Bien sûr, les flics n'étaient pas stupides non plus ; ils ne nous interrogèrent pas ensemble.
L'inspecteur Ôishi ne s'occupa pas de moi.
Il avait voulu avoir Satoshi, et il s'en tenait à son plan.
Le jeune inspecteur qui resta avec moi ne sut que faire la conversation, et encore.
Je pensais qu'il voulait amener les questions qui fâchaient en choisissant son angle d'attaque dans la conversation, mais en fait, non.
Il était simplement comme un beau gosse dans un bar, en train d'essayer de me faire parler, mais échouant lamentablement à tous les niveaux.
Je me demandais comment Satoshi s'en sortait dans la pièce à côté.
Je suis sûre que l'inspecteur se doute que ma déposition, c'est du pipeau.
Il veut certainement mettre la pression une bonne fois pour toutes sur Satoshi pour le faire céder.
Il ne me restait qu'à prier. Satoshi devait absolument se taire...
Un téléphone interne, posé du côté du bureau, se mit à sonner.
Le jeune inspecteur décrocha.
— ... Oui, ici Kumadani.
... Pardon ?
Oh... Je vois.
Très bien.
Je fais ça tout de suite.
Il reposa le téléphone et m'annonça que quelqu'un était venu me chercher.
Apparemment, j'étais la seule pour qui la pseudo garde à vue était terminée.
Satoshi n'a plus de tuteur ni de parent proche. Je me demande combien de temps encore ils vont le garder.
... En fait, je ferais mieux de me faire du souci pour moi.
Je me suis présentée aux flics en donnant mon vrai nom, donc forcément, le clan est au courant.
J'ai été vue sur la place publique en train de me pavaner, je n'y échapperai plus.
Ils vont m'emmener devant la vieille folle, et je vais devoir rendre des comptes.
Pour être honnête, je n'avais aucune idée de ce qu'il allait m'arriver.
Dans le monde dans lequel ma famille se trouve, il n'y aura personne pour s'interposer ou pour me pardonner sans rien dire.
Nous avons une image, une réputation.
C'est un monde dans lequel vous ne faites pas ce que vous voulez, mais ce qui est bon pour votre image, un petit geste, peu importe.
Je crois qu'il serait peut-être temps pour moi de dire au revoir à mes auriculaires -- traditionnelement, ils sont les premiers à partir...
Je tentai un dernier coup de bluff avec le jeune inspecteur qui s'occupait de moi.
— Dites.
Vous savez bien comment c'est aux USA, non ? Parfois, quand les policiers d'un état qui a aboli la peine de mort retrouvent un détenu condamné à mort en cavale, ils ne le transfèrent pas. Vous êtes au courant ?
— Euh, pardon ?
Il n'eut pas l'air de comprendre ce que j'essayais de lui dire.
Ça devait être trop compliqué pour lui.
Devant les portes du commissariat, une voiture noir de jais m'attendait.
Plusieurs hommes de mon père, particulièrement peu recommandables, se baissèrent bien bas à mon arrivée.
— Mademoiselle Shion, je suis heureux de vous revoir, cela fait bien longtemps.
— ... Où est Kasai ?
— ... ... ...
Kasai était celui du clan qui était le plus proche de moi. Il m'avait aidée à m'enfuir, m'avait ramenée à Okinomiya et m'avait aidée à m'installer ici.
Il ne s'en sortira pas comme ça.
— ... Que fait ma sœur ?
Elle a dit quelque chose ?
— ... Il nous a seulement été donné l'ordre de vous ramener dans la demeure du clan principal.
Vous devrez poser les questions aux gens là-bas.
Les gens se bougèrent du chemin et m'invitèrent à m'asseoir dans la voiture.
Il y avait un homme de chaque côté derrière moi.
Ils n'avaient donc pas l'intention de me laisser fuir.
... Ayant une dernière pensée pour Satoshi, je me retournai vers le commissariat.
Satoshi, tiens bon, je t'en supplie.
Moi aussi, je vais essayer de tenir bon...
La voiture démarra en trombe.
Je n'ai pas souvenir d'avoir jamais été invitée dans la demeure principale à des moments normaux.
Oh, bien sûr, lorsque nous étions très petites, que nous ne savions pas ce que notre nom de famille impliquait et que nous jouiions encore dans le jardin, insouciantes, ça allait encore.
Mais après cela, je n'y avais jamais été que lors des réunions officielles du clan, et elles m'avaient toujours donné des crampes et des vomissements...
La voiture ne s'arrêta pas devant la grille principale, mais devant la petite porte de derrière.
Seuls les gens qui n'avaient rien à se reprocher pouvaient entrer par la vraie porte d'entrée.
À ma descente de la voiture, seule ma sœur était là pour m'accueillir.
Je voulus lui adresser la parole, mais lorsque je vis son regard si brutal et glacial, pas un son ne put sortir de ma gorge.
— Cela faisait bien longtemps, Shion.
Je ne pensais pas te revoir avant la fête de la nouvelle année.
Elle se comportait comme une inconnue. J'en eus des frissons de peur le long de ma colonne vertébrale.
— Ma très chère sœur Mion, je vous souhaite une bien agréable journée.
Je me sens fortunée d'avoir pu vous voir avant la fin de l'année.
Il me fallait bien évidemment lui rendre la monnaie de sa pièce, aussi lui répondis-je, sur le ton le plus distant que je pus feindre.
— Notre chef de clan est très en colère contre toi.
Je suis curieuse de savoir comment tu vas expliquer tes gestes.
— ... Je ne vois pas ce que j'aurais à expliquer, mais bon, admettons.
Je n'avais rien à expliquer.
La vie à l'internat ne m'avait pas plu, alors je m'étais fait la malle.
Je n'avais aucune autre raison à donner.
— Suis-moi, Shion.
Tout le monde t'attend.
Mion m'ouvrit le chemin, et je me mis à la suivre...
Elle ne se dirigea pas vers la maison, mais vers le jardin.
Puis, tout au bout de notre terrain, elle entra dans la forêt adjacente, et je compris enfin où elle comptait m'emmener.
C'était un endroit qui nous avait été interdit lorsque nous étions encore enfants. Les adultes nous avaient menacées et ordonné de ne jamais nous en approcher.
... La rumeur et les histoires m'avaient apprise ce qu'il y avait là-bas, au plus profond de la forêt.
Il y avait une entrée souterraine secrète, qui menait à une salle de torture dans laquelle les ennemis du clan étaient exécutés.
Plus j'en avais appris sur les rumeurs étranges de notre clan, et plus elles m'avaient semblé plausibles.
Mais j'avais toujours eu des doutes à leur sujet, je n'y avais jamais vraiment cru.
Sauf qu'aujourd'hui, j'allais donner de ma personne pour prouver la véracité des rumeurs -- qui l'eût cru ?
Puis, enfin, au milieu de la forêt sombre et lugubre, je vis une sorte de colline en forme de champignon.
Sous la tonnelure, il y avait une porte en acier trempé, comme si c'était un abri anti-bombes.
— ... Voilà donc la fameuse salle de torture dont tout le monde parle ?
Je fus surprise en entendant ma voix.
Elle était faible, hésitante, chevrotante.
J'étais certainement beaucoup plus anxieuse que je ne le laissais paraître.
Personne ne répondit à ma question, ni Mion, ni les hommes de main derrière nous.
Il n'y avait que le silence, oppressant et douloureux.
Lorsque des jumeaux viennent au monde, il faut écarteler l'un des deux.
C'était la règle prescrite par le clan.
Mais alors... Je risque de me faire écarteler ?
Donc en fait, quand je pensais qu'il me faudrait me couper un doigt pour obtenir le pardon, je n'étais absolument pas réaliste, mais encore trop naïve, si ça se trouvait...
Je savais que le clan des Sonozaki était horrible et terrifiant, je le disais moi-même très souvent, mais en fait, je n'avais aucune idée à quel point il l'était.
Après être passée sous la porte en fer, l'air me sembla différent. Je n'avais jamais senti cela, une peur indicible flottait dans l'air, mais en même temps, quelque chose me rappelait sans cesse que je ne rêvais pas, que c'était bel et bien la réalité.
Une fois que vous avez ressenti de la peur, elle ne vous quitte plus jamais, et je ne faisais pas exception à la règle.
Je voulus faire de l'humour pour me détendre, mais mes lèvres étaient sèches,
et mes doigts ne tenaient plus en place.
Nous poursuivîmes dans un long couloir étroit, puis descendîmes plusieurs volées de marches.
Encore une fois, nous passâmes une porte énorme en acier trempé.
... Alors enfin, j'entrai dans la fameuse pièce.
Elle était très large.
Et surtout, elle était très étrange.
En fait, la gauche et la droite de la salle étaient décorées et aménagées de deux façons très distinctes.
L'une des moitiés était une sorte de loge pour la clientèle un peu spéciale.
Une dizaine des membres les plus influents du clan y étaient assis de manière très cérémonielle, sur des coussins spéciaux, étrangement silencieux.
L'autre moitié ressemblait à une salle de bains publique. Le mur, le sol et le plafond étaient carrelés.
La salle en elle-même était déjà largement assez hors-normes.
Mais en plus... Non, je ne peux pas dire ça, ce n'est pas vrai.
C'était la toute première chose que j'avais remarquée en entrant, en fait.
C'était bien plus important que cette histoire de salle coupée en deux,
mais mon cerveau refusait de le reconnaître.
... Mes pieds devinrent aussi lourds que du plomb.
Je crus bien que mes hanches allaient tomber en morceau.
Mais curieusement, je ne tombai pas.
Je me rendis alors compte que depuis mon entrée dans la salle, les hommes derrière moi me portaient par les aisselles.
Au mur du côté carrelé pendaient de nombreux appareils bizarres que je voyais pour la première fois, mais dont la fonction me paraissait évidente.
C'est une façon de parler qui n'est pas très courageuse, en fait.
Ils ne sont pas si bizarres, ces appareils, je sais comment les décrire mieux.
... Oh putain...
OK, d'accord, j'avoue.
Ces trucs qui pendaient là…
étaient horribles à regarder, mais ils étaient, sans aucun doute possible...
des meubles de torture...
— Espèce de quetsche, va.
Il va falloir schroupper le sol avec la tête mieux que ça...
Avec une voix terrifiante, la vieille folle, assise au tout devant des loges, se mit à parler lentement et gravement.
Après ça, elle a dit encore pas mal de choses horribles, mais elle parlait à moitié en patois et je ne compris pas tout.
Mais même sans tout comprendre, je voyais plus ou moins ce qu'elle voulait dire.
En fait, elle avait pensé se montrer indulgente et fermer les yeux sur le fait que je m'étais enfuie de l'école.
Mais je m'étais présentée à la Police et j'avais donné mon nom en pleine rue, en plein jour, et ça, elle ne pouvait pas feindre de l'ignorer.
Étant donné ma désobéissance manifeste aux ordres donnés par le chef du clan Sonozaki, celle-ci se voyait dans l'obligation de m'infliger une punition.
... Mais surtout...
ce que la vieille folle n'avait franchement pas apprécié...
c'était que j'avais osé protéger un Hôjô.
Les Hôjô étaient une famille de traîtres, qui avaient montré leurs vraies couleurs lors de la guerre du barrage.
Et Satoshi avait lui aussi été marqué du sceau des traîtres.
Elle ne pouvait pas supporter l'idée qu'une Sonozaki pût avoir une quelconque relation avec un Hôjô.
Je dois avouer que je ne m'y étais absolument pas attendu.
Je m'étais enfuie de l'école où la vieille folle avait décidé de m'envoyer.
Je pensais que c'était ça qui l'avait mise en colère.
Mais en fait, ce n'était pas du tout ce pour quoi elle m'en voulait. Elle m'en voulait parce que je parlais à Satoshi.
Un sentiment indescriptible me submergea.
Je savais très bien que lors de la guerre du barrage, ses parents avaient plus ou moins vendu le village et s'étaient attirés les foudres des autres habitants à cause de cela.
Mais je pensais que c'était une faute qui était l'entière responsabilité de ses parents, et pas la sienne propre.
— ... Mais enfin... Satoshi n'a rien à voir là-dedans ?
Ses parents, je suis tout à fait d'accord, mais pa--
— Silence, insolente !
Incapable de terminer ma phrase à cause des cris de la vieille folle, j'eus un mouvement de recul.
Elle poursuivit en insultant de tous les noms possibles et imaginables la mémoire des parents de Satoshi et déclara tout net que le sang de sa famille en faisait lui aussi une saloperie de traître.
Plus je l'écoutais déverser son fiel, et plus la colère se mit à gronder en moi.
Mais qu'est-ce qu'il a fait ?
Qu'est-ce que tu lui reproches, à Satoshi?
Je me rendis soudain compte que je disais à voix haute ce que je pensais tout bas.
Et lorsque je vis le visage de la vieille folle virer au rouge, je compris l'énormité de ce que j'étais en train de faire.
Alors, pour me redonner du courage, je décidai de redire tout, haut et fort.
— ... Eh, vieille folle, mais qu'est-ce que tu racontes ?
À t'entendre, c'est la fête du slip, ma parole.
— Nan mais oh !
Tu vas m'parler sur un autre ton, oui ?!
— Bon EH la vioque, maintenant tu la FERMES et tu ÉCOUTES !
S'il fallait juste crier, ça, je savais faire aussi...
— D'abord, qu'est-ce que tu sais sur lui, hein ? RIEN !
Tu sais que dalle sur lui, mais alors pour le traiter comme une merde, alors là, oui, ça roule !
Moi, je sais que c'est quelqu'un de bien !
Il faudrait pas lui parler parce que c'est un Hôjô ?
Mais t'es trop conne ou quoi ?
Eh, faudrait penser à vivre dans le bon siècle, la vieille !
Ça te fait tellement chier que ça que moi, une Sonozaki, sois tout le temps fourrée avec lui, un Hôjô ?
C'est RIDICULE !
Tu te crois où, dans une version nanard de Roméo et Juliette ? J'aurais jamais cru devoir subir ça un jour !
Ahhahhahhahhahhahha !
J'avais beau faire de mon mieux pour paraître forte, ma voix était éraillée.
Je pleurais à chaudes larmes et mon visage était tout déformé.
Pourtant, je n'avais pas l'intention de cacher mes émotions.
Et puis, ça me servait aussi à oublier un peu la peur qui me tenait au ventre.
La vieille folle me regardait avec un regard proprement démentiel, respirant à grandes goulées.
Moi aussi, je la fusillais du regard, complètement essoufflée.
... Et au bout de quelques secondes,
je me suis rendu compte qu'en fait, elle m'en voulait surtout pour être aussi proche de lui.
Ce n'était pas le fait de passer du temps avec lui qui la gênait, elle s'imaginait là qu'il y avait un peu plus que cela entre nous.
— ... Je vois. C'est comme ça que Mion t'en a parlé, alors...
Mion n'avait aucune expression sur le visage, on aurait dit un masque de théâtre Nô.
Elle resta impavide, même lorsque je lui décochai un regard meurtrier.
... En fait, ce que la vieille folle me reprochait...
C'était d'être tombée amoureuse de lui...
— Ahhahhahahaha,
aha HAAAhahaha !
Si tu savais ce que j'en ai à foutre des clans et des histoires de famille ! C'est un peu comme l'image du clan des Sonozaki en fait, ça me fait une belle jambe !
Ha ! Allez, va, soyons bon joueur, admettons ! OK, d'accord, j'avoue,
j'aime Satoshi,
je suis amoureuse de lui, c'est vrai !
ET ALORS ?
J'ai pas le droit, peut-être ? Il me faut un justificatif ? Une autorisation ?
Les membres du clan qui se trouvaient plus au fond de la salle baissèrent la tête en soupirant. J'avais sûrement dit quelque chose d'irréparable...
Parmi eux, je vis ma mère.
Elle était parmi ceux qui m'avaient le plus souvent protégée, mais maintenant, elle ne me regardait plus.
Elle restait silencieuse, regardant le tatami juste devant elle, incapable de faire plus.
— Et vous dans le fond, vous m'entendez, quand même ?
Je dis une connerie, là ? Je dis quelque chose de mal ?
Si vous le connaissiez, je sais que vous verriez bien que c'est pas étonnant que je sois amoureuse de lui, c'est un garçon formidable !
Alors pourquoi vous le traitez comme ça ? Pour le juger alors que...
Mion leva la main et tendis le bras vers moi, pour me faire taire.
Puis elle s'avança lentement jusqu'à moi.
— ... C'est bon, Shion, ça suffira comme ça.
Nous avons entendu et compris ce que tu avais à dire.
— ... ... ...
Puis elle approcha sa tête tout près de moi, son front presque contre le mien, et elle dit d'une voix quasiment inaudible :
— ... D'accord, j'ai compris, tu es prête à en découdre, c'est tout à ton honneur.
Mais après ce que tu viens de dire, plus personne ne peux te couvrir.
Tu vas devoir prendre tes responsabilités, ma grande.
— ... Prendre mes responsabilités ?
Pourquoi moi ?!
C'est complètement ridicule, pourq--
— Shion.
Mion reprit à nouveau le visage cruel qui était le sien lorsqu'elle représentait le clan, puis dit d'une voix moqueuse :
— ... Tu sais, ce que tu dis n'est pas faux, je pense, à un niveau individuel.
Sauf que là…
je ne sais pas si tu t'en rends compte, mais tu es à Hinamizawa, dans le clan des Sonozaki,
l'un des clans fondateurs, et sans conteste possible le clan qui dirige réellement les affaires du village.
Et toi, tu es la sœur jumelle de l'héritière de ce clan,
tu devr--
Alors là, non, ça ne se passera pas comme ça, je ne la laisserai pas finir sa phrase !
— Depuis que je suis rentrée, c'est vraiment un point sur lequel nous ne pouvons vraiment pas nous mettre d'accord, j'ai l'impression.
Tu me parles de responsabilités à longeur de temps !
Hinamizawa ?
Les Sonozaki ?
Et qu'est-ce que tu veux que ça me foute, hein ?
Tu cr--
— SiLENCE !
Cette fois-ci, ce fut elle qui m'empêcha de finir ma phrase.
— ... Combien de personnes t'ont aidée depuis que tu es revenue ?
Combien de personnes sont dans la combine pour que tu puisses vivre en ville ?
Quelque chose d'indescriptible me remonta lentement la colonne vertébrale.
— ... Kasai est dans une geôle, un peu plus loin.
— Quoi ? Mais pourquoi Kasai ?
Normalement, je n'avais pas à être surprise.
Si le clan m'avait mis la main dessus, il mettrait forcément la main sur tous ceux qui ont eu, de près ou de loin, affaire à moi.
Et leur faute est pareille à la mienne, ils ont défié des ordres directs du chef de clan.
Si ça se trouve, j'ai droit à un traitement de faveur.
Je peux sans trop m'avancer affirmer que Kasai et mon oncle Yoshirô
vont morfler bien plus que moi.
Tous ceux qui m'auront aidée dans mes caprices vont finir victimes du clan.
— ... Apparemment, tu es prête à subir n'importe quelle punition, mais qu'en est-il des autres ?
Tu n'as jamais pensé à ce qu'il pourrait arriver à Kasai ou à Yoshirô, j'imagine ? Ils ne le méritent pas, je suppose ?
Je sentis toute la chaleur emmagasinée dans ma tête se retirer d'un seul coup.
Je faisais moins la fière, là...
Je pense que je pourrais supporter sans broncher n'importe quel châtiment, je m'en remettrai.
Mais j'hésitais franchement à faire subir le même sort aux personnes généreuses qui avaient pris le risque de m'aider.
— ... Shion,
présente tes excuses à Mémé.
Prends tes responsabilités devant cette assemblée, et tu seras la seule à être punie. Les autres n'auront pas à souffrir à cause de toi.
D'accord ?
— Mais... Mais enfin, Mion ?
J'ai pourtant rien dit de mal ? Enfin, mon point de vue est dans le vrai ?
J'ai rien fait de mal, quand même ?
... Réalisant que je n'étais pas prête à prendre mes responsabilités, Mion, déçue, reprit une expression glaciale et cruelle.
Puis elle me tourna le dos et repartit vers les loges.
... J'avais osé chercher des ennuis à la vieille folle, et je m'en étais vantée.
J'avais même soutenu publiquement n'avoir rien fait de mal.
... Sauf que j'allais entraîner avec moi tous ceux qui m'avaient aidés jusqu'à présent.
Et ça, pas la peine de tourner autour du pot, c'était ma responsabilité.
Ils n'avaient rien fait. C'était à moi et à moi seule d'en subir les conséquences.
... Oui, en fait, tout comme Satoshi n'avait jamais rien fait de mal, ni Kasai ni Yoshirô n'avaient jamais rien fait de mal...
C'est alors que, comme si elle l'avait lu dans mes pensées,
Mion se retourna,
puis, me regardant droit dans les yeux, elle acquiesça.
Qui sait ? Peut-être que Satoshi aussi...
Peut-être que lui aussi serait embarqué là-dedans ?
— Non... Attends, Mion !
Non, t'as pas le droit... Tout mais pas ça...
Pas lui, pas Satoshi... Je veux dire, pas les autres !
Si je peux prendre la punition à leur place, je le ferai ! Mais laissez-les tranquilles !
— ... Eh bien, Shion, qu'y a-t-il ?
— ... ... Je... HhhJe...
…
Depuis mon visage crispé et éploré dégouttaient de nombreuses traînées de larmes.
Ma fierté m'était à présent bien égale.
— ... Je demande humblement pardon.
Je... J'étais dans l'erreur.
Veuillez instamment m'accorder votre pardon, ô chef de clan.
Normalement, c'était suffisant pour la vieille folle.
Et pourtant, elle continuait de tirer la tête.
... En même temps, c'était compréhensible.
Je l'ai insultée devant les autres hauts membres du clan.
Évidemment qu'elle ne va pas me pardonner simplement comme ça...
À sa place, ce fut Mion qui prit la parole.
— Fort bien, Shion.
De quelle manière comptes-tu prendre tes responsabilités ?
— Euh... Eh bien, je... Que dois-je faire pour oser espérer obtenir le pardon ?
Lorsqu'autant d'appareils tout aussi effroyables les uns que les autres sont à vos côtés, l'expression “prendre ses responsabilités” prend un tout autre sens.
Je ne pus réprimer de nouveaux frissons de peur et d'horreur.
Me voyant tremblante et prête à tomber par terre, Mion n'y tint plus et se retourna pour murmurer quelque chose à l'oreille de la vieille folle.
... Et celle-là d'acquiescer.
Alors Mion appela deux jeunes hommes près d'elle et leur donna des ordres.
Ceux-ci allèrent alors chercher un appareil bien hideux parmi ceux qui pendaient au mur.
Puis ils prirent un petit bureau, qu'ils transportèrent jusque devant moi, et posèrent l'appareil en question dessus.
— ... ... Et... C'est quoi ce truc ?
— ... C'est un outil qui permet d'arracher les ongles des petites filles malpolies.
Tu sais comment t'en servir ?
— B... Bien sûr que non...
La voix tremblante, je regardai l'objet écœurant sur le bureau avec crainte et effroi.
À bien l'observer, il avait la forme d'une sorte de gros coupe-ongle.
... Je suppose que... que la sorte de bec, au bout... devait être insérée entre l'ongle et la peau...
et qu'en appuyant fort sur la poignée, le bec fin s'écartait et que l'ongle, du coup, se retournait un grand coup, s'ouvrant comme un coffre et arrachant la matrice au passage.
Rien qu'à m'imaginer son fonctionnement, mes doigts en tremblaient et mon corps était parcouru de vagues de froid.
— Pour chaque ongle, tu rachèteras la conduite de l'une des personnes que tu as impliquées par tes actes rebelles.
... Shion Sonozaki.
Peu importe le doigt.
Arrache-toi trois ongles, toi-même, de ton propre chef, pour prouver ton repentir.
Trois ongles...
Un pour Kasai.
Un pour mon oncle Yoshirô...
Et un pour... Satoshi.
Oui, bien sûr, trois ongles, c'était un chiffre logique.
— Est-ce que... Est-ce que si je le fais... Vous laisserez les autres tranquille ? Vraiment ?
— ... ... ...
— Promettez-moi...
Promettez-moi que si j'y arrive, vous leur pardonnerez et vous ne leur ferez rien...
— Ceci n'est que le signe de ta volonté de prendre tes responsabilités, Shion, ce n'est pas un échange de bons procédés ni un arrangement sur lequel tu pourrais marchander avec nous.
Mais si ça ne te convient pas, nous pouvons touj--
— Je l'f'rai, attends, c'est bon !
Attends... Je le ferai... Laisse-moi juste un peu de temps... Je vais le faire... Je vais le faire...
Les doigts tremblants, je plaçai le bec de l'appareil sous l'ongle du petit doigt de ma main gauche, puis l'introduisis sous l'ongle, le plus loin possible.
Si mes ongles avaient été plus courts, je n'aurais jamais réussi à le faire.
Mais malheureusement, mes ongles étaient juste de la bonne longueur pour bien accueillir les lames impitoyables du bec d'acier. Cet appareil passait vraiment très bien avec mes doigts.
Alors, les jeunes hommes prirent ma main et l'appareil et se mirent à les attacher fermement sur un autre petit meuble spécialement fait pour ça.
... Et ils avaient raison, je pense. S'ils ne m'avaient pas attaché les doigts, j'aurais pu être tentée de les enlever. Surtout que si le bec de l'appareil n'est pas bien en place, il risquait de sortir sans arracher l'ongle.
Je ne leur offris aucune résistance. À chaque lanière de cuir, à chaque bruit des boucles qui retenaient mes doigts prisonniers, j'étais rappelée à la réalité.
Et à chaque fois, l'un de mes doigts perdait la possibilité de fuir.
Je n'avais plus aucun moyen de reculer.
Et pourtant, même dans cette situation si désespérée, quelque part dans mon esprit, je me disais que ce n'était que du bluff, que quelqu'un finirait par dire de tout arrêter.
Je pensais avoir cessé de croire aux contes de fées...
Petit à petit, la réalité m'enleva toutes les illusions qu'il me restait encore, les arrachant à mon cœur et les forçant hors de mon corps sous la forme de larmes abondantes.
J'avais un peu l'impression qu'ils faisaient cela systématiquement, comme les gens qui prennent plaisir à presser le tube de pâte à dentifrice encore et encore, jusqu'à être sûrs de ne pas en avoir oublié une seule goutte.
... En fait, même le fait de rester passive, c'était un peu une erreur, quelque part.
Après plusieurs instants, enfin, ils purent constater que ma main était bien attachée. Alors ils se retirèrent, et il ne resta que le silence, lourd, douloureux, oppressant, m'intimant de passer à l'acte.
— ... Et...
Je fais...
comment, maintenant ?
L'un des jeunes me montra la poignée de l'appareil et me dit de simplement la serrer très fort.
... Après avoir hésité une seconde, il ajouta que peut-être, j'aurais moins mal en frappant du poing dessus d'un grand coup sec.
Après cela, plus personne ne parla.
Le silence qui régnait était assourdissant -- j'entendais mes gouttes de sueur tomber sur le bureau.
Tout le monde se tenait penché sur son siège, les yeux rivés sur ma main, pour être bien certain que je serais effectivement capable de m'arracher les ongles toute seule. Mais personne ne pipait mot...
La vieille folle non plus. Ni même Mion, d'ailleurs.
Elles aussi fixaient ma main du regard.
... Je suppose que je peux tout à fait dire non et arrêter les frais ici.
Mais si je fais ça, alors je n'aurai pas pris mes responsabilités.
En d'autres termes, si j'étais incapable de payer pour mes crimes en m'infligeant la punition à moi-même...
Alors les autres gens qui m'avaient aidée jusqu'à présent devraient régler l'addition.
— Hhouu…
Hhou...
Hhh, hhhou...
Ma respiration devint haletante et nerveuse.
Je savais.
Je savais que si je réussissais à m'arracher trois ongles, personne d'autre n'aurait à souffrir.
Et j'étais prête à parier que le clan m'avait fait un prix.
C'était parce que c'était moi que trois ongles suffisaient à racheter la faute commise.
Si c'était Kasai ici, ce ne sont pas des ongles qu'il perdrait. On lui demanderait peut-être de donner des doigts -- peut-être même encore bien pire...
Je sais, je sais !
C'est moi qui me suis enfuie de l'école, c'est mon caprice.
Kasai m'a juste prise en voiture, il n'est pas responsable.
Je sais, je sais !
Et je sais aussi que mon oncle Yoshirô, qui s'est démené de son côté pour me trouver de quoi travailler, n'est pas responsable dans mon évasion de l'école non plus.
— Hhouu... Hhaaa... Haa... Hhouuu, hhh!
Bon, une chose est sûre, la vieille folle déteste toujours autant la famille des Hôjô.
Donc si je ne m'arrache pas les ongles, elle va ramener Satoshi ici, et qui sait ce qu'elle lui fera subir...
Est-ce qu'à lui aussi, elle lui présenterait cet appareil ?
... Est-ce qu'il se sacrifierait pour moi ? Est-ce qu'elle le forcerait à s'arracher les ongles ?
— ... Haa... hhh, hhaa, hhou, hhh !
Je suis sûre que si c'était Satoshi, il le ferait.
S'il sait que ça pourrait sauver quelqu'un, il n'hésiterait pas une seule seconde.
Mon visage se couvrit de grosses gouttes de sueur, qui suintèrent le long de l'arête de mon nez, pour finalement régulièrement s'écraser sur le meuble en contrebas.
... Allez, faut le faire, faut que j'le fasse !
Ce ne sont que trois petits ongles de rien du tout.
... Bon d'accord, ça va me faire mal, mais c'est pas la mort non plus, et puis, les ongles, ça repousse.
C'est pas comme si mes doigts seraient déformés à vie.
Oui, pas la peine d'avoir peur.
C'est parce que c'est moi que la punition est si légère.
Si je refuse de m'y soumettre... Tous les autres vont payer le prix fort...
Je ne peux pas leur faire ça, ni à Kasai, ni à Yoshirô, et surtout pas à Satoshi...
Je dois payer seule pour tout ça, c'est à moi d'en endosser la responsabilité.
Alors... Il va falloir serrer les dents, même si ça fait mal...
— Hhaa, hheuu, hhhaa, hheu, hha !
Ma respiration était tellement hachée et rapide que ce n'était même plus une vraie respiration.
C'était une sorte de cri sourd, un feulement rauque, très bas, pour me donner du courage.
C'était aussi un peu un cri plaintif...
Je sais, on va y aller d'un seul coup.
Ce n'est pas une séance de torture, tout ce cinéma prendra fin dès que j'aurais fini de m'arracher les ongles, donc pas la peine d'y passer une éternité.
... Je vais y aller en une seule fois, tac, tac, tac.
Ça fera moins mal, pas beaucoup, mais ça fera moins mal, forcément, et puis ça fera moins peur...
... Je levai ma main droite, puis serrai le poing.
Non pas très lentement, comme on le fait d'habitude losqu'on se prépare mentalement à une épreuve, mais au contraire, très vite.
Ce genre de douleurs vives, il vaut mieux les subir en un coup, genre vite arrivé, vite passé, plutôt que de faire traîner les choses en longueur. C'est un peu comme les gonds de porte qui grincent, ils grincent moins quand vous tirez la porte un grand coup que quand vous ouvrez la porte tout doucement.
... D'ailleurs, le pire, ce serait de rater son coup et de devoir recommencer...
— Hhaa... Haaa...
Hhhhaaa !
... ...
Je retins ma respiration.
Mon corps semblait emprisonné dans la glace. J'eus l'impression d'étouffer à l'intérieur de moi-même, et je sentis tous les poils de mon corps se raidir, comme si une chenille me remontait de bas en haut.
Allez, gamine, faut pas avoir peur.
Il faut penser à la surface que ça représente par rapport au corps, c'est tout petit, ça fera pas si mal que ça, c'est sûr ! C'est juste quoi, 1cm ?
Ce sera pas un souci, je supporterai sans problème !
— AaaaaaAAAAAAAAAAAAAAAAH !
D'un grand coup sec, j'abattis mon poing droit haut levé sur la poignée de l'appareil.
— HhmmmrRRrRrr !!
J'entendis un petit bruit, comme un bouton trop mûr qui éclate en laissant du pus sur le miroir, mais le bruit se propagea à travers ma peau jusqu'à mes oreilles, et non par les voies naturelles. De plus, exactement au même instant, une douleur que je ressentais pour la première fois de ma vie m'assaillit depuis un angle tout à fait inattendu.
Puis, juste après, un peu en retard, à chaque fois que mon cœur pompait, la douleur, inimaginable, se mit à gagner en puissance.
— Uuouou, hhrruûûûûûûû !
Je mordis très fort sur mes dents.
Je crus bien que j'allais m'exploser les molaires, d'ailleurs.
Les yeux fermés, pressés même, je serrai les paupières,
presqu'à m'en faire éclater les globes oculaires.
La douleur ne partait pas.
C'était d'ailleurs de pire en pire, à chaque battement de mon cœur, le sang qui affluait à mes doigts rendait le tout encore moins supportable. J'avais l'impression que le bout de mon doigt allait exploser.
Lentement, osant à peine le faire, j'ouvris les yeux et risquai un regard.
... Mon auriculaire de la main gauche... n'était pas plein de sang, comme je l'avais imaginé.
Oui, bien sûr, il y avait du sang, mais à peine une goutte, vraiment rien de très impressionnant. Et puis surtout, sans aucune commune mesure avec les élancements de douleur dans mes doigts.
Mon ongle ressemblait à... Je sais pas, vous voyez les voitures ?
Imaginez une voiture avec le capot avant grand ouvert, ben, ça donnait à peu près ça.
C'était incroyable, au sens propre du terme.
C'était une vision cauchemardesque...
Mais justement parce que c'était si horrible et si douloureux, j'étais particulèrement consciente du fait que je n'en étais qu'au premier ongle sur trois.
... Je vais devoir encore faire ça deux fois ?
Je vais devoir encore subir ça sur mon annulaire et sur mon majeur ?
Je lançai un regard suppliant à Mion et à la vieille folle.
... Sauf qu'évidemment, pour elles, ce n'était que le prologue, le début, la mise en bouche.
Elles me regardaient, impassibles, presque ennuyées.
Je ne pus déceler la moindre once de compassion dans leur regard.
Elles n'avaient aucune intention d'en rester là.
On avait dit trois ongles, alors ce serait trois ongles !
Tant que je n'aurai pas arraché les deux suivants, elles n'ont aucune intention de dire quoi que ce soit !
— ... Mion, je... Tu pourrais... Est-ce que ça ira comme ça ?
Tu sais... Je veux dire, vraiment, hein, ça fait super mal...
Je suis pas en train de te mentir, regarde mon visage, tu vois bien que je mens pas...
Ça fait super mal, ce truc... Hahaha, ouh putain oui, je déguste, là...
Mion, le visage toujours inexpressif, daigna quand même me répondre.
— ... Shion.
C'est tout ? Tu peux pas faire plus ?
Elle n'avait pas l'air de vouloir dire que je pouvais arrêter là.
C'était plutôt pour me demander si elle devait ramener les autres ici pour régler le reste de l'addition...
Mais putain, c'est bon, JE SAIS !
— Je... Je vais le faire !
C'est pas grave, tant pis, ça fait pas si mal que ça après tout !
Bande de sadiques...
Héhéhé, hahahaHAHA !
Ça me fait pas peur, ça me fait pas mal !
AaaaAAAAH !
Je manœuvrai le bec d'acier de l'appareil avec ma main droite, et le plaçai rapidement sous l'ongle de mon annulaire.
Puis, sans hésiter, je levai le poing bien haut et je le rabattis très vite sur la poignée.
Malheureusement, je n'avais pas fait cela vite et proprement, mais plutôt dans la précipitation la plus totale, pour essayer d'en finir au plus vite -- comme pour fuir la situation dans laquelle je me trouvais.
Et bien sûr, dans ce genre de conditions, rien ne pouvait fonctionner correctement.
L'appareil ne fit que fêler mon ongle, sans parvenir à l'enlever.
Le plus pervers, dans l'affaire, c'est que la douleur, par contre, était la même que pour mon autre doigt.
C'était d'ailleurs ce qui me surprit et me vexa le plus : malgré cette douleur inhumaine, ce con d'appareil n'avait pas réussi à m'arracher un bête ongle de rien du tout.
... Mais alors... Je vais devoir le refaire ?
Il va falloir retenter d'arracher l'ongle de mon annulaire ?
Il va falloir refaire tout ça ? Vraiment ? Obligé ?
C'est vraiment obligatoire ?
— ... Shion ?
— J'veux plus... J'veux pas... J'en ai marre... Assez... pitié... Assez !
C'était trop pour moi.
Oubliant toute contenance et toute fierté, je me mis à pleurer, à brailler comme une toute petite fille, vraiment.
— J'en ai MARRE !
J'veux plus, ça fait trop mal, trop mal, j'ai trop mal !
Je vous en supplie, arrêtez ça ! Je peux plus...
Je m'excuserai la tête au sol s'il le faut, mais laissez-moi partir !
J'implore votre pardon ! Pitié !
Vraiment... Je vous demande pardon !
Mais malheureusement, mes cris n'avaient pas l'air d'atteindre le reste de la salle.
À croire qu'un mur d'air emportait mes cris ailleurs et les empêchait de m'entendre.
Ils n'avaient aucune compassion pour moi. Ils ne faisaient que regarder pour voir si effectivement, en tant que membre des Sonozaki, je serais capable de me punir seule ou pas.
C'est pourquoi d'ailleurs mes cris eurent l'air de les dégoûter et de les décevoir plus qu'autre chose.
Mion s'approcha de moi.
Puis elle se pencha tout près et me murmura à l'oreille.
— ... Allez, Shion,
tu y es presque. Tiens bon, tu peux y arriver.
— Non, non, non, j'veux pas !
Je PEUX pas, ça fait super mal cette merde ! Ça fait mal, tu m'entends ?!
Ça fait mahhl, ça fait mal !
Ahhhhhh !!
Mion secoua la tête en soupirant, puis fit un geste du menton aux jeunes hommes près du mur.
... Ils se placèrent derrière moi.
D'un seul coup, quelque chose m'atterrit sur la tête : une sorte de masque en forme de chapeau.
Ils le vissèrent bien en place sur ma tête, et je ne vis plus rien.
Puis, après m'avoir privée de la vue, ils me privèrent de toute liberté de mouvement en me maintenant par les aisselles, dans le dos.
— Non, non, pas ça, arrêtez !
NooOOOOOOOOOON !
Même en tentant de me bouger et en y mettant tout ce que j'avais, il me fut impossible de faire bouger l'homme dans mon dos du moindre centimètre.
Pendant que je me débattais, je ressentis une sensation étrange à ma main gauche.
L'autre homme était en train de modifier l'appareil, il le remettait en place.
Il plaça adroitement la lame du bec cruel sous mon ongle déjà meurtri.
— Noon ! Non, pas ça !
Maman, aide-moi, au secours,
NOOOON !
Ma main gauche était déjà attachée bien solidement.
… Mais il me pressa la paume de la main contre le meuble, pour m'empêcher de trembler.
Et puis après, tout est allé assez vite, en fait.
... Toutefois, tout ne fut pas négatif.
Au moins, les deux hommes savaient y faire avec cet appareil.
Ils réussirent à m'arracher chaque ongle dès leur premier essai.
Je crois que, par un mécanisme bien tarabiscoté, les cris et la douleur doivent libérer des enzymes narco-quelque chose dans le cerveau -- des substances qui font dormir, quoi.
Parce qu'à force de souffrir et de hurler de douleur, peu à peu, l'écho de mes cris se fit distant, et je sombrai finalement dans l'inconscience...