On entendait déjà la musique festive de ce soir, comme un avant-goût des réjouissances.
Il faisait pourtant encore jour ; peut-être était-ce simplement un test de l'équipement sonore.
Le sanctuaire Furude, au loin, diffusait une compilation de vieilles musiques, du fait maison enregistré sur de vieilles bandes audio.
Mais rien qu'à les entendre, Hanyû fut remplie d'excitation :
il allait se dérouler là-bas une fête à laquelle elle avait toujours voulu participer.
Rika lui serra gentiment la main.
« Nous irons tous ensemble, d'accord ?
La fête de la purification du coton nous attend.
Alors allons-y.
Tu viens avec ? »
« D'accord. »
À bien y réfléchir, ils étaient vraiment infatigables.
Il fallait être fou pour aller à la fête après une journée aussi longue et harassante que celle-ci.
Mais après tout, la fête d'aujourd'hui était très particulière.
Nous étions délivrés de la malédiction de la déesse Yashiro.
Nous savions que la tragédie n'aurait plus jamais lieu.
C'était la toute première nuit de la purification du coton où Hinamizawa ne connaîtrait pas l'horreur, depuis la fin de la guerre du barrage.
Les habitants du village savaient que les lignes du téléphone avaient été coupées toute la journée, mais elles furent réparées tout aussi mystérieusement, aussi personne n'y prêta vraiment attention.
Ils avaient aussi entendu les hélicoptères de l'armée tourner autour de la montagne, et il se racontait qu'en fait, les militaires s'étaient trompés de montagne pour aller s'entraîner.
Ce qui ne manqua pas de déclencher l'hilarité des anciens du village, chacun y allant de son “Allez les jeunes, c'est pas gagné, mais courage !”
Les rumeurs racontaient aussi que des soldats étaient descendus à la clinique Irie.
Les habitants ne virent là rien de bien étrange -- après tout, un médecin est un médecin, et puis, même les militaires avaient le droit à une visite médicale de temps en temps...
On rapporta aussi qu'il y avait beaucoup de bris de verre au niveau de la frontière avec Okinomiya, sûrement dû à un accident de voiture.
Comme quoi, il y avait toujours des idiots pour réussir à avoir des accidents, même dans une ligne droite dégagée.
Les anciens furent prompts à faire la leçon, comme quoi il fallait toujours regarder la route, et pas le paysage.
Les traces de l'accident étaient d'un banal qui ne retint l'attention de personne pendant bien longtemps.
Ce soir-là, il y eut aussi la première histoire étrange de l'été.
Certains avaient entendu le feu d'artifice de ce matin, et quelques secondes après, un autre, mais le son venait d'ailleurs,
et ce n'était pas un écho du premier !
Les membres responsables du feu d'artifice s'étaient posés la question toute la journée,
mais lorsque Rika proposa que peut-être, la déesse Yashiro avait elle aussi voulu faire la fête, tout le monde tomba d'accord pour dire que c'était probablement ça.
Ce soir avait lieu la seule fête de l'année, la purification du coton, et c'était l'occasion pour tout le monde de faire les choses en grand.
Les habitants laissaient de côté les protocoles et les tracas du quotidien, pour pouvoir se consacrer pleinement à s'amuser.
Quant aux membres du club... Cette année encore, ils se surpassèrent.
Pour ceux qui voudraient savoir exactement jusqu'à quel point ils se surpassèrent, eh bien... Disons simplement qu'ils en firent suffisamment pour être tous emmenés de force dans la tente des organisateurs et recevoir de grosses remontrances de la part du maire.
Pour les gens du village, cette fête de la purification du coton fut la même que les autres.
Il n'y eut qu'une seule différence cruciale.
Et pour faire cette différence, deux petites filles avaient dû se battre dans de nombreux mondes, à travers les siècles, mais il n'y avait personne pour se rendre compte de leurs efforts.
... Sinon, il y eut quand même un gros, très gros changement.
Rika Furude annonça tout d'un coup que cet été, elle voulait aller à la piscine.
Pour une fille qui d'habitude ne faisait qu'attendre et réagir à ce qu'il lui arrivait, c'était très étrange de la voir activement planifier quelque chose.
Puis elle ajouta qu'elle voulait aussi observer les étoiles,
aller faire du camping,
qu'elle espérait pouvoir enfin regarder les tournesols éclore,
qu'elle voulait jouer à “T'es pas cap' !” dans l'enceinte de l'école pendant les vacances d'été.
Elle n'arrêtait plus, elle avait des rêves et des plans plein la tête.
Oui,
pour la toute première fois de sa vie, Rika Furude se rendait compte qu'il existait un après-juin 1983.
Et puis, après tout, c'étaient ses toutes premières vacances d'été depuis près d'un siècle !
Il n'était pas étonnant de la voir aussi excitée.
Rika Furude avait une nouvelle passion dans la vie, celle de se lever plus tôt que son amie Satoko le matin, pour avoir le droit de déchirer le calendrier et découvrir une nouvelle date.
Devant elle, le futur, immense et infini, s'étalait à perte de vue.
Tous les choix semblaient s'offrir à elle en ce monde, mais elle ne pouvait en choisir qu'un seul.
Et c'était peut-être pour ça que le monde lui semblait si merveilleux.
Parlons aussi des autres, de ceux qui combattirent avec elle.
Mion Sonozaki avait dû jurer solennellement de se consacrer entièrement à ses études après les vacances d'été, pour être sûre de réussir ses examens d'entrée au lycée.
De l'avis de Keiichi Maebara, c'était un peu tard pour s'y mettre, et cela risquait fort de ne pas porter ses fruits.
Il paraissait pourtant très peu crédible de voir une telle meneuse rater ses concours d'entrée au lycée.
Elle avait sûrement une méthode infaillible pour être acceptée dans l'école de son choix.
Restait juste à espérer que ladite méthode ne fût pas criminelle.
Elle était en tout cas en train de préparer un calendrier des jeux à faire, et il était plein à craquer.
Les membres du club n'avaient aucune chance de se défiler.
Mion Sonozaki n'était pas du genre à permettre ça.
Et quelque chose me disait que même si je devais un jour vouloir rester seule et tranquille, je ne le pourrais plus.
Keiichi Maebara, quant à lui, était pressenti pour devenir le nouveau délégué de la classe. Mion et Mme Cie plaçaient de grands espoirs en lui.
Lorsqu'il sut que Mion comptait lui donner la charge de chef du club, il refusa tout de go et se montra inflexible.
Keiichi “aimait voir Mion [leur] donner des épreuves”.
S'il avait arrêté sa phrase au milieu, il aurait été gagnant sur toute la ligne, mais non, il insista lourdement sur “les épreuves”, et finit par provoquer l'ire et la violence de la chef du club.
Keiichi la regarda s'éloigner furieuse, ne comprenant pas ce qu'il avait fait pour mériter ces coups.
Bah, si Keiichi se mettait soudainement à y comprendre quelque chose, aux filles, il ne serait plus Keiichi.
C'était aussi pourquoi les choses étaient aussi mouvementées quand il s'en mêlait.
Le tombeur aux lèvres magiques devint de plus en plus célèbre, même à Okinomiya.
Rena Ryûgû, elle aussi, semblait de plus en plus en forme.
L'arrivée d'une nouvelle cible potentielle à enlever et à ramener à la maison semblait décupler ses forces, et bien vite, Rika, Satoko et moi-même apprirent à vivre dans la crainte quotidienne d'être enlevée.
Mais surtout, j'ai l'impression qu'elle devint plus sérieuse.
Elle s'occupa plus volontiers des autres élèves, les aidant avec leurs devoirs et leurs leçons si nécessaire.
Elle était considérée un peu comme la maman à toute la classe.
Même si elle avait tendance à devenir incontrôlable pendant les jeux du club. Keiichi annonça que si Rena était la maman de la classe, lui serait le papa !
Ce qui plongea immédiatement l'intéressée dans un embarras très profond et lui donna un teint écarlate.
Satoko Hôjô aussi semblait respirer la santé.
La bataille contre les chiens de montagne ayant décimé ses pièges, elle dut se résoudre à retourner dans la montagne pour tous les réarmer, voire les améliorer.
J'ai entendu dire qu'un soldat des chiens de garde, qui menait l'enquête sur les événements du 19 juin, aurait été si impressionné par son talent
qu'il lui aurait demandé de venir en placer dans leurs camps d'entraînement.
Celui-ci était situé dans les forêts près des flancs du volcan Fuji.
Mais pour être honnête, l'idée d'une forêt emplie de pièges près d'un lieu touristique aussi connu était peu rassurante.
Elle risquait de devenir une forêt sans retour...
Quant à Satoko, elle aurait proposé une bataille contre les chiens de garde. Elle n'avait vraiment peur de rien.
Et aussi, tout récemment, elle s'était beaucoup améliorée en cuisine.
En fait, j'avais commencé à lui donner des leçons.
Et je répétais à qui voulait l'entendre qu'elle était bien plus douée que Rika, qui faisait toujours la cuisine contrainte et forcée.
Satoko rêvait de savoir faire de la viande et des légumes panés, pour pouvoir cuisiner cela le jour où son frère reviendrait.
Bien sûr, je savais que son rêve se réaliserait dans un futur pas si lointain.
Mais je m'étais jurée de garder le secret...
D'ailleurs, son frère,
Satoshi Hôjô, n'avait pour l'instant pas changé,
et n'était toujours pas en état de revenir.
Non, celle qui avait changé, c'était Shion Sonozaki.
Elle se rendait à la clinique dès qu'elle avait un peu de temps libre.
Personne ne savait trop ce qu'elle allait y faire, mais elle avait l'air très heureuse, aussi personne ne posait la question.
Mion se moquait d'elle en racontant qu'elle allait y tester une méthode douteuse pour augmenter son tour de poitrine, mais Shion lui répondait toujours par un grand sourire, et ne se battait jamais avec elle.
Et puis aussi, elle se mit à visiter tous les magasins de vêtements tenus par des Sonozaki dans la région, pour y acheter des vêtements d'homme.
D'ailleurs, récemment, elle avait commencé à acheter aussi des vêtements de femme.
Mais pourquoi emmener à la clinique des vêtements beaucoup trop grands pour elle ? Et surtout, pourquoi avait-elle toujours ce sourire resplendissant quand elle se rendait avec à la clinique ? J'ai bien peur que personne ne sache jamais vraiment de quoi il retournait.
Et sinon -- et c'était peut-être le plus grand changement chez elle -- elle se mit à gâter Satoko de plus en plus.
Apparemment, sa nouvelle marotte était de demander à Satoko de lui trouver un nouveau surnom, pour aller de pair avec “Totoche”.
Kyôsuke Irie, le brave docteur, continuait de mener sa double vie -- médecin le jour, et entraîneur de domestiques la nuit.
Il y eut un moment la rumeur qu'il fermerait la clinique.
Les villageois en firent toute une histoire et se mobilisèrent, et finalement, il changea d'avis.
Après tout, même s'il n'était pas du coin,
il était l'un des jeunes adultes les plus appréciés et les plus impliqués dans la vie du coin.
Quant à ses recherches sur le syndrome de Hinamizawa, il s'était décidé à jeter toutes ses forces dans la bataille, ce qui était bien différent de son attitude plus réservée d'auparavant.
Mais bon, avec l'enthousiasme dont il faisait preuve,
il ne faisait guère de doutes qu'il pourrait bientôt délivrer les victimes de la maladie.
Que dire de plus sur lui ? Aah, oui, plus tard, il publiera une thèse sur le cerveau et ses influences, si révolutionnaire que l'Académie des Sciences en aura, sans mauvais jeu de mots, le cerveau retourné.
Je vous fais grâce des détails, mais sa thèse fera beaucoup réfléchir sur les notions de responsabilité : faut-il haïr l'homme ou le crime ?
J'ajouterais juste, pour finir, que sa thèse empruntera quelques citations à deux scientifiques jusqu'alors inconnus, Miyo et surtout Hifumi Takano.
Jirô Tomitake, lui, continua de visiter le village à chaque changement de saison.
Il obtint le surnom de photographe combattant, qui finit par lui coller à la peau. Il revenait parfois se ressourcer en se promenant un peu partout dans le village, à la recherche d'un coin pour faire de belles photos.
Pour autant, on le vit moins souvent dans les rues du village, comparé à autrefois.
Mais puisque son vélo est toujours garé derrière la clinique Irie, c'est qu'il doit y passer du temps.
Au village, les habitants se racontaient qu'il suivait un traitement pour une maladie chronique, mais c'était difficile à croire, compte tenu de son sourire radieux.
Le plus surprenant était l'absence remarquée de la femme qui l'avait toujours accompagné. Plus personne ne voyait Miyo Takano.
Personne ne savait où elle avait pu partir, mais à en juger par la mine de Tomitake, il n'y avait pas trop de souci à se faire.
Un jour, sûrement, elle referait surface sans crier gare, et irait raconter aux enfants de passage des histoires sordides, pour leur glacer le sang...
Mamoru Akasaka... eut un petit accident très amusant.
En fait, sa femme et sa fille l'avaient rejoint en secret à Hinamizawa, en ce soir de la purification du coton.
Elles avaient feint de se trouver là complètement par hasard, ce qui avait donné lieu à une scène de retrouvailles cocasse.
D'autant plus que Rika, voyant les nouveaux venus, avait pris soin de courir vers lui en criant bien fort : “Papaaaa☆!”
Aussitôt, sa femme, toujours souriante, avait utilisé ses tresses pour tenter d'étrangler son mari.
C'était très impressionnant à regarder, car elle avait toujours ses deux mains dans les siennes.
Elle devait avoir un moyen de contrôler ses cheveux par la pensée...
C'était un sacré bout de femme, pour réussir à mater un surhomme capable de défaire une compagnie entière de soldats à mains nues.
Rika, flairant la belle occasion, fit de son mieux pour rendre la soirée aussi explosive que possible.
Pourtant, au bout du compte, la famille Akasaka fut conquise par Hinamizawa, et ils annoncèrent vouloir revenir une autre fois.
Ce qui était très au goût de Rika, qui avait trouvé en la fille du super-flic une amie inattendue, presqu'une demi-sœur...
Kuraudo Ôishi, après avoir, pendant des années, refusé de jouer au mah jong, fut repris par la fièvre du jeu.
Plus étonnant encore, il avait souvent à sa table Akane Sonozaki. D'ailleurs, pendant une période, on voyait des troupes anti-émeutes devant tous les salons de mah jong de la ville.
Sinon, tous ses collègues se mirent à parler de sa mine plus sereine et plus amène.
Certains mirent ce changement sur son âge -- il avait appris la sagesse, tout simplement.
Mais nombreux furent ceux parmi ces collègues qui ne surent pas exactement ce qu'il lui était arrivé.
Il avait l'intention de déménager à Hokkaidô après sa retraite, mais il avait déjà annoncé qu'il reviendrait faire des visites dans la région tous les ans, en été.
Pour lui, la retraite, une deuxième vie en sorte, se profilait à l'horizon.
Tatsuyoshi Kasai fut peut-être celui qui vécut le moins de changements dans son quotidien.
Alors que les événements avaient complètement chamboulé la vie de certaines personnes, lui n'y voyait qu'une histoire de plus à raconter sur son passé, si l'ennui devait le pousser à parler.
D'ailleurs, il considérait ce qu'il avait vécu ce jour-là comme étant une situation “plutôt dangereuse parmi d'autres très dangereuses” dans sa vie.
Ce qui, immédiatement, appelait la question : c'était quoi, une situation très dangereuse parmi ses autres situations dangereuses ?
Shion le pressa souvent de tout lui raconter, mais Kasai lui répondit toujours que c'était un secret.
Il semblait regretter avoir montré comment il se comportait par le passé,
et lorsque Shion lui demandait de lui refaire sa tirade de tueur, il faisait l'ingénu. Ce qui, en fin de compte, lui ressemblait bien.
Et pour finir, je vais aussi vous parler un peu de moi.
Sachez, pour votre gouverne, que Hanyû Furude est aujourd'hui encore toujours en pleine forme.
Au début, j'étais une habituée des gages, mais j'ai fini par tirer mon épingle du jeu, et il me fut décerné le titre d'outsider, un titre que Keiichi avait gardé avant mon arrivée.
Malheureusement, j'ai tendance à croire tout ce que l'on me dit, et les autres en ont profité pour me faire croire à pas mal d'idioties, faisant déteindre leurs mauvaises habitudes sur moi.
On pourrait dire que je suis devenue plus combattive,
ou plus faux-jeton, selon les points de vue.
Mais en même temps, c'était la seule manière de survivre à l'heure du club ! J'avais pas le choix ! C'est pas ma faute !
Tous les jours, grâce à ce club, j'apprends un peu plus comment vivre dans le monde des humains.
Retour au dimanche 19 juin 1983.
La nuit tomba sur le jour le plus long que j'eusse jamais vécu, même en mille ans.
Il y avait les cris et les voix des joueurs du club, qui se chamaillaient.
L'agitation de la foule.
Les cris des gérants des stands qui attiraient le chaland.
La musique entraînante de la fête, diffusée dans de vieux haut-parleurs ayant fait leur temps.
Je connaissais déjà tout cela,
mais ce soir-là, je le vécus, je le ressentis avec ma peau, je l'entendis avec mes propres oreilles. Et tout me sembla nouveau.
J'avais cru que je connaissais déjà tout.
Je les avais suivis dans tous les autres mondes, les observant de loin, et j'avais été persuadée de tout savoir de cette fête.
Mais mes connaissances théoriques ne m'avaient pas préparée à ça.
J'avais eu une vague idée de tout et de rien, mais tout ce que nous fîmes fut pour moi une nouvelle découverte.
Je me suis essayée à manger des beignets de poulpe le plus vite possible.
Il n'y avait pas de poulpe dedans, mais la pâte était vraiment très bonne.
J'ai fait la course pour manger de la glace pilée.
Je crois bien que j'aurais mieux apprécié la glace en mangeant plus lentement.
J'ai acheté une pomme d'amour, pour la première fois de ma vie.
Les autres ont tous mordu dedans et ne m'en ont pas laissé grand'chose.
Mais elle fut quand même très bonne.
Et je me suis amusée comme une folle.
Nous avons joué au tir à la carabine.
Je ne savais pas qu'en fait, c'était très dur de toucher une cible.
Mais je me suis bien amusée quand même.
Nous avons ensuite fait un jeu un peu bizarre.
Il fallait tirer sur des grappes de fils pour essayer de retirer des lots depuis un grand bac de sciure.
Nous n'avons rien gagné d'intéressant.
Alors nous avons hué le gérant.
Ça, ce fut vraiment très rigolo.
Et puis alors, ce fut l'heure de la cérémonie.
Bien sûr, les membres du club purent se dégotter des places très bien situées,
d'où l'on pouvait voir toute la scène.
Je les quittai sans rien dire, pour me rendre à un endroit où je me devais d'être.
Un endroit encore bien mieux situé que là où les autres avait gardé des places.
Je me rendis là où aurait dû trôner la divinité à qui la cérémonie était dédiée.
Cette cérémonie célébrait mon culte, il était donc de mon devoir de me tenir là où les gens me vénéraient.
En tout cas, c'était là que je pensais que le devoir m'appelait.
Mais je me rendis vite compte que cela ne me plaisait pas.
Alors je retournai là où les autres étaient restés.
En arrivant là-bas, je me rendis compte qu'ils avaient gardé une place pour moi.
Ils me grondèrent tous, ils m'avaient pourtant prévenue que c'était dangereux et que je risquais de me perdre !
Ils me frottèrent tous la tête, comme à un enfant.
Je me suis excusée, à grand renfort de “mééé euuh...”
Mais ça m'a vraiment fait très plaisir.
Alors je suis restée parmi eux, serrée de tous les côtés, et j'ai regardé la cérémonie.
Et de toutes les cérémonies que j'avais observées ces mille dernières années, ce fut de loin la plus magnifique et la plus poignante.
J'en eus les larmes aux yeux.
Et lorsque tout cela fut fini, les gens distribuèrent du coton à tout le monde.
Nous devions maintenant aller vers la cascade de la rivière et y lancer le morceau de coton qui avait absorbé nos péchés de cette année.
Et ce coton n'était que du coton.
Ce n'était pas un humain, ni un morceau d'être humain.
Et en utilisant ce coton, on évitait de faire souffrir la personne donnée en sacrifice.
C'était véritablement un moyen de purifier la communauté de ses péchés sans passer par un sacrifice humain.
— Tiens, Hanyû, c'est pour toi, ce morceau.
Tu sais comment on fait ?
— Oui, je sais.
On s'en sert comme un pom-pom et ensuite on le jette dans l'eau ! Youhou !
La jeune fille qui m'avait donné mon morceau de coton était la même qui, un an auparavant, ici-même, avait enlevé le “i” de son prénom et l'avait jeté dans la rivière.
C'était grâce à cela qu'elle avait pu tourner la page sur son passé, et c'était grâce à ça qu'elle était toujours en vie aujourd'hui. Nous laissons nos péchés dériver au fil de l'eau.
Non pas en rendant le coton responsable de tous les maux, mais en prenant nous-mêmes nos péchés pour les enfermer dans le coton, et ainsi, pour nous accorder, à nous-mêmes, le pardon.
Et ainsi, en se pardonnant mutuellement, en s'entr'aidant mutuellement, la société s'était développée.
Je posai délicatement mon morceau de coton sur la rivière.
Poussé par le courant créé par la cascade,
il alla rejoindre les autres,
pour être purifié par les eaux, quelque part en aval.
J'entrai dans la rivière, pieds nus,
et restai là, à regarder tous ces morceaux de coton dériver.
Tout me semblait surréel, depuis la majestueuse cascade, jusqu'à la procession blanche qui disparaissait dans la nuit, par-delà les ténèbres.
Je restai longtemps à observer ce spectacle, fascinée, pendant un très long moment...
Ce monde était parfait -- tous les fragments avaient été enchâssés.
C'était un monde idéal, le nec plus ultra.
Que pouvait-il donc y avoir en plus ?
Pouvait-on encore souhaiter autre chose ?
Pour ma part...
... Je suis loin d'être satisfaite.
Parce que…
Je suis persuadée que nous pouvons devenir encore plus heureuses.
Que chaque souhait pourra nous apporter encore plus de bonheur.
Et je ne pense pas du tout au futur lointain lorsque j'affirme cela.
Je pense à notre futur immédiat.
... Mais alors, quand serons-nous encore plus heureuses ?
Eh bien, bientôt, tu verras déjà ! Fais-moi confiance, puisque j'te l'dis !
Le bonheur nous viendra à la belle saison,
lorsque nous entendrons