Sans prévenir personne, le ciel s'était couvert de nuages et la température avait beaucoup baissé.

Okonogi leva la tête

et sut instinctivement qu'il allait pleuvoir.

Il savait que le barrage avait été forcé, mais il ne l'avait pas encore dit à Takano.

... De toute manière, ni lui ni elle ne pouvaient plus rien y changer. Et puis, lui aussi avait envie d'arriver au sommet.

Il n'avait qu'une seule envie, une seule idée en tête.

Il voulait savoir qui était le responsable de cette journée de merde. Peut-être la plus humiliante de toute sa vie.

Il n'avait pas l'intention de jeter l'éponge avant d'avoir vu la tête de celui qui lui avait fait autant de misères.

De toute façon, ils avaient déjà perdu.

Il n'y avait guère que leur petite princesse qui ne s'en était pas encore rendu compte.

Il y avait encore eu des pertes dues à des pièges. Okonogi avait ordonné à ses troupes, sauf à son propre groupe, de retourner à leurs véhicules et de soigner les blessés.

Qui restait-il encore ? La princesse, bien sûr -- qui était trop essoufflée pour marcher, mais qui arrivait encore à gueuler sur tout le monde -- et bien sûr lui.

À part eux, les derniers soldats présents étaient tellement fatigués que même si l'ennemi devait se montrer, ils ne seraient pas en mesure de les attaquer. De vraies loques humaines, à deux doigts d'y passer.

Puis, enfin, la pente devint moins forte,

et les rescapés des chiens de montagne atteignirent leur but, une petite baraque à équipement des Eaux et Forêts.

L'ennemi semblait être parfaitement conscient de l'état déplorable des hommes d'Okonogi.

Il avait la supériorité du nombre, de la force... de tout.

C'est pourquoi Okonogi ne fut pas surpris outre mesure d'être accueilli au sommet de la montagne par le groupe ennemi au grand complet.

Devant eux, les enfants qui les avaient tenus en échec toute la journée les regardaient, sans rien dire.

Eux aussi s'étaient battus toute la journée.

Ils avaient mené depuis le début, certes, mais ils devaient forcément être eux aussi complètement à plat.

Et pourtant... Ils tenaient encore debout.

Peut-être était-ce l'apanage des vainqueurs que de trouver le mental nécessaire pour tenir le coup dans ces moments-là.

Takano

— Ça y est... Les voilà !

R est ici ! Okonogi, toi et tes hommes, arrêtez-la !

Okonogi

— Ahahaha, hahahaha.

Commandant, y a rien qui vous arrache la gueule. Vous avez vu dans quel état nous sommes ?

Takano

— Quoi ?

C'est une mutinerie, c'est ça ?

Okonogi

— ... Non.

Bien sûr que non.

Ahaha, pouh, ahahahaha !

Okonogi se débarrassa de tout le lourd équipement qu'il avait sur lui, laissant tout tomber par terre.

Défaisant plusieurs boutons sur sa chemise,

il reprit son souffle et s'avança, faisant signe à ses hommes de rester sur place.

Il fit quelques pas et s'arrêta à mi-distance, entre ses hommes et ses adversaires.

Okonogi

— ... Je suis l'agent Phénix 1. Le lieutenant Okonogi, chef de la compagnie des chiens de montagne.

Je suis venu féliciter votre chef.

Dites-moi son nom, s'il vous plaît.

Les enfants se regardèrent.

Devant eux, une jeune fille plutôt grande se tenait, impassible.

Elle n'était pas bien vieille.

Mais elle avait un regard dur, perçant, un regard de vétéran, habitué aux horreurs de la guerre.

Il ne savait pas trop ce qu'elle avait vécu dans la vie, mais ça n'avait pas dû être facile. Un regard pareil ne s'inventait pas, il venait naturellement, avec la souffrance du quotidien.

Mion

— C'est moi.

Mion Sonozaki.

La jeune fille fit quelques pas elle aussi, puis répondit simplement.

Okonogi

— ... Et t'as quel âge ?

Non, attends, après tout, c'est pas important.

Est-ce que c'est toi qui étais aux commandes ce matin ?

Et qui nous as amenés ici, dans la montagne ?

Mion

— ... ... ...

Elle ne répondit rien, mais c'était peut-être sa manière à elle d'enfoncer le clou et de bien tourner le couteau dans la plaie.

Okonogi

— ... Vous avez gagné.

Ouais, je sais, notre princesse s'imagine qu'on n'a pas encore perdu, mais elle est la seule à y croire.

Mais de toute manière, nous sommes foutus.

Tomitake a passé notre barrage routier.

Okonogi

Il a largement eu le temps d'atteindre Okinomiya et d'appeler Tôkyô pour demander l'envoi des chiens de garde.

Okonogi

Je ne sais pas quand ils arriveront, mais ce n'est qu'une question de temps. C'est la fin de la partie.

Okonogi

Si t'as envie de te foutre de notre gueule, tu peux.

Takano

— Okonogi, mais qu'est-ce que tu fais ?!

C'est leur meneuse, alors tue-la !

Okonogi

— ... T'inquiète pas, laisse-la parler dans le vide.

Mion

— Qu'est-ce que tu veux ?

Okonogi

— ... Tu es la tête de tes troupes,

et moi aussi.

Je suis venu te voir, seul. Tu vois où je veux en venir ?

Mion

— ... ...

Keiichi

— Bon alors, il n'est pas là pour se rendre ?

Rena

— Non, Keiichi.

C'est lui qui était aux commandes aujourd'hui,

et nous avons décimé toutes ses troupes.

Il ne peut pas simplement dire “OK, d'accord, on a perdu” et rentrer chez lui.

Hanyû

— Est-ce qu'il vient parce qu'il est obligé de mourir pour laver l'affront de sa défaite ?

Mion

— ... ... Comme tu voudras.

Si ça te permet de vivre avec toi-même ensuite...

Okonogi

— ... Merci.

Mion campa sur sa position en écartant les jambes. Sa garde était prête.

Okonogi observa sa pose et se prépara lui aussi.

Rien qu'en réfléchissant quelques secondes, n'importe qui devrait se souvenir qu'Okonogi était un spécialiste au combat, moins doué qu'Akasaka, certes, mais tout de même.

Bien sûr qu'il était fatigué, mais même en prenant sa fatigue en considération, Mion n'avait aucune chance de gagner.

C'est ce que Takano pensa.

Elle se dit que cette fois-ci, Mion avait vraiment sous-estimé son adversaire.

Mais Mion, elle, comprenait ce que son adversaire voulait.

Et elle savait qu'elle était la seule à pouvoir lui donner ce qu'il cherchait, parce qu'il l'avait reconnue comme étant digne de lui.

Okonogi

— OK, prêt ?

... Prends ça !

Mion

— ... Pff.

Okonogi donna un coup de poing tout droit, redoutable, mais Mion fit dévier son bras en plaçant une main à l'extérieur de son coude, puis elle poussa le bras vers le bas, jusqu'à le faire passer à l'arrière, dans son dos, et le releva bien fort en tournant.

Puis elle tourna encore...

Okonogi se dit que c'était bien vu de sa part et qu'elle allait lui casser le bras.

Elle avait bien esquivé son coup.

Elle avait utilisé la force de l'adversaire pour le déstabiliser et lui faire une clef.

Elle savait se défendre, et pas seulement grâce à quelques notions enseignées à la va-vite...

Mais Mion ne poursuivit pas le mouvement. Elle faucha son adversaire et le mit à terre.

Il était à sa merci, mais elle resta là, silencieuse, à le regarder, sans l'attaquer ni le blesser.

Un peu comme si elle attendait de le voir se relever et attaquer à nouveau.

Okonogi

— Eh ben... Éhhéhéhé,

t'es plutôt douée !

Takano

— Bon sang, mais qu'est-ce que tu fabriques ?

Arrête-là ! Et plus vite que ça !

Okonogi

— Ooh, toi, LA FERME !

Contente-toi de regarder et de la boucler !

C'est une bataille entre champions !

Okonogi se remit sur pieds, puis leva son bras en l'air pour frapper du tranchant de la main.

Mion l'esquiva sans aucune difficulté, plaça sa main contre celle d'Okonogi, puis recommença le même manège que tout à l'heure.

Elle poussa le bras qui l'avait attaquée jusqu'à le faire revenir dans le dos de son adversaire, et le maintint bien en l'air en le tordant.

Puis, comme auparavant, elle refusa de lui casser le bras.

Elle le fit tomber à terre et le regarda en silence pour lui intimer l'ordre de se relever.

Okonogi

— ... Des projections par rotation, hein ?

Okonogi

Mais tu n'attaques pas, donc c'est pas l'école Yôshin. T'as été à l'école Kôbu, les vieux de la vieille, hein ?

Okonogi

Tu sais, quand tu fais ta clef à ton adversaire, tu peux en profiter pour lui placer un coup de genou dans le visage.

Mion

— ... Ah ouais ?

J'essaierai, à l'occasion.

Keiichi

— La vache, elle lui tient tête, t'as vu ça ?

Elle est aussi forte que lui !

Takano

— Okonogi, utilise tes armes, bon sang !

À quoi ça rime ?!

Okonogi

— Prépare-toi !

Haah !!

Cette fois-ci, le coup fut beaucoup plus puissant.

Okonogi avait pris un demi-pas en plus pour pouvoir lancer un coup de pied à pleine puissance.

Mais Mion avait vu la manœuvre,

et d'elle-même, elle avança vers le pied en question !

Bloquant le pied juste avant qu'il ne pût quitter le sol, Mion se retrouvait pile sur son adversaire, ou plutôt, sous son adversaire.

Alors évidemment, dans cette position, le plus efficace était de frapper le haut de son crâne.

Okonogi plia le bras et tenta un coup de coude,

mais au moment où il frappa, Mion plaça ses mains en l'air et se releva, bloquant le coude à mi-chemin.

Jusqu'à maintenant, elle avait évité les coups, mais cette fois-ci, elle le contrait, tout n'était donc plus qu'une question de force physique.

Et évidemment, Mion n'avait pas la moindre chance de gagner à ce petit jeu-là.

Après l'avoir bloqué deux secondes, elle lâcha volontairement prise pour déséquilibrer Okonogi, puis attirer son coude vers le bas.

Et ensuite,

rebelote,

elle poussa le coude sur le côté pour le faire revenir dans le dos de son adversaire !

Par contre, il y eut un peu de changement.

Après lui avoir fait une clef, et alors qu'Okonogi baissait la tête pour éviter de se faire casser le bras,

Mion releva son genou et alla l'encastrer bien dans la figure de son adversaire !

Elle avait tout simplement fait ce qu'il lui avait dit de faire, à l'instant.

Puis elle le projeta à terre.

Okonogi

— Eh ben tu vois que t'y arrives ?

Tu apprends vite, c'est bien...

Okonogi

Dis voir...

Tu es fin stratège...

tacticienne...

et tu sais te battre. Et pas qu'un peu.

Tu as tout ce qu'il faut pour diriger efficacement des hommes.

Okonogi

C'est toi qui devrais être placée à la tête des chiens de montagne.

Okonogi

Pour compenser la médiocrité du reste des troupes...

Mion

— Pah,

non merci, j'en veux pas de ton poste. Les unités secrètes, trop peu pour moi.

Elle déclina l'offre en riant.

Okonogi aussi se mit à rire.

Il savait qu'elle ne disait pas ça pour se moquer, mais parce que réellement, ça ne l'intéressait pas.

Okonogi

— Éhéhé, ouais, je te comprends.

Avec ce que tu sais faire, tu peux viser bien mieux.

La SAS, les Spetsnaz, la Delta Force... Je sais pas trop, mais à mon avis, tu n'auras aucun mal à y entrer.

Okonogi

Surtout qu-

Mion

— Ahahahaha, AHAHAHA !

La SAS ?

La Delta Force ?

Mais qu'est-ce que tu veux que j'en aie à foutre ! Laisse-moi rire !

Pourquoi j'irais me laisser emmerder là-bas, tu crois qu'ils me materont ?

Okonogi

— Éhéhéhé,

ouais, après tout, t'as raison...

T'as raison.

... Alors dis-moi :

tu voudrais être à la tête de quelle unité, hein ?

Mion

— Mais je m'en fous, moi, je veux pas être capitaine !

Être chef, ça me suffit.

Okonogi

— ... Chef, hein ?

Hmmm, chef du FBI, du MI6, ou du KGB...

Mouais, pourquoi pas.

Mion

— Mais non, voyons, puisque j'te dis qu'ça m'intéresse pas ?!

Mion

Moi, je veux juste mon poste actuel !

Mion

Je veux être la chef du club d'activités de l'école de Hinamizawa !

Mion

Je veux faire la guerre et donner des gages aux perdants !

Mion

Je veux Keiichi Maebara, le tombeur aux lèvres magiques !

Mion

Je veux Rena Ryûgû et son mode Mimii !

Mion

Je veux Satoko Hôjô, spécialiste des pièges, et Rika Furude la manipulatrice !

Mion

Et je veux aussi Hanyû Furude, notre toute nouvelle recrue !

Mion

Comparée à eux, aucune compagnie ne pourrait m'intéresser plus que cinq minutes !

Okonogi

— ... Comment veux-tu…

gagner contre quelqu'un comme ça, hein ?

Avec une fille pareille en face, ahahahahaha !

J'avais aucune chance !

Okonogi

Ahaha, AHAHAHAHAHA !

Takano

— Okonogi, mais ?!

Mais tu es devenu fou, ou quoi ?!

Takano semblait hors d'elle, mais Okonogi n'avait pas l'air de l'écouter, ni de l'entendre.

Okonogi

— ... Bon, je me suis échauffé.

Ma prochaine attaque sera la dernière.

Mais je te préviens : si je te touche, je te crève.

Prends tes dispositions.

Mion

— ... Pas de souci, amène-toi.

Je vais te finir en beauté, tu verras.

... Comme ça, tu n'auras aucun regret.

Okonogi

— Eh ben, t'as l'air bien sûre de toi, dis donc.

Okonogi

Éhhéhé, j'vais t'faire ravaler tes dents !

Okonogi recula, se laissant à peu près cinq pas de distance. Il prit une profonde inspiration, puis serra le poing droit, tournant légèrement son corps, comme s'il concentrait toute sa force dedans !

Comme il venait de le dire, il paraissait évident que si Mion se faisait toucher par cette attaque, elle serait plus que mal en point !

Mion plissa les yeux et se tourna vers la gauche, prête à esquiver.

Il y eut un grondement sourd.

Des gouttes de pluie commencèrent à tomber, heurtant les feuilles et le front des combattants.

Okonogi

— ... Prépare-toi.

Je te préviens, je frappe pour tuer, cette fois-ci.

Alors fais-en de même...

Mion

— ... Quand t'auras fini de faire tes prières, tu pourras venir. Je t'attends, quand tu veux.

... ... Après un bref instant d'une tension insoutenable...

tout partit d'un seul coup !

Okonogi

— HnnrrrrraaaaAAAAAHHH !

Okonogi partit comme un coureur d'athlétisme,

le corps vraiment très, très bas, à une vitesse folle.

Puis, après ses quelques pas d'élan,

il détendit son bras et le ramena vers l'avant, frappant de toutes ses forces !

Un éclair déchira le ciel et s'abattit tout près, transformant tout en une mer aveuglante, une image qui resta gravée dans nos rétines.

Mion n'avait pas bougé.

Ou alors, ses mouvements avaient été aussi rapides que cet éclair.

Peu importait. La seule manière de le savoir était de bien garder l'image à l'esprit et de remonter dans nos souvenirs.

Okonogi avait balancé un coup formidable, qui aurait tué Mion sur le coup, sans aucun doute.

Et comme elle avait retourné cette force contre son adversaire...

Pendant la durée de cet éclair...

Okonogi a probablement volé dans les airs.

Il existe une technique légendaire dont les gens parlent beaucoup au judo et à l'aïkido :

la projection par l'air.

C'est un surnom donné à une technique de projection spéciale, qui permet de faire tomber son adversaire sans le toucher, comme si l'air l'avait saisi et projeté au sol.

C'était la technique la plus avancée et la plus formidable que Mion pouvait utiliser. La seule à pouvoir satisfaire Okonogi et à le consoler d'avoir perdu.

Il se raconte que ce n'est pas tant le contact avec le sol, à la fin de la chute, qui sonne l'adversaire, mais la sensation étrange d'être transporté dans les airs par strictement rien de concret.

Une sensation irréelle, surréelle peut-être, un peu comme la vision fugace d'un autre monde.

À l'instant où Okonogi heurta le sol, derrière Mion, la pluie se mit à tomber comme une déferlante, et le vent se leva.

En fait, un énorme hélicoptère venait d'apparaître depuis le flanc de la montagne, et tentait de se poser ici, nous abreuvant de vent.

Les pales et les rotors créaient un flux d'air circulaire, qui repoussait les gouttes de pluie bien plus fort vers le sol,

et qui, accessoirement, faisait un bruit infernal.

Depuis l'arrière de l'hélicoptère, une corde fut jetée à terre, puis, l'un après l'autre, des soldats descendirent à toute vitesse.

Ce n'est qu'après les avoir regardés comme des idiots que je compris ce qu'il se passait.

C'étaient eux, les chiens de garde !

M. Tomitake avait réussi à les appeler !

Okonogi reprit ses esprits et courut vers ses hommes.

La situation avait changé du tout au tout.

Ils ne se posèrent pas de questions, et coururent pour dévaler la pente, quitte à rouler et à tomber ! Tout pour rejoindre la forêt, aussi vite que possible !

Seule Takano était d'abord restée là, sans rien comprendre, mais ils l'avaient prise avec, en l'entraînant de force.

Un autre hélicoptère tournoyait autour de la montagne, et diffusait un message par un haut-parleur, mais il était difficile de bien distinguer ce qu'il racontait.

Chien de garde

— ... À l'attention de tous les agents de l'Institut Irie !

Chien de garde

À compter d'aujourd'hui, 12h30, toutes les prérogatives de l'Institut Irie ont été supprimées ! Vous êtes passés directement sous les ordres du Haut Commandement des Forces de Défense !

Chien de garde

À la même heure, le Haut Commandement a ordonné à tous les agents de jeter leurs armes.

Chien de garde

Que tous les membres des chiens de montagne laissent leurs armes et viennent se rassembler soit en haut de la montagne, soit sur l'aire derrière la clinique Irie !

Chien de garde

Si vous n'obéissez pas aux ordres, vous aurez des comptes à rendre devant la cour martiale ainsi que devant les tribunaux civils !

Depuis cet hélicoptère, aussi, une corde fut jetée pour permettre à des soldats de descendre.

Ils étaient bien différents des chiens de montagne.

Ils étaient bien mieux armés, et d'ailleurs, leurs armes étaient tellement grandes et lourdes que rien qu'à ça, on devinait qu'ils leur étaient bien supérieurs.

Satoko

— ... Et donc ?

Vous pensez que...

nous avons gagné ?

Rika

— ... Je ne sais pas, Satoko.

Moi aussi…

je vois ça pour la première fois.

Je ne sais pas si nous avons gagné.

Je serai bien incapable de te le dire...

Satoko et Rika se tinrent l'une l'autre, apeurées, ne sachant pas trop quoi faire, et finirent par se laisser tomber au sol, prostrées.

Il pleuvait et le sol devenait un peu boueux, mais ça ne les préoccupait pas plus que ça...

Mion restait stoïquement sous la pluie, comme un général vainqueur, mais elle ne regardait pas les fuyards avec mépris. Elle restait simplement là, sans bouger.

Les chiens de montagne étaient complètement désorganisés.

Ils partirent tous de leur côté, en un grand sauve-qui-peut général.

Rena et moi nous rapprochâmes de Mion en courant.

Keiichi

— ... ... Mion ?

Rena

— Mii ?

Mion

— ... ... Tout est terminé, hein ?

Keiichi

— Ouais. On en a fini avec ça.

Une bonne fois pour toutes.

Rena

— Rika est saine et sauve.

D'ailleurs, on est tous sains et saufs.

Mii, on a gagné, et de la meilleure façon possible...

Keiichi

— ... C'est toi qui nous as dirigés, Mion.

Tout ça, c'est grâce à toi.

Mion ne semblait pas nous écouter.

Elle finit par parler devant soi, sans réellement s'adresser à quelqu'un en particulier.

Mion

— ... Vous savez...

... J'aime bien les...

les gages du club.

Rena

— Pardon ?

Mion

— ... Pendant les jeux du club... on peut être super méchants.

On se bat l'un contre l'autre, et on désigne un grand perdant.

Et on se fout tous de sa gueule.

Keiichi

— C'est pas vrai, Mion, et tu le sais.

On donne un gage au grand perdant, on s'amuse à ses dépens, et c'est fini et oublié.

Mion

— Ouais.

Mion

C'est exactement ça, on donne un gage, on rigole ensemble, et on oublie.

Mion

... Quand le général perd et qu'il doit rendre des comptes, eh bien...

chez nous, on rigole ensemble et on laisse couler.

Mion

Et même celui qui a perdu rigole avec tout le monde.

Rena

— Oui, et personne n'en souffre.

On rigole tous ensemble, et puis rien, c'est tout, c'est fini, on n'en parle plus.

Mion

— ... Et vous voyez, le mec, là, Okonogi.

Mion

... Eh ben lui, il pensait que... que tant que je ne lui aurais pas mis une leçon au combat,

Mion

il ne pourrait pas être excusé de sa défaite sur le terrain.

Mion

... Je veux dire, je sais qu'il y a eu des moments dangereux aujourd'hui, une paire, même !

Mion

On a failli se faire tuer, et plusieurs fois !

Mion

... Mais je... Je sais pas.

C'est fini, maintenant.

Mion

Jeu, set et match.

... Sauf que pour eux, y a pas de gage pour les dédouaner de ce qu'ils ont fait...

Mion avait eu une révélation pendant cet éclair, un truc qui la tracassait beaucoup, apparemment.

... Je devais dire que j'avais du mal à la comprendre...

Keiichi

— Je vais être honnête, Mion, j'ai rien capté à ce que tu viens de dire.

Allez, va, oublie ça.

C'est fini, maintenant.

Mion

— ... Ouais.

Ouais, t'as raison, tout est terminé, maintenant...

Rena

— ... Nous sommes tous encore en vie, Mion.

Personne n'a été blessé.

Alors...

on ferait mieux de se réjouir, non ? Tout est bien qui finit bien.

Keiichi

— Ouais, elle a raison !

Tout le monde va bien !

On ne pouvait pas espérer mieux !

Quelque part dans ma tête, mon esprit critique me rappela que nous ne savions pas ce qu'il était advenu de Shion et des autres, et que c'était un peu trop tôt pour se réjouir.

Mais en ce qui nous concernait, les faits parlaient d'eux-mêmes, c'était la meilleure issue possible.

... Et pourtant, Mion semblait complètement déprimée.

Elle était la seule à savoir pourquoi, malheureusement.

J'avais un peu l'impression qu'elle avait fait une expérience très spéciale pendant cet éclair.

Comme si elle avait appris quelque chose... et qu'elle ne pourrait plus faire comme si elle ne savait pas.

Un peu comme si elle avait perdu une part de son innocence...

De nombreux soldats arrivèrent sur nous.

Au début, ils étaient méfiants, comme si nous étions des ennemis à abattre, mais Tomitake arriva sur ces entrefaites et leur expliqua qui nous étions. Le malentendu fut très rapidement dissipé.

Le commandant des chiens de garde arriva, et nous sortit une longue diatribe sur le côté politique des événements, et bla, bla bla bla bla, puis il finit par nous demander instamment de garder notre langue pour nous, à grands renforts de courbettes.

C'était vraiment déconcertant de voir cet homme armé jusqu'aux dents nous parler sans faire le fanfaron.

Évidemment, personne parmi nous n'avait l'intention d'en parler.

Et puis de toute façon, maintenant que nous avions l'occasion de réfléchir à tout ce qu'il nous était arrivé aujourd'hui, tout cela ne paraissait franchement pas crédible...

Si jamais les filles devaient se réveiller demain et me demander ce qu'on avait fait hier, tous ensemble,

je les regarderais bête pendant quelques secondes, puis me dirais que finalement, en fait, j'avais tout simplement rêvé tous ces événements.

C'était dire à quel point tout ce qu'il s'était passé aujourd'hui semblait surréel.

... Non, il n'y avait pas de craintes à avoir, moi, en tout cas, je n'avais pas l'intention d'en parler...

Akasaka

— Rika !

Tu n'as rien, heureusement !

Rika

— Akasakaaaaa !

Ahahaha, non, je n'ai rien, c'est super !

Akasaka

— Nous aussi, nous avons réussi notre coup.

Vous allez tous bien ?

La clinique est déjà sous leur contrôle, il semblerait.

Les agents des chiens de montagne se rendent, les uns après les autres.

Akasaka

Quant au docteur Irie et au jeune garçon, ils sont saints et saufs.

Satoko

— Notre cher Chef aussi va bien ?

Grande nouvelle, j'en suis fort aise !

Satoko

... Un jeune garçon, dites-vous ?

Mais de qui donc pourrait-il s'agir ?

Peut-être Tomita ou Okamura ? Mais que faisaient-ils donc là-bas ? Tout ceci est décidément bien curieux...

Rika

— Satoko... Peu importe, non ?

Tant mieux. Oui, je suis vraiment contente pour lui...

Rika avait les traits fatigués, mais elle souriait quand même, même à bout de force. On se serait cru dans un film.

Bien sûr, Satoko n'avait pas la moindre idée de ce que cela voulait dire.

Et Rika ne savait pas combien de temps encore elle devrait garder le secret.

Mais si Irie était en vie, alors il réussirait à faire quelque chose.

Il ferait certainement le nécessaire pour ramener Totoche à la maison, auprès de sa sœur...

Rika

— ... Mais j'y pense, Satoko,

tu n'as pas fait tes piqûres aujourd'hui.

Ce n'est pas bien, ça, tu le sais !

Satoko

— Ah... Oui, certes, vous avez ma foi tout à fait raison, très chère.

Làs, que cette tâche m'est pénible ! N'aurai-je donc jamais un jour de repos ?

Satoko n'avait toujours pas l'air de se rendre compte que les piqûres qu'elle s'injectait avaient un rapport avec le syndrome de Hinamizawa.

... Ou en tout cas, si elle le savait, elle faisait toujours comme si ce n'était pas le cas.

Rika se jura de rester avec sa meilleure amie jusqu'au jour où celle-ci pourrait enfin laisser son passé douloureux derrière elle...

Satoko

— Heureusement que je n'ai besoin que de deux piqûres par jour !

C'est bien plus pratique et bien moins contraignant que lorsque le docteur Irie m'en demandait trois...

Satoko ne se rendait certainement pas compte que Satoshi était aussi pour quelque chose dans l'amélioration du traitement qu'elle devait suivre.

Irie m'avait dit un jour que Satoshi était le meilleur sujet possible pour étudier comment soigner Satoko.

Je parie qu'il essaie encore d'aider sa sœur, même plongé dans ce sommeil artificiel perpétuel...

Satoko s'injectait le produit dans le ventre.

Il lui fallait un endroit plus discret -- elle alla dans les buissons, un peu plus loin.

La zone était sécurisée, de toute façon.

Il y avait désormais de nombreux agents des chiens de garde déployés au sol.

Chaque hélicoptère avait ramené entre vingt et trente soldats.

Il y avait désormais trois appareils au sommet de la montagne, plus deux sur les flancs. Tout le coin était désormais passé sous leur contrôle.

Je n'avais pas entendu un seul coup de feu.

Les chiens de montagne étaient blessés et fatigués, ils se rendaient sans faire d'histoire. Peut-être n'avaient-ils pas le choix, ou peut-être ne voulaient-ils pas faire un autre choix...

La pluie était devenue plus fine.

Le soleil reviendrait certainement d'ici une demi-heure.

Le temps était fugace et changeait très rapidement. C'était plutôt commun pendant les grandes chaleurs.

Satoko revint,

et me fit une remarque.

Satoko

— Très chère, je ne sais pas pour vous, mais je ne vois notre chère Hanyû nulle part.

Elle était pourtant avec nous jusqu'à présent, je me demande bien où elle peut être passée...

Rika

— ... ?

Hanyû ?

Eh, Hanyû ?!

Où es-tu, réponds-moi !

Évidemment, Takano fut la seule idiote à croire, pendant l'espace d'une demi-seconde, que Tôkyô leur avait enfin envoyé des renforts.

D'après le comportement de ses hommes, elle aurait pu dire qu'ils savaient depuis un moment qu'ils avaient perdu.

Elle était simplement la seule idiote à ne pas en avoir été informée...

Takano

— Qu'est-ce que ça signifie ?!

Donnez-moi une explication sur cette situation, Okonogi !

Okonogi

— Nous ne pouvons plus rien faire, Mon Commandant.

Tomitake a appelé les chiens de garde, et ils sont arrivés.

Takano

— Les chiens de garde ?

J'ai entendu ce nom de code quelque part, je sais seulement qu'ils existent, mais... C'est la même chose que les chiens de montagne, non ?

Pourquoi vous ne vous battez pas contre eux ?

Okonogi

— Ce n'est pas le moment de faire de l'humour, Mon Commandant.

Les chiens de montagne sont une unité du contre-espionnage.

Les chiens de garde sont une unité de guerre.

Nous n'avons absolument aucune chance contre eux.

Les trois derniers soldats qu'il restait encore regardèrent Takano, l'épuisement évident sur leur visage. Ils étaient tout à fait d'accord avec l'analyse de leur chef.

Takano

— Et puis d'abord, que font-ils ici ?

Nous avons encore Tomitake, alors qui les a prévenus ?

Nous serions infiltrés par un espion ?

QUI ?

Chien de montagne

— ... Mon Commandant, vous ne savez pas que la clinique a été attaquée ? Le lieutenant Tomitake nous a été repris.

Okonogi regarda l'homme qui avait parlé avec colère, comme s'il aurait mieux fait de se taire.

Takano

— Mais non, je ne le savais pas !

Mais quand est-ce que c'est arrrivé ?

Qu'est-ce que ça veut dire, Okonogi ?

Nous avions pourtant placé des hommes pour barrer les routes, non ?

Chien de montagne

— ... ...

Personne ne daigna lui répondre.

Comme s'ils voulaient me laisser me débrouiller et partir sans moi.

Je suis la seule gourde qui ne sois pas au courant.

Je suis la seule à ne pas être mise au parfum comme les autres, comme si je n'étais plus des leurs...

Ils le regardent lui, pas moi. Ils attendent les ordres d'Okonogi et non les miens.

Tout le monde se fout de ce que je peux penser de la situation, et je vois bien qu'il n'y en aura pas un seul pour m'obéir.

Chien de montagne

— Chef, le véhicule des communications, par radio.

L'un des soldats enleva son micro et son oreillette pour les donner à Okonogi.

Okonogi

— ... Ici Phénix 1.

Chien de montagne

— Chef, Coucou Gris nous a donné son message d'adieu.

Elle a dit aussi de “pousser le poussin hors du nid”.

Okonogi

— ... Bien reçu.

Chien de montagne

— Les chiens de garde nous ont entourés.

Ils nous demandent de nous rendre.

Que devons-nous faire ?

Okonogi

— ... Que l'équipe du vé-

Bah, je peux bien vous appeler par vos noms. Tada, Adachi, vous avez très bien bossé.

Okonogi

Je vous autorise à déposer les armes et à vous rendre.

Okonogi

Suivez les ordres des chiens de garde. Ne vous faites pas tuer bêtement.

Chien de montagne

— ... Bien reçu, Chef.

Okonogi

— Bon, les enfants, écoutez-moi tous.

Okonogi

Le véhicule des communications est tombé aux mains de l'ennemi.

Okonogi

La clinique Irie aussi, j'imagine.

Okonogi

Nous avons perdu nos troupes de soutien, notre base, et notre équipement.

Okonogi

Nos équipes sont anéanties.

Okonogi

Je suppose que les hommes en bas de la montagne ont déjà jeté leurs armes.

Les chiens de montagne ont perdu sur toute la ligne.

Takano

— ... NON, Okonogi !

Takano

Nous devons contacter Mme Nomura, elle saura quoi faire !

Takano

Peu importent les chiens de garde !

Takano

Nous pourrons certainement obtenir le soutien d'une équipe tout aussi efficace !

Takano

Vous avez pourtant bien vu que R était encore vivante ?

Takano

Nous pouvons encore déclencher l'opération finale !

Takano

Il faut prévenir Mme Nomura immédiatement !

Takano

Nous devons trouver un moyen d'appeler Tôkyô !

Takano

Rah, nous n'aurions pas dû couper les lignes !

Takano

Nous devons reprendre le véhicule des communications, nous n'avons pas le choix !

Takano

Il nous faut leur système radio pour appeler Tôkyô !

Takano

Nous avons de la chance, si nos hommes se sont rendus sans faire d'histoires, les chiens de garde ne protègeront pas spécialement le véhicule, nous pouvons encore le reprendre !

Takano

Okonogi, vous et trois hommes, cela suffira largement !

Takano

Nous ne sommes que le 19 juin !

Takano

L'opération finale aurait dû débuter le 21,

euh, non, le 22 ?

Peu importe, nous avons encore le temps !

Allez, Okonogi, il faut y retourner !

Il faut leur reprendre notre centre de communications immédiatement !

Chien de montagne

— ... ... ... ...

Chien de montagne

— ... ...

Takano

— ... Alors quoi ? Personne ne veut m'écouter, c'est ça ? Pourquoi ?

Je suis commandant !

Je suis bien plus gradée qu'Okonogi !

Pourquoi vous lui obéissez à lui, et pas à moi, hein ?

Okonogi

— ... Mon Commandant.

Okonogi

Vous entendez les hélicoptères et ce qu'ils racontent depuis tout à l'heure ? Eh bien, ils ont raison.

Okonogi

Nous avons perdu la partie.

Okonogi

Nous pourrions continuer à résister, mais cela ne nous servirait à rien.

Takano

— Mais enfin, qu'est-ce que vous racontez ?!

Vous abandonnez déjà ?

Mais pourtant, vous l'avez vu, R était vivante !

Toute cette journée s'est transformée en cauchemar à cause de la rumeur de sa mort,

Takano

mais R est bel et bien vivante !

Takano

Ce qui veut dire que tout ce qu'il s'est passé aujourd'hui ne compte pas !

Takano

Nous pouvons encore nous servir du manuel des consignes d'urgence !

Takano

Puisque la Reine Mère est vivante, il nous suffira de la tuer, et encore une fois, le principe de précaution nous obligera à mener l'opération finale dans les 48h !

Okonogi

— Mon Commandant, on s'en fout, du manuel, on a des problèmes plus urgents que ça sur le dos !

Okonogi

Tôkyô se moque bien de la Reine Mère et de ce qu'il pourrait se passer 48h après sa mort.

Okonogi

L'opération de la solution finale est un échec retentissant.

Okonogi

Je parie que notre donneur d'ordres est déjà en train de s'activer pour détruire toutes les preuves.

Okonogi

Notre rôle est terminé.

Okonogi

J'ai été à la tête de cette unité pas comme les autres pendant dix ans,

Okonogi

c'était très instructif et ce fut une expérience très enrichissante,

Okonogi

mais aujourd'hui, c'est fini.

Okonogi

Et votre rôle à vous aussi est terminé, Mon Commandant.

Takano

— Mais... Qu'est-ce que vous racontez, enfin ?!

Mon rôle ?

Mais de quoi parlez-vous ?

Okonogi

— Mon Commandant,

votre rôle à vous...

c'était de donner du poids au cahier de notes que vous tenez dans les mains.

Takano

— ... Mais de quoi vous me parlez, là ?

Takano ne s'attendait vraiment pas à entendre parler des cahiers de son grand-père dans une situation aussi pressante que maintenant.

Okonogi

— Je ne doute pas une seule seconde de l'existence du syndrome de Hinamizawa.

Okonogi

Mais personne ne sait si réellement, les habitants du village mourront moins de 48h après la mort de la Reine Mère.

Okonogi

À moins de la tuer et d'attendre pour observer le spectacle, personne ne saura si c'est vrai ou si ce sont des conneries !

Takano

— Je ne vous permets pas !

Takano

Et puis de toute manière, c'est bien écrit ici !

Takano

Euh, à quelle page était-ce...

Takano

“D'ap-d'après les conséquences d'autres infections de pa-parasites chez les animaux,

on p-

on peut déduire que st-st-statistiquement parlant,”

Rah, mais zut, c'est toujours quand j'en ai besoin que...

Takano se mit à tourner les pages du cahier avec une grande nervosité.

Ses doigts tremblaient, elle était clairement en train de paniquer, elle ne savait plus dans quel sens lire, revenait sans cesse en avant, puis en arrière...

Okonogi s'approcha d'elle et lui tapa sur les mains. Elle lâcha le cahier, qui, en tombant à terre, fit un joli petit bruit en touchant les flaques de boue.

Évidemment, il s'était retourné dans sa chute, et le vieux papier absorbait et buvait l'eau sale du sol, à une vitesse proprement affolante...

Takano

— Mais ça va pas ?!

Ce cahier est plus précieux que tout !

Alors qu'elle se baissait pour le ramasser, Okonogi planta fermement son pied dessus.

Tellement fort que des gouttelettes de boue sautèrent un peu partout -- dont certaines sur le visage de Takano.

Celle-ci resta paralysée, les yeux écarquillés au maximum, incapable de se rendre compte de ce qu'il était en train d'arriver à ce vieux document qu'elle considérait comme ayant plus de valeur que sa propre vie...

Okonogi

— Mon Commandant.

Okonogi

Peu importe si les informations contenues dans ce cahier sont vraies ou fausses, tout le monde s'en contrefout.

Okonogi

Je vous assure, ça n'intéresse absolument personne de savoir si les mécanismes décrits dans ce cahier sont exacts ou non.

Takano

— Mais... Mais que...

Pourquoi ?

Qu'est-ce que ça signifie ?

Takano tentait d'extraire le cahier de sous la botte d'Okonogi, mais rien n'y faisait...

Okonogi

— Ce que nos donneurs d'ordres attendaient de vous, c'était de faire croire au plus grand nombre de gens que le contenu de ces cahiers, ce n'était pas qu'un ramassis de conneries.

Okonogi

Ils ne s'intéressaient pas à la véracité de leur contenu, ils voulaient juste le rendre crédible.

Takano

— La teneur des cahiers…

ne les...

intéressait pas...

Okonogi

— Non, mon Commandant,

Okonogi

pas le moindre du monde.

Okonogi

Eux, ils voulaient juste avoir un grand laboratoire, avec plein de chercheurs aux salaires mirobolants, pour écrire des rapports chaque année, tenus dans un jargon scientifique super pointu que personne ne comprendrait, pour que les décideurs des budgets fussent comme des idiots à se dire “ah ben ouais, ben alors là, forcément, il faut continuer à financer les recherches...”, ni plus, ni moins.

Okonogi

C'était seulement ça qu'ils attendaient de vous et du manuel des consignes d'urgence.

Takano

— Mais pourtant, ces recherches, ce ne sont pas des mensonges !

Takano

Mon grand-père a étudié cette maladie toute sa vie, moi-même, j'ai passé des années à l'observer !

Takano

Tout est vrai, TOUT ! Enlevez votre pied ! Enlevez-le !

Takano n'avait pas le temps, les cahiers devenaient de plus en plus sales !

Elle se mit à écarter la boue autour du cahier, mais bien sûr, l'eau sale contourna simplement ses mains... Cela ne servait strictement à rien.

Okonogi

— Si la Reine Mère vient à mourir, il faut tuer tous les habitants du village.

Okonogi

Vous n'aviez qu'à faire croire à tous les décideurs de Tôkyô que c'était vrai.

Okonogi

Tout le monde s'en fout de savoir que le syndrome de Hinamizawa est déclenché par la présence d'un parasite dans le cerveau.

Okonogi

La seule chose qui compte, c'est de savoir si cette information peut servir à influencer des décisions politiques ou pas.

Okonogi

D'ailleurs, vous deviez quand même bien le savoir, non ?

Okonogi

Et maintenant, plus personne ne croit aux foutaises qu'il contient.

Okonogi

Beaucoup de gens ont parié sur ce cahier,

Okonogi

et ils ont perdu.

Les chiens de montagne aussi ont porté ce cahier à bout de bras, et ils ont perdu, tout simplement.

Y a pas à chercher plus compliqué.

Takano

— Comment ça, des foutaises, mais non !

Takano

Tout est vrai, véridique et vérifié !

Takano

Grand-père a cherché, j'ai pris la relève, et j'ai compilé tout ce dont nous étions sûrs que c'était la vérité !

Takano

Et c'est pour ça que nous avons eu des soutiens !

Takano

Pourquoi pensez-vous qu'ils nous ont financé ces laboratoires ?!

Takano

C'est bien parce qu'ils nous faisaient confiance ! D'ailleurs, c'est aussi pour ça que Mme Nomura m'a contactée !

Takano

Et je parie que nous pourrons retrouver d'autres sponsors qui se rendront compte de la valeur de ces recherches !

Takano

Elles peuvent redéfinir le genre humain, c'est une porte ouv-Aaah !

Apparemment lassé de l'entendre se justifier et continuer sur ses idées, Okonogi donna un coup de pied.

Takano n'était pas bien grande, et son corps léger et gracile se retrouva repoussé en arrière, faisant tomber son dos dans la boue...

Alors qu'elle se remettait assise, tant bien que mal, Okonogi avança vers elle, la regardant de haut, le visage fermé.

Okonogi

— ... Heureusement pour vous,

les donneurs d'ordres de Tôkyô et franchement dit, nous aussi, avons encore un rôle en réserve pour vous, Mon Commandant.

Vas-y.

Un soldat sortit son arme et la lui donna.

Okonogi sortit le chargeur, l'inspecta, remonta l'arme et la jeta devant Takano.

Takano

— ... Quoi ?

Ça veut dire...

quoi au juste, ça ?

Okonogi

— Mon Commandant.

Vous voulez vous rendre utile ? Prenez cette arme et faites-vous sauter la cervelle.

Takano

— ... ... Hein ?

Takano baissa les yeux et observa le tas de métal froid gisant devant elle.

Elle avait vu des armes un grand nombre de fois dans l'enceinte des laboratoires.

Et elle n'en avait jamais eu peur.

... Mais maintenant, pour la première fois, une arme lui inspirait la peur...

Okonogi

— C'est un grand classique,

on appelle ça une queue de lézard, dans le jargon.

Mon Commandant.

Vous étiez en charge des troupes et vous avez perdu, alors prenez vos responsabilités et faites-vous sauter la cervelle.

Takano

— ... Mais...

Vous n'êtes pas sérieux...

Bien sûr, des gens lui avaient déjà demandé de “crever”.

Mais les gens disaient ça par animosité, pas pour la voir se donner la mort...

Okonogi

— Vous savez, si vous nous faisiez le plaisir de mourir, les gens de Tôkyô et nous-mêmes pourrions tout vous mettre sur le dos, même les choses dont vous n'êtes pas responsable, et nous en tirer sans trop de casse.

Okonogi

D'ailleurs, les gens de Tôkyô sont déjà en train de prendre leurs dispositions...

Takano

— Mais,

mais c'est,

c'est absurde, voyons !

Je,

je-je

ne pou-pourrais jamais...

jamais...

Ooooh…

Les lèvres tremblantes, Takano fut incapable de terminer sa phrase correctement, des sanglots commençant à se mêler à sa voix.

Okonogi

— Bah, si vous n'y arrivez pas toute seule, tant pis, c'est pas grave.

De toute façon, je me doute bien que c'est cruel de vous en demander plus.

Okonogi sortit son arme de service et la pointa sur Takano.

Les autres soldats ne bougèrent pas, mais il paraissait évident, à leur manque de réaction, que la mort de Takano serait la meilleure issue possible pour eux...

Okonogi

— ... On a essayé de vous convaincre de vous rendre, mais vous n'avez pas voulu.

Okonogi

Vous avez piqué une crise, vous nous avez tiré dessus, nous nous sommes défendus, et vous avez pris une balle.

Okonogi

Nous nous sommes tous passés le mot, c'est ce que nos dépositions diront. Elles sont déjà écrites, vous savez.

Okonogi

... Je voulais vous donner une chance de vous donner la mort vous-même, parce que bon, on se connaît depuis longtemps, maitenant, je ne voulais pas vous abattre comme du gibier.

Takano

— Mais je ne suis pas d'accord avec ce plan !

Qui a osé ?

Qui a écrit ça ?!

Je ne peux pas finir comme ça…

Okonogi

— À votre avis, qui d'autre ? La même personne que vous essayez de joindre pour lui demander de l'aide.

Mme Nomura.

Takano

— ... Comment ?

Okonogi

— Il fallait bien prévoir de quoi limiter la casse si jamais l'opération finale n'était pas menée correctement ! Tout comme l'opération finale était là pour limiter la casse en cas de pépin avec vos recherches.

Okonogi

Mme Nomura a pour nom de code “Coucou Gris”.

Okonogi

Et vous, c'était “le poussin”.

Okonogi

Vous savez où est-ce que les coucous gris pondent leurs œufs ?

Takano

— ... Non... et je m'en moque éperdument...

Okonogi

— La femelle du coucou gris pond dans un nid qui n'est pas le sien, et quand l'oiselet naît, il pousse les autres poussins hors du nid.

Okonogi

Et à cet âge-là, les poussins ne savent pas voler, alors ils s'écrasent au sol.

Soit ils meurent sur le coup, soit ils se font dévorer par des chiens errants...

Takano avait utilisé une grosse partie de l'argent de Pépé Koizumi

pour obtenir le soutien des chiens de montagne.

Elle était persuadée qu'ils étaient de son côté.

Okonogi était un homme brutal et frustre, mais il était efficace, et elle avait pensé pouvoir compter sur lui.

Mais en fait...

son nid...

lui avait été volé...

Okonogi

— Mon Commandant.

Okonogi

Vous n'avez jamais eu personne de votre côté.

Okonogi

Nos donneurs d'ordres voulaient juste vous voir sauter comme ils sifflaient, en montrant le manuel des consignes d'urgence pour faire peur à tout le monde, et rien de plus.

Okonogi

Mais maintenant, la fête est finie et la représentation est terminée.

Alors il faut descendre de la scène.

Tout simplement.

Okonogi

... Allez.

Okonogi

Prenez-le, votre cahier, si vous y tenez tellement.

Tenez-le bien dans la main gauche. Et avec la main droite, prenez cette arme.

Takano se rua sur le vieux cahier et le serra fort contre elle.

Puis, les deux mains toujours bien dessus,

elle se mit à pleurer.

Takano

— ...Oooh...

...Oooooh…

Toute la vie de Miyo Takano n'avait été qu'une farce, une vaste plaisanterie.

Aujourd'hui...

Aujourd'hui, tout prenait fin.

Aujourd'hui, elle retournait dans cette cage où elle se trouvait à l'orphelinat...

Takano tendit une main tremblante

et s'empara de l'arme au métal froid.

Okonogi

— Il n'y a qu'une seule balle, alors ne vous ratez pas.

Okonogi

Je dis ça parce que souvent, les gens ne le savent pas, mais comme le crâne est très dur, la balle dévie.

Okonogi

Le mieux, c'est de placer le canon de l'arme bien dans votre bouche.

Okonogi

... Allez, placez votre arme bien comme il faut.

Okonogi

Et ensuite, mourez, s'il vous plait.

Takano

— ...Oooh... oooh... Ooooooooh !!

... Puis un coup de feu retentit,

et résonna en échos dans toute la montagne...

Aussitôt, les hommes des chiens de garde se rendirent sur place.

Okonogi et ses hommes levèrent les mains en l'air et se rendirent.

Okonogi

— Éhhéhéhé, trop tard.

Le Commandant Takano était avec nous, mais elle ne voulait pas se rendre.

Elle nous a menacé avec son arme, alors... on a tiré en l'air, c'était juste un tir de sommation.

Chien de garde

— Chef, ici Retriever 7 !

Nous avons arrêté le lieutenant Okonogi ainsi que trois de ses hommes.

D'après leurs dires, le commandant Takano serait tout proche !

Chien de garde

Les traces de pas vont en direction du sud-ouest, mais la végétation est dense !

Chien de garde

Impossible de poursuivre, demandons des renforts immédiatement !

Chien de garde

Attention, le commandant Takano est armé, je répète, le commandant Takano est armé !

Chien de garde

— Ici le chef de l'équipe Retriever. À toutes les unités :

Chien de garde

le suspect recherché -- le commandant Miyo Takano -- a pris la fuite.

Chien de garde

Le commandant Takano est armé, alors soyez prudents.

Chien de garde

Tracez un cercle sur la carte depuis le point où elle a pris la fuite, et coupez toutes les issues !

Takano courait, seule, dans la montagne, salie,

tenant à la main le cahier maculé de boue de ses recherches.

Elle glissa de nombreuses fois sur le chemin, à cause de la pluie qui avait tout rendu glissant,

et à chacune de ses chutes, les branches et les ronces de la végétation la griffaient.

Elle perdit même une chaussure en route, et plutôt que de continuer en claudiquant, elle abandonna sa deuxième chaussure pour retrouver son équilibre...

Ce n'était pas la première fois dans sa vie qu'elle courait sous la pluie, seule, pour échapper à ses poursuivants.

La dernière fois aussi, elle avait été pieds nus.

La dernière fois aussi, la plante de ses pieds lui avait fait mal comme ça.

La dernière fois aussi, elle avait pleuré toutes les larmes de son corps...

...Oooh...

Chien de garde

— Je répète :

commandant Miyo Takano, jetez votre arme et rendez-vous.

Vous ne pourrez pas vous enfuir.

Nous avons déjà arrêté tous les membres des chiens de montagne.

Vous n'avez plus personne !

Seul l'hélicoptère qui passait de temps en temps au-dessus de la zone criait son nom.

Takano trouva un énorme tronc creux, et alla s'y cacher, assise, recroquevillée avec les genoux davant le visage...

Autrefois, elle avait aussi pris la fuite en perdant ses chaussures.

Mais autrefois, c'était du passé...

Elle s'était encore une fois écorché les pieds en courant. Ils étaient meurtris et gonflés, elle n'arriverait plus à fuir.

Cachée dans ce trou, elle mordait sur le cahier pour empêcher ses sanglots et ses larmes de trahir sa position...

Elle était assaillie tour à tour par la rage, l'impuissance, et la tristesse,

passant par des périodes de crises de larmes et d'autres où elle s'enfonçait les ongles dans la peau pour se calmer...

Elle remarqua alors

qu'elle tenait toujours en main l'arme qu'Okonogi lui avait donnée. Il y avait une balle dedans...

... Je n'ai vraiment pas le choix, hein ?

Je dois mourir...

Seule ma mort pourra résoudre mes problèmes...

Si je veux retourner aux jours heureux... je dois appuyer sur la gâchette, de ma propre volonté.

Mais en regardant le cahier dans son autre main, la tristesse et la peur refirent surface...

Takano

— ... Je ne veux pas mourir...

...Ooooh...

Je veux pas... je veux pas mourir !

Non…

Non…

whaaaaahhhhhh…

'Just die.

« Faites-vous sauter la cervelle, Commandant.

Prenez et assumez vos responsabilités. »

Je sais, je sais...

Je sais que c'est de ma faute.

Probablement.

Sûrement, même.

Presque tout était de sa faute...

Mais…

pour autant...

est-ce que la mort était vraiment sa seule solution ?

Takano

— Non...

je n'veux pas mourir...

...Oooh...

Whaaaahhh...

Oooh.

Et soudain, devant elle, Takano la remarqua.

Elle était là.

La même fille qu'elle avait vue au temple, le jour où elle avait visité Hinamizawa, après la fin de la construction de la clinique Irie.

La fille à qui elle avait fait une déclaration de guerre.

La divinité protectrice de cette région :

la déesse Yashiro.

Elle la dévisageait avec pitié, mais aussi avec dédain, comme pour lui montrer qu'elle avait eu raison tout le long...

Hanyû

— Alors, mortelle. Désires-tu toujours te défaire de ta condition d'humaine et devenir un dieu ?

Takano

— ... Ça faisait longtemps

que tu n'étais pas venue me voir.

Takano

... J'ai perdu.

Takano

Oui, je l'admets...

J'ai perdu la partie.

Takano

Je ne suis qu'un stupide être humain... et je me suis attaqué à un dieu.

Et voilà le résultat.

Et ce n'est pas étonnant.

Hanyû

— ... Pauvre mortelle.

Désires-tu toujours accéder au piédestal des dieux ?

Sachant désormais les épreuves à endurer, désires-tu toujours obtenir ta place sur le piédestal des dieux ?

Takano

— ... Ne raconte pas de bêtises... Même pas pour rire.

Je m'en moque. Et puis de toute manière, même si je le voulais,

je n'y arriverais plus...

Hanyû

— Mortelle, écoute-moi.

Je veux bien te révéler le chemin qui te mènera à l'Éternité.

Takano

— ... Hein ?

Hanyû

— Sers-toi de l'arme de destruction dans ta main pour souffler la flamme de ta vie,

Hanyû

et fais tes adieux à ce monde.

Hanyû

Un dieu n'a que faire d'une enveloppe charnelle.

Hanyû

Tu ne dois pas espérer obtenir le respect pour ton apparence.

Hanyû

Un dieu est un être pétri de solitude.

Hanyû

Misérable mortelle, toi qui sembles trouver quelque gloire à rechercher cette solitude,

Hanyû

souhaites-tu désormais poursuivre le chemin qui te fera accéder au statut divin ?

Takano

— ... Mais alors...

Ça revient au même, je dois me tirer cette balle dans la tête ?

Takano

Ahahaha, AHAHAHAHAHA !

Takano

Alors, c'était aussi simple que ça ? Je tire, et je serai dieu ?

Takano

C'était aussi simple que ça ?

Takano

Alors, à quoi ma vie a-t-elle servi ?!

Takano

À quoi ont rimé tous les efforts et les sacrifices que j'ai consentis !?

Hanyû

— Tu portes sur les épaules la responsabilité et les péchés de nombreux autres de tes semblables.

Hanyû

Tu as désormais la possibilité de t'absoudre de tous ces péchés en sacrifiant ta propre vie.

Hanyû

Ton courage sera loué, le souvenir de ton nom sera perpétué, et tu deviendras, toi aussi, un dieu.

Takano

— ... En d'autres termes...

Takano

Ce sera exactement comme disait Okonogi.

Je serai rendue responsable de tous les crimes, même ceux que je n'ai pas commis, et je devrai mourir !

Takano

Eh bien, je n'en veux pas !

Takano

Tu te moques de moi, ou quoi !?

Takano

Je n'accepterai JAMAIS !

Hanyû

— Et pourquoi donc ?

Il est la loi des hommes que de réclamer un sacrifice pour purifier une impureté et ainsi retrouver l'harmonie.

C'est bien ainsi que le monde des mortels fonctionne, n'est-ce pas ?

Hanyû

D'ailleurs, pour atteindre le futur dont tu as toujours rêvé, tu étais, toi aussi, prête à sacrifier la vie d'une jeune fille innocente, ainsi que celle de milliers d'autres. Comment peux-tu prétendre que tu ne sais pas comment fonctionne ton propre monde ?

Takano

— ... ...

Je ne comprends rien à ce que tu racontes.

Tais-toi, j'en ai assez entendu, je ne veux plus rien entendre !

Hanyû

— ... Si tu ne comprends pas, c'est bien là le signe que tu n'es qu'une simple mortelle.

Repends-toi pour avoir osé prétendre à un honneur dont tu n'as jamais été digne.

Takano

— Alors ça... Oui, ça, je peux faire.

Takano

Je ne veux pas prendre les fautes des autres sur moi et me donner en sacrifice !

Si c'est ce qu'il en coûte, alors je renonce à devenir un dieu !

Takano

Je suis bien contente d'être un simple être humain...

Takano

Mais j'aurais voulu rencontrer quelqu'un pour me rassurer, pour me donner l'autorisation de vivre normalement, comme n'importe quel autre être humain...

Takano

Je voulais juste m'entendre dire que j'avais le droit de vivre !

Takano

Et au lieu de ça...

au lieu de ça...

Regarde la situation dans laquelle je suis !

Hanyû

— En ce cas, comment comptes-tu purifier le mal et la souillure dont tu es responsable en ce monde ?

Comment comptes-tu en payer le prix ?

Takano

— ... Mais pourquoi ? Pourquoi est-ce que quelqu'un serait obligé de payer ?!

Pourquoi tout le monde essaie de se refiler le joker ?

Pourquoi tout le monde bouge et se démène pour rejeter la faute sur les autres ?!

Takano

C'est ça, la société humaine ?

Non, non, je n'y crois pas. Ce n'est pas digne des humains...

Takano

Quand mes parents étaient vivants…

Quand je vivais avec grand-père…

il n'y avait rien de tout cela !

Takano

Nous étions simplement heureux.

Takano

Personne n'essayait de se refiler le joker.

Takano

Alors pourquoi est-ce que c'est le cas, maintenant ? Est-ce que je suis tombée dans un autre monde ?

Takano

Pourquoi est-ce que je suis là, perdue, à errer dans la boue, sous la pluie ?

Takano

Pourquoi ? Pourquoi ?

...Oooooh !!!

Takano

... Parce que je l'ai... mérité ?

Parce que c'est la “récompense” pour mes crimes ?

Takano

Après tout, je le savais.

Je l'avais remarqué.

Takano

Je savais que j'avais fait quelque chose de mal.

Takano

Mais je n'ai jamais voulu l'admettre.

Et c'est seulement quand il a été trop tard que j'ai eu des regrets.

Donc, finalement, tout ça… Je ne l'ai pas volé...

Je l'ai bien mérité...

...Ooooh... ooooh…

Hanyû

— ... Les autres humains demanderont réparation.

Hanyû

Ils demanderont ton sacrifice pour purifier les péchés que tu as entraînés.

Hanyû

Car c'est ainsi que les êtres humains ont appris à se purifier.

Hanyû

... Mais moi, je ne suis pas humaine.

Hanyû

En tant qu'être supérieur, je peux combler le vide, réparer le chaînon manquant, et rétablir l'harmonie.

Hanyû

Je suis capable d'absoudre les êtres humains de leurs péchés.

Hanyû

Les humains ne savent pas comment absoudre les péchés des autres humains, ils en sont incapables.

Hanyû

C'est pourquoi, moi, je te pardonne.

Oui, humble mortelle, en vérité, je te pardonne.

Sache qu'il n'est pas la loi des hommes que de demander un sacrifice humain pour réparer un tort, mais la loi des démons.

Car tu te trouves ici non pas dans le monde des humains,

mais dans un monde où humains et démons cohabitent.

Or, pour se défaire de cette loi injuste, les humains n'ont pas assez d'autorité.

Et c'est pour ce faire que je suis allée, de ma propore volonté, sur le piédestal des dieux.

Ce fut une expérience douloureuse qui dura tout un millénaire.

Combien de fois ai-je désiré en descendre ?

Combien de fois ai-je rêvé voir un monde dans lequel les dieux n'étaient plus responsables de l'harmonie entre les peuples ?

Et enfin, après un millénaire passé à chercher, j'ai entrevu le fragment de ce monde.

Lève-toi et approche, humble mortelle.

En mon nom, je viens t'absoudre de tes péchés.

Prosterne-toi, et repends-toi.

Demande le pardon.

Si tu trouves l'humilité de le demander, alors, je te l'accorderai.

En tant que déesse, je te pardonne.

Je t'absous de tes péchés humains.

La jeune fille s'approcha de Takano et tendit la main.

Puis, tout doucement,

elle la posa sur sa tête...

Rika

— Hanyû ! Hanyûûûû ! Où t'es passée ?

Rena

— Hanyû, si tu nous entends, réponds-nous !

Les cris lointains des enfants me sortirent de ma rêverie.

Relevant la tête, je vis une jeune fille.

C'était l'une des filles qui faisaient partie de la stupide clique à Mion Sonozaki !

Quelle guigne...

Comment est-ce qu'elle m'a trouvée ici ?!

La pluie avait cessé, apparemment -- je n'avais pas remarqué avant.

Je me levai et sortis de ma cachette.

La chaleur rendait désormais l'atmosphère humide et étouffante, c'était très désagréable. J'avais l'impression que la sueur me démangeait de partout.

D'ailleurs, tout était désagréable. Ma transpiration, mais aussi la pluie et la boue.

Et puis tous ces moustiques ! Ça me grattait de partout !

Rah, c'est pour ça que je déteste les promenades dans la nature !

Takano

— Ne t'avise pas de crier.

Je pointai mon arme sur elle.

Elle continua à me regarder tranquillement, comme si elle ne voyait pas l'arme qui la menaçait.

Enfin, au moins, elle se taisait, c'était déjà ça.

Bon, je fais quoi ? Je la prends en otage ? Est-ce que ça pourrait me permettre de m'en sortir ?

Je n'ai qu'une seule balle dans le chargeur.

Je me demande combien de temps je pourrai tenir avec ça...

Keiichi

— Hanyû !

Mais t'es où ?

Rah, merde, elle s'est vraiment perdue dans la montagne, si ça se trouve !

Satoko

— Ah, je la vois !

Hanyû ! Très chère !

Rika

— Eh ben alors, Hanyû, qu'est-ce que tu fous i-

Oh....

Takano

— ... Décidément...

je n'aurais pas eu de chance aujourd'hui, jusqu'au bout.

Quoique, justement, c'est peut-être une chance.

Je crois que je vais quand même réussir quelque chose, au bout du compte...

Takano

Vous savez tous ce que c'est ?

C'est une arme à feu.

Alors vous ne bougez pas de là où vous êtes.

Hmpfhfhfhfh, eh bien, quel retournement de situation...

Mion

— Eh merde... Putain, c'est pas possible...

Takano

— Mion, si tu n'as pas envie de voir quelqu'un d'autre mourir, fais un pas en avant.

Rena

— Non, Mii, ne le fais pas !

Mion ne se fit pas prier, et avança sans discuter devant nous.

Elle avait du courage. C'était digne d'une meneuse comme elle.

Takano

— À cause de toi, tous mes plans sont tombés à l'eau.

Takano

Les soldats qui sont arrivés sont là pour m'abattre.

Takano

De toute manière, je serai condamnée à mort.

Takano

Mais je n'ai pas envie de terminer comme ça.

Takano

Alors j'aimerais bien faire un truc, n'importe quoi, juste pour me venger...

Takano

Hmpfhfhfhfh...

Keiichi

— Pah,

vous faites bien la maligne, mais nous savons qu'il n'y a qu'une seule balle dans votre barillet !

Takano

— Oui, et donc ?

Il ne te vient pas à l'idée que cette balle pourrait tuer Mion si je lui tirais dessus ?

Rika

— Takano !

Tu comptes sérieusement lui tirer dessus ?!

Takano

— Je vous ai dit de ne pas bouger, il me semble ?

Si je tire par réflexe, n'importe qui pourrait être touché.

Hmpfhfhfhfh...

Mion

— Ne bougez pas, les enfants.

Ou plutôt, cachez-vous bien derrière moi.

Takano

— Oooh, mais c'est qu'elle est courageuse ?

C'est quoi, un sacrifice ? Tu préfères prendre la balle pour les autres ?

Mion

— Bah, oui et non.

Disons que c'est pas avec une malheureuse balle que tu vas me tuer, enfin, normalement.

Ensuite, c'est clair que ça va surtout dépendre de là où tu m'atteindras...

Takano

— ... C'est une sacrée surprise.

D'où te vient ce courage ?

Tu fais exprès de me défier, pour que je te tire dessus, c'est ça ?

Takano

Je préfère te prévenir tout de suite, ce n'est pas parce que ce tir révèlera ma position et attirera les soldats ici que ça va m'empêcher de tirer, hein ?

Hmpfhfhfhfh...

Mion

— Eh ben alors, t'attends quoi ? Tire donc.

Mais moi aussi, je te préviens. Quand tu auras tiré, mes amis se chargeront de toi, et ce ne sera pas joli à voir.

Takano

— Pfff,

j'aimerais bien voir ça, tiens.

Et puis tu connais le proverbe, si tu souhaites la mort d'un autre, prépare ta propre tombe.

Si je réussis à emporter avec moi celle qui a vaincu Okonogi, ce ne sera déjà pas si mal.

Mion

— Alors tire.

Mais je te préviens, t'as intérêt à tirer sur moi.

Mion

Parce que si tu touches un autre,

tu morfleras tellement que tu me supplieras de t'achever longtemps avant que j'en aie fini avec toi !

Takano

— Ooooh, mais c'est que tu vas me faire peur.

Hmpfhfhfhfh...

Rena

— Arrête, Mii, fais pas ça !

Regarde-la, elle ne plaisante pas !

Elle te tirera vraiment dessus !

Satoko

— Il nous faut gagner du temps !

L'un des chiens de garde finira bien par nous trouver !

Takano

— Oooh, oui, je m'en doute.

Takano

Et c'est pourquoi j'ai l'intention de tirer, bientôt, avant qu'il ne soit trop tard, tant que ma balle peut me servir à quelque chose.

Takano

Hmmmm, sur qui est-ce que je vais tirer ?

Takano

Je suis pas très douée pour viser, alors ne m'en voulez pas trop, hein ?

Takano

Hmpfhfhfhfhfh !

Rika

— Mii...

Tu es sûre de ton coup ?

Mion

— Ne bougez pas, que je vous dis.

C'est moi, la chef du club.

Mion

Si je peux partir en vous sauvant les fesses, eh ben tant mieux !

Mion

Et si jamais elle devait m'atteindre bien comme il faut et que j'y laisse ma peau,

Mion

faites un petit autel dans le casier où j'ai rangé les jeux, et faites de moi une divinité militaire !

Mion

Le prochain chef de club, ce sera toi, p'tit gars.

Allez les enfants, je compte sur vous, ne me décevez pas.

Mion était prête à prendre cette balle.

Takano était comme une souris au pied du mur.

Il ne servait à rien d'essayer de parlementer, elle n'écoutait pas.

Mion en était bien consciente. Et c'est parce qu'elle ne supportait pas l'idée de voir l'un de ses amis mourir qu'elle s'était portée volontaire pour servir de bouclier.

Pour Mion, c'était une décision facile à prendre.

Aucun des autres n'était blessé.

Et à moins d'avoir une guigne pas possible, elle pouvait s'en sortir avec une grosse blessure et quelques semaines de repos.

Et puis même si elle devait y rester,

elle préférait de loin mourir elle plutôt qu'un autre.

Et c'était sûrement à cause de ça que Takano allait tirer.

Elle ne supportait pas les gens qui se prenaient pour des héros.

Peut-être justement parce qu'elle comprenait tout à fait leurs motifs. Et donc justement, précisément pour ça, elle tirerait.

Elle appuierait sur la détente.

Elle ferait de cette balle un injuste joker, et elle tirerait sur un innocent !

Takano

— ... Dites-moi, vous jouez souvent ensemble.

Vous jouez aux cartes, aussi ? Au mistigri ?

Mion

— ... Non,

nous, on joue au pouilleux.

Takano

— Pff, ce sont les mêmes règles, c'est la même chose.

... Le monde fonctionne comme le jeu du mistigri.

Personne ne veut le garder, alors tout le monde essaie de se le refourguer.

Takano

Ce n'est pas un jeu dans lequel un gagnant émerge vainqueur, mais un jeu où il faut désigner un perdant.

Takano

Et cette fois-ci, c'est moi qui ai la mauvaise carte.

Takano

Et je n'ai personne à qui la refiler.

Takano

Alors pour me venger, je vais te tirer dessus.

Takano

Ce sera tout aussi injuste.

Takano arma son pistolet.

Il n'y avait pas la moindre lueur d'hésitation dans son regard.

Elle allait vraiment tirer, ce n'était pas une blague !

Mion ferma les yeux et écarta les bras sur le côté, histoire de protéger au maximum les autres, derrière elle...

Et soudain, Hanyû alla se placer devant Mion.

Mion

— Hanyû !

C'est dangereux, reste derrière !

Hanyû

— ... Tu es très courageuse, Mion.

Mais cela suffira ainsi.

Puisque le joker du mistigri doit être toujours passé de force à un humain,

alors il est de mon devoir d'en arrêter la course.

Rika

— ... Hanyû, ne me dis pas que...

Hanyû
Hanyû

— Rika.

Hanyû

Je me suis vraiment bien amusée dans ce monde.

Et je suis bien contente d'avoir pu me joindre à vos jeux du club.

Hanyû

C'était vraiment amusant, bien plus que de simplement vous regarder jouer.

Hanyû

Merci pour tout.

Hanyû

Je me suis suffisamment amusée.

Hanyû

J'ai ressenti bien plus de bonheur qu'une déesse comme moi ne le méritait.

Alors elle tourna la tête et lança un regard hostile à Takano.

Hanyû

— Allons, tire donc,

misérable mortelle.

Essaie donc de m'envoyer ton joker, ce crime dont tu tiens tant à te débarrasser !

Je saurai arrêter sa course.

Takano

— Ah oui ?

D'accord, d'accord, comme tu voudras.

Alors meurs !

Non,

c'est du bluff, elle est pas sérieuse.

Elle ne tirera pas.

Elle ne tirera pas !

Le coup de feu retentit, semblable à une explosion.

Le temps se mit à défiler au ralenti,

et nous vîmes un spectacle irrationnel.

Devant Hanyû, la balle argentée fut stoppée net, comme si elle avait heurté un mur invisible.

Comme si Hanyû avait érigé une barrière transparente pour se protéger.

La balle avait eu pour but de transpercer le cœur de Hanyû, mais elle n'arrivait pas à atteindre sa cible.

Une goutte de sueur coula le long du front concentré de Hanyû.

C'était elle qui, par sa concentration, avait arrêté la balle en pleine course, mais cela semblait lui demander un très gros effort.

Hanyû

— ... ... ... ... Hhng...

Rika

— Hanyû !

Hanyû

— ... Ne t'inquiète pas pour moi, Rika.

Même affaiblie par cette enveloppe charnelle, ceci n'est pas un problème.

La balle argentée se mit à trembler sur place, puis, lentement, très lentement, elle fut repoussée en arrière.

Takano regardait le phénomène, très consciente que quelqu'un était en train de tricher allègrement avec toutes les lois de la Physique, et ne put s'empêcher un hurlement de colère.

Takano

— MAIS…

TU VAS CREVER, OUI ?!

Soudain, la balle argentée se mit à trembler très fort,

puis elle perça la barrière transparente.

Il n'y avait plus de mur,

plus rien pour protéger le corps de Hanyû.

La balle se rapprocha,

encore et encore,

à quelques millimètres de son corps désormais !

Nooooooooon !

Plus personne ne pouvait rien faire,

plus rien ne pouvait l'arrêter !

Le Temps s'était arrêté,

la balle était juste devant Hanyû désormais !

Nous avions déjà vu cette scène, ou plutôt, une scène similaire.

Nous avions déjà vécu ce terrible moment, cet échec et mat inéluctable.

Nous savions qu'aucun cri, aucun pleur, aucun souhait ne pourrait empêcher la tragédie d'avoir lieu lorsque le Temps reprendrait son cours !

Takano

— Hmpfhfhfhfh, ahhahahaha, AHAHAHAHAHAHA !

Takano

Tu vas mourir, bel et bien MOURIR !

Takano

Allons plonge-toi dans les souvenirs de ta vie, je t'en prie, prends tout ton temps.

Takano

Quand tu en auras terminé, ton cœur sera transpercé de part en part, et tu t'étoufferas dans ton propre sang !

Takano

Ahahahaha, ahaha, AHAHAHHAHAHAHAHAHAHAHA !

Hanyû

— ... Si je n'avais pas été prête à perdre la vie,

je n'aurais jamais eu le courage de me placer devant Mion !

C'était la meilleure solution.

De toute façon, je n'avais aucune existence réelle dans ce monde. Si je disparais et que tous les autres restent vivants, alors tous les amis de Rika seront et resteront en vie.

C'est la meilleure chose à faire.

Pour tout le monde...

Et alors...

Hanyû eut un cri de surprise...

Alors que le Temps était parfaitement figé,

Rika s'avança vers elle, puis elle tendit la main,

et la plaça doucement au-dessus de la balle.

Elle n'aurait pas dû pouvoir bouger.

Rien n'aurait dû pouvoir bouger !

D'ailleurs, même Hanyû était incapable du moindre mouvement.

Mais alors, pourquoi ?

Comment Rika, une simple mortelle, pouvait...

Rika

— Bon, eh, tu vas pas m'dire que ça t'étonne ?

Rika

Tu te souviens pas de toute la scène que tu m'as faite ?

Rika

Réfléchis un peu, nous savons comment déclencher des miracles.

Rika

Je veux bien admettre qu'il s'est passé des choses incroyables aujourd'hui,

mais rien de tellement impossible à faire, non ?

Rika

Nous avons réussi à faire tout ce qu'il était possible de faire en se faisant confiance l'un l'autre.

Alors maintenant, puisque c'est la toute fin, autant utiliser un vrai miracle.

Rika

Après tout, je suis la réincarnation de la déesse Yashiro, je serais bien conne de m'en priver, non ?

Rika

se mit alors à caresser la balle,

comme elle le faisait souvent avec les perdants,

puis elle l'enserra dans sa main,

et la porta près de son cœur,

comme on étreint une personne chère.

Alors que le Temps n'avait toujours pas repris sa course.

Rika

— En tout cas, une chose est sûre, tu es une tête de mule, autant que Takano, d'ailleurs.

Tu n'as pas écouté quand Mion a parlé tout à l'heure ?

Nous ne jouons pas au mistigri,

mais au pouilleux !

Rika

Takano s'est foutue de notre gueule en disant que c'était la même chose,

mais le pouilleux, ça n'a rien à voir !

Pour jouer au mistigri, on prend un jeu de 52 cartes, harmonieux donc, et on y ajoute un joker. Il existe même des jeux de 53 cartes conçus exprès pour y jouer.

On crée une anomalie et les joueurs se la refilent.

Mais au pouilleux, on prend un jeu de 52 cartes et on en enlève une pour créer une dissonance, et on se refile la carte orpheline.

C'est pas la même chose qu'un joker !

Ici, on cherche le truc qu'il manque.

Alors oui, on se refile une carte,

mais c'est pas la même philosophie qu'il y a derrière !

Rika

— Bien sûr, à la fin de la partie, dans les deux jeux,

Rika

le perdant est celui à qui il reste une carte dans les mains.

Rika

Donc d'un côté, je comprends bien que Takano veuille dire que c'est la même chose.

Rika

Sauf que...

Ben, ça n'a rien à voir du tout.

Rika

Au pouilleux...

... Une fois qu'on a trouvé quelle carte il manque, on prend la carte enlevée au début et on forme la dernière paire pour rétablir l'harmonie,

et ainsi, il n'y a pas de perdant.

Au début, il nous manquait toujours quelqu'un, et cette fois-ci, Hanyû, tu es apparue parmi nous.

Il y avait donc toutes les cartes au début de la partie : ce jeu ne peut pas finir avec un perdant !

Pour avoir un perdant, il faudrait un sacrifice volontaire, une personne qui se donnerait volontairement la mort alors que ce n'est pas du tout nécessaire. Ce serait gâcher un miracle pour rien !

Rika

— Le monde dont j'ai toujours rêvé

est un monde où il n'y aurait aucun perdant.

C'est ma réponse.

J'ai dû réfléchir et voyager pendant près de mille ans pour trouver cette réponse,

mais j'ai fini par y arriver...

En fait,

la réponse était déjà contenue

dans le tout premier jeu de cartes

de Mion.

C'était parce que les membres du club jouaient avec un jeu de carte incomplet qu'il y avait toujours un perdant.

Mais si en s'entr'aidant et se faisant confiance, ils avaient réussi à retrouver la carte manquante et à l'ajouter au jeu,

alors ils auraient eu un jeu complet, incapable de produire un perdant.

Un monde abouti et parachevé.

Un monde où personne ne serait ostracisé.

Un monde où personne n'aurait à quitter le cercle.

Un monde où personne ne paierait pour les autres.

Un monde où tout le monde se tiendrait par la main.

Tout comme les humains transpirent pendant l'effort, ils doivent, pour pouvoir vivre, consentir au péché.

Le plus important, dès lors, n'est pas d'empêcher les êtres humains de pécher, mais de les absoudre de le faire.

C'est précisément lorsque les gens tentent d'être irréprochables que le monde devient hideux.

Alors acceptons nos péchés.

Pardonnons-nous les uns les autres.

Car telle est la loi qui régit le monde parfait, du point de vue de Rika Furude.

C'était le seul moyen pour délivrer les hommes de la loi du sacrifice purificateur.

Et malgré sa nature d'humaine, Rika Furude avait atteint l'illumination.

Au bout d'un chemin long à en perdre la raison, certes, mais elle avait atteint l'illumination.

Le Temps reprit son cours, sans rien dire à personne. Il se passa quelques instants avant que tout le monde s'en rendît compte.

Le canon de l'arme de Miyo Takano fumait encore. En toute logique, elle avait tiré.

Et pourtant, personne n'était touché...

Keiichi se retourna, cherchant partout du regard qui avait été touché, l'anxiété évidente sur le visage.

Mais tout le monde avait l'air de bien se porter.

Personne n'avait pris de balle dans le buffet.

Keiichi

— Hah !

Ahahaha…

Elle nous a ratés ?

Mion

— Ah ben là…

Nan mais la honte, quoi...

Éhhéhhéhhé !

N'en pouvant plus, Mion se mit à souffler et à ricaner, transpirant tout à coup à grosses gouttes.

Takano

— C'est pas vrai…

mais comment ai-je pu rater ma cible...

à cette distance ?

Personne ne dit rien, mais tout le monde le pensa.

C'était un miracle

si personne n'avait été touché

par ce tir.

Ils avaient tous eu la même pensée.

Ils auraient tous voulu se sacrifier pour permettre aux autres de survivre.

Mais cela n'aurait pas été une solution satisfaisante.

Rika Furude exigeait mieux de la part des dieux.

Et c'est pourquoi elle avait déclenché un miracle encore bien supérieur à la noblesse de cœur de tous ses amis.

Elle avait obtenu un monde où la balle ne toucherait personne, et donc personne ne souffrirait.

Et donc un monde où, n'ayant tué personne, Takano non plus ne serait pas soumise au supplice.

Des bruits de pas rapides et nerveux s'approchaient à toute allure.

Takano tenta de fuir, mais son pied heurta une racine et elle tomba de tout son long, ce qui acheva de décoller les pages du manuel qu'elle tenait toujours précieusement en mains.

Pendant qu'elle essayait frénétiquement de récupérer chaque feuille, les chiens de garde l'entourèrent et la tinrent en joue.

Même lorsque l'un des soldats se rapprocha jusqu'à la toucher du bout du canon de son arme, Takano continua de l'ignorer et de ramasser les feuilles, comme une possédée.

Elle pleurait, tout en enlevant parfois le pied de l'un ou l'autre soldat ayant marché sans regarder sur les précieux restes du vieux cahier.

En faisant attention, on pouvait discerner ce qu'elle disait.

“Ne marchez pas dessus ! Ne marchez pas dessus !”

Chien de garde

— Commandant Takano,

je vous arrête !

Takano

— ... ... Alors...

C'est sur moi... que tout va retomber, n'est-ce pas ?

Hmpfhfhfhfh...

Ooooh,

whahhhhhhhh…

Elle se mit à pleurer, incontrôlable, inconsolable. Incapables de supporter ses sanglots, les membres du club baissèrent la tête, mal à l'aise…

Chien de garde

— Levez-vous !

Les mains derrière la tête.

Alors, j'ai dit levez-vous ! Et ne résistez pas !

Takano

— Je ne veux pas, je ne veux pas !

Rendez-moi ce cahier,

il est à moi, à mon grand-père, rendez-le-moi !

Non… Non !...

Elle essayait simplement de se baisser pour saisir le cahier à ses pieds.

Mais les chiens de garde ne voyaient qu'une criminelle qui refusait d'obtempérer. Ils lui tirèrent violemment les cheveux pour la forcer à se relever.

C'était vraiment insoutenable à regarder pour qui l'avait connue sous des jours et des auspices meilleures.

Mais alors que le malaise confinait à son paroxysme, une voix ferme se répandit en échos.

Tomitake

— Attendez !

Toutes les têtes se tournèrent vers le même homme.

Nous le connaissions très bien.

Mais il avait une expression sur le visage que nous ne lui avions jamais connue. Il venait de prendre une grande décision.

Tomitake

— Lieutenant Tomitake, des renseignements !

C'est mon département qui assurera sa protection !

Chien de garde

— Sauf mon respect, mon Lieutenant,

nous avons eu l'ordre formel de la ramener immédiatement à Tôkyô.

Tomitake

— Mais enfin, regardez-la !

Tomitake

Vous ne remarquez donc rien ?

Tomitake

Regardez ! Vous voyez toutes les traces sur son corps ? Elle s'est gratté partout, sur tout le corps !

Tomitake

Elle est en train de faire une crise aiguë de la maladie ! Le syndrome de Hinamizawa s'est déclenché, elle doit être emmenée immédiatement dans une cellule médicalisée !

Takano avait des traces sur le cou, les poignets, les bras, des rougeurs, des blessures, et même du sang.

Elle s'était infligé tout cela au cours de la journée, petit à petit, sans s'en rendre compte...

Il était impossible de dire si cela était dû à la maladie, ou à ses tics obsessionnels du comportement.

Mais personne ne pouvait véritablement réfuter ce que Tomitake venait de dire...

Chien de garde

— Mais pourtant, elle doit avoir été vaccinée avec les produits de l'institut ?

Elle devrait être immunisée, elle ne peut pas déclarer la maladie.

Tomitake

— Vous n'avez pas lu les rapports, ou quoi ?!

Tomitake

L'institut n'est pas encore capable de produire un sérum ayant une efficacité digne de ce nom !

Tomitake

Si vous aviez lu un peu les symptômes de la maladie, vous sauriez qu'elle est actuellement au stade terminal !

Tomitake

Si nous voulons en tirer quoi que ce soit dans les futurs interrogatoires, nous devons tout d'abord la soigner !

Tomitake

De toute manière, nous ne savons même pas quel élément a déclenché cette opération criminelle ! Était-ce bien elle qui avait tout planifié, ou bien était-elle déjà largement affaiblie par la maladie ? Quelqu'un aurait pu tout à fait se servir de sa paranoïa latente pour la pousser à cette opération !

Tomitake

Nous devons tout d'abord éradiquer la maladie dans son corps si nous voulons faire avancer l'enquête.

Tomitake

Peut-être est-elle la seule responsable, mais peut-être que la maladie est responsable ! Et en ce cas, la responsabilité pénale de Miyo Takano pourrait être remise en question !

Tomitake

Comment pouvez-vous affirmer connaître son état de santé, alors que clairement, vous ne connaissez rien de la maladie ? Vous ne pouvez pas !

Tomitake

Le temps de la décision viendra après sa guérison. C'est non seulement son droit le plus strict, mais c'est aussi notre devoir !

Takano

— ... ... Jirô...

Tomitake

— Nous allons la transporter immédiatement dans les locaux de l'Institut Irie pour lui faire passer les tests de dépistage précis !

Tomitake

Contactez immédiatement le lieutenant Irie et demandez-lui de préparer les équipes à s'occuper d'elle comme il se doit !

Tomitake

Mais cela ne veut pas dire qu'elle sera libre ! Elle sera placée sous haute surveillance et sera assignée à résidence.

Tomitake

Le colonel Oka doit d'ailleurs déjà avoir expliqué la situation à vos supérieurs ! Pourquoi n'en avez-vous pas été informés ?!

Les soldats se regardèrent, puis passèrent le message à leurs supérieurs par transmission radio.

Le centre de commande n'avait aucune objection.

Les chiens de garde étaient juste ici pour appréhender le commandant Takano, le reste ne les intéressait pas.

Les interrogatoires, l'enquête, la paperasse, tout ça, c'était le boulot des renseignements.

Si les renseignements disaient qu'il fallait l'interner à la clinique, alors elle serait internée à la clinique.

Tomitake avança lentement vers Takano, toujours prostrée dans la boue...

Takano

— ... ... Jirô...

Jirô !

Whaaahhhhhhhh, oooooooh !!

Auhhhh, wauhhhh !!

Takano se jeta à son cou pour y enfouir son visage, et se mit à pleurer comme une enfant.

Les raisons de ce comportement nous étaient incompréhensibles, mais elle et Tomitake se comprenaient certainement.

Tomitake

— ... Je sais, je suis en retard, pour pas changer.

Mais je suis quand même venu te chercher, Miyo.

Takano

— Whaahhhhh…

Jirô, Jirô ! Jirô... Jirô… Ooooh !..

Tomitake

— Tu n'es pas aussi foncièrement mauvaise que tu essaies de le croire, Miyo.

On peut tout recommencer à zéro, tu sais.

Et cette fois-ci, tu vas pouvoir vraiment refaire ta vie. Ta vraie vie, celle de Miyoko Tanashi…

Takano

— Mais je ne peux pas, Jirô, je ne peux pas !

Takano

Je suis trop sale, maintenant...

Takano

Je n'ai pas le droit de repartir à zéro, je dois payer, je dois mourir !

Takano

Sinon... Sinon je resterai pour toujours écrasée par le poids des choses affreuses que j'ai faites...

Tomitake

— ... C'est vrai que pour le coup,

Tomitake

tu as failli commettre quelque chose d'horrible, et tu risques de le payer cher.

Tomitake

Mais tu n'as pas à t'inquiéter.

Tomitake

Je serai toujours à tes côtés.

Tomitake

Nous serons deux à payer pour les crimes de Miyo Takano.

Tomitake

Mais ensuite, je veux que tu essaies de redevenir Miyoko Tanashi.

Tomitake

Je ne te laisserai pas tomber, je serai toujours à tes côtés pour t'aider, jusqu'à ce que tu y arrives !

Takano

— ... Mais alors...

Takano

J'ai vraiment le droit de vivre ?

Takano

Tout le monde m'a fait comprendre que la situation ne serait pas réglée tant que je ne serais pas morte !

Takano

Est-ce que j'ai vraiment le droit de vivre ?

Takano

Tu me le promets ?

Takano

Tu penses vraiment que je pourrais être pardonnée ?

Tomitake

— Allons, ne pleure plus. Car si le monde entier te hait, moi, je te pardonne.

Tomitake

Je me contrefous de l'avis des autres, Miyo !

Tomitake

Je te pardonne.

Tomitake

C'est pourquoi il te faut vivre.

Tomitake

Ce n'est pas en te donnant la mort que tu expieras tes péchés.

Tomitake

Il te faut vivre et demander le pardon, faire amende honorable, te repentir, et ensuite, repartir à zéro.

Tomitake

Je suis sûr que les souvenirs te reviendront.

Tomitake

Et qu'un jour, tu sauras à nouveau comment tu souriais étant enfant...

Lorsque les chiens de garde procédèrent à son arrestation, ils lui passèrent les menottes aux poignets et l'emmenèrent à la clinique Irie.

Mais Takano n'avait pas les mains derrière le dos.

Dans ses mains, elle tenait le cahier de son grand-père, que Tomitake avait ramassé et nettoyé pour elle...

Il ne restait plus aucune trace de l'averse qui s'était abattue sur nous peu après midi.

Les grillons étaient ressortis de leur cachette, et avaient repris leur chant immuable, comme si le mois de juin habituel était revenu à Hinamizawa.

Il faisait tellement chaud qu'après tout, ce n'était pas étonnant de voir la météo changer sans crier gare.

Mais le ciel était à nouveau immense et parfaitement dégagé.

Quelqu'un demanda quelle heure il était.

Je regardai ma montre.

Il était à peine 15h.

La fête de la purification du coton commençait à 17h.

Mais alors, c'était déjà presque l'heure ?

De là où nous étions, nous voyions à peine, au loin, la grande cour du sanctuaire Furude.

Les stands et les chemins avaient été décorés par des lanternes bien rouges.

Lorsque le crépuscule arriverait, leurs lumières dansantes apporteraient des ombres et des couleurs chatoyantes à la fête.

... Oui, la fête de la purification du coton allait bientôt commencer.

Et enfin...

tout prendrait fin. À tout jamais.

À l'heure du sanglot des cigales.

Enfin, la partie jouée et rejouée à travers tous ces mondes allait prendre fin,

et au bout du compte, le vainqueur allait pouvoir obtenir ce qu'il avait tant désiré :

un arrêt définitif de cet affrontement,

sans vainqueur

et sans vaincu.

Hanyû avait eu l'intention de se retirer à la fin de la partie.

Mais elle était quand même, encore et toujours, parmi nous.

Sa présence était désormais acceptée.

Elle n'était plus la carte enlevée au début de la partie de pouilleux.

Elle était la carte retrouvée, celle qui nous permettait de terminer la partie sans trouver de perdant, sans décevoir quelqu'un.

Elle restait là, un peu sidérée, sans trop savoir quoi faire. Elle était fatiguée, elle transpirait de partout, et laissait le vent jouer dans ses cheveux.

Alors Rika s'approcha d'elle, tout doucement.

Elle n'avait pas besoin de lui parler pour communiquer.

Elle lui fit tout simplement un large sourire.

La soi-disante observatrice impartiale s'était enfin décidée à monter sur scène,

puis, à peine après avoir contribué à la pièce, avait voulu immédiatement quitter les planches.

Mais au moment où elle avait voulu sauter en bas, essayant de graver le souvenir de son moment de gloire sous les lumières de la scène,

quelqu'un l'avait fermement retenue.

“Tu peux rester avec nous, tu sais.”

Elle était désormais sur scène,

et elle avait le droit de rester, autant qu'elle le voulait, à improviser son rôle.

Elle avait désormais sa place, dans la pièce et dans la troupe, même pour le rappel.

Elle ne pouvait plus être spectatrice.

Et ça aussi, c'était un miracle.

Un miracle qui permettait à un rôle qui n'existait pas dans la pièce d'y rester pour toujours.

Normalement, Hanyû aurait pu se permettre de ne pas exister -- elle n'avait jamais existé auparavant.

Mais cette fois-ci, son existence avait été reconnue officiellement.

Rika

— Allons bon, Hanyû, tu as voyagé pendant plus d'un millénaire pour en arriver là.

Certes, c'est un deuxième miracle, mais c'est encore peu cher payé pour te dédommager de tout ce que tu as subi.

Nipah☆!

Hanyû

— Non, Rika, je...

C'est largement assez, crois-moi.

Je n'en demandais pas tant. C'est presque trop, vraiment...

Rika lui refit un grand sourire, puis tendit sa main droite et lui donna ce qu'elle tenait précieusement depuis tout à l'heure.

Hanyû sentit quelque chose de rond dans sa main.

Qu'est-ce que ça pouvait bien être ?

Elle l'ouvrit et baissa les yeux.

C'était…

la balle que Takano avait tirée.

C'était la preuve irréfutable qu'un miracle avait bien eu lieu.

La preuve que Hanyû avait le droit de rester parmi les êtres humains.

Et la preuve qu'elle avait le droit de rester avec Rika, pour toujours...

Rika

— Allez, viens, il va bientôt faire sombre, et ce sera l'heure d'aller à la fête.

Hanyû

— ... Oui.

Rika

— Et pendant la fête, comme d'habitude, nous aurons des épreuves du club et nous nous amuserons comme des fous.

Rika

Et cette fois-ci, tu n'auras pas à rester à l'écart et à nous regarder t'amuser.

Rika

Comme tu es nouvelle, je parie que nous allons tous essayer de te traumatiser avec les pires gages de la création.

Hanyû

— ... Alors comme ça, désormais, je n'aurai plus à regarder simplement les gens s'amuser joyeusement ?

Rika

— Hanyû, on ne va pas à une fête pour regarder les autres s'amuser. On y va pour y participer !