Nous étions juste avant la saison des pluies, pendant cette période désagréable où la chaleur humide fait coller la sueur à votre peau du matin au soir et du soir au matin.

... Cela faisait plusieurs semaines que Satoshi ne venait plus à l'entraînement.

À peine arrivée sur le terrain, je cherchai Satoshi des yeux.

... Je suis peut-être arrivée trop tôt.

Il ne viendra que plus tard, qui sait ?

J'avais commencé à venir de plus en plus tard, pour être sûre de le voir en pleine action sur le terrain à mon arrivée.

Et pourtant, de Satoshi, pas la moindre trace.

Shion

— ... ... ... ...

Je ne cherchai même plus à cacher ma déception.

Je parie que tout le monde comprenait bien que son absence me rendait dingue.

Certains enfants qui étaient en classe avec Mion à l'école me firent signe et tentèrent de me remonter le moral,

mais je les envoyai bouler d'un geste du bras.

Irie

— ... Sonozaki ? Qu'est-ce qu'il y a,

ça ne va pas ?

Quel salaud. Comme si je ne savais pas que sa politesse, c'était du chiqué...

Et puis de toute façon, il sait très bien pourquoi “ça ne va pas”.

Shion

— ... Je vais rentrer à la maison.

J'ai franchement pas envie aujourd'hui.

Irie

— ... Hmmm, aujourd'hui, nous avons un meeting avec l'entraîneur des Titans.

Je préfèrerais que la manager de l'équipe soit là, personnellement.

Shion

— Je ne suis pas la manager, arrêtez de vous faire des films, je vous l'ai déjà dit.

J'ai jamais voulu le devenir.

Le chef resta un moment interloqué, ne sachant pas trop quoi répondre à cela.

Irie

— Très bien.

... Eh bien, reviens quand tu te sentiras mieux.

Shion

— Je ne reviendrai probablement plus jamais.

Si vous avez besoin d'une manager, allez recruter quelqu'un d'autre.

Irie

— Reviens nous rendre visite,

même si ce n'est pas souvent, juste les jours où ça te chante.

Et puis, si tu n'es pas là, Satoshi se sentira bien seul lorsqu'il reviendra lui aussi.

J'avais déjà tourné les talons et ne prêtais plus attention à ce qu'il disait.

Ces derniers temps, il avait été convenu que j'obtiendrais le droit d'être “Mion” aux heures de l'entraînement, et donc je n'avais pas eu spécialement besoin de prendre contact avec ma sœur.

Il m'était arrivé de vouloir lui demander ce que Satoshi faisait, mais je n'avais pas eu de chance avec mes appels -- il y avait toujours quelque chose et elle ne pouvait pas trop me parler.

En fait, il semblait que la vieille folle eût des soupçons à mon sujet. Et elle devinait que je devais avoir des contacts avec ma sœur, ce qui expliquait l'intérêt soudain qu'elle avait pour les appels téléphoniques qui lui étaient destinés.

Ce qui voulait dire qu'elle était surveillée de près, et que tout ce qu'elle faisait dans le coin était soigneusement consigné.

Il n'était donc pas facile de se joindre.

Même Kasai, qui servait de relais entre nous deux, semblait être surveillé -- il était un peu mon majordome, après tout.

Il m'avait déjà dit qu'il valait mieux ne plus nous voir pendant quelque temps, et cela faisait effectivement un moment qu'il n'était plus venu.

Qu'est-ce que Satoshi pouvait bien être en train de faire ?

Incapable d'obtenir une réponse à cette question, je n'étais plus tranquille, et les lourds nuages noirs dans mon esprit ne semblaient pas près de se dissiper...

Et comme j'avais l'esprit occupé,

je me suis fait avoir par surprise.

Reprenant mon vélo, j'allais sortir du terrain lorsque soudain, quelqu'un m'adressa la parole.

Rena

— Ah, salut, Mii.

Je voyais cette fille pour la première fois.

Par chance, elle m'avait appelée “Mii”.

Une seule personne faisait cela, si je pouvais en croire les infos de ma sœur. Cette fille devait donc être...

Shion

— ... Oh, c'est toi, Rena.

On ne te voit pas venir par ici très souvent, dis-moi ?

Oui, elle s'appelait Reina Ryûgû.

Normalement son prénom prend un “i” au milieu, mais elle avait expressément demandé à être appelée “Rena” lorsqu'elle s'était présentée.

Alors tout le monde jouait le jeu, et moi aussi.

Elle venait d'arriver chez nous à l'école, juste là, à la rentrée des classes, en avril.

Ma sœur m'avait donné quelques infos sur elle, mais rien de bien concret.

... Ce qui voulait dire que ma sœur ne savait pas encore quoi penser d'elle.

Et ça, ce n'était pas évident pour moi.

Je ne savais pas comment lui parler pour lui faire croire que j'étais bien “Mion”.

... Finalement, je décidai de continuer à me comporter assez brusquement avec tout le monde, en mettant ma mauvaise humeur bien en avant.

Quand vous voyez que quelqu'un n'est pas dans son assiette, vous mettez tout comportement sortant de l'ordinaire sur le dos de sa mauvaise humeur.

Et puis de toute façon, j'étais vraiment de mauvaise humeur, alors...

Rena

— Et alors, Mii, tu rentres ?

Shion

— Ouais.

Je crois que ça ne va pas.

Désolée.

Rena

— D'accord, ben alors, je vais rentrer avec toi.

... Je pensai lui dire de me laisser toute seule, mais je me suis retenue.

En effet, il n'y avait qu'un seul chemin pour rentrer à Hinamizawa.

À quoi bon lui demander de me laisser seule, si c'est pour l'entendre marcher 5m derrière moi ?

Si je refuse, elle pourrait avoir des soupçons ou en parler autour d'elle...

Shion

— Ouais, OK, comme tu veux.

Rentrons.

Rena acquiesça, puis alla retirer le cadenas de son vélo -- qu'elle venait pourtant juste de fermer...

Rena

— Ah, Mii, il est où ton parapluie ?

Shion

— J'en ai pas pris, pourquoi ?

Rena

— Il paraît que le temps va se dégrader bientôt.

... Si tu n'as pas de parapluie, autant se dépêcher de rentrer, alors.

Comme elle l'avait dit, nous étions encore en plein chemin qu'une pluie violente s'abattit sur nous.

Par chance, nous découvrîmes tout près un ancien abri-bus désaffecté, et en profitâmes pour nous installer au sec en attendant la fin des averses...

Rena

— Il pleut fort, mais je vois que le ciel est plus clair au loin. Il devrait bientôt cesser de pleuvoir.

Shion

— ... Ouais.

Nous n'entendions à la ronde que le bruit de la pluie qui frappait le plexiglas, et celui de l'eau qui dégouttait des abords pour former des flaques.

Bizarrement, cela conférait à cet endroit une aura de mystère. C'était très perturbant.

Pendant un moment, je restai les yeux dans le vague. Puis Rena, toujours le regard tourné vers le ciel, se mit à me parler.

Rena

— J'ai entendu dire que c'était pas la forme pour toi.

Je me suis fait du souci.

Les autres membres de l'équipe savaient tous que je déprimais de ne pas le voir à l'entraînement.

Ils étaient presque tous de Hinamizawa et allaient à l'école là-bas.

Donc forcément, ce n'était pas étonnant si elle était au courant.

Je n'avais plus eu de contacts avec ma sœur ces dernières semaines,

mais elle devait bien savoir ce que je ressentais pour Satoshi et dans quel état je devais être s'il ne venait pas aux entraînements.

Je parie même qu'elle devait jouer un peu la dépressive à l'école, histoire de rattraper mon erreur de l'autre fois.

Mais il n'empêchait que nous n'avions pas pu nous donner tous les détails l'une à l'autre.

Donc il nous était impossible de répondre aux autres s'ils nous pressaient de questions,

car nous n'avions pas encore pu discuter de la marche à suivre.

Donc évidemment, certains enfants devaient vraiment se faire du souci.

Il était clair que cette gamine, cette Rena, était uniquement venue pour me parler et pour me remonter le moral.

Elle a fait tout le chemin jusqu'au terrain... Elle doit avoir quelque chose à me dire.

Et si elle est venue au terrain, c'est parce que les autres lui ont un peu décrit le problème, donc elle doit être un peu au courant.

Rena

— ... Tu te sens seule parce qu'il ne vient plus te parler ?

Shion

— ... ...

Je devais tenter d'en découvrir un max sur Satoshi à travers ce qu'elle me dirait.

Il doit être à bout de force et refuse le contact.

En tout cas, c'est comme ça que je le comprends.

Rena

— ... Il avait l'air de se faire beaucoup de soucis pour Satoko.

Shion

— ... ...

Rena

— Je pense qu'il doit être sous pression, tu sais.

... Il est à plaindre, le pauvre.

Shion

— ... Il tient beaucoup à sa sœur et il fait tout pour elle.

C'est assez admirable comme comportement, je dois dire.

Cette Satoko est vraiment un gros poids mort pour lui.

Je me demande si mes paroles seront convainquantes.

Rena

— Mais tu sais, si toi aussi tu te mets à déprimer, tu ne feras qu'empirer les choses. Tu lui mettras encore plus la pression.

Shion

— ... C'est absolument pas mon but, tu sais.

Rena

— Oh, ça, je m'en doute.

... Mais il n'empêche. Alors je pense que le mieux,

c'est que tu sois souriante quand tu le croises à l'école. Sinon, il va se faire du souci pour toi, en plus du reste.

Shion

— ... ...

Rena

— Je sais que tu es capable de sourire même quand tu ne le penses pas, Mii.

Alors même si au début, tu dois te forcer à mentir,

je veux te voir sourire.

Parce qu'un jour, ce sourire ne sera plus un mensonge.

Donc, si je résume...

Satoshi et Satoko sont vraiment au bout du rouleau et ils sont très déprimés.

Si en plus, Mion, celle qui met l'ambiance d'habitude, se met à déprimer, ce serait la fin des haricots et ça ferait un cercle vicieux.

En fait, elle n'était pas là pour me consoler, mais pour se foutre de ma gueule. Cette gamine est largement moins conne qu'elle n'en a l'air. Rena, hein ?

Ma sœur disait qu'elle aimait les sales blagues et qu'elle partait parfois dans ses délires toute seule.

Mais là, je pouvais lui deviner un côté beaucoup plus sérieux...

Rena

— Mii... Est-ce que tu l'aimes ?

Shion

— ... Oui.

J'aurais pu me taire,

mais j'ai répondu.

Rena

— Alors...

Tu souriras ?

Elle me sourit en posant la question, mais j'eus l'impression qu'elle ne me laissait pas trop le choix.

Rena

— Je pense que si tu lui souris, ça va lui remonter un peu le moral.

C'est peut-être un peu décevant de ne rien pouvoir faire de plus pour lui,

mais c'est ce qui pourrait lui être le plus utile.

Shion

— ... ... Tu sais, j'en suis bien consciente.

Mais c'est nettement plus facile à dire qu'à faire.

Rena se mit à rire et acquiesça.

Rena

— Tu sais, quand il en aura fini avec son job, il retournera à l'entraînement.

Son job ? Quel job ?

La surprise m'empêcha heureusement de poser la question.

D'après le ton de sa voix, tout le monde à Hinamizawa savait qu'il avait un job, et donc “moi” aussi.

Shion

— ... Ouais, son job, hein ?

Espérons que ce soit vite fini.

Rena

— Oh, quand il aura assez d'argent, je suppose.

De toute façon, il faudra bien que ce soit avant l'anniversaire de Satoko.

Grâce à cette révélation, je pus obtenir une info très précieuse.

Et c'était tant mieux, puisque dans ma situation, étant censée tout savoir, je ne pouvais poser absolument aucune question.

... Il avait donc commencé un petit boulot pour pouvoir mettre de l'argent de côté.

C'est pas facile d'avoir un petit boulot quand on va encore à l'école.

Je parie que ma sœur s'est arrangée pour lui obtenir quelque chose.

Son boulot ne durera pas longtemps.

Il veut juste avoir des sous pour l'anniversaire de Satoko.

Donc en fait, la situation était très simple.

Satoshi veut acheter quelque chose de plutôt cher à sa sœur pour son anniversaire, et donc il lui faut bosser.

Tout ça pour remonter le moral à sa sœur, qui en bave en ce moment à cause de leur tante.

... En oubliant un peu facilement que lui aussi, il est au bout du rouleau.

... Et donc encore une fois, tout ça à cause de Satoko.

Non seulement il en bave à cause de sa situation à elle, mais en plus il se démène avec un petit boulot pour pouvoir encore lui offrir un truc par-dessus.

... Quel idiot…

Il n'a qu'à l'oublier et la laisser se démerder toute seule, un peu, il irait tellement mieux !

Shion

— ... ...?!?

Je vis Rena s'approcher et plonger son regard dans le mien, et là, un frisson d'épouvante me remonta le dos.

Elle était toujours en train de sourire, mais son regard était terne et sévère...

C'est vrai que mon avis sur la question, c'est que tout cela est la faute de Satoko, mais je sais que je n'ai rien dit, je l'ai seulement pensé.

Mais elle... Elle peut deviner à quoi je pense en me regardant réfléchir. C'est en tout cas l'impression qu'elle me donnait...

Rena lut la peur et la surprise dans mon regard, et eut le culot de sourire un peu plus.

Elle savait à quoi je pensais, et elle savait que c'était parce que j'aimais Satoshi que j'avais ce genre de réflexions.

C'était un sourire un peu... cruel, en fait. Vraiment très flippant.

J'entendis la foudre tomber au loin.

L'averse n'avait pas l'air de vouloir cesser rapidement. En fait, si ça se trouvait, ce serait bientôt encore pire.

Rena

— ... Est-ce que tu es jalouse de Satoko ?

Shion

— ... ...

Cette fois-ci, je préférai ne pas répondre du tout.

... Le problème étant que Rena avait l'air de savoir ce à quoi je pensais quand même.

Rena

— Ahahahaha, t'inquiète pas, Mii, je vais pas te faire la gueule pour ça.

Tu es amoureuse, c'est normal que tu sois jalouse.

Shion

— ... Merci.

Rena

— Mais tu as toujours remonté le moral à Satoko jusqu'à présent.

... Je trouve ça plutôt admirable de ta part, d'ailleurs.

Shion

— ... Elle fait partie de notre groupe d'amis.

C'est la moindre des choses.

Même moi, je ne me trouvais pas convainquante.

J'avais envie de vomir.

Rena

— Nous ne pouvons que tenter de leur remonter le moral.

Je ne sais pas comment les sortir de leur situation.

Shion

— ... Satoko est trop collée à lui.

Si elle arrêtait de se comporter comme une gamine, Satoshi aurait nettement moins de problèmes.

Rena

— AHAHAHAHAHHA,

eh ben, t'y vas pas de main morte.

Elle aurait dû considérer ça comme une insulte envers Satoko, et pourtant, elle osa en rire et être d'accord avec moi.

... J'avais de plus en plus de mal à savoir à quoi elle pensait réellement, cette fille.

Rena

— Je pense que Satoshi aussi en est arrivé à la même conclusion.

Shion

— Hein ? Comment ?

Rena souriait avec une expression assez énigmatique sur le visage, un peu froide et distante.

Rena

— ... Satoshi aussi doit être fatigué de toujours devoir la protéger.

Je ne la connaissais que très peu,

mais elle m'avait l'air du genre à ne rien dire tant qu'elle n'avait pas au moins un début de preuve de ce qu'elle avançait.

Donc si elle pouvait affirmer une chose pareille, c'est qu'elle devait savoir quelque chose que je ne savais pas.

Shion

— Et... qu'est-ce qui te fait dire ça ?

Rena

— Il me l'a plus ou moins avoué.

Shion

— ... Pardon ?

Satoshi s'était confié à Rena. Elle me demanda de garder ça pour moi.

Rena

— Satoshi... me l'a dit en fait, tout simplement.

Il m'a dit qu'il était un peu fatigué de son rôle de grand frère protecteur.

Il a aussi dit qu'il avait honte de penser ce genre de choses, que c'était pas très glorieux.

Le Satoshi que je connais ne dirait jamais une chose pareille.

... Oui mais !

Rena n'est pas du genre à raconter des histoires pour semer la zizanie.

Je ne savais pas pourquoi je pouvais dire ça d'elle -- je la rencontrais aujourd'hui pour la première fois --

mais d'instinct, j'étais sûre de cela.

Je ne pus pas m'empêcher de pousser un profond soupir.

Pendant les jours où je n'avais pas pu le voir, Satoshi était devenu tellement épuisé qu'il en était arrivé à dire des choses pareilles...

Mais il y avait quelque chose qui clochait.

... Même s'il le pensait en son for intérieur, il n'était pas du genre à le dire.

... On lui a un peu forcé la main.

C'est elle, c'est Rena qui a fait ça.

... Je n'arrive vraiment pas à la cerner,

cette fille.

Elle ne m'a dit que quelques mots, je la connais à peine, et pourtant, je lui avoue déjà des tas de choses que je ne dirais jamais aux autres.

Est-ce que par hasard elle aurait le pouvoir de prendre les gens par les tripes et les faire vider leur sac ?

Qu'est-ce que je fais dans cet abri-bus avec cette gamine si mystérieuse ?

... Je devenais enfin consciente du caractère surréel de la scène. Peut-être étais-je déjà atterrie dans un nouveau monde ?

Ma sœur n'a sûrement pas encore remarqué cet aspect chez elle.

Elle s'imagine encore que c'est simplement une fille sympa et assez marrante, qui part parfois dans ses délires.

... Oui, si elle avait remarqué ça, elle me l'aurait dit.

Shion

— ... Et alors il te fait confiance tellement qu'il t'avoue des trucs pareils ?

Je t'envie, je dois dire...

Rena

— ... Oh, je ne pense pas qu'il me fasse confiance.

C'est juste parce que j'en ai déjà fait l'expérience.

Shion

— L'expérience ?

Tu as dû protéger quelqu'un aussi ?

Rena

— J'ai déjà eu quelqu'un qui me suivait toute la journée, pieds nus.

J'entendais ses pas du matin au soir.

Et la nuit, elle se tenait devant mon oreiller et me regardait de haut, avec mépris.

...

????

Mais de quoi est-ce qu'elle parle ?

Je tournai la tête pour le lui demander...

Et d'un seul coup, une peur indicible m'envahit.

... Rena souriait, mais...

Son regard était vide, glacial... terrifiant.

Les yeux grand ouverts par la peur et la surprise,

je me figeai.

Rena

— Tu n'as jamais eu ça, toi ?

Ahahaha, non, sûrement pas.

Enfin, je ne pense pas.

Ahahahahaha...

Rena se mit à rire toute seule.

Je ne savais pas ce qu'elle voulait me dire, mais je pus tout juste réprimer ma peur suffisamment pour faire attention à ce qu'elle disait.

Rena

— ... Mii, tu ne t'es jamais dit que ce serait bien de partir de Hinamizawa

et de vivre plus en ville ?

Que tu en avais marre de ce bled paumé ?

Ne sachant pas ce qu'elle voulait dire par là, je ne sus pas quoi lui répondre et gardai le silence.

Mais Rena ne continua pas, et, avec chaque seconde qui passait, son silence me mit la pression.

Shion

— ... N-

Non, jamais.

J'aime ce coin.

Rena

— Ahaha, je le savais, oui, toi, tu aimes ce village,

j'en étais sûre.

Ahahahahahahaha !

Mon instinct de survie me disait qu'il valait mieux ne pas essayer de lui mentir.

Elle est plus douée que moi pour tirer les vers du nez, cette fille.

Elle est très habituée à lire les sentiments des gens, et sait interpréter la moindre réaction...

Il vaut mieux lui dire la vérité.

Rena

— Oui, toi, tu n'as rien à craindre, Mii.

La déesse Yashiro ne se mettra pas en colère contre toi.

Shion

— La déesse Yashiro ?

La déesse Yashiro.

Que venait faire la déesse protectrice du village dans cette histoire ?

Je restai un moment immobile, tâchant de deviner le rapport.

Rena

— Oui,

la déesse Yashiro.

Elle y avait mis l'accent en le répétant. Elle est en train de se foutre de moi...

Ah, mais oui !

Je vois ce qu'elle veut dire, maintenant !

La déesse Yashiro empêche les dangers venus de l'extérieur de nous atteindre.

Mais elle punit aussi ceux qui tentent de déserter le village.

C'étaient les règles de la malédiction de la déesse, bien sûr !

Soudain,

une peur indescriptible, oubliée, enfouie au plus profond de moi, refit surface sans crier gare.

Bien sûr.

Quand j'avais appris que l'on m'envoyait en internat très loin d'ici, c'était ce qui m'avait fait le plus peur.

J'avais eu peur de me faire maudire par la déesse Yashiro si je restais dans cette école, loin d'Okinomiya, pendant toutes ces années.

Mais normalement, je devrais pas avoir de problème.

Je me suis justement fait la malle de l'internat pour pouvoir retourner à Okinomiya, précisément parce que j'aimais cette région.

Alors bon, Okinomiya n'est pas Hinamizawa non plus, mais eh, quand nous étions gamins, Okinomiya était dans la zone en sécurité.

Même si la vieille folle m'empêchait de vivre comme je le voulais, je faisais tout pour pouvoir vivre ici, malgré les difficultés.

Ce n'était pas un comportement ingrat ni insultant à l'égard de la déesse.

Les Sonozaki m'avaient exilée loin d'ici, mais je me suis enfuie de là-bas pour pouvoir revenir.

En fait, j'ai un peu montré le bon exemple, si l'on peut dire. La déesse devrait me donner un bon point...

Toutes ces raisons et ces justifications ne pouvaient signifier qu'une chose.

Je pense qu'en fait,

même aujourd'hui,

j'ai encore peur de la malédiction.

Shion

— ... J'aime vraiment cette région.

Je ne pense pas courir le risque de me faire maudire.

C'est presque le contraire, je suis plutôt un élève modèle, quelque part.

Rena

— Oui,

je dois bien l'admettre, moi aussi.

... C'est pour ça que tu ne comprendras jamais Satoshi.

Shion

— Mais pourquoi ?!

Rena

— Parce que Satoshi, quelque part dans son cœur,

a envie de s'enfuir très loin d'ici.

... ... ...Que... ?

En mon for intérieur, je poussai un cri d'effroi.

J'étais triste de ne plus voir Satoshi à l'entraînement, mais...

Je n'aurais jamais imaginé qu'il pût vouloir s'en aller loin d'ici et disparaître à tout jamais.

Shion

— Satoshi... veut faire une fugue, tu crois ?

Rena

— Oui.

Je pense qu'il n'en est pas conscient.

En tout cas, il n'en avait pas pris conscience jusqu'à ce que la déesse vienne l'observer au pied de son lit.

Mais qu'est-ce qu'elle est en train de raconter, là ?

Il me fallait découvrir ce qu'elle voulait vraiment dire par là.

Rena

— Satoshi est en ce moment en train de subir les premiers effets annonciateurs de la malédiction de la déesse Yashiro.

Rena

Il se sent observé à distance. Il se sent constamment suivi. Quelqu'un est toujours juste derrière lui, à regarder par-dessus son épaule.

Rena

Et puis un jour, il remarquera un bruit de pas en trop quand il marche, qui lui fera toujours un peu écho.

Au départ, ce sera juste dehors.

Mais par la suite, ce sera aussi chez lui, dans sa chambre, même aux toilettes.

Rena

Et quand il éteindra la lumière, après s'être couché sous sa couette, il sentira une présence juste à côté de lui, debout, qui le regardera dormir toute la nuit,

en silence.

Et ça durera jusqu'à ce qu'il avoue ses pêchés.

Rena

Au début, quand il m'a dit qu'il faisait de mauvais rêves,

je lui ai demandé quoi comme rêves.

... Et là, ce qu'il m'a raconté,

c'était

exactement comme pour moi à l'époque,

Rena

alors je l'ai mis en garde. Je lui ai dit qu'un jour, il entendrait des pas. Je lui ai aussi dit pour la présence au pied du lit.

Rena

Et surtout, je lui ai dit qu'il m'était déjà arrivé la même chose par le passé et qu'il pouvait m'en parler en toute confiance.

Rena

... Je pense qu'au début, il a été extrêmement méfiant.

Rena

Et puis, un jour, tout est arrivé comme je le lui avais prédit.

Rena

La présence de la déesse Yashiro s'est faite plus proche et plus pressante.

Rena

Et lorsqu'enfin il l'a sentie l'observer la nuit, il s'est rendu compte que j'étais la seule à pouvoir l'aider, alors il est venu me parler.

... Le plus flippant dans tout ça, c'est qu'elle n'avait pas l'air de mythoner. Elle y croyait dur comme fer, en tout cas.

Elle récitait ça d'un air morne, comme si c'était une simple accumulation de faits incontestables.

Je ne pouvais rien dire.

Est-ce que c'était une blague ou une croyance stupide, ou bien est-ce que c'était un langage codé pour me donner des indices bien concrets, je ne savais pas et je n'avais pas le droit de demander.

J'avais juste le droit de me taire et de l'écouter.

Rena

— Tu sais, je suis née à Hinamizawa.

Rena

J'ai déménagé dans la préfecture d'Ibaraki juste avant d'entrer à l'école primaire.

Rena

Je n'arrivais pas à m'habituer à ma nouvelle ville, alors la déesse est venue me voir et m'a ordonné de rentrer.

Rena

Et ça, des centaines et des centaines de fois.

Mais j'étais une toute petite fille, j'avais beau pleurer et demander de rentrer à Hinamizawa, mes parents ne voulaient pas.

Rena

J'ai dû vivre avec la voix de la déesse tous les jours.

Et puis un jour…

... ...

Elle ne continua pas.

Je pus lire sur son visage qu'elle ne voulait pas vraiment me dire la suite,

mais comme de toute façon je ne savais pas de quoi elle me parlait, j'eus seulement l'impression qu'elle essayait de noyer le poisson.

Rena

— Et puis il s'est passé pas mal de choses, et nous sommes revenus vivre à Hinamizawa.

Rena

... C'est pour ça que la déesse m'a pardonné ma faute.

La preuve, je n'ai plus jamais ressenti sa présence, depuis.

Rena

Mais Satoshi subit la malédiction alors qu'il vit encore à Hinamizawa.

Pourquoi ?

Il n'y a pas trente-six solutions :

Rena

il a très certainement envie de quitter le village.

Et ça, la déesse ne le lui pardonnera pas.

Rena

À force de se poser la question,

Satoshi a fini par se l'avouer.

... Il a un job, maintenant.

Parce que la peluche que Satoko voulait coûte presque 100 000Yens.

Rena

Satoshi doit travailler dur s'il veut avoir assez d'argent à temps.

Rena

Tu as as remarqué ?

Rena

Réfléchis un peu.

Avec 100 000Yens... pas besoin de se poser trop de questions.

On a largement de quoi se payer le train pour la première ville qui nous passe par la tête, et de quoi s'acheter à manger.

Rena

Par contre, c'est vrai qu'il vaut mieux ne pas trop penser à la suite, mais c'est suffisant pour partir.

Rena

Et je pense que Satoshi, petit à petit, commence à se dire qu'avec tout cet argent, au lieu de payer la peluche de sa sœur, il pourrait l'abandonner ici et s'en aller.

Rena

Pour Satoshi, rien que le fait d'y penser est un crime grave.

Rena

Mais comme tu l'as dit tout à l'heure, Mii, Satoko est un poids pour lui, on ne peut pas le nier.

Rena

Et Satoshi n'est pas un idiot, loin de là.

Rena

Il n'a pas envie de le reconnaître, mais il sait très bien qu'elle est un sacré fardeau pour lui.

Rena

C'est pour ça qu'il est tracassé.

Il a commencé ce petit boulot pour faire une surprise à sa sœur et voir la joie sur son visage.

Rena

Et il a peur qu'en réalité, ce soit juste un prétexte pour amasser de quoi partir d'ici.

Rena

... Je vais te dire honnêtement, je pense qu'il ferait mieux de ne pas s'enfuir,

Rena

il serait rongé par le remords toute sa vie.

Rena

Et la déesse Yashiro le sait aussi bien que moi. C'est pour ça qu'elle se manifeste à lui, pour essayer de le prévenir.

Rena

J'espère qu'il arrêtera vite d'entendre les voix des démons qui lui ordonnent d'abandonner sa sœur.

Rena

Il n'a que jusqu'à la date de l'anniversaire de Satoko pour obtenir cet argent,

Rena

et ce sera tout juste quelques jours après la fête de la purification du coton, si j'ai bien compris.

Rena

C'est pour ça qu'il cumule plein de petits boulots en ce moment. Il est à bout de forces, physiquement comme psychiquement, d'ailleurs.

Rena

Il se donne du mal en espèrant que tout cela prendra fin quand Satoko aura sa peluche.

Rena

... ... La déesse l'observe, encore et toujours.

Rena

Elle attend de voir s'il compte protéger sa sœur ou l'abandonner, et là, elle le jugera.

Il pleuvait toujours aussi fort dehors.

Les gouttes d'eau qui frappaient le plexiglas et celles qui dégouttaient dans les flaques d'eau étaient toujours aussi bruyantes qu'avant.

Et pourtant, le silence qui régnait désormais entre nous deux était si assourdissant qu'il m'en faisait mal aux oreilles.

Cette fille... Cette Rena, assise à côté de moi, elle... Mais de quoi est-ce qu'elle me parle, là ?

Je ne comprenais même pas la moitié de son charabia.

La seule chose qui paraissait claire dans tout ça, c'est que Satoshi souffrait en ce moment comme jamais.

Il serait en train de subir la malédiction de la déesse Yashiro ?

Et Rena l'aurait déjà subie elle aussi par le passé ? Et y aurait survécu ?

Maintenant qu'elle en parle, c'est bientôt,

la fête de la purification du coton.

La malédiction de la déesse Yashiro a déjà frappé par trois fois.

... Personne ne peut affirmer qu'il n'y aura pas une quatrième fois.

Et comme par hasard,

c'est le moment que choisit Satoshi pour ressentir les effets de la malédiction ?

Mais alors, va-t-il faire une fugue ?

Satoshi risque donc d'être la prochaine victime de la malédiction !?

Que ce soit l'un ou l'autre...

Il partira loin, très loin d'ici... très loin de moi...

N'y a-t-il vraiment rien que je puisse faire ?

Si je ne fais rien maintenant, tout cela finira sans que j'aie pu faire quoi que ce soit.

... ... Finir ?

Une peur de plus en plus précise et concrète commença à s'emparer de moi.

Je ne dis pas que je prenais ce que m'avait dit Rena pour argent comptant...

Mais... j'avais le sentiment qu'il allait arriver quelque chose de terrible et de définitif à Satoshi, et je n'arrivais plus à me calmer.

Maintenant que j'y repense, d'ailleurs, c'était vraiment un mauvais pressentiment.

Et mon instinct est toujours dans le vrai.

Sachant pertinemment à quel point c'était dangereux, je décidai de prendre contact en urgence avec Mion.

Elle fut d'ailleurs très en colère par mon manque de prudence, mais quand elle entendit ce que j'avais à lui dire, elle fut abasourdie.

Shion

— Grande sœur.

... Il faut que je sache pour Satoshi,

qu'est-ce qu'il se passe au juste ?

Mion

— ... Il est pas commode ces derniers jours.

On ne peut pas lui parler, il tire tout le temps la gueule.

Shion

— ... Comment, alors tu ne lui parles pas ?

Mais alors, tu ne sais pas comment il va, du coup ?

Mion

— ... … Je suis désolée de pas t'être utile sur ce coup-là.

Shion

— ... ... OK, bon écoute,

il me faut rapidement une nouvelle occasion pour prendre ta place.

Mion

— Hmmm... J'ai rien contre dans le principe,

mais ça va pas être évident, j'ai beaucoup de réunions à propos de la purification du coton en ce moment.

Qu'est-ce qu'il y a, il te faut des sous ?

Tu veux travailler ?

Shion

— Non. Il faut que j'aille à l'école à Hinamizawa.