Cie

— Bien, déléguée ? Nous pouvons commencer.

Pendant quelques secondes, je restai là, à attendre, puis soudain, je réalisai que Mion devait être la déléguée de classe.

Shion

— Ah, euh, oui, euh !

Ga~~arde à vous !

Cie

— Eh bien alors, déléguée ? Vous m'avez l'air un peu fatiguée vous aussi.

Cie

Il fait si chaud la nuit en ce moment, c'est bien difficile de dormir !

Cie

Mais il faut quand même aller au lit à l'heure,

Cie

c'est bien compris, les enfants ?

Pupils

— Oui maître~~esse !

L'atmosphère dans cette école était vraiment bizarre.

Il y avait des enfants en maternelle, en primaire et au collège, tous dans la même classe.

Pour rester polie, c'était très... vivant et chaleureux.

Mais honnêtement, je n'étais pas sûre que c'était vraiment une institution scolaire, ici...

Ma sœur m'avait un peu décrit l'école, donc je n'avais pas de problème d'adaptation. L'image qu'elle projetait était facile à deviner, et je ne pensais pas avoir de difficultés à jouer son rôle.

Satoshi était... très mal en point, comme ma sœur me l'avait dit.

Je lui ai dit bonjour, mais j'ai l'impression qu'il faisait semblant de ne rien entendre.

Je savais qu'il était exténué, sur tous les plans. Ça me faisait vraiment mal de le voir dans cet état.

Mais il y avait dans cette classe une autre personne qui m'intéressait au plus haut point.

C'était bien sûr sa petite sœur, la fameuse Satoko.

On aurait dit une poupée usée et pleine de mites. Elle n'avait aucune vie dans le regard.

Les autres élèves de la classe devaient sûrement avoir de la peine pour elle, mais personne n'aurait pensé à faire quelque chose.

En même temps, à leur âge, qu'auraient-ils pu faire ? Et donc ils se tenaient à l'écart, faisant semblant de ne pas la voir.

Mion ne m'avait donné qu'un seul jour.

Si je n'agissais pas rapidement, je savais que la journée serait finie avant d'avoir eu le temps de dire ouf.

Il me fallait réfléchir à une solution, et surtout agir... et vite !

Il faut absolument que je parle à Satoshi.

Mais de quoi ?

Peu importe.

Il faut lui remonter le moral. Quitte à s'apitoyer sur son sort avec lui.

Mais il faut lui parler...

Sauf que ma sœur m'avait interdit de faire pas mal de choses.

Satoshi avait envie de garder ses distances avec elle en ce moment.

Il ne s'entendait plus très bien avec Mion.

Je ne devais pas lui parler, ça risquait de faire empirer les choses.

Elle m'avait dit comprendre mon envie de tirer les choses au clair,

mais que je ferais mieux de le laisser tranquille.

Puisque de toute façon, ma sœur m'avait mise en garde, je n'avais qu'à me taire et suivre ses instructions.

Sauf que... ça n'allait franchement pas être possible.

À la pause midi, Satoshi se leva et sembla vouloir chercher un endroit pour rester seul. Je le suivis dans le couloir et lui fis signe.

Shion

— ... Eh, Satoshi ?

Satoshi eut l'air de réagir très vite au son de ma voix -- trop vite, même.

Lorsqu'il se retourna et que je pus voir son visage, ce fut un choc.

... Je ne l'avais jamais vu comme cela. Tout dans son regard indiquait qu'il me rejetait... qu'il me méprisait.

Et pourtant, je devais bien continuer, en faisant abstraction de ma peur.

Si jamais je ne lui disais rien maintenant, je savais que je n'aurais plus l'occasion de lui parler de toute la journée.

Shion

— Euh... Je...

... La forme ?

Satoshi me décocha un regard glacial,

qui en disait long sur le degré de stupidité de ma question.

Je n'aurais jamais pensé qu'un jour, il me regarderait comme ça.

Ça faisait mal, très mal. Bien plus que je ne l'aurais cru.

Je baissai les yeux, et Satoshi m'adressa à son tour la parole.

J'en étais très contente, mais quand j'entendis ce qu'il avait à dire, ce fut comme un autre coup de couteau dans le cœur.

Satoshi

— ... Ouais, je vais très bien, merci.

... Autre chose ?

Shion

— Hein ? ...

Satoshi

— Si t'as rien d'autre à me demander, je file.

J'ai envie d'être seul.

Shion

— Ah... Ah bon, OK.

Ouais, tu me diras, tu dois être fatigué avec tous tes jobs...

Forcément, t'as envie d'être seul, ça se comprend.

Aujourd'hui aussi, tu travailles, n'est-ce pas ?

C'est où cette fois-ci ?

C'était ma sœur qui lui avait arrangé ses jobs, mais il ne travaillait jamais aux mêmes endroits.

Il servait de bouche-trou en cas d'urgence, en fait.

Il devait donc à chaque fois faire autre chose, et n'avait pas trop le temps de s'habituer à une tâche que déjà, la seconde arrivait.

De plus, il lui fallait une grosse somme, et donc il demandait toujours des jobs assez bien payés.

Les seuls jobs vraiment bien payés sont les travaux difficiles, dans le bâtiment ou les Ponts-et-Chaussées.

Il n'avait déjà pas des masses d'endurance comme ça, et en plus, il était contraint de bosser dans des métiers durs physiquement.

Il dépérissait à vue d'œil.

Satoshi

— Qu'est-ce que ça peut faire ?

De toute façon, tu le sais aussi bien que moi, non ?

Officiellement, c'était “moi” qui le lui avait trouvé,

mais il n'avait pas l'air d'éprouver la moindre once de gratitude.

Il n'était plus du tout le Satoshi que je connaissais.

... C'était presque déprimant.

Shion

— ... Hahaha, oui, c'est vrai aussi.

... Désolée.

Satoshi

— ... Bon, c'est tout ce que tu me voulais ?

Ses paroles me firent vraiment mal au cœur.

Pourquoi est-il aussi distant ?

Où est passé le Satoshi qui me caressait gentiment la tête ? Il a disparu ou quoi ?

Shion

— ... ...Hhh...

C'en était trop pour mes yeux.

Un mince filet chaud dévala l'une de mes joues.

Satoshi me regarda, sembla hésiter une seconde, puis reprit un air furieux.

Shion

— Ah... Je, je…

pardon.

...

Euh, le…

le chef disait

que ce serait bien si tu pouvais revenir.

Ahahahaha... Voilà, j'te l'ai dit.

Satoshi

— Le chef, je lui ai déjà dit que je voulais arrêter.

De toute façon, j'ai pas l'intention d'y retourner.

Shion

— Ben... Juste quand ça te chante, quoi.

Le sport, ça te fait bouger, tu feras un peu d'exercice,

ça te fera--

Satoshi

— J'm'en fous.

Je ne comprenais pas pourquoi il se comportait comme ça avec moi.

Qu'est-ce que j'ai fait ? J'ai pas mérité ça !

Shion

— Mais pourquoi ?

Pourquoi, Satoshi ?

Satoshi

— Parce que je bosse ailleurs et que j'ai pas le temps.

Ça devrait pourtant être évident, non ? Tu me gonfles.

Shion

— J'te parle pas de ça !

... Pourquoi est-ce que tu me traites comme ça, qu'est-ce que j'ai fait pour que tu me haïsses ?!

Satoshi

— ... Si tu te posais la question, tu le saurais peut-être, tu crois pas ?

Shion

— Me poser la question ?

Mais sur quoi ?!

Qu'est-ce que j'ai fait ?!

Satoshi, dis-le moi ! Je peux pas le deviner !

L'émotion était trop forte -- je ne pouvais plus me retenir.

Je pleurais désormais à chaudes larmes.

... Satoshi me lança un regard empli de dégoût, puis il tourna les talons et s'en alla, sans prêter aucune attention à moi.

Je ne pouvais rien faire -- je ne voulais rien faire, pour être honnête.

Si je lui parlais, il risquait de se retourner et de se comporter encore bien pire que cela avec moi.

Et ça, je ne l'aurais pas supporté.

Alors je préférai me taire.

J'essuyai mes larmes et me préparai à retourner en classe.

Ce fut alors que soudain, on put entendre des pleurs.

Je ne fus pas spécialement surprise, mais je voulus savoir ce qu'il s'était passé.

... Les pleurs provenaient de...

Satoko.

Sa boîte à repas était tombée par terre.

Ses camarades de classe m'expliquèrent qu'elle s'était levée après avoir fini de manger, et qu'elle avait touché quelqu'un, ce qui l'avait déséquilibrée, et sa boîte du panier-repas était tombée.

C'est tout.

Et juste pour ça, elle était accroupie, tremblante, et pleurait des larmes de crocodile, comme si quelqu'un était en train de lui passer un savon monstre.

Pourtant, il ne s'est rien passé de grave, il n'y a rien de cassé.

Elle n'avait qu'à ramasser les boîtes tombées à ses pieds, pas la peine d'en faire une montagne.

Le petit clapet qui refermait la boîte était en peu en travers. Elle n'avait qu'à appuyer dessus pour le remettre droit...

Il n'y avait vraiment pas de quoi se mettre à pleurer.

Et pourtant, elle pleurait, elle demandait pardon, puis elle se mit à crier.

Satoko

— Au secours ! Aide-moi ! Totoche !

Waaaaahhhhhhh !!!

J'étais déjà sur les nerfs. Je sentis la colère monter en moi, me submerger, et déborder. La coupe était pleine, pleine et archipleine.

Ce fut comme une explosion que je ne pouvais pas contrôler.

Je poussai les autres élèves du côté, sans vergogne, et me dirigeai d'un pas ferme et décidé vers l'autre brailleuse.

Je lui saisis la tête à une main,

puis la tirai à moi et pivotai sur moi-même pour la projeter de toutes mes forces contre le mur.

Shion

— ... Tu sais pourquoi ça t'arrive, ce genre de choses ?

Satoko

— Au secours... Totoche...

Sans même chercher à comprendre, sans même écouter ce que je lui disais, Satoko se remit à appeler son frère.

Encore une fois, je lui chopai la tête à une main, puis la poussai cette fois-ci vers le sol.

Satoko tomba à la renverse, et entraîna un pupitre avec elle.

Toutes les affaires se répandirent dans la salle de classe.

Satoko ne tenta même pas de se relever.

Elle se fit toute petite, leva les yeux vers moi et continua de trembler.

Satoko

— Au secours... Au secours...

Totoche...

Totoche !

Shion

— C'est de ta faute, tout ça !

C'est parce que t'es trop conne et que tu ne fais rien par toi-même que Satoshi est obligé d'en baver tous les jours ! Tu comprends pas, ça ? C'est trop compliqué pour ta petite tête ?

La colère me faisait tellement mal à la gorge que je n'arrivais plus à parler, mais si j'avais pu, je pense que je lui aurais dit quelque chose dans le genre.

Je pris l'un des cahiers qui traînaient par terre et lui frappai la tête avec. Elle avait encore l'audace de continuer à demander de l'aide…

Shion

— Si t'as envie de pleurer, pleure, si ça t'amuse !

Shion

Mais pleurer ne te mènera jamais à rien !

Shion

Pourquoi tu pleures, hein ?

Shion

Parce que quelqu'un viendra te sauver si tu appelles à l'aide ?

Shion

Je parie que tu n'imagines même pas à quel point il souffre à chaque fois qu'il doit venir pour toi !

Shion

Tu comprends, oui ou merde ?

Tu comprends que c'est de ta faute ?

Shion

On serait tellement mieux sans toi !

Shion

Si t'as si mal que ça, alors crève !

Shion

Mords-toi la langue, trouve-toi une corde, mais CRÈVE !

Shion

Arrête de mêler Satoshi à tout ça !

Shion

Si tu as mal toute seule, t'as qu'à crever toute seule !

Shion

Crève, tu m'entends ? CRÈÈÈÈVE !

Satoko

— HAAAAAaaaaaaaaaa !

Totoche !

Totoche !

Ouiiiiiiiiiiiiin !

Mais ses larmes ne firent que mettre de l'huile sur le feu.

Shion

— N'imagine pas qu'il te suffira de pleurer dans la vie !

Ne pense pas que Satoshi sera toujours là pour te couvrir !

Arrête de prendre tes rêves pour des réalités !

Si tu n'étais pas là...

Si seulement tu n'étais pas là !

Je ramassai tout ce qui traînait par terre et le lui jetai à la figure.

Elle se mit en boule, comme une tortue, et se mit à hurler encore plus fort.

Une fille avec de longs cheveux s'interposa et couvrit Satoko de son propre corps.

... Ah, elle, c'est une petite célébrité, je la connais.

Rika Furude.

L'une des très rares amies de Satoko.

Rika

— ... Il ne faut pas l'embêter !

C'est pas de sa faute, la pauvre, il ne faut pas l'embêter !

Shion

— La pauvre ? Alors parce qu'il lui arrive de grands malheurs, il faut tout lui passer ?

Shion

Parce qu'il lui arrive de grands malheurs, elle a le droit de faire souffrir son frère ?

Shion

Faut arrêter de croire que le monde tourne autour de vous, les enfants !

Shion

Elle est gâtée-pourrie, ta copine, il est là le problème ! Satoshi n'a pas besoin de ça !

Rika

— Non, arrête !

Il faut pas !

Il faut pas embêter Satoko !

Puisqu'elle tient tant à la couvrir, elle servira de cible, elle aussi.

Shion

— Je ne l'embête pas par méchanceté, je lui apprends à se comporter raisonnablement et pas comme une chieuse !

Et si tu restes dans le chemin, je commence par te défoncer le crâne à toi, j'te préviens !

Je saisis une chaise et la soulevai bien haut.

Si elle se prend ça dans la figure, ça va lui faire tout drôle.

Rika ne bougea pas, mais elle ferma les deux yeux, prête à encaisser le choc.

Bah, comme elle voudra, après tout, j'en ai rien à foutre.

Je les frapperai toutes les deux et puis basta...

Rena

— Arrête ça tout de suite !

Mii !!

Rena avait apparemment compris qu'il se passait quelque chose de pas normal en classe.

Elle tenta de m'arrêter avec la voix, mais juste après, quelqu'un la poussa du côté et s'approcha... C'était Satoshi.

Il avait l'air d'avoir compris dans quelle situation elle se trouvait en un seul regard.

... Alors il se retourna et fondit sur moi.

En fait, je ne compris rien à ce qu'il s'était passé, jusqu'à ce que j'eusse heurté les casiers derrière moi.

Ceux-ci firent un boucan de tous les diables.

... Quant à moi, je fus sonnée par la douleur, car elle ne m'était pas familière.

Satoshi

— Satoko !

Satoko, est-ce que ça va ?

Satoko

— Totoche !

Totoche !

HAAAaaaaaaaaaaa !

Satoko poussa Rika du côté, puis se jeta sur son frère pour repartir de plus belle dans les cris et les larmes.

Satoshi

— Pourquoi ?

Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Pourquoi, hein ?

Satoko

— Je sais pas !

J'ai rien fait... j'ai rien fait du tout !

Mais Mion... Mion a...

ahhaaaaaaaaa, aaaaaaah !

Satoshi

— Quoi ? Qu'est-ce que ça veut dire, Mion ?!

La main posée tendrement sur la tête de sa sœur, Satoshi se retourna et se mit à me crier dessus.

Son visage, déformé par la colère, était terrifiant.

Shion

— Quoi, “ça veut dire quoi ?” J'ai just--

Satoshi

— Qu'est-ce qu'elle t'a fait, hein ?

Qu'est-ce qu'on vous a fait ?

Pourquoi c'est toujours nous qui prenons ?

Hein ?

POURQUOI ?

Il lâcha sa sœur, puis se rapprocha de moi, puis... il me souleva par le col du chemisier.

Shion

— Tout à l'heure, tu m'as dit que si je me posais la question, je saurais.

Eh bien, si Satoko se posait la question, elle saurait aussi. C'est fou, hein ?

Satoshi

— Comment oses-tu ?!

Shion

— Tu le sais pourtant très bien, tu t'en es rendu compte, non ?

Shion

Satoko est toujours dans tes jambes, c'est un poids mort, un fardeau, un boulet !

Shion

Si elle apprenait à arrêter de chialer à tout bout de champ, tu crois pas que ça irait mieux pour tout le monde ?

Shion

C'est de sa faute à elle, c'est ELLE qui fait chier tout le monde !

Je pense que j'avais mis le doigt exactement là où ça faisait mal, parce qu'il se mit dans une colère indescriptible.

Satoshi

— Espèce de...

Je t'interdis de dire ça, tu m'entends ?!

Shion

— Aïe ! Aaaaaaaïeuh !

Satoshi me tira les cheveux, puis, comme j'avais fait à Satoko, il me prit par la tête pour m'envoyer de toutes ses forces contre le mur.

Mais cette fois-ci, je ne reculai pas.

J'étais hors de moi, de toute façon, et je laissai libre cours à mes émotions...

Shion

— De toute façon, tu es trop tendre avec elle, tu lui passes tous ses caprices !

C'est pour ça qu'elle est tout le temps dans tes pattes, même à son âge !

Satoshi

— Et qu'est-ce que tu viens parler, toi, hein ? Tu sais de quoi tu parles ? NON !

Satoshi

Tu sais rien de nous, RIEN !

Satoshi

Nos parents se sont fait jeter, humilier, par tout le monde, TOUT LE MONDE dans le village !

Satoshi

Et maintenant, alors, c'est à notre tour ?

Satoshi

C'est comme ça qu'on s'amuse, chez les Sonozaki ?

Satoshi

C'est bien vous qui persécutez les “traîtres”, non ?

Satoshi

Vous aimez ça tellement que ça ?

Satoshi

Ça vous plaît de frapper les plus faibles que vous ?

HEIN ?

Rena

— Vous deux, ÇA SUFFIT !

Rena s'était soudain placée entre nous.

Elle avait les traits déformés par une colère effroyable, et nous dévisagea tour à tour, Satoshi et moi.

Rena

— Satoshi, arrête, maintenant !

Mii n'a pas fait ça par méchanceté gratuite.

Rena

Elle a vraiment envie de te venir en aide, mais vous n'êtes pas sur la même longueur d'ondes, tous les deux, alors elle parle dans le vide.

... C'est pas vrai peut-être ?

Satoshi

— ... ...

Satoshi eut l'air de vouloir répondre, mais il ne dit rien.

Rena

— Et toi aussi, Mii, arrête.

Rena

Je sais que tu es celle qui te fais le plus de soucis pour lui.

Rena

Mais ce n'est pas comme ça tu vas régler ses problèmes.

Rena

Si tu y réfléchissais à tête reposée, je suis sûre que ça te paraîtrait évident à toi aussi.

Satoshi n'avait pas contesté, alors je décidai de faire comme lui et de garder le silence.

Rena

— Allez, Satoko.

Ce n'est pas la peine de pleurer parce que les boîtes sont tombées par terre, ce n'est pas la fin du monde.

D'accord ?

Tu t'es calmée ?

Rika

— ... Laisse, Satoko, je vais ramasser ta boîte.

Satoko

— ... Hhhh... *sniff*...

Rika n'avait pas l'air de supporter de voir son amie dans cet état. Elle se baissa pour rassembler les éléments de la boîte.

Rena

— Bon, allez, soyez gentils, aidez-moi à tout ranger.

La maîtresse va bientôt rentrer de son petit jardin de curry.

Si tout est rangé et que les disputes sont finies, on évitera le savon.

C'est d'accord ?

Les autres élèves se regardèrent, puis acquiescèrent, et chacun se mit à ramasser les petites choses qui traînaient partout.

Rena

— Bon.

Allez, Satoshi, Mion, faites la paix. Serrez-vous la main.

Allez !

Shion

— ... Je... désolée...

C'était pas le... pas le but recherché...

Je sentis des larmes fraîches couler sur mes joues.

Satoshi

— ... Je... Moi aussi,

j'ai pas été très malin sur ce coup-là.

C'est pas toi qui nous fais subir tout ça, ce sont les adultes et leur stupidité. Je devrais pourtant le savoir, mais... j'ai pas réfléchi.

... Pardon.

Rena

— Bon, maintenant, excuse-toi auprès de Satoko.

... Allez.

... Autant pour Satoshi, je trouvais ça normal, pour Satoko, je n'avais absolument aucune intention de m'excuser.

Mais je savais que Rena ne me lâcherait pas autrement, alors je me forçai à bredouiller quelque vague excuse.

Satoko était toujours silencieuse, encore sous le choc, le regard vide. Elle ne fit qu'acquiescer.

Enfin, Rena me lâcha la grappe, et je pus me couvrir la tête avec les deux mains pour me cacher -- et aussi parce que j'avais mal à la tête.

Mais qu'est-ce que j'ai fait...

Qu'est-ce que je fous, bordel ?!

J'ai quand même pas pris tous ces risques pour échanger ma place avec ma sœur et tout foutre en l'air ?!

Elle m'avait pourtant prévenue, en plus...

Elle m'avait dit qu'il valait mieux ne pas trop approcher Satoshi...

Qu'est-ce que je suis venue faire ici, moi ?

Si c'était pour faire de la merde comme ça, j'aurais dû ne pas venir.

Je suis trop conne ! Je suis trop une grosse conne !

C'était parce que j'avais pensé pour son bien que la moutarde m'était montée au nez.

J'avais tout donné, et pourtant, j'avais fait une erreur en route quelque part. ... Peut-être que je fais fausse route depuis le départ, d'ailleurs.

Comment ai-je pu être aussi stupide ? M'engueuler avec lui ? Vraiment ?

Je fus assaillie par les regrets.

Puis par la honte de mes actes.

Mais j'eus beau m'insulter moi-même tout le reste de la journée, le mal était fait.

Le monde était comme plongé dans les ténèbres les plus profondes.

Si le ciel pouvait me tomber sur la tête, j'aimerais beaucoup me faire écraser et tuer, le plus vite possible...

Quand ma sœur entendit les nouvelles, elle eut l'air partagée entre la pitié et l'incompréhension la plus totale.

Mion

— Quand je pense à tout ce que j'ai sur le dos rien qu'avec la purification du coton...

T'as réussi à tout rendre encore plus compliqué...

Shion

— ... J'te demande pardon.

Je sentis Mion s'apprêter à me dire quelque chose, mais elle eut l'air de se raviser. Après tout, le mal était déjà fait...

Après m'être laissée faire engueuler deux ou trois fois, je lui racontai tout ce qu'il s'était passé aujourd'hui par le menu.

Ma sœur devait prendre la suite et assumer les erreurs que j'avais commises, donc elle devait savoir exactement ce qu'il s'était passé. Je comprenais qu'elle tirât la gueule…

Shion

— ... Je suppose que... Je ne pourrais plus prendre ta place avant un fameux moment ?

Mion

— Eh, Shion, OK ?

Pense un peu à ce que je dois me farcir moi après, d'accord ?

Shion

— ... Ouais... Je... Si, tu as raison.

Ma sœur avait toujours été plus ou moins compréhensive, mais là, ça coinçait, visiblement.

Après toutes les embrouilles que je lui avais faites, il était normal de la voir refuser de me rendre ce service.

Pendant un petit moment, nous restâmes toutes les deux dans un long silence gêné...

Mion

— ... Écoute, imaginons. On fait comme si c'était d'accord.

... Qu'est-ce que tu compterais faire ?

Elle avait, bien sûr, le droit de poser la question.

... Mais pour être honnête, je ne savais franchement pas quoi lui répondre.

Même en imaginant que j'aille encore une fois à l'école, je fais quoi en voyant Satoshi ?

... Je saurais même pas quoi lui dire...

M'excuser pour aujourd'hui ?

... Il va me falloir une approche en béton pour remettre la discussion sur le tapis.

Et puis, rien ne me dit que mes excuses n'auront pas l'effet inverse de celui recherché...

Ah, mais au fait,

il avait dit quelque chose...

... C'étaient les Sonozaki qui les avaient persécutés, eux et ses parents.

Satoshi avait toutes les raisons de détester n'importe qui porterait leur nom.

Mais alors, pourquoi maintenant ?

Je me suis toujours appelée Sonozaki.

Lui-même pensait que j'étais Mion Sonozaki le jour où il m'a sauvée et caressé la tête...

Shion

— Mion...

Dis-moi franchement. Tu crois que Satoshi hait les Sonozaki ?

Mion

— ... ... À vrai dire…

je pense que oui.

Les Hôjô avaient été harcelés par le village tout entier, juste pour servir d'exemple et pour resserrer les liens entre les autres villageois.

Et c'était le clan des Sonozaki qui avait été l'instigateur de toutes ces brimades et persécutions.

Même après la guerre, l'atmosphère ne devint pas plus accueillante pour eux.

Si Satoshi détestait les Sonozaki comme la peste,

personne ne pourrait lui en vouloir.

Ils étaient responsables des problèmes de sa famille, et en partie de la situation dans laquelle lui et sa sœur se trouvaient...

Shion

— Mais alors...

Pourquoi maintenant ?

Pourquoi seulement maintenant ?

Mion

— ... ...

Shion

— Pourquoi est-ce qu'il le dit seulement maintenant ?

Pourquoi il a pas... Pourquoi...

ooohhh......

Ahhh…

S'il m'avait regardée avec la haine ou la hargne dans le regard depuis le tout premier jour,

il ne me serait jamais venu à l'esprit d'essayer de m'approcher de lui.

Je ne tentai même pas d'essuyer les larmes de crocodile qui dévalaient mes joues.

... Satoshi avait toutes les raisons de haïr les Sonozaki.

Il n'y avait rien d'anormal là-dedans.

C'était même le contraire.

Ce qui n'était pas normal, c'était pourquoi il n'avait rien dit jusqu'à présent.

Pourquoi avait-il été si gentil jusqu'à présent ?

Je savais que c'était un peu tard pour se poser la question, mais quand même...

Mion

— ... Parce que... je suppose que…

que Satoshi... a voulu se montrer raisonnable...

et pas en faire toute une histoire en public

...

Shion

— Mais... mais c'est... C'est horrible

...

c'est hhrrrbbb...

Ahhhhh !!!

Je finis par carrément pleurer dans le combiné.

C'était donc parce qu'il avait voulu être raisonnable qu'il m'avait traitée poliment jusqu'à présent ?

En fait, il avait réprimé sa colère jusqu'à maintenant, mais il était désormais trop fatigué et trop usé pour avoir la force de rester poli en ma présence...

J'avais beau y réfléchir sous tous les angles, Satoshi n'avait jamais rien à se reprocher, ce qui était particulièrement vexant.

J'aurais voulu pouvoir être en colère contre lui, mais en fait, ce qui me mit le plus en rogne, c'est de ne jamais avoir réfléchi à son point de vue.

Shion

— ... Pourquoi... Pourquoi la vieille folle a-t-elle donné l'ordre de persécuter les Hôjô ?

Mion

— Hein ?

Euh... Hmm...

Shion

— Ceux qui étaient pour le barrage, c'étaient ses parents !

Lui n'était pas spécialement impliqué dans la décision, non ?

Alors pourquoi les faire souffrir tous ?

Pourquoi ?

Mion ne sut plus quoi dire et resta silencieuse.

Elle n'avait pas besoin de le dire à voix haute, je savais un peu à quoi m'en tenir à ce sujet.

Ce n'était pas comme si le clan des Sonozaki avait réuni tout le monde et dit « Allez-y les enfants, rendez-leur la vie impossible ! ».

C'était juste que la vieille folle avait dû dire un jour qu'elle « trouvait les Hôjô détestables ».

Elle s'était plaint d'eux, et tout le monde avait voulu y aller de sa contribution pour bien se faire voir, et au bout du compte, c'était tout comme si elle avait donné l'ordre et que les gens avaient obéi.

Mais pourtant, la vieille folle devait bien savoir que si elle se plaignait, “le hasard” s'arrangerait pour bien faire les choses.

Donc quand elle se plaignait, elle savait pertinemment que c'était comme si elle donnait un ordre.

... C'est donc la vieille folle qui a ordonné le bizutage collectif des Hôjô.

Shion

— Tu te souviens, grande sœur, un jour, tu m'as dit que le prêtre Furude n'avait pas été très adulte ni responsable en semant le trouble dans l'unité du village.

Shion

Alors c'est ça que tu voulais dire par là ?

Shion

Je suppose que les Hôjô non plus n'étaient pas très adultes ni responsables, donc ?

Shion

Je suppose que c'est pour ça qu'il a fallu leur donner une petite leçon ?

J'ai raison ou pas ?

Mion ne faisait même plus mine de m'écouter. Elle restait silencieuse au bout du fil.

J'avais donc mis le doigt pile dessus...

Shion

— Tu crois pas que la mort de leurs parents, c'est suffisant ?

Shion

Il aurait d'ailleurs suffit de les convoquer dans la salle de torture

Shion

et de leur prendre un doigt ou deux,

Shion

mais c'était pas la peine d'en faire plus que ça !

Shion

Satoshi n'a rien à voir là-dedans ! Alors foutez-lui la paix !

Shion

Qu'est-ce qu'il vous a fait, hein ?

Dis-moi donc quelle faute grave il aurait commise !

Alors, Mion, j'attends !

Tu vas répondre, oui ou merde ?! Mion !

Mion !!!

Mion

— ... Très bien, c'est entendu.

Je compte sur vous, alors.

Je dois vous laisser. À bientôt. Au revoir.

Mion raccrocha sans plus attendre.

Elle avait parlé si poliment, de manière si impersonnelle… Au début, je me suis dit qu'elle avait dit cela pour pouvoir raccrocher et me fermer mon clapet.

Prise d'une colère outrée, je recomposai le numéro à toute vitesse, puis, en un éclair, je raccrochai avant d'attendre la première sonnerie.

Mion avait dit la phrase spéciale. Nous nous étions mises d'accord sur cette phrase. Elle signifiait que quelqu'un écoutait la conversation ou que la vieille folle était venue...

... En même temps, le timing me paraît un peu trop pratique.

Mais bon, c'était la phrase qui signalait “raccroche et planque-toi”, donc je ne pouvais plus rappeler.

J'allai me passer la tête sous l'eau du robinet, histoire de me calmer.

Sauf que lorsque j'ouvris les robinets à fond, il ne sortit que de l'eau juste tiède.

J'essayai plusieurs fois de m'en asperger le visage, mais rien n'y fit. Il me fut parfaitement impossible de me calmer.