Étalée sur mon lit, les bras et les jambes écartées, je regardais le plafond.

Oh, j'avais faim, bien sûr.

Mais je ne vivais ni à l'école, ni chez mes parents.

Tant que je ne me sortirais pas les doigts du cul pour me lever et me faire à manger toute seule, le repas ne se cuisinerait pas tout seul.

Je savais tout cela, et pourtant, je n'avais franchement dit aucune envie de me lever.

Cela faisait maintenant quelques jours que je vivais comme une limace, à ne rien faire de ma peau.

Tiens, au fait, c'est demain,

la purification du coton, non ?

La sonnette retentit.

Je décidai de l'ignorer, mais elle retentit encore et encore.

Puis l'on toqua à la porte, et enfin, j'entendis la voix brusque de Kasai à travers la porte.

Kasai

— Mademoiselle Shion ?

Si vous êtes là, je vous en prie, ouvrez cette porte.

Je vous ai acheté un panier-repas.

Je ne me souvenais pas l'avoir envoyé faire les courses pour moi.

Mais il savait que depuis quelque temps, je ne faisais que rester allongée chez moi, comme une larve, sans rien faire.

Kasai

— ... J'étais sûr que vous n'auriez rien mangé.

Shion

— Même pas vrai.

... De toute façon, j'ai pas faim.

À peine avait-il posé les paniers-repas sur la table que mon estomac fit un gargouillis formidable, prenant mes paroles complètement à contre-pied.

Kasai

— En voilà au moins un qui dit la vérité.

Vous devriez manger, je vous assure.

J'avais faim, mais pas d'appétit.

En fait, non, j'avais de l'appétit, mais je n'avais pas la force de manger.

Mais bon, je n'allais pas laisser non plus la nourriture à l'abandon, Kasai me l'a ramenée car il se faisait du souci.

Pour ne pas lui faire de peine, je pris les baguettes, sans grande conviction.

Shion

— Je croyais que la vieille folle t'avait dans le viseur ?

Tu es sûr que tu peux te permettre de venir chez moi ?

Kasai

— Madame Sonozaki est très occupée avec les préparatifs de la purification du coton. Apparemment, elle a en ce moment autre chose à faire que de se préoccuper de vous.

Kasai

Je croyais pourtant que vous aimiez les croquettes de pomme de terre ?

Shion

— Hmm ? Si, si, elles sont très bonnes.

Merci d'en avoir pris.

Pendant que je picorais dans mon repas, Kasai parcourut les quelques magazines que j'avais laissés traîner çà et là.

Shion

— ... Kasai... Tu...

Non, rien.

Je n'allais quand même pas lui parler de mes problèmes de cœur ?

Je m'étais toujours considérée comme plus haute sur l'échelle sociale et dans la hiérarchie. Je n'avais pas envie que Kasai me vît en position de faiblesse.

Kasai

— Vous savez, vous n'avez pas à avoir honte de ce genre de tracas, c'est de votre âge.

Shion

— !!!

Kasai, tu étais au courant ?

Tu sais tout ?

Kasai

— Non, Mademoiselle Mion m'en a juste touché quelques mots.

Elle m'a demandé de vous venir en aide.

Shion

— Rah, celle-là...

... Hmpf.

Kasai

— Elle avait l'air inquiète.

Elle se fait beaucoup de soucis pour vous, vous savez.

Je ne répondis rien. Regardant la dernière croquette, je finis par la prendre et l'enfourner toute entière.

Kasai

— Je pensais que vous voudriez savoir ce que devient Satoshi Hôjô, alors j'ai pris mes dispositions.

J'espère que cela ne vous dérange pas ?

Shion

— Si, là, carrément.

... Mais bon, je n'ai pas envie que tu aies fait tout ça pour rien. Dis toujours.

Kasai eut un petit rire, probablement involontaire, car il toussa et s'arrêta aussitôt.

Kasai

— Teppei Hôjô aurait quitté la maison.

Il a une maîtresse à Okinomiya, et c'est là qu'il réside en ce moment.

Shion

— Teppei ?

C'est qui, lui ?

... Aaah, ça doit être son oncle.

Kasai

— Il n'y a plus que trois personnes qui vivent chez les Hôjô : Satoshi Hôjô, Satoko Hôjô et Tamae Hôjô.

Kasai

Cette dernière a compris que son mari voyait une ou plusieurs maîtresses, et elle n'est pas très heureuse de cette situation.

Shion

— Hmm, je vois.

Et donc du coup elle s'est défoulée sur Satoko, et par extension sur Satoshi.

Kasai

— Je ne suis pas trop au courant pour Satoshi, mais en tout cas, les sévices infligés à Satoko semblent si terribles que les rumeurs à leur sujet circulent partout dans le village, et même ici, à Okinomiya.

Oui, mais Satoshi la protège,

donc c'est lui qui se prend tout, c'est la même chose.

Shion

— Et cette tante, on ne peut rien y faire ?

C'est une Hôjô, les Sonozaki peuvent pas décider de la punir ?

Puisque l'oncle est parti, il suffit de se débrouiller pour virer la tante,

et le problème serait résolu.

Kasai

— Le clan des Sonozaki estime que la famille Hôjô a payé son tribut lorsque le couple des parents est mort. Ils ont donné l'ordre de ne plus s'immiscer dans les affaires des Hôjô.

Kasai

De plus, il se raconte qu'un policier serait encore en train d'enquêter sur l'accident.

Shion

— Il faut dire que l'accident a été attribué à la malédiction de la déesse Yashiro, aussi.

Si les dieux les ont déjà punis, pas la peine que les humains en rajoutent une couche ?

Kasai répondit par un petit sourire, se retenant de rire.

Je sais que c'était un peu tard pour s'en rendre compte... .

Mais d'un seul coup, il me vint à l'esprit que les morts des trois malédictions semblaient être le prolongement des volontés du clan des Sonozaki

Lorsque la vieille folle se plaint, quelqu'un fait un petit geste.

Le soir de la cérémonie de la purification du coton.

Oui...

Et la purification du coton, c'est demain.

Je me demande si cette année, la malédiction frappera à nouveau.

Et si oui... qui ?

D'ailleurs, il me semble que la malédiction ne frappe pas qu'une seule personne.

Enfin, la première et la troisième année, il n'y a eu qu'une seule victime, mais la deuxième année, nous avons deux morts.

Donc si deux personnes pouvaient mourir cette année, ça nous ferait une belle suite en alternance...

Mais oui ! Mais c'est parfait, ça...

Il n'y a qu'à s'arranger pour faire disparaître la tante et la sœur.

Si les deux sources des problèmes dans sa vie disparaissaient, Satoshi irait beaucoup mieux !

Shion

— ... Kasai.

Est-ce que les victimes de la malédiction de cette année ont déjà été décidées ?

Kasai

— ... ...

Shion

— C'est la vieille folle qui a décidé, je suppose ?

Donc du coup, ma sœur est probablement au courant.

Alors, Kasai,

dis-moi, tu n'as rien entendu à ce sujet ?

Kasai

— Mademoiselle... Je dois avouer que l'on ne m'a pas tenu au courant de directives à ce sujet.

Shion

— ... Mouais. En même temps,

c'est vrai que le clan n'allait pas te donner les informations sur leur appareil le plus secret.

Kasai

— ... Je suppose que non, effectivement.

Kasai

En tout cas, aucune information à ce sujet ne m'est tombée dans les mains.

Kasai

Il est vrai que le clan entretient de nombreuses connexions avec le monde de la pègre,

Kasai

mais je ne suis en charge que d'une toute petite partie de leurs activités.

... Je devrais demander directement à Mion, en fait,

mais elle ne parlera pas, je pense.

Elle est bien plus fidèle que moi pour tenir ses promesses.

Si la vieille folle lui a fait promettre de ne rien dire, elle ne dira jamais rien.

Shion

— ... Hmpf.

Si seulement Satoko et sa tante pouvaient périr à cause de la malédiction cette année, ça m'arrangerait bien.

Kasai

— ... ...

Shion

— ... Kasai, je te signale que je viens de me plaindre.

Ça m'arrangerait beaucoup si tu pouvais faire un petit geste.

Kasai

— Mademoiselle, j'ose espérer que ce n'est qu'une blague de mauvais goût de votre part.

Shion

— Ouais, je sais,

c'est bon, t'énerve pas.

Je voulais juste le dire une fois dans ma vie, pour voir ce que ça faisait. Je lançai un regard à Kasai du coin de l'œil, observant sa réaction.

Mais il n'eut pas l'air de prendre de notes ou de se demander comment faire pour me faire plaisir.

De toute façon, je ne pouvais pas aller au village.

La fête de la purification du coton, j'en avais rien à foutre, je n'irais pas même si j'en avais le droit...

Mais par contre, j'aurais bien voulu savoir qui allait y passer cette année.

Je n'ai qu'à attendre sur mon canapé pendant encore quelques heures, et je finirai bien par le savoir.

Je ne savais pas pourquoi la malédiction était mise en place.

Mais il est clair que la vieille folle avait eu une petite idée derrière la tête quand elle l'avait instaurée.

Depuis la guerre du barrage, les ennemis du village sont punis les uns après les autres.

Mais désormais, il y en avait de moins en moins, des ennemis du village. À première vue, je ne voyais plus que l'oncle et la tante de Satoshi.

Au dehors, les cris des grillons invitaient à la sieste.

C'est dingue, ce temps, en ce moment. Nous ne sommes qu'en juin, et pourtant, il fait si chaud et si lourd...

Pour le cas où ce serait vraiment la déesse Yashiro qui aurait son mot à dire dans les victimes de la malédiction, je décidais de m'adresser à elle par la prière.

Ô déesse, je vous en supplie, punissez de votre courroux la salope de tante de Satoshi.

En échange, je vous offre Satoko.

Bon, ça, c'est fait.

Haaaa…

...

...Quelle chaleur, quand même...

Lorsque je me réveillai, Kasai n'était plus nulle part en vue.

Les paniers-repas vides ne traînaient plus sur la table, et la pièce avait été un peu rangée.

Mes chaussettes sales avaient atterries comme par magie dans le panier à linge.

En tant que jeune fille en fleur, j'étais plutôt choquée de voir que ma chambre avait été rangée par un homme -- même si c'était Kasai.

Enfin bon, je devrais le remercier au lieu de l'engueuler, je suppose.

Je regardai ma montre. Il n'était pas vraiment l'après-midi, ni vraiment le soir.

Il faut que j'aille faire des courses, j'ai pas le choix.

Le frigo est vide,

si je ne me bouge pas, je n'aurais que du riz blanc.

Au moment où je me levai pour me diriger vers la porte,

... le téléphone sonna.

Comme je venais de penser à mes courses, je me suis dit que ça devait être Kasai qui avait encore une fois lu dans mes pensées.

Si c'était lui, tant mieux.

Je n'avais qu'à lui demander de m'acheter un repas tout fait, comme à midi.

Ça m'éviterait d'avoir à me déplacer.

... Ouais, je sais, c'est pas glorieux comme attitude.

Mais aujourd'hui, j'ai vraiment pas envie, quoi...

Sauf que...

c'était pas Kasai au téléphone.

Shion

— ... ... Mion ?

T'es où ?

T'es pas dans la maison principale ?

Mion

— Ah, euh, non.

Je t'appelle depuis une cabine téléphonique,

alors je vais devoir faire vite et bien.

... Satoshi a appelé.

Shion

— Quoi ? Satoshi ?

Mais qu'est-ce qu'il a pu te vouloir à toi ?

Mion

— ... Je pense qu'il voulait te parler à toi, en fait.

Mion

Enfin, à moi, mais de choses qui ont dû se passer quand tu avais pris ma place.

Mion

Donc je me suis dit qu'il valait mieux te demander d'être au bout du fil à ma place.

Mion

C'est sûrement à cause de ce qu'il s'est passé en classe l'autre jour, de toute façon.

Shion

— ... ...

Mion

— Je lui ai dit que j'avais pas trop le temps et que je le rappellerais dès que possible. J'ai pris son numéro, t'as de quoi noter ?

Je veux que ce soit toi qui le rappelles.

Shion

— ... Ouais, OK, bien sûr, c'est compris !

Je mis quelques secondes à réagir, puis pris un magazine au hasard et écrivis le numéro dans la partie blanche de la page du sommaire.

Shion

— Merci beaucoup.

Je vais l'appeler tout de suite.

Mion

— Ouais, il vaut mieux, je pense.

Mion

Écoute, Satoshi est dans la dèche en ce moment.

Mion

... Quoi que je dise, il s'en fout royalement. Mais je sais pas pourquoi,

j'ai l'impression que si toi tu lui parles, ce sera différent. Enfin, je sais pas, c'est une intuition.

Mion aurait pu prendre son appel et faire semblant d'être moi.

... Mais elle a préféré me laisser la place et me donner une chance.

Shion

— Merci. Merci du fond du cœur,

Mion

Mion

— Allez, salut, Shion.

Sans attendre qu'elle se décidât à raccrocher, je coupai l'appel et expirai un grand coup.

Puis, inspirant profondément, je composai à toute vitesse le numéro qu'elle m'avait donné.

La ligne sonna. Encore.

Une troisième fois…

Une quatrième.

Ça répond !

Satoshi

— ... Oui allô, vous êtes bien chez les Hôjô, j'écoute.

C'était la voix muante de Satoshi au bout du fil.

Elle laissait deviner la fatigue qui l'abrutissait, mais c'était bel et bien la voix du Satoshi si gentil qui m'avait si souvent caressé la tête.

D'ailleurs, c'est bien pour ça qu'au départ, j'hésitai à donner mon nom.

Je restai un moment sans rien dire, ne sachant pas comment commencer...

Shion

— Euh...

C'est... C'est bien

Satoshi au bout du fil, hein ?

Satoshi

— ... Euh, ouais, désolé pour tout à l'heure.

Sinon, ça va maintenant ? Tu as le temps ?

Il ne s'est pas énervé. Il est resté le même...

Je ne ressentais plus la colère et la haine dans sa voix. Ce cauchemar était maintenant terminé.

Shion

— Ouais.

Pas de problème là-dessus, te bile pas.

Satoshi

— Aha. ... ... Ouais, OK.

Satoshi ne poursuivit pas. Il semblait se retenir de parler.

J'eus l'impression qu'il attendait que je parle la première.

C'était pas très honnête, ça, c'était lui qui avait appelé pour me parler...

Alors que ma tête tournait à plein régime pour trouver quoi lui dire,

Satoshi se mit à parler.

Satoshi

— ... ... Euh... Je tenais à m'excuser

pour l'autre jour.

Shion

— Ah,

euh…

Non, c'est moi !

Je te demande pardon, vraiment !

Satoshi

— Non, pas la peine de t'excuser, Mion,

c'est moi qui ai parlé comme un idiot, je sais pas ce que j'avais.

Je suis sûre que s'il avait été devant moi maintenant, il m'aurait caressé la tête.

J'en aurais presque pleuré d'être seulement au téléphone avec lui.

Satoshi

— Écoute, je ne pardonnerai jamais à ceux qui nous ont persécutés.

Satoshi

Je sais que ce sont des gens qui sont très proches de toi.

Satoshi

Mais c'était pas toi.

Satoshi

... Alors, je me suis dit que la moindre des choses, ce serait de te présenter mes excuses.

Shion

— ... Tu sais, tu devrais pas te casser la tête là-dessus.

Je n'ai même pas essayé de me mettre à ta place, j'ai parlé sans savoir et sans réfléchir.

Pendant quelques secondes encore, nous passâmes notre temps à nous excuser et à dédouaner l'autre de toute responsabilité.

Shion

— Mais parlons d'autre chose, Satoshi.

Shion

... Tu es sûr que ça va ?

Shion

Tu as déjà suffisamment de problèmes comme ça. Est-ce que tu peux te permettre de travailler pour gagner de quoi payer cette peluche ?

Shion

... Je veux dire, ça doit être épuisant, quand même, non ?

Satoshi

— ... Mais, j'ai déjà arrêté de travailler, hein.

J'ai la somme qu'il me fallait.

Shion

— Oh... D'accord.

Ah ben du coup, plus la peine de t'exténuer à la tâche.

Ça me rassure, tant mieux...

Satoshi eut l'air d'avoir quelque chose à dire à cela, mais il finit par ravaler ses mots.

Satoshi

— Tu sais... C'est surtout Satoko

qui est mal en point. Beaucoup plus que moi.

Shion

— ... ... …

C'est moche, ce qu'il lui arrive, apparemment.

J'espère qu'elle va bien...

Satoshi

— ... Évidemment que non, elle ne va pas bien. Tu as bien vu ce qu'il s'est passé en cours ?

Sa voix était redevenue menaçante.

Je sus instantanément que j'avais commis une erreur.

Shion

— Non, pardon !

Pardon,

je m'excuse,

je voulais pas te faire de peine !

Mais je suis trop conne, en fait ! Quand je pense qu'on était enfin en train de parler à peu près normalement !

Satoshi ne réagit pas à mes excuses.

Je décidai de me taire et d'attendre.

Satoshi

— Quand je pense à tout ce qu'elle a subi... Ma tante l'a sacrément arrangée, tu sais.

Vous l'avez tous abandonnée.

Vous avez abandonné ma sœur, tous autant que vous êtes.

Shion

— Je... Enfin, on l'a pas fait consciemment, tu sais...

J'avais presque honte de dire ça. Il paraissait évident que je n'en pensais pas un traître mot.

Et je savais que ma remarque à la légère pèserait lourd lors du jugement de mon âme au purgatoire.

C'est pourquoi je décidai de me taire,

pour ne pas m'enfoncer plus encore...

Satoshi faisait pourtant tout ce qu'il pouvait pour protéger sa sœur des mauvais traitements.

Et moi, tout à l'heure, j'avais dit à la déesse de prendre Satoko demain...

C'est comme si je l'avais raillé d'avoir fait tous ces efforts... Je les ai abandonnés, et sa sœur, et lui.

Satoshi

— ... Satoko est vraiment à deux doigts d'abandonner, tu sais.

Alors, je... Je…

...

Il n'arrivait pas à dire la suite.

Enfin,

j'avais plutôt l'impression qu'il essayait de choisir ses mots très soigneusement...

Puis enfin, il termina sa phrase.

Est-ce que c'était ce qu'il avait voulu dire ou pas, je ne sais pas.

Satoshi

— ... Alors, je me suis dit...

On pourrait se débrouiller pour faire en sorte qu'elle s'amuse demain soir, non ?

Shion

— Hein ?

Comment ça ?

Satoshi

— Ben, c'est la fête de la purification du coton, demain soir, non ?

Tu pourrais peut-être l'emmener avec vous ?

Shion

— ... Ouais, bien sûr, c'est pas le problème, mais pourquoi ?

Satoshi

— Comment ça pourquoi ? C'est logique, autant qu'elle puisse souffler le soir de la fête, non ?

Satoshi

Même si c'est qu'une seule soirée, tu pourrais te débrouiller pour la séparer de notre tante, tu ne crois pas ? Je crois que ça lui ferait très plaisir.

Shion

— ... Oui non mais ça d'accord, mais pourquoi ?

Satoshi

— Mais comment ça, pourquoi ?

Je comprenais tout à fait ses phrases, là n'était pas le problème.

Ce que je ne saisissais pas, c'est pourquoi il me posait la question à moi.

Aurait-il une raison pour laquelle il ne pourrait pas l'emmener lui-même ?

J'eus l'impression que cela annonçait qu'il allait partir, alors je décidai de ne pas lâcher prise.

Satoshi

— Mais enfin, pourquoi quoi ?

Shion

— Mais pourquoi tu ne l'emmènes pas toi-même, Satoshi ?

Satoshi

— ... Euh...

Satoshi se tut.

Il n'est pas doué pour mentir ou pour essayer de faire des cachotteries.

Il y avait quelque chose qu'il ne pouvait pas me dire. Qu'il ne voulait pas me dire.

Satoshi

— Ben en fait... malheureusement, je serai pas là, demain, j'ai un truc à terminer avec mon tout dernier travail.

Je pourrai pas aller à la fête du village.

Il me raconte la première chose qui lui passe par la tête.

Mais bon, il est tellement têtu et obstiné qu'il serait capable de nier.

Même si je le mettais au pied du mur.

Satoshi

— Dis, Mion.

Je peux te demander de la surveiller demain soir ? Juste demain soir !

Shion

— ... ... ... ...

Honnêtement, même si c'était lui qui me le demandait,

je n'avais aucune envie de m'occuper de sa sœur.

... Mais je dois dire que ça me faisait super plaisir de voir qu'il avait pensé à moi.

Satoshi

— Je sais que c'est culotté de te demander ça après tout ce que j'ai dit sur ta famille,

mais... Tu es la seule sur laquelle je puisse compter, Mion.

Je restai un moment sans savoir quoi répondre.

Mais en fin de compte, je n'avais pas l'intention de refuser.

Shion

— ... D'accord.

Mais je te préviens, c'est juste pour demain soir,

OK ?

Satoshi

— Ahahahaha...

Ben, si possible, je préfèrerais que ce soit pour toujours, tu sais.

Shion

— Non mais ça va la tête, oui ?

Que dalle !

Ce sera juste pour demain et c'est tout.

Il parlait comme s'il partait du principe qu'il ne serait plus là à partir de demain.

Je n'aimais pas du tout cela...

Après ça,

nous continuâmes à discuter de tout et de rien.

Puis, au moment où j'allais raccrocher, Satoshi me posa encore une question qui me prit par surprise.

Satoshi

— Dis voir, Mion, tu...

Enfin, je pense que tu vas me prendre pour un fou quand je t'aurai posé la question, mais...

Shion

— ... Mais quoi ?

Qu'est-ce qui te tracasse ?

Satoshi

— Est-ce que tu... Hahahaha,

non, pas toi, tu n'y crois pas, je parie.

Shion

— Croire à quoi ?

Satoshi

— Eh ben…

...

À la malédiction

de la déesse Yashiro.

Shion

— Ah... Ahahahaha,

mais de quoi tu parles, là ?

Satoshi

— Ben, tu sais bien, quoi, les gens racontent que la déesse punit ceux qui veulent s'enfuir du village, non ?

Oui, c'était l'une des règles.

Tous les enfants de la région le savaient.

Shion

— Ahahaha,

oui, c'est vrai, c'est ce qu'il se dit, effectivement.

Mais pourquoi tu poses la question ?

Il t'a pris l'envie de t'enfuir du village ? C'est pour ça que tu demandes ?

Faisant mine de rien, j'essayais d'en savoir plus. Satoshi devait me confirmer que non, il n'avait pas l'intention de partir...

Satoshi

— ... Ben en fait, non,

plus maintenant.

S'il dit “plus maintenant”, c'est qu'il y a pensé un moment.

... Rena m'en avait parlé, il me semble.

Shion

— Eh ben alors, c'est bon.

Si tu n'as plus l'intention de partir, elle te pardonnera, je pense.

Satoshi

— ... C'est ce que je croyais aussi,

mais c'est pas encore le cas, apparemment.

Shion

— Hein ?

Pendant encore quelques instants, Satoshi sembla chercher à me dire quelque chose, mais il ne put rien dire de plus.

Sa respiration avait l'air très irrégulière.

Il est peut-être malade ?

Shion

— Euh, Satoshi ?

Tu vas bien, tu es sûr ?

Satoshi

— ... Euh, si, non, désolé,

c'est pas le problème, en fait.

Shion

— ... Tu m'as l'air très fatigué.

Tu as dû accumuler pas mal de stress et de fatigue, tu devrais te reposer, tu sais.

Il avait l'air nettement plus mal en point qu'au début de notre conversation.

J'avais même l'impression qu'il n'arrivait plus à faire ses phrases normalement, sans devoir respirer à grandes goulées.

Mais il préféra me couper la parole et me poser encore une dernière fois la question.

Satoshi

— Mion,

encore une fois :

est-ce que tu crois qu'elle existe, la malédiction de la déesse Yashiro ?

Je me demandai quelle réponse il espérait obtenir de moi.

Comment pourrais-je le rassurer ? Avec quelle réponse ?

Ça paraissait évident, en fait.

Shion

— Ahahahahaha !

Mais enfin Satoshi, voyons, les malédictions, ça n'existe pas !

Je ne sais pas ce qui le tracasse.

Mais si je rigole, je suis sûre que ça lui fera un poids en moins sur les épaules.

Satoshi

— ... ...

Satoshi resta silencieux.

Est-ce que ma réponse lui plaisait ou pas,

je ne saurais pas le dire.

Une chose était sûre : ma réponse ne l'avait pas du tout aidé.

Satoshi

— ... Désolé de t'avoir posé la question.

Shion

— Ah, non, non, c'est moi, je m'excuse...

Sans trop savoir pourquoi ni comment, je le sentis très déçu.

Satoshi

— Je me fous de savoir si c'est vraiment une malédiction ou bien si quelqu'un du village est derrière tout ça,

mais je te préviens, je ne disparaîtrai pas.

Shion

— Mais bien sûr que non, Satoshi, tu...

Satoshi

— Je ne disparaîtrai pas, ooh ça non.

En tout cas, pas jusqu'à ce que j'aie acheté la peluche pour Satoko.

Je vais recevoir ma paye, très bientôt.

Le jour où j'ai les sous, je l'achète.

Satoshi eut un petit rire sur la fin.

Je ne sais pas s'il comptait me rassurer en riant, mais cela eut sur moi l'effet contraire.

Si je comprenais bien, une fois qu'il aurait cette foutue peluche, il ne pourrait plus jurer de rien.

Satoshi

— ... Ah, j'entends ma tante qui rentre, je dois raccrocher.

Shion

— Oh... OK.

Satoshi

— ... Mion ?

Shion

— Oui, quoi ?

Il devait avoir envie de raccrocher le plus vite possible, mais…

Il respira un bon coup et me redit encore une fois ce pour quoi il avait voulu m'appeler.

Satoshi

— Pour ce qui est de Satoko...

... Je compte sur toi. Je te la confie, c'est compris ?

J'aurais dû accepter, acquiescer, dire quelque chose tout de suite, pour pouvoir le rassurer.

Mais au lieu de ça,

je restai là à me taire, en me disant que la gamine, je ne lui avais toujours pas pardonné...

Shion

— ... ... ...

Satoshi

— ... Désolé de t'avoir posé des questions bizarres.

Allez, salut.

Shion

— Ah, euh, Sa--

Satoshi n'avait pas caché sa déception tout à la fin.

Mais qu'est-ce que j'ai fait... Bon sang, qu'est-ce que j'ai fait !

J'ai essayé de m'excuser.

Il aurait juste fallu dire un truc tout con, un petit “pardon !” et c'était réglé.

Mais il était désormais trop tard. Il avait raccroché.

La tonalité régulière de la ligne était triste et déprimante...