Shion

— Bonjour, bonjour !

Vous avez bien du courage, dites-moi, il fait si chaud !

Irie

— Oh ? Mais c'est Mion, quelle bonne surprise !

Bonjour, bonjour.

Tiens donc, mais ? Oooh, c'est pour nous ?

Oh, mais il ne fallait pas, voyons☆!

Je reconnais bien là notre manager !

Shion

— Bah, ça m'a toqué, et puis ça me fait plaisir.

Shion

Mais attention, ce n'est pas spécialement uniquement pour vous, Chef ! Pensez à en laisser pour les joueurs.

Shion

Et arrêtez de m'appeler manager, je ne suis rien du tout dans cette équipe.

Satoshi

— Mais tu sais, Mion, si tu devenais notre manager, je crois que les autres se donneraient à fond.

Satoshi

... Allez, quoi, sois sympa.

S'il te plaît.

Satoshi me fit un petit sourire, le regard tendre mais intense.

... Pour être honnête, ce serait trop pénible de les aider dans l'équipe, et moi, j'aime PAS les boulots pénibles.

Mais il fallait bien admettre que je venais vraiment les encourager toutes les semaines, donc bon, quelque part, je me comportais déjà effectivement comme si j'étais leur manager...

Shion

— Bah, les jours où ça me prendra, comme ça, je le ferai déjà sans vous demander votre avis.

Et alors, comment qu'il est, Satoshi ?

Son pourcentage de balles frappées augmente ?

Irie

— Oh, oui, il se donne à fond.

Son pourcentage de réussite...

avoisine le taux de réduction obtenu quand on achète trois paquets de beignets au sésame au Seven's Mart en bas de la rue, donc...

Shion

— Ahahahahahaha !

En gros, 30% ?

Eh,

mais donc en fait, t'es plutôt doué !

Satoshi

— ... Mhhm.

Le plus important dans le taux de réussite, c'est pas le chiffre en lui-même, Mion.

Si je rate une balle décisive, je ne sers à rien.

Irie

— Tu connais tes faiblesses mieux que quiconque, Satoshi,

le reste, ce n'est qu'une question d'entraînement.

Le chef fit un petit signe au lanceur, qui, après avoir fait un grand moulinet, envoya la balle vers le receveur.

Satoshi suivit sa trajectoire des yeux, sans se démonter, puis, une fois qu'il la sentit à sa portée, il frappa avec la batte, de toutes ses forces.

Un son clair retentit à la ronde.

La balle traversa rapidement la ligne entre la première et la deuxième base, et alla rouler très loin.

Shion

— Oooooh !

Paaas maaal !

Bravooooo !

Je me mis à l'applaudir très fort, et Satoshi, visiblement gêné, vissa plusieurs fois son casque de protection bien profond, pour cacher son visage le plus possible.

Irie

— Hmmmm,

il est très fort lorsque le match n'est pas très palpitant ou pendant les entraînements, mais...

Le chef souriait, mais il avait l'air très déçu.

... Ben, oui, quoi. Satoshi avait une grosse faiblesse : il ne supportait pas la pression.

D'habitude, il jouait vraiment très bien, mais lorsque ses coéquipiers comptaient sur lui, lors des lancers importants, il ratait tout.

Je ne pense pas qu'il devenait particulièrement nerveux ou quoi que ce soit, mais... En tout cas, il ne jouait jamais aussi bien que d'habitude.

Je trouvais que c'était bien lui tout craché, d'ailleurs.

Shion

— Pourtant, sur le papier, c'est un bon joueur, qui fait de sacrées performances !

Shion

C'est quand même fou qu'il soit aussi mauvais quand on a besoin de lui.

Shion

Il faut changer tout ça ! Tu peux pas à chaque fois nous refaire le coup comme contre les Juggers d'Ukida !

Satoshi

— Mhhm...

Tu pourrais te taire, un peu ? J'te signale que j'en suis bien conscient, et que je suis le premier que ça dérange.

Irie

— Oui, si tu avais eu cette balle, ç'aurait été un coup formidable.

C'est vraiment très dommage.

Satoshi était arrivé à la batte juste à un moment-clef du match :

s'il faisait un bon tir, les Fighters repassaient devant, mais même s'il tirait moins bien, l'équipe était sûre d'égaliser, au moins.

J'aurais voulu le voir avoir son moment de gloire sur le terrain, devant tous ses amis...

Mais évidemment, vu son passif, il était presque sûr et certain qu'il louperait les trois balles.

Le chef avait fait taire les voix qui réclamaient un changement de joueur et avait laissé Satoshi en place.

Shion

— Rah, mais zut, aussi !

Si t'avais touché cette balle, tout aurait été parfait !

Pourquoi t'y arrives pas ?

Pourquoi t'y arrives jamais quand c'est important ?

Satoshi

— Mais j'y peux rien, moi...

C'est vrai que je suis mauvais dans ce genre de situations.

D'ailleurs, moi-même je me suis dit qu'il valait mieux laisser un autre joueur à ma place, pour faire gagner l'équipe...

Shion

— Non mais le plus important, c'est pas de gagner le match, c'est que toi tu nous fasses gagner le match !

Shion

Mais j'y crois pas, quoi !

Shion

Pourquoi tu n'es pas plus combattif que ça ?

Shion

D'habitude, c'est quand même le contraire, non ?

Shion

Quand tu sens que les gens veulent te faire remplacer, il te vient l'envie de leur montrer ce que tu vaux, non ?

J'arrive pas à croire que tu allais gentillement lui demander de te remplacer !!

Pourquoi tu es si passif ?!

Irie

— C'est ce que je lui dis tous les jours, mais bon...

Que veux-tu y faire...

Shion

— Il peut être un parfait gentleman s'il veut, le reste du temps, tant mieux pour lui, mais pendant les matches, il doit avoir de la gniaque, il doit devenir impitoyable, comme un démon !

Shion

Moi, c'est ce que j'aime dans un homme, il doit être tendre mais aussi violent comme un animal parfois !

Shion

Et c'est ça, Satoshi, qui te manque.

Shion

Tu es un descendant de Hinamizawa, quand même, le sang des démons coule dans tes veines, tu leur fous la honte, là, tu sais ?

Non, mais, OOoooh, tu m'écoutes, oui ?

Satoshi, je te parle !

Satoshi

— Mhhm...

Oui, je t'écoute...

Satoshi

Je comprends pas trop ce que tu veux dire, en fait.

Shion

— Comment ça tu comprends pas de quoi je parle ? Je parle de toi, espèce de trip--

Eeeh !?

Oh...

Shion

Euh...

Un sourire fier et généreux sur les lèvres, Satoshi s'était approché de moi pour me caresser la tête.

... Comme d'habitude, il avait fait ça très soudainement et sans prévenir.

Et comme d'habitude, j'étais rouge tomate et je ne savais plus quoi dire...

Satoshi

— Tu dis ça pour mon bien, Mion, je sais.

Merci.

Merci beaucoup. Tu verras.

Shion

— ... Euh, Sa--Satoshi, tu...

Arrête un peu de changer de sujet comme ça, tout le temps, c'est pas sérieux...

Satoshi

— J'essaye pas d'changer de sujet,

je suis vraiment super content de ce que tu viens de dire, c'est tout !

Ahahahaha !

Je ne pouvais rien faire. Toute rouge, je me laissai docilement caresser la tête.

J'ai même dit quelques “Mhhm”, comme lui le faisait si souvent.

Il s'éloigna alors en me promettant de se donner du mal, me laissant toute seule, plantée là, la vapeur s'échappant par mes deux oreilles.

Irie

— ... C'est ton point faible, la tête ?

Shion

— Ça dépend de la personne qui me caresse.

Si vous essayez, je vous mets un ultra combo, alors soyez sûr de votre coup.

Irie

— Quoi ? Roh, mais c'est pas sympa, ça !

Irie

Ahhahahahaha !

Irie

Bon, allez les enfants, vu que nous sommes nombreux aujourd'hui, on va faire un petit match !

Irie

Les Fighters de Hinamizawa n'étaient pas vraiment une équipe de joueurs très sérieux.

Ils n'étaient pas là pour s'entraîner comme des fous et briguer la victoire, mais seulement pour effectivement jouer au base-ball et si possible s'amuser tous ensemble.

C'était tout l'inverse des Titans d'Okinomiya -- l'équipe qui utilisait le même terrain de sport, mais à un autre jour de la semaine.

Eux faisaient des pompes, ils couraient, faisaient des tours de terrain à pieds joints, de la muscu', tout le tralala.

Après avoir décidé des équipes en jouant à pierre-feuille-ciseaux, le match commença, dans une ambiance des plus décontractées.

Shion

— Bon, je vais noter les scores et les coups joués.

Chef, vous auriez pas un crayon de papier à me filer ?

Irie

— Aah, merci, désolé, hein.

Tiens, voilà.

J'avais l'habitude maintenant, et dessinai en un instant les colonnes nécessaires.

... Les premières fois, je n'y avais rien compris aux tirs et aux erreurs, mais maintenant, je savais y faire.

Shion

— Aaalleeeez ! Satoshi ! Montre-leur !

Ah, mais si je l'encourage trop, il va encore une fois perdre tous ses moyens.

Montre-leur, mais pas trop, hein ?!

Satoshi

— Mhhm... T'es sûre que t'es de mon côté, toi ?

Shion

— Ahahahahaha ! Alleeeeez !

Ce dimanche-là passa à une vitesse folle.

Dans le ciel immensément vide, les larges nuages blancs et massifs nous rappelaient à notre nature.

Les êtres humains sont vraiment faits pour s'activer sous le soleil, en plein air.

Aujourd'hui, l'un des parents d'élèves avait tenu à être arbitre,

aussi le chef restait assis sagement sur le banc, aux abords du terrain.

Il encourageait les enfants qui jouaient en défense.

Normalement, un véritable entraîneur serait du genre à crier des ordres et à juger sévèrement les erreurs des joueurs, mais notre entraîneur à nous était plutot comme un puériculteur en maternelle.

Il nous laissait faire, et il était content de simplement nous regarder évoluer.

Si les Titans le voyaient, ils péteraient un câble...

Shion

— En tout cas, c'est vraiment surprenant de voir à quel point ils peuvent tenir le coup avec si peu d'entraînement.

Irie

— Les enfants de Hinamizawa passent le plus clair de leur temps à courir partout, que ce soit dans le village ou à l'école,

Irie

donc ils bougent beaucoup plus que les enfants de la ville.

Irie

Ils leur suffit ensuite de jouer un petit peu au feeling, plutôt que de se casser la tête à apprendre les bons gestes parfaits.

Shion

— En fait, vous êtes réellement l'anti-thèse de l'entraîneur des Titans.

Je comprends l'animosité entre les deux équipes...

Irie

— Oh, mais tu sais, sa façon de penser n'est pas mauvaise pour autant.

Les matches sont là pour être gagnés,

alors il a tout à fait le droit de voir la victoire comme étant un but absolu.

Irie

Je trouve ça formidable d'avoir un but commun qui permet un peu de souder l'équipe.

Irie

... Il se trouve juste que pour nous, ce but commun à atteindre, ce n'est pas la victoire.

Les Fighters de Hinamizawa et les Titans d'Okinomiya sont d'éternels rivaux.

C'est en partie parce qu'ils doivent partager le même terrain de sport,

quoique, attendez voir. Non, il me semble qu'en fait, c'est parce qu'au départ, ils ne formaient qu'une seule et même équipe, et qu'un jour, les jeunes de Hinamizawa sont partis dans leur coin...

Bah, c'est pas comme si c'était important,

mais en tout cas, il y avait une raison à leur rivalité.

Les uns veulent gagner à tout prix, les autres veulent seulement s'amuser.

... Et pourtant, ils sont plutôt à égalité niveau score.

Ce qui veut dire que dans notre équipe, il y a un petit quelque chose qui fait que nous arrivons à tenir tête à une “vraie” équipe.

Ce petit quelque chose n'était pas facile à expliquer, mais je pensais savoir ce que c'était.

Shion

— Allons, allons ! Allez, les rouges, du nerf !

Vous n'avez que deux points de retard, c'est vite rattrapé !

Et vous, les blancs, faites attention à ne pas vous faire reprendre !

Certains parents se plaignaient du manque d'ambition et d'autorité de notre chef.

Mais il y avait aussi des parents pour l'approuver.

Quant à moi...

Je ne savais pas trop. J'avais plutôt tendance à approuver, mais certains aspects me poussaient à réserver mon jugement pour plus tard.

Tout simplement parce que parfois, il laisse entrevoir un côté vraiment obsédé, et que franchement, pour quelqu'un qui travaille avec des enfants, ça le fait moyen.

Et puis je pourrais vous parler pendant des heures de son penchant pour les soubrettes, mais je le ferai une autre fois, je pense.

Satoshi laissa passer deux balles de suite pour bien regarder comment tirait le lanceur, puis frappa la troisième et put rejoindre la première base.

Shion

— Oh, Satoshi l'a eue.

Quand il reste calme, il est vraiment doué.

Irie

— Au début, il faisait quelques moulinets et il n'avait plus de souffle, je m'en souviens encore.

Hahahahaha, c'est vrai qu'il a fait d'énormes progrès.

Shion

— ... Il est pourtant du genre littéraire, non ?

Il doit être vraiment spécial pour avoir eu envie de faire du base-ball.

La quasi-totalité des jeunes qui s'inscrivent dans une équipe sont des fanas de base-ball.

Ils y jouent déjà en amateur, dans les prés ou dans les cours de récré. Ils ont déjà un certain sens du jeu et un peu d'endurance, généralement.

Mais, d'après ce que m'avait dit ma sœur, Satoshi ne bougeait pas des masses, à l'école.

Il lisait dès qu'il avait une minute de libre.

Je n'arrivais pas à comprendre le lien qui pouvait l'unir aux Fighters.

Irie

— Ahahahahahaha !

Eh bien en fait, c'est moi qui l'ai invité à se joindre à nous.

Shion

— Ah ouais ?

Vous êtes allé le démarcher en personne ?

... Vous saviez qu'il avait un don naturel ou quoi ?

Irie

— Ah, excuse-moi, tu veux bien me redonner une tasse de thé ?

... Aaaah, merci.

Il avait choisi son moment pour se reservir du thé, lui...

... Il a l'air très distrait comme mec, mais en fait, il est très calme et plutôt malin.

Il est en train d'essayer de s'occuper ailleurs pour éviter d'avoir à répondre...

Shion

— ... Il y avait une raison bien particulière et pas reluisante, j'imagine ?

Le chef souffla bruyamment sur son thé puis se mit à le déguster, mais il se rendit bien vite compte que je n'étais pas dupe et que j'attendais une réponse. Il baissa alors les épaules, puis il parla, résigné.

Irie

— ... À dire vrai, je pensais que toi, tu aurais ta petite idée sur la question.

Mion Sonozaki devrait savoir pourquoi Satoshi s'est mis au base-ball ?

Je fis une recherche rapide dans la base des données qu'elle m'avait fournies.

La seule chose qui pourrait justifier le ton un peu grave sur lequel il avait parlé était ses problèmes familiaux.

Satoshi a perdu ses parents dans un accident il y a deux ans.

Puis il a été recueilli par la famille de son oncle, et là, les problèmes ont commencé ; tout le monde au village était plus ou moins au courant.

Shion

— ... Mouais, et donc vous lui avez demandé de venir pour déstresser un peu, quoi ?

Irie

— Eh bien, le sport est tout indiqué pour ça.

Irie

Tant que le corps se dépense physiquement, il peut évacuer une partie du stress.

Irie

Et puis, s'il arrive à se passionner pour ce sport, il pensera automatiquement moins souvent à ses problèmes, ce qui lui permet de se changer les idées.

Shion

— ... Il est toujours, comment dire, un peu lent à la détente, un peu... apathique.

... C'est parce qu'il a beaucoup de stress ?

Je me doutais bien que sous sa façade souriante, il devait en baver pas mal.

Mais comme Mion ne s'en rendait pas trop compte, j'ai dû répondre en faisant l'innocente qui débarque.

Irie

— Peu après qu'il a rejoint le foyer de son oncle, il est tombé malade.

Il y avait beaucoup de symptômes différents, mais nous n'avons jamais pu trouver ce qu'il avait.

En fait,

il avait toujours autre chose.

Des crises d'angoisse, des maux de tête.

Des baisses de tension, des crises d'anémie, des troubles du sommeil.

Le chef -- enfin, le docteur Irie, dans ce cas présent --

a fini par comprendre que la cause était psychologique.

Tout le monde à Hinamizawa avait rapidement su que les choses ne se passaient pas très bien avec leur oncle et leur tante.

Et vu que ces mauvais traitements intervenaient juste après la mort de leurs parents, dont ils n'étaient toujours pas remis tous les deux... il n'était pas étonnant de le voir tomber malade.

Irie

— Satoshi est un enfant qui ne sait pas donner libre cours à ses émotions.

Il n'arrive pas à s'énerver, ou à pleurer, ou à rire fort.

Shion

— ... C'est vrai que j'ai du mal à l'imaginer en train de s'énerver, et encore moins de pleurer.

Irie

— ... Est-ce que... tu es au courant pour sa mère et ses plusieurs mariages ?

Shion

— ... Moui.

Disons que j'en ai entendu parler.

La mère de Satoshi s'était déjà remariée une paire de fois.

Donc en fait, il a déjà plusieurs pères adoptifs.

Dans le cercle plus ou moins sacré de la famille de sang, il a déjà dû accepter plusieurs fois de parfaits inconnus, et il a donc dû très tôt se montrer adulte et raisonnable.

Irie

— Satoshi est en fait trop mature pour son âge.

Je pense qu'il ne s'en rend pas compte.

Il a dû très vite dépasser le stade des cris, des pleurs et des caprices.

Irie

Ça l'a forcé à devenir adulte très vite.

Shion

— ... On a presque l'impression que ce n'est pas très bien d'être adulte, à vous entendre.

Irie

— C'est en se comportant comme des enfants que les enfants apprennent à grandir et à se comporter en adulte. L'être humain a une croissance physique et psychique basée sur ce modèle.

Irie

Et quand on essaie de sauter les étapes, eh bien... Les conséquences ne sont pas très heureuses.

Satoko avait aussi ses problèmes avec leur tante, mais d'après ce que j'avais entendu, elle avait aussi eu des problèmes avec tous ses pères adoptifs.

Satoko avait beau grandir, elle rendait toujours l'harmonie impossible entre les nouveaux membres de la famille...

Et comme Satoshi était toujours en train de la protéger...

Il avait peut-être fini par vouloir devenir un peu son père de substitution.

Irie

— ... Je pense que son état physique déplorable était une sorte de SOS lancé par son corps.

C'est là que le chef l'a invité à entrer dans l'équipe de base-ball.

En lui disant que c'était une nouvelle équipe,

qu'il n'y avait pas assez de joueurs.

Qu'il avait vraiment besoin de lui.

Irie

— Au départ, il ne voulait vraiment pas.

Et puis, je lui ai un peu parlé de l'équipe pendant ses consultations, et il s'y est un peu intéressé.

Irie

Je lui ai dit de simplement venir nous voir un jour.

Et puis ensuite, je lui ai dit qu'il pouvait prendre une batte pour essayer, s'il voulait.

... Ça s'est fait petit à petit.

Le sport lui a vraiment fait beaucoup de bien.

Sa condition s'est améliorée, et il a commencé à s'intéresser au sport en lui-même.

Il est devenu meilleur à la batte, puis il a appris à prendre les bonnes positions de tir,

et ensuite à deviner une trajectoire, et...

Shion

— Aaah, oui, j'imagine très bien.

Satoshi est du genre à y aller un pas après l'autre.

Je le vois bien aller en librairie aller demander un bouquin du genre “Le base-ball en 40 leçons”.

Irie

— Et puis à force, tout doucement, il en est à 30% de réussite.

Irie

Il a vraiment fait beaucoup d'efforts.

Irie

... Si seulement il pouvait garder cette réussite pendant les moments importants, il serait parfait !

Irie

Ahahahahahaha !

Shion

— Dites voir, Chef, vous diriez que vous êtes plutôt ami avec lui ?

Irie

— Eh bien, je pense que nous nous entendons bien, oui.

... Il m'a avoué quelques unes des choses qui le tracassaient, donc je suppose qu'il me fait un peu confiance.

Je dois avouer que ça me rendait un peu jalouse de lui.

Satoshi et moi étions amis, mais il ne m'avait jamais rien avoué de spécial... Nous n'étions pas plus proches que cela.

Irie

— …

Ne me dis pas que tu es jalouse ?

Shion

— Hein ? Qui, moi ?

Mais, mai--mais, non, pourquoi ? Quelle idée !

Je sentis mon visage devenir rouge cramoisi.

Le chef se rendit compte qu'il avait vu juste et partit d'un grand éclat de rire.

Irie

— ... Tu devrais essayer de lui parler plus souvent.

Shion

— Ben, euh, oui, enfin, si je pouvais, je le ferais, hein. Enfin, j'veux dire... Euh...

Ahahahahaha !

Je racontais n'importe quoi, et je n'arrivais même plus à donner le change...

Irie

— ... Tu sais...

Satoshi semble faire une rechute en ce moment.

Shion

— ... Quoi ?

Il y eut un bruit sec formidable.

La balle partit très haut vers le flanc gauche.

... Il avait bien frappé la balle, mais malheureusement, elle était sortie du champ.

Apparemment, ces derniers jours, Satoko et leur tante ne pouvaient plus se sentir.

... Il était évident que sa rechute était due à cela.

Irie

— Leur tante est plutôt du genre bête et méchante, si j'ai bien compris.

... Satoko est vraiment dans un sale état.

Ce n'est pas étonnant, puisqu--

Shion

— Ouais, et donc

vu que Satoshi s'interpose entre les deux,

il est au bout du rouleau aussi, c'est bien ça ?

Je me moquais pas mal de Satoko, je voulais continuer de discuter de la situation de Satoshi, moi.

... Et puis de toute façon, moi, je la connais même pas, cette gamine.

Je sais que c'est l'une des personnes les plus importantes dans son entourage, mais je ne me suis jamais intéressée à elle jusqu'à aujourd'hui.

Je savais qu'elle menait son frère à la baguette et qu'elle essayait de se rendre importante à ses yeux en essayant de s'occuper de lui.

Mais franchement, c'était tout ce que je savais d'elle.

... Mais vu le caractère de Satoshi... On pourrait presque croire qu'il fait exprès d'être distrait, rien que pour elle.

Il essaie peut-être de lui donner de quoi se vanter devant les autres ?

Il fait peut-être ça inconsciemment, d'ailleurs.

Quand il est tout seul, il n'a jamais aucun problème.

Je l'ai remarqué il y a quelque temps maintenant.

... Ce qui me confortait dans ma théorie.

Satoshi était en fait influencé en permanence par sa sœur.

Il avait réussi à s'entendre plus ou moins bien avec la plupart des hommes de sa mère, même si évidemment, c'était stressant pour lui, à un certain niveau.

D'ailleurs, il n'avait pas tant de problèmes que cela avec sa tante, même maintenant.

Satoshi en prenait à chaque fois plein la gueule parce qu'il était obligé de couvrir sa sœur...

Je ne la connaissais pas,

mais je ne l'aimais déjà pas, c'était clair.

... Et puis bon, j'étais un peu jalouse aussi. Elle avait son frère pour elle toute seule...

Irie

— Ces derniers temps, leur tante est de plus en plus méchante avec Satoko.

Je suppose que l'état de Satoshi s'est dégradé à cause de cela...

Le chef poussa un long soupir.

Il avait raison, en fait -- maintenant qu'il le disait, je remarquais que Satoshi avait raté quelques entraînements récemment.

D'ailleurs, même à l'entraînement, il n'avait pas l'air tellement en forme.

Quand il est avec d'autres, tout va bien, mais quand il est tout seul, il est toujours la tête penchée en avant, à soupirer...

Shion

— Chef, vous l'avez invité dans l'équipe pour qu'il échappe au stress, c'est bien ça ?

Irie

— Oui,

c'était le but de la manœuvre.

Shion

— ... Et maintenant, il fait du sport, mais le stress est quand même revenu.

Vous pensez l'inviter à faire quoi, maintenant ?

Irie

— ... Hmmm, hahahaha,

je ne vois pas trop, à vrai dire.

Le chef n'avait pas un rire très convainquant en disant cela.

Satoshi avait confiance en lui, il était censé être celui sur qui compter pour trouver une solution, mais là... Je dois dire que je ne sus pas cacher ma déception en le voyant réagir si mollement.

Irie

— Garde ça pour toi, hein ?

Satoshi... Satoshi m'a avoué récemment

qu'il comptait bientôt quitter l'équipe.

Shion

— Quoi ?

Mais... Mais pourquoi ?

Irie

— Il m'a dit qu'il était trop fatigué.

Je pense que ce n'est qu'une excuse.

... J'ai l'impression qu'il cherche à rester le plus longtemps possible avec sa sœur, en fait.

Irie

Il a peur que sa tante profite de ses heures d'entraînement pour être particulièrement odieuse avec Satoko, et de ne pas pouvoir être à ses côtés si elle devait avoir besoin de lui.

Je pense que ça le préoccupe.

Shion

— ... ... ...

Je restai un long moment silencieuse, incapable de sortir un seul traître mot.

Encore Satoko.

Satoko...

Pourquoi est-ce qu'il devait souffrir tout le temps à cause d'elle ? Jusqu'où tout ceci allait-il le mener ?

S'il ignorait sa sœur et s'il la laissait se démerder toute seule, il n'aurait plus de stress, c'était pourtant tout simple ?

... Mais bon, il ne pourrait jamais faire ça, je le sais aussi bien que lui.

Il faudrait donc, logiquement, faire quelque chose pour sa sœur.

Je sais qu'elle morfle bien.

Mais en même temps, c'est de sa faute, elle n'avait qu'à pas laisser tout dégénérer comme ça.

C'est un peu ce qu'elle récolte pour ne pas avoir su communiquer correctement avec sa tante.

Si elle avait été une gamine moins capricieuse et un peu plus adulte, elle n'en serait pas là avec sa tante -- ce ne serait peut-être pas facile tous les jours, mais certainement pas aussi terrible qu'en ce moment.

Et comme ça, Satoshi n'aurait pas à prendre des dégâts collatéraux tout le temps.

Le match n'avait que peu d'intérêt -- l'une des équipes menait largement.

Les enfants de l'équipe perdante n'étaient plus motivés et attendaient simplement la fin du supplice.

Le ciel était devenu plus sombre, plus gris.

Je ne sentais pas d'odeur de pluie, mais ces nuages ne me plaisaient pas. En plus, il faisait frais tout d'un coup, et ma sueur en était devenue collante et désagréable.

Le chef regardait maintenant ses pieds, silencieux.

J'en profitai pour reporter mon regard sur Satoshi.

Il ne m'apparaissait plus du tout comme avant.

Il avait réussi à récupérer un peu, et même à s'amuser grâce au base-ball.

Mais à cause des relations entre Satoko et sa tante, tout menaçait de repartir à zéro...

... Je ne pus pas m'empêcher de lâcher quelques mots à voix basse.

Shion

— ... Plutôt que de chercher à faire quelque chose pour Satoshi, le plus rapide serait de faire quelque chose avec Satoko, non ?

Je l'avais dit à voix vraiment basse, à moi-même, mais le chef y avait décelé une pointe de sévérité.

Irie

— ... Dans quel...

sens ? Tu veux dire quoi par là, Sonozaki ?

Shion

— C'est pourtant pas compliqué.

Si Satoko était moins cruche, Satoshi aurait moins à en souffrir.

C'est Satoko qui est la source du problème, alors autant nous concentrer sur elle.

Irie

— ... ...

Eh bien...

Shion

— Quoi, c'est pourtant ça, non ?

Shion

C'est bien parce qu'elle a toujours des ennuis que Satoshi est obligé de la couvrir et de prendre à sa place, non ?

Shion

C'est pour ça qu'il se prend le chou avec sa tante, autrement, tout irait très bien entre eux.

Satoshi ne recule devant rien.

Lorsqu'il a décidé de protéger quelqu'un...

il sait se faire violence et avoir le courage de s'interposer,

quelque soit le danger.

Je l'ai vu à l'œuvre, je le sais mieux que quiconque...

Pour une raison ou pour une autre, la tante pouvait se mettre à crier sur Satoko.

Aussitôt, Satoshi s'interpose.

Pour protéger sa sœur.

Ce qui évidemment ne plaît pas à sa tante.

Et voilà comment Satoshi pouvait se prendre des embrouilles qu'il n'aurait jamais dû avoir à subir...

Satoko n'avait qu'à se cacher dans son dos en faisant semblant d'avoir peur, et tirer la langue.

Elle n'a sûrement aucune pensée pour son frère et pour tout ce qu'il endure à sa place.

C'est parce que Satoko comptait trop sur lui qu'il était dans cet état-là.

Irie

— Sonozaki, je n'aurais jamais cru que tu serais capable de dire une chose pareille.

Irie

Tu es pourtant amie avec Satoko ?

Irie

Tu te comportes un peu comme sa sœur.

Irie

... Pourtant, d'habitude, tu la consoles...

Irie

Je dois avouer que ta façon de parler d'elle est…

Irie

pour le moins très surprenante.

Le chef me regardait avec un air extrêmement sévère, que je lui voyais pour la toute première fois.

Je devinai facilement ce qu'il ressentait à mon égard.

Je regrettai alors d'avoir autant parlé.

Mion Sonozaki est pourtant l'amie de Satoko Hôjô.

Elles sont très proches, et récemment, Mion la consolait de plus en plus souvent, à cause des nombreuses brimades qu'elle subissait.

C'était pourtant noté dans le script,

j'aurais dû le savoir...

J'ai complètement oublié ce détail, et encore une fois, j'ai parlé pour “moi” et non pas pour “Mion”.

... Pas étonnant que le chef me décoche un regard pareil.

Il est fort possible que le chef révise son jugement de valeurs sur Mion à cause de ça.

... J'ai pas le choix, il va en falloir en parler à ma sœur et lui demander humblement pardon, parce que là, il y aura des répercussions...

... ...Eeeh merde, j'ai vraiment foiré mon coup, là.

Pourtant, je n'ai pas l'impression d'avoir dit quelque chose de si étrange que ça.

C'était une proposition qui avait le mérite d'avoir analysé clairement la situation dans laquelle Satoshi se trouvait, d'avoir su pointer du doigt son problème, et d'avoir exposé une solution rapide et facile.

Maintenant que je commençais à m'habituer à cette équipe et à ce sport,

je redoutais plus que tout au monde de voir Satoshi arrêter le base-ball.

Je ne pouvais pas aller à l'école à Hinamizawa.

Ce terrain, c'était le seul endroit où je pouvais voir Satoshi.

Et mes rares moments avec lui étaient ma seule raison de vivre -- sans exagérer !

... Je ne peux plus tourner autour du pot, je suis amoureuse de lui.

Je n'ai aucune envie de le lui avouer, et même aucune envie de forcer le hasard.

Mais je veux passer du temps avec lui. Ça me suffit.

Et puis, c'est le maximum que je puisse obtenir.

À cause de ma situation, je ne peux pas lui dire qui je suis réellement.

Je suis obligée d'être une copie de Mion, ne serait-ce que pour vivre ici.

Mais alors, je n'ai qu'à quitter la ville, puisque ça ne me plaît pas. Ou pas ?

Raaaah, j'y comprends plus rien !

Tout ce que je voulais,

c'est être avec lui

et me faire caresser la tête...

... Bon sang, mais pourquoi est-ce que je suis tombée amoureuse de lui ?

C'était écrit dans les mangas pour filles.

« Le cœur a ses raisons que la raison n'a point. »

Même moi, il m'arrivait de me poser des questions sur ma santé mentale.

Shion

— Calme-toi...

Pouh, il faut que je me calme...

Je poussai un long soupir,

puis arrêtai ma respiration.

Enfin, je forçai mon cœur à ralentir son rythme.

Alors que je commençai à me calmer, j'en profitai pour me poser quelques questions franches.

Je veux être à ses côtés.

Et alors quoi ?

Alors je veux qu'il reste dans l'équipe de base-ball pour toujours.

Et ?

Et du coup, il faut que je réussisse à le débarrasser de ce qui le tracasse.

Et donc ?

Et donc…

je fais quoi, maintenant ?

Alors que ma tête cessait enfin de bourdonner, je pus vaguement entendre la voix lointaine de l'arbitre.

Referee

— Fin de la dernière manche !

Le match est terminé !