vous pouvez me le promettre ?
— Je... Oui, bien sûr, tout ce que vous voudrez, mais parlez, et magnez-vous !
Des vagues de froid se propageaient dans tout mon corps et faisaient trembler mes lèvres et ma mâchoire.
D'ailleurs, le froid avait atteint mon cerveau, ce qui m'empêchait de former toute pensée réellement cohérente.
Je ne pouvais pas réfléchir par moi-même,
il me fallait entendre la solution de la bouche de l'inspecteur Ôishi.
C'était la pire des suppositions, celle à laquelle je voulais absolument ne pas penser.
Et pourtant, c'était sûrement la Vérité, celle qui fait mal, mais qu'il faut s'entendre dire.
— ... J'ai souvent entendu parler des sévices que Satoko et Satoshi subissaient à cause de leur tante.
Et je sais aussi que c'est surtout Satoko qui avait à en souffrir le plus.
Dans ces conditions, je dois avouer qu'en tant qu'être humain, je peux parfaitement comprendre que Satoshi puisse projeter de supprimer sa tante,
dans l'intérêt de la survie de sa petite sœur.
Il faut que je nie, que je lui dise que ce n'est pas Satoshi qui a fait le coup.
Mais ce qu'Ôishi me raconte est très logique et rationnel. Et puis surtout, c'est ce qu'il s'est réellement passé.
Après en avoir débattu avec moi-même, je décidai de me taire et de respecter ma promesse.
— ... À partir de maintenant, je me limite à mes idées, d'accord ? Tout ce qui suit, c'est du flan, ce n'est étayé par aucune preuve.
Alors ne vous énervez pas
et laissez-moi finir,
c'est compris ?
— Mais oui ! C'est bon !
Crachez le morceau !
— Je pense que Satoshi Hôjô a planifié l'assassinat de sa tante et qu'il a mis son plan à exécution.
Oui, je l'admets, je n'ai aucune preuve,
mais c'est ce que je pense, c'est tout.
— Je le sais déjà, ça !
Vous ne m'apprenez rien !
Alors continuez ! Où voulez-vous en venir ?
— Je vais d'abord changer d'angle d'attaque sur la question et vous parler d'autre chose.
Mademoiselle Sonozaki,
je suppose que votre famille vous a interdit d'entretenir des relations avec Satoshi Hôjô, je me trompe ?
Et je suppose que l'on vous a bien fait comprendre que vous deviez l'oublier.
Eh bien en fait, je ne pense pas que ça ait quoi que ce soit à voir avec cette ancienne rivalité entre votre famille et la sienne, mais plutôt que le clan ne veut pas que les gens apprennent que vous étiez liée avec le meurtrier.
... Ce n'était pas stupide comme raisonnement.
D'ailleurs, je connaissais Satoshi depuis un moment.
Si mes sentiments pour un Hôjô avaient été un problème, le Clan me l'aurait dit déjà à l'époque, lorsque je me faisais encore passer pour Mion.
Oui... Si vraiment c'était là qu'avait été le problème, ils m'auraient déjà fait un trou dans la tête le jour où j'ai commencé à fréquenter les Fighters de Hinamizawa.
Les Sonozaki doivent certainement savoir que Satoshi a tué sa tante, ils connaissent le coin et les gens mieux que personne.
Si ça se trouve, quelqu'un a vu quelque chose et le leur a dit.
Et c'est seulement là que ma présence a été un vrai problème pour eux, parce que j'étais le lien entre eux, clan “respectable”, et un meurtrier psychopathe... et du coup, ils ont été obligés d'intervenir.
— De plus, vous êtes assez connue comme étant peu encline à abandonner.
C'est pas un reproche, mais même après vous avoir mise en garde, même après vous avoir arraché plusieurs ongles,
votre famille savait que vous n'étiez pas près de renoncer à vos sentiments pour lui, je me trompe ?
Je ne pus rien nier.
C'était vrai que je n'avais plus aucun moyen d'aller à Hinamizawa la tête haute et que dans les faits, mes relations avec lui étaient devenues impossibles.
Mais je connaissais son numéro de téléphone, et j'avais bon espoir de revoir Satoshi lors des entraînements de l'équipe de base-ball.
— Je pense que le clan savait parfaitement que votre relation avec lui ne cesserait pas, même s'ils vous mettaient la pression.
Mais donc, si vous, vous n'étiez pas prête à coopérer ou à obéir,
il leur a bien fallu faire quelque chose avec lui. Non ?
— Comment ça, “faire quelque chose” ?
Ça veut dire quoi, ça, maintenant, hein ?
“Faire quelque chose” ?
Vous pensez à quoi au juste ?
Oui, évidemment, si rien ne marche sur moi,
ils sont bien forcés de faire quelque chose avec Satoshi.
Mais quoi ?
Ils s'imaginent quoi, qu'ils pourraient lui barrer la route entre “le magasin” et “la maison” ?
Sa route deviendrait alors...
magasin ➔ ??? ➔ Maison
Ce serait quoi à la place des trois points d'interrogation ?
Un nouvel endroit ?
Un truc secret qui n'est pas sur la carte ?
Pourquoi le fait d'arriver aux “???” l'a-t-il empêché de rentrer à la maison ensuite ?
Pourquoi ?
C'est quoi, ces “???”
?
Prise de vertiges et manquant d'oxygène, je tombai à la renverse.
Le sol était dur et froid.
Je ne ressentis aucune douleur. C'était comme si j'étais devenue une poupée de chiffon, voire même carrément un celluloïde.
Plusieurs policiers se levèrent et accoururent pour voir ce qu'il m'arrivait, la panique évidente sur le visage.
— Calmez-vous, Mademoiselle.
Rien n'est sûr, Satoshi ne s'est peut-être pas fait tuer.
Il ne s'est peut-être pas fait tuer ?
Mais qu'est-ce qu'il raconte, cet idiot !
Il ne sait pas où est-ce que le clan m'a emmenée pour m'arracher les ongles ?
Ils ont des cellules pour les prisonniers là-dedans ! Il y a même un grand puits, tout au fond, pour jeter les cadavres, à ce qu'il paraît !
Si le clan veut réellement se débarrasser de Satoshi, rien de plus simple, ils n'ont qu'à l'emmener là-bas, le tuer, et y faire disparaître le corps ! Ils ne vont pas se gêner, quand même ?
Il ne s'est peut-être pas fait tuer ?
Je vais lui en foutre, moi !
Il est complètement con, ce flic, il a du tofu à la place du cerveau, ma parole !
Si j'étais la vieille folle, Satoshi serait mort depuis belle lurette !
Pourquoi me faire chier à lui donner de quoi fuir et survivre ailleurs ? Et encore, moi, je suis de son côté, alors la vraie vieille folle, elle n'hésitera pas !
— Mademoiselle, calmez-vous, voyons.
Je n'ai pas encore pu vérifier l'info, mais apparemment, un jeune homme suspect qui avait l'air de craindre la Police a été vu à Nagoya,
il montait dans le TGV pour Tôkyô.
D'après les premières descriptions, les habits ne correspondent pas,
mais bon, qui sait, ça pourrait être Satoshi quand même, il faudrait vérifier.
— Il... il est vivant ?
Satoshi est vivant ?
— Je ne sais pas, mais je peux encore vous dire une chose.
Mion est votre sœur jumelle,
et elle est la future chef de clan, donc elle est très proche d'Oryô.
À mon avis, Oryô a d'abord proposé de le tuer sans laisser de trace.
Mais je pense que votre sœur a dû essayer de plaider contre cette décision.
Quoi ? Mion ? Elle aurait...
Oui, bien sûr, ce n'est pas impossible.
Elle est incapable de prendre des décisions fermes, elle a sûrement tenté quelque chose, en se disant que ce serait trop injuste.
Cette conne ne sait jamais ce qu'elle veut.
Si elle veut le sauver, elle n'a qu'à le faire, mais non ! Elle préfère se montrer miséricordieuse, mais pas trop quand même !
Elle ne fait jamais rien correctement, toujours tout à moitié.
Je parie que supprimer Satoshi, c'était trop dur pour ses nerfs, alors elle l'a “seulement” banni du village à tout jamais, pour se donner bonne conscience !
— Je pense que le Clan des Sonozaki est entré en contact avec Satoshi.
Ils lui ont fait comprendre qu'ils ne pourraient pas le protéger et qu'il devrait se débrouiller tout seul, si possible se cacher quelque part.
Enfin, vous savez le genre de “conseils” que donne votre clan, ils ne lui ont pas laissé le choix, je pense.
— Satoshi n'est pas du genre à accepter, il a sûrement refusé leur offre.
Vu son caractère, il ne va sûrement pas laisser sa sœur en plan et l'abandonner ici !
— Oui, vous avez raison, c'est ce que je pense, moi aussi.
Sauf que Satoshi a gagné de l'argent grâce aux connexions de Mion Sonozaki.
Donc le Clan savait qu'il avait de l'argent.
— Probablement, mais Satoshi voulait cette poupée pour l'offrir à sa sœur, il n'allait pas claquer son argent ailleurs !
— Encore une fois, je suis du même avis que vous.
Aussitôt l'argent débité de son compte, il a dû foncer au magasin de jouets.
Mais imaginez un peu la scène.
Imaginez que lorsque Satoshi arrive au magasin, la peluche n'est plus là...
Rien que d'y penser... un malaise et une peine immense m'envahirent.
Il avait eu si mal, il avait souffert si longtemps, sans broncher.
À cause de sa tante, à cause de ses petits boulots.
Il avait tellement donné de sa personne pour avoir cet argent.
Il l'a pris, et il s'est précipité au magasin, pour pouvoir acheter le cadeau d'anniversaire de sa sœur.
Et comme d'habitude, il a regardé dans la vitrine, dans la devanture, pour s'assurer que la poupée était bien là.
Et là... Rien. Du vide.
Il a sûrement dû rationnaliser, il n'a pas perdu les pédales, non.
Parce qu'il est du genre optimiste.
Il a dû se dire que comme les gens du magasin savaient qu'il viendrait, ils avaient déjà emballé la peluche pour que ça aille plus vite.
Oui, il est sûrement entré dans le magasin le sourire aux lèvres, tout excité.
... Et là... Rien que de penser à ce que les vendeurs ont dû lui dire...
J'ai le cœur qui saigne.
Pourquoi l'avaient-ils vendue ?
Satoshi l'avait pourtant réservée !
Je parie qu'il n'a rien osé dire, parce que le vieux, en face de lui, était à moitié grabataire...
Quoique, il se serait passé la même chose avec la vendeuse, je pense.
Si les sbires du clan se pointent en masse dans le magasin et lui claquent les liasses de billets à la figure, je la vois mal les sortir dehors à coups de balai sous prétexte que la poupée était déjà réservée.
Satoshi a dû comprendre bien assez vite que la poupée n'était plus là.
Crier ne servirait à rien.
Et alors
son beau rêve a dû se transformer en un cauchemar inimaginable...
Je le vois bien marcher, assommé, groggy,
et se retenir aux poteaux de téléphone, au bord des larmes.
C'était le jour où il avait voulu tout faire pour sa sœur, pour la voir sourire.
Il avait tout fait pour lui offrir cette poupée dont elle avait tant rêvée, et il avait échoué, à deux doigts du but.
Je parie qu'il n'a rien trouvé d'autre à lui acheter.
En même temps, cela faisait sûrement des semaines qu'il ne se posait plus la question.
Je suis sûre qu'il a dû s'imaginer la déception de sa sœur quand il rentrerait ce soir-là.
Elle s'était sûrement fait une joie de recevoir son cadeau, et surtout ce cadeau en particulier.
Alors il a regardé les billets dans ses mains,
et il s'est rendu compte que ces cent mille et quelques yens n'étaient que des morceaux de papier sans grande importance.
Satoshi, c'est le genre de garçon qui ne pleure jamais.
Je parie qu'il ne sait carrément pas comment on fait pour pleurer.
Il faut dire que sa sœur pleurait tout le temps bien assez pour eux deux.
Alors il avait sûrement grandi sans jamais apprendre à pleurer pour lui tout seul.
Les larmes, ça sert à condenser la peine, la souffrance et la tristesse dans notre cœur, et à la faire couler dehors, pour s'en débarrasser.
Satoshi ne savait probablement même pas ça.
Il est sûrement resté K.O. debout,
sans pouvoir apaiser la douleur qui devait lui déchirer le cœur.
— ... Vous venez de le dire, il ne pouvait pas partir de Hinamizawa en laissant sa sœur derrière lui.
Mais imaginons.
Imaginons que le Clan lui promette de s'occcuper d'elle à sa place si lui disparaît de la région. Vous pensez qu'il ferait quoi ?
Sans cette peluche, il devait se retrouver avec une somme rondelette et aucun moyen de l'utiliser.
Il est poursuivi par la Police.
Il est harcelé par le Clan, qui l'exhorte à s'enfuir et à partir loin d'ici,
lui proposant même de subvenir aux besoins de sa sœur en son absence.
Il devait sûrement avoir honte, trop pour oser se montrer à nouveau à la maison, trop pour oser soutenir le regard déçu de Satoko.
Et là, sans trop savoir comment ni pourquoi, à force d'errer de poteau en poteau, il a dû se retrouver près de la gare d'Okinomiya...
Je suis sûre que dans sa tête, il a dû demander pardon à sa sœur des centaines et des milliers de fois.
Et il a pris un billet pour Nagoya, dans l'espoir de pouvoir revenir un jour.
Puis, une fois à Nagoya,
un billet pour Tôkyô.
Mais si c'est effectivement le cas... Il est vivant.
Oui, il est vivant !
Et s'il est vivant, cela veut dire qu'un jour, je pourrai le rencontrer à nouveau !
Lui-même est sûrement bien décidé à rentrer un jour, donc si je l'attends, je le reverrai, c'est sûr !
— J'imagine bien que le Clan n'aurait aucun mal à lui fournir une planque, une maison, un appartement, n'importe quoi.
Satoshi est sûrement là-bas à l'heure qu'il est.
— Mais alors... Il va bien.
Cela veut dire qu'un jour, il reviendra... n'est-ce pas ?
L'inspecteur s'étira en arrière sur son fauteuil et regarda au plafond en soupirant.
Il ne répondit rien.
Le 24 juin de l'an 57 de l'ère Shôwa (1982), Satoshi Hôjô s'évanouit dans la nature.
Il est possible qu'il se soit enfui, étant le suspect principal pour le meurtre ayant eu lieu quatre jours auparavant.
Sur la base d'une information de la gare de Nagoya, il fut d'abord considéré qu'il avait pris le train pour monter à Tôkyô, mais la véracité de cette information ne put jamais être prouvée.
La police ne retrouva jamais sa trace.
À l'heure actuelle, il est impossible de savoir s'il est mort ou vivant.