Après s'être repliés, les chiens de montagne recomposèrent leurs troupes et modifièrent leurs équipes.
Ils avaient passé en revue leurs stratégies et se tenaient déjà prêts à repasser à l'attaque.
Bien entendu, en apprenant qu'ils avaient récupéré R et qu'ils l'avaient relaissée filer, Takano piqua une crise de nerfs.
Elle donna l'ordre d'envoyer toutes les troupes disponibles à sa recherche.
C'était la raison pour laquelle, en ce moment, tous les véhicules des chiens de montagne se trouvaient devant la clinique, et tous leurs hommes attendaient nerveusement le signal du départ.
Mais Takano n'était pas la seule à avoir piqué une crise de nerfs.
Okonogi aussi.
Il ne pouvait accepter d'avoir perdu contre un homme qui, il y a cinq ans, était encore un débutant qui ne savait rien à rien.
Dans son regard brûlait des flammes, qui lui donnaient une soif de vengeance inextinguible.
L'ordre d'attaque avait été temporairement gelé, car le signal de l'émetteur caché sur le docteur Irie avait disparu.
Après y avoir réfléchi, il fut considéré que ce n'était non pas dû à une destruction de l'émetteur, mais simplement au fait qu'il avait dû descendre plus profond dans le sol.
Il paraissait normal de considérer qu'il était rentré à nouveau dans le bâtiment souterrain, et qu'il avait utilisé une sortie secrète.
Mais celle-ci finirait bien par le faire revenir à la surface,
à un moment ou à un autre.
Les chiens de montagne n'avaient plus qu'à attendre de capter à nouveau le signal, et ils iraient le cueillir là-bas.
Les habitants du village étaient presque tous occupés à préparer la fête, donc personne ne remarquait rien de ce qu'il se passait.
La preuve, les chiens de montagne avaient déjà coupé toutes les lignes téléphoniques, et ça n'avait l'air de déranger personne.
Ils avaient surtout fait cela pour empêcher quiconque d'appeler la Police.
Ils avaient ensuite placé discrètement une équipe pour surveiller et éventuellement bloquer l'unique chemin qui reliait Hinamizawa au reste du monde.
R et ses complices finiraient bien par remonter à la surface.
Ils ne comptaient tout de même pas rester à se terrer dans le bâtiment en sous-sol ?
De toute manière, ils avaient besoin de Tomitake, et Tomitake était à la clinique, bien au chaud.
Ils pouvaient éventuellement vouloir le délivrer, mais il était inconcevable de voir des enfants essayer de prendre leur Quartier Général de force, surtout avec tous les effectifs en présence.
Non, ils essaieraient certainement de quitter le village discrètement, à pieds, par exemple.
Une fois la prochaine ville atteinte, ils pourraient appeler à l'aide, la Police, entre autres.
Quelques véhicules patrouillaient un peu partout dans le village, essayant de récupérer le signal du mouchard d'Irie. Mais les hommes gardaient aussi les yeux rivés sur leurs jumelles, pour le cas où ils apercevraient les silhouettes des fugitifs.
Pour l'instant, ils devaient simplement attendre.
Les compteurs étaient remis à zéro, et aucun des deux adversaires n'avait d'avantage décisif...
— Ici Alouette des champs 2, au rapport.
Rien à signaler.
— ... Ils ne pourront pas retenir leur respiration indéfiniment.
Ne paniquez pas, nous n'avons qu'à attendre, ils viendront à nous.
... Au fait, elle fait quoi, notre princesse ?
— Elle est en train d'interroger le lieutenant Tomitake.
Je pense qu'elle essaie de l'acheter.
— ... C'est une bonne idée de sa part, parce qu'au point où on en est, il va nous falloir le concours de l'agent de contrôle pour garder nos têtes intactes.
On a eu de la chance de l'avoir vivant.
Éhéhéhé...
Raah, sans la princesse sur mon dos et le téléphone dans les oreilles, c'est le pied !
Je vais enfin pouvoir réfléchir tranquillement...
— Chef, on a une communication radio de Tôkyô.
C'est Mme Nomura, mais elle désire vous parler à vous et non au commandant.
— Purée, c'est pas possible.
Qu'est-ce que la reine peut bien me vouloir, maintenant ?
... Ici Okonogi.
À vous.
Tomitake était enfermé dans une salle minuscule, qui ne pouvait contenir qu'à peine quatre personnes.
Il était allongé au sol, sous le bureau.
On l'avait tant et si bien attaché qu'il ne pouvait même pas gigoter.
Takano était assise sur une chaise, en retrait. Elle regardait vaguement le tableau blanc devant elle.
Celui-ci affichait un plan financier et une liste de choses à faire pour s'accomoder des coupes budgétaires.
Takano ne les lisait pas vraiment, en fait. Elle était simplement là, à regarder un peu dans le vague.
Elle ne disait rien. Tomitake non plus. La salle de réunion était parfaitement silencieuse.
— ... Bientôt 11h.
Cette journée va vraiment être très longue, j'ai l'impression.
J'ai été tirée du lit tellement tôt... mais nous n'en sommes même pas encore à la moitié.
— ...... ...
Tomitake ne répondit rien.
— ... Jirô, je...
Est-ce que tu ne veux pas nous aider ?
— ... ...
— ... Je n'ai pas besoin des chiens de montagne.
Mais par contre, j'ai besoin de toi.
Les chiens de montagne ne peuvent pas me remonter le moral ou me rassurer.
... Par contre, toi, tu y arrives. J'ai fini par comprendre que c'était ton attitude si égoïste qui me faisait cet effet-là.
Tu savais ce que tu faisais, hein ? Tu le faisais exprès ?
Tu savais que ça ne servirait à rien de me donner ta pitié.
Tu as préféré me changer les idées, de force.
C'est pour ça que tu m'invitais tout le temps,
n'est-ce pas ?
— ... ... ...
— Jirô, ce n'est pas le commandant de l'armée de terre qui te parle.
Miyo Takano -- la femme -- a des questions à poser à l'homme qu'est Jirô Tomitake.
Tu veux bien répondre ?
— ... Les prisonniers ne doivent jamais parler, sauf pour décliner leur nom, leur grade et leur matricule.
Takano baissa le regard, déçue.
— ... Je suis désolée, mais je n'ai pas les clefs des menottes.
Pardon.
— Bah, c'est rien.
C'est pas la fin du monde, non plus.
— Tu... tu veux peut-être
un café ?
— Non, merci.
Je serais pas capable d'aller aux toilettes tout seul dans cet état-là, et j'ai pas exactement envie de te demander de m'aider.
La conversation était inutile au possible, mais Takano était heureuse. Jirô lui répondait.
Bon, bien sûr, tout cela ne réglait pas le problème, mais bon...
— ... Si tu veux me tuer, c'est pas grave, hein.
Je m'y suis préparé quand les chiens de montagne me sont tombés dessus.
— ... ...
Tant mieux.
J'avais l'intention de te tuer, tard ce soir.
— Alors effectivement, tant mieux.
J'aurais pas fait tout ça pour rien.
— ... ... Dis-moi...
tu n'as pas envie de vivre ?
Si tu me jures de m'aider, je peux te laisser la vie sauve, tu sais ?
Mes supérieurs disent que tu n'en vaux pas la peine, ils veulent te supprimer, mais...
je peux faire quelque chose contre ça.
— ... Quand tu parles de tes supérieurs,
tu parles de qui ?
— Je ne sais pas.
Leur agent de contact s'appelle Mme Nomura, enfin, c'est ce qu'elle dit. J'imagine bien que c'est un faux nom.
Je ne sais pas trop qui elle est exactement.
— ... Mais pourtant, tu as dû au moins lui parler suffisamment souvent pour savoir que tu pouvais t'associer avec elle ?
— Non, j'ai juste discuté avec elle, quelques fois.
... Tu sais, quand j'y pense, j'aurais dû voir qu'elle voulait juste se servir de moi.
Mais...
Je ne sais pas, sur le coup...
j'avais l'impression qu'elle...
Que c'était la seule personne à me comprendre et à vouloir m'aider.
— ... Oui, je vois ce que tu veux dire.
J'ai bien vu à une époque que tu avais grandement besoin d'aide.
— ... ... ...
— À l'époque...
je me suis dit que ce serait bien si je pouvais être à tes côtés pour t'aider.
— ... Tu avais raison de penser cela.
Si je t'avais remarqué, nous n'en serions pas là aujourd'hui.
— ... ... ... Tu sais, Miyo...
Personne n'est encore mort.
— C'est vrai. Mais c'est parce que je compte commencer à tuer seulement ce soir.
— Je sais qu'il y a une faction qui te soutient à Tôkyô, et une autre qui s'oppose à elle, mais je sais aussi qu'ils ont presque tous intérêt à ce que les choses ne s'ébruitent pas et ne se sachent pas.
Je suppose que tu crois qu'il est trop tard et que tout est perdu, mais ce n'est pas vrai.
On peut encore tout faire arrêter
et dire qu'il ne s'est rien passé.
— ... C'est comme ça que...
que vous ferez pour faire disparaître les recherches de mon grand-père, n'est-ce pas ?
— ... ...Miyo.
Qu'est-ce que tu voulais, au juste ? Qu'est-ce qu'il t'aurait fallu pour être contente ?
Takano ferma les yeux un bref instant.
Elle revoyait la thèse de son grand-père par terre, salie par des traces de pas.
Elle aurait voulu voir des gens bien plus importants reprendre cette thèse en mains et la lire avec le plus grand sérieux.
Mme Nomura pouvait lui exaucer ce vœu.
Lorsque l'opération finale commencerait, elle irait donner aux hommes les plus puissants de ce pays une copie de cette thèse,
et eux se baseraient dessus pour ordonner l'application des consignes d'urgence.
... Mais si cela arrivait, il n'y aurait plus rien à faire, plus personne ne pourrait revenir en arrière.
Et pourtant, en même temps, cela créerait une catastrophe sans précédent, quelque chose de fort, qui resterait dans les annales. Une trace indélébile que les thèses de son grand-père avaient été prises au sérieux.
— ... Alors avec ça, tu seras satisfaite ?
— ... Oui.
Je serai satisfaite.
Parce que c'est un peu...
la raison pour laquelle j'ai pris le nom de Miyo Takano.
— Ah, oui, tu m'en avais parlé.
Et donc après cette opération, tu disparaîtras ?
Quand Miyo Takano aura accompli ce qu'elle voulait faire, elle disparaîtra de la surface de la Terre ? J'imagine que tu vas reprendre ton nom d'origine.
Tu redeviendras
Miyoko Tanashi.
... C'était bien ça, ton nom, à la naissance ?
Takano tourna la tête et ferma les yeux, surprise d'entendre son vrai nom prononcé sans crier gare.
— ... Oui.
Bientôt,
je redeviendrai Miyoko Tanashi.
— Miyoko Tanashi a perdu ses parents étant très jeune.
Elle a été envoyée à l'orphelinat.
... Elle a subi des maltraitances là-bas, et elle y est morte. C'est ce que tu m'as dit, je ne l'invente pas.
— ... Non, effectivement, tu n'inventes rien, c'est bien comme ça que je te l'ai raconté.
... Je vais devoir retourner dans la cage où ils m'avaient enfermée ce jour-là.
Tu as eu droit à cette punition quand tu étais plus jeune,Jirô ?
La punition dont elle parlait était tellement...
écœurante, répugnante...
tellement indigne d'un être humain...
qu'il y avait vraiment de quoi se poser des questions sur la santé mentale des gens qui la subissaient, et aussi de ceux qui l'appliquaient !
— Je retournerai dans cette cage, et cette fois-ci, grand-père ne sera pas là pour me sauver.
Et comme du coup, je mourrai,
eh bien, je ne pourrai plus fonder l'Institut Irie,
je ne serai plus là.
Je ne me perdrai plus dans cette impasse.
— ... Tu…
Tu as l'intention de mourir, alors ?
— Disons que... on m'a promis beaucoup de choses si l'opération se passe bien,
mais je n'y crois pas vraiment.
Je pense qu'un matin, à la gare, quelqu'un m'aidera à aller faire la bise à un train lancé à pleine vitesse...
— Et... Il n'y a personne à qui tu pourrais parler ? Te confier ?
— Non, un donneur d'ordres est un donneur d'ordres, tu sais.
Ce n'est pas mon ami.
Même si les chiens de montagne... eux sont plutôt mes amis, oui.
Il faut dire qu'avec les sommes que je leur ai données, ils ont de quoi être motivés...
— Mais tu ne peux pas te confier à eux, n'est-ce pas ?
— ... ... ...
Ils sont de mon côté, c'est tout ce qui compte.
Ils t'ont enlevé, et ils essaient de retrouver R en ce moment.
Ils me rendent service.
— Certes, Miyo,
mais ce n'est pas de ce genre d'aide dont tu as besoin.
— Non, effectivement.
Ce n'est pas de ce genre d'aide dont j'ai besoin en ce moment.
Takano se tut.
Tomitake avait l'air de savoir exactement ce qu'elle voulait dire, aussi le laissait-elle faire.
Depuis le jour de sa disparition, j'ai commencé à devenir très nerveuse.
Je dois bien avouer que
j'ai vraiment besoin
de sa présence...
— ... Jirô, je...
J'ai acheté les chiens de montagne avec quelques centaines de millions.
Il me reste encore un peu d'argent de côté.
À partir de quelle somme est-ce que je peux compter sur ton aide ?
— ... Demande-toi quel est le prix que tu serais prête à mettre pour obtenir la chose qui te tient le plus à cœur au monde.
— ... ... Oooh, le vilain petit m'as-tu-vu.
Tu veux dire que je ne pourrai pas t'acheter ?
— Abandonne, Miyo.
Tu as peut-être dressé les chiens de montagne, mais moi, tu ne m'auras pas au bout de la laisse.
— Mais justement, Jirô, je suis prête à payer n'importe quoi pour t'avoir toi.
Si tu le désires...
je peux te payer avec autre chose que de l'argent.
Dis-moi ton prix, et tu l'auras.
Et si c'est moi que tu veux, je suis d'accord.
Tu veux faire de moi une chienne ? Une chose ? Une esclave ? Sans hésiter, Jirô.
... Est-ce que ça te conviendrait ? Ou bien n'est-ce toujours pas assez ?
Tomitake ne répondit plus rien.
Son silence ne voulait pas dire “oui”.
Il ne voulait tout simplement plus lui parler.
Ce qui était la pire des réponses.
— Et si je... Si je me lève tous les matins avant toi... pour préparer notre petit-déjeuner ?
Si je viens à tous nos rendez-vous avec 25 minutes d'avance ?
Si je te promets de ne plus jamais me moquer de toi ?
... Est-ce que...
Est-ce que ta réponse est toujours non ?
Jirô ?
Tomitake resta plongé dans son mutisme.
Il ne pouvait pas voir l'expression sur le visage du commandant, mais rien qu'à l'entendre, il pouvait s'en faire sa petite idée.
Et c'est peut-être pour cela qu'il préféra se murer dans le silence.
Parce qu'il savait que tout ce qu'il dirait la ferait souffrir.
C'était la seule attention qu'il pouvait lui accorder...
La sonnerie de la ligne interne du téléphone vint briser le silence.
Takano se moucha précipitamment, puis fit comme une sorte de vocalise, pour retrouver une voix ferme et normale. Alors seulement, elle décrocha le combiné.
— Ici Takano.
... Je vois.
D'accord.
J'arrive.
Elle reposa le combiné sur son socle et se leva.
— Ils ont trouvé R.
Elle est près de l'endroit d'où provient le signal de l'émetteur caché sur Irie.
Apparemment, ils ont su que la route était coupée, ils sont dans la montagne. J'imagine qu'ils veulent rejoindre une autre ville en faisant le tour.
Ce ne sera pas facile de faire la battue dans la montagne, mais au moins, nous n'aurons aucun témoin pour nous gêner.
... Bon, eh bien, je vais y aller. Adieu, Jirô.
Je pense que je n'aurai plus l'occasion de faire la conversation avec toi.
... J'avais naïvement espéré que tu dirais certaines choses aujourd'hui. C'est dommage. C'est vraiment dommage.
Le silence se prolongea -- Tomitake semblait décidé mordicus à se taire à jamais.
Takano sortit de la pièce d'un pas très rapide.
Et ce n'était apparemment pas par conscience du devoir qui l'appelait en urgence dans la salle de contrôle.
— Nous avons tout d'abord retrouvé leur trace dans un coin de la montagne, lorsqu'ils ont essayé d'entrer dans un village.
Peut-être ont-ils simplement essayé de demander de l'aide, mais notre véhicule de surveillance est arrivé. Nos hommes ont vu R et quelques uns de ses amis et se sont lancés à leurs trousses.
Nous avons pu constater qu'au début, R n'était pas dans le même groupe de fuyards que le docteur Irie, mais elle a fini par rejoindre son signal sur notre radar. Ils sont ensemble, dans la montagne.
— Alors ils se sont tous séparés pour se retrouver à un point de chute par la suite ?
— Exactement. Je pense qu'ils s'étaient passé le mot pour utiliser chacun un chemin différent et nous forcer à séparer nos équipes.
Et ils se sont dit que de toute façon, ils connaissaient la montagne mieux que nous.
... Et puis de toute manière, si la végétation est abondante, nos armes à feu ne seront plus aussi efficaces.
C'est sûrement leur champion de karaté qui les a emmenés là-bas...
Okonogi se répétait à lui-même que cette fois-ci, il les aurait. Sa défaite de ce matin avait l'air de l'avoir beaucoup perturbé.
— Nous n'avons plus droit à l'erreur !
S'ils entrent à Hinamizawa, ce n'est pas tant le problème, mais s'ils atteignent Okinomiya, nous sommes foutus !
— Oui, je le sais bien !
Surtout qu'ils ont l'avantage du terrain, donc si nous hésitons, nous ne les aurons plus. Il va falloir employer les grands moyens.
Je vais prendre toutes les équipes et nous allons passer en force.
Vous m'avez entendu ?
Imaginez que c'est un match de foot.
Nos adversaires sont dans la surface de réparation,
et nos cages à but sont la ville d'Okinomiya.
Nous devons les défendre à n'importe quel prix !
Si vous trouvez leur champion de karaté, prévenez-moi !
Je veux le tuer moi-même !
— Phénix, bien reçu.
— Bouscarle Chanteuse, bien reçu.
— Alouette des champs, bien reçu.
— Aigrette, bien reçu.
— Allez, on y va, ce sera une bataille de grande envergure !
Vous êtes prévenus, si nous ratons notre coup, nous avons perdu !
— Vous l'avez entendu ? C'est notre dernière chance.
Je vais venir pour prendre le commandement, moi aussi !
... Je peux laisser Tomitake ici ?
— Pas de souci, Madame.
Nous avons huit gardes lourdement armés pour garder la clinique.
Ils pourront tenir, même si l'ennemi venait avec le double d'effectifs.
Non, le plus gros problème, c'est leur combattant. Il est très, très fort, et il est aguerri aux situations dangereuses.
Nous ne devons surtout pas le sous-estimer.
Okonogi avait pleine confiance dans les troupes armées qui assuraient la sécurité de la clinique.
Ils constituaient l'élite de ses troupes, et avaient droit au meilleur équipement, pour leur permettre de mener à bien leur mission.
Mais c'est cette confiance en ses troupes, couplée à sa haine furieuse envers Akasaka, qui permit à la manœuvre de diversion de faire mouche.
Bien sûr, cela signifiait un danger d'autant plus grands pour les membres du club de l'école de Hinamizawa.
Les camionnettes blanches des chiens de montagne se lancèrent l'une après l'autre sur les chemins du village.
En plein air, ils n'avaient pas le droit de tirer, mais ils avaient une arme de secours : une sorte de tazer avec un filin. Sa portée était très limitée, mais il était encore plus puissant qu'un pistolet incapacitant.
Cette arme leur servait à maîtriser n'importe quelle cible, mais pour cela, ils devaient être très près.
Par contre, de par sa puissance, son efficacité, et la possibilité de décider d'un coup de molette si l'attaque devait incapaciter l'ennemi ou le tuer, ils avaient une arme parfaite pour eux, car en plus, elle ne faisait aucun bruit.
Les hommes se séparèrent selon leur unité, prirent des véhicules, et partirent immédiatement pour les flancs luxurieux de la montagne.
Ils avaient l'intention de coincer les fuyards dans un périmètre très limité et de leur tomber dessus à bras raccourcis.
— Chef, toutes les équipes sont en position !
— Merci les gars, vous êtes très rapides, c'est du bon boulot.
Mon Commandant, je vous en prie, ils sont à vous.
— ... Ici Takano.
Votre seule mission importante est d'attraper R et de la ramener ici vivante.
Vous pouvez tuer tous les autres, je m'en fiche !
Ne les laissez pas quitter la montagne.
Nous devons en finir ici, maintenant, une fois pour toutes !
— Bouscarle Chanteuse, Alouette des champs, Aigrette, vous pouvez commencer.
Phénix, vous serez le gardien de but et vos hommes seront les remplaçants si nécessaire.
Tenez-vous prêts à intervenir.
— Ici Phénix 7, bien reçu.
— Allez les gars, c'est parti !
Les hommes des chiens de montagne formaient une longue ligne, chaque agent étant séparé de l'autre par seulement quelques mètres. Tout la ligne se mit marche, et commença à ratisser le coin.
L'endroit n'était pas habité, et d'ailleurs, d'habitude, il n'y avait personne par ici, les habitants du coin ne s'y promenaient pas.
Il y avait bien quelques sentiers que l'on pouvait emprunter, mais aucune voie carrossable.
Pour passer la région au peigne fin, il fallait être prudent, assidu, et surtout, très patient.
La nervosité se lisait sur tous les visages.
Bien sûr, la plupart des cibles recherchées étaient des enfants, mais ils avaient aussi quelques adultes avec eux, dont au moins deux très entraînés au combat.
Ils étaient probablement en possession de quelques armes lourdes et connaissaient le terrain comme leur poche. L'affrontement promettait d'être rude...
— ... Dites-moi, Okonogi,
une battue en montagne, d'habitude, ça nécessite combien de personnes ?
— C'est pas une science exacte, mais enfin, pour faire simple, plus on est, mieux c'est.
Là, même avec tous les hommes sur le terrain, nous sommes très loin du compte.
— De toute façon, ils ne sont pas nombreux non plus, donc ce n'est pas un désavantage, j'imagine ?
Vous savez ce qu'on dit,
il faut trois fois plus d'attaquants que de défenseurs en face pour percer les lignes ennemies.
Nous avons bien plus que cela !
— Peut-être qu'à une grande échelle, ce genre d'équations peut s'appliquer,
mais dans de petits conflits et dans les guérillas, c'est une autre histoire.
Regardez ce qu'il s'est passé au Viêt Nam, je crois que les choses parlent d'elles-mêmes.
— ... Alors nous allons avoir du mal, c'est bien ça ?
À votre avis, Okonogi, il nous faudrait combien d'effectifs ?
— Ahahahaha,
quoi, en théorie, avec tout ce que je veux ?
— Je ne sais pas trop ce que vous voulez dire par “avec tout ce que je veux”, mais disons, en théorie, ce qu'il serait normal d'envoyer comme troupes.
— Il suffit de penser à l'attaque de ce matin pour comprendre qu'en face, ils ont quelqu'un de très doué qui s'occupe de leurs stratégies.
Ils ont aussi au minimum deux membres experts dans le maniement des armes.
Et un expert au combat rapproché.
— ... Admettons. Mais le reste, ce ne sont que des enfants !
— Oui, ce ne sont que des enfants, mais selon toute vraisemblance, ce sont eux qui ont choisi de venir ici, ce qui veut dire qu'ils connaissent le coin comme leur poche.
Un seul enfant qui sait où il met les pieds vaut tout autant qu'une équipe de soldats qui se déplace en terrain inconnu.
Vous les prenez de haut, mais croyez-moi, la situation est beaucoup plus compliquée que vous ne semblez le croire, Mon Commandant.
— ... Mais alors, il faudrait combien d'hommes pour les arrêter ?
— Une division de fantassins de montagne.
Pour vous donner une idée, les chiens de montagne sont une compagnie. Vous en mettez trois ensemble et ça vous donne un bataillon. Vous mettez quelques bataillons ensemble, et on parle de régiment.
Et si vous mettez quelques régiments ensemble, là, vous avez une division.
— ... Vous êtes sérieux ? Il faudrait trente fois plus d'effectifs ?!
— Surtout, il ne faudrait pas que des hommes, en fait.
Il nous faudrait une force de frappe pour pilonner les positions sur la montagne.
Et si nous pouvions avoir un soutien aérien, un Phantom pour déverser du napalm, ce serait quand même bien pratique.
— Mais enfin, c'est de la folie pure, où veux-tu trouver de telles ressources ici ?!
Mais alors, on va faire quoi, nous ? On les trouvera jamais !
— Bah, disons que ce sera pas facile, mais on fera avec !
Éhéhéhé, ahahahahaha !
Le rire d'Okonogi en disait long.
“Ce sera pas facile”, mais lui était persuadé qu'il serait capable d'y arriver...
— Ils sont en terrain connu, mais ils n'y sont que depuis quelques minutes.
Normalement, ils n'ont aucune position renforcée, et n'ont pu placer que très peu de pièges.
Ce n'est pas en quelques minutes que l'on peut réellement tirer parti d'un terrain, même en le connaissant bien.
— ... ... ...
En entendant cela, Takano eut des frissons de peur dans le dos.
Il y a bien longtemps,
quand elle faisait semblant de se soucier de Satoko et qu'elle était gentille avec elle,
celle-ci lui avait raconté pas mal de choses pour se vanter...
Comme quoi elle avait tendu des tas et des tas de pièges dans la montagne,
que c'était sa base secrète et que personne ne pouvait y pénétrer...
Quand elle avait dit “la montagne”, elle avait parlé de quel coin au juste ?
— Ici Alouette des champs, nous apercevons quelques cibles.
R n'est pas avec elles.
Sommes à leur poursuite !
— Cela pourra toujours servir de les avoir en otages.
Saisissez-les !
— Bouscarle Chanteuse, vous avez entendu ?
Allez les aider, essayez de barrer la route aux fuyards !
— Bouscarle Chanteuse, bien reçu. Nous y allons en renfort.
— Héhéhéhéhé...
Ouais, bien sûr,
forcément qu'ils veulent leur barrer la route, ça paraît logique...
En haut d'un énorme cèdre sur lequel s'apposait un tronc d'arbre mort, quelques plaques de contreplaqué formaient une toute petite pièce.
C'était l'une des cabanes secrètes que Satoko avait construites un peu partout dans la montagne --
il faut dire que les deux arbres formaient une tour d'observation naturelle.
Mion avait besoin d'un point de vantage pour observer le terrain, et Satoko l'avait dirigée ici.
— C'est dingue, n'empêche,
ils font tout comme tu l'avais prévu !
— Bien, bien, bien. Voyons maintenant combien de temps ils vont tenir face à nous !
— Tu... Tu crois que nous avons une chance de gagner ?
Tu crois ?
— Éhhéhhéhhé !
Oh oui, clairement, qu'est-ce que tu racontes ?
Ils ont un incapable à leur tête, en face.
S'ils voulaient vraiment nous déloger de cette montagne, il leur faudrait probablement une division de fantassins entraînés en montagne !
Mais regarde-les, ils ont quoi, une compagnie ?
Faut pas se foutre de la gueule du monde, eh !
Je me demande combien d'entre eux retourneront au bercail sans être blessés...
— Aaaah, saloperie !
Ici Alouette des champs 4, j'ai été attaqué !
Ne les laissez pas fuir !
Ils ont fait rouler plusieurs troncs en notre direction !
Alouette des champs 6 est gravement blessé à la cheville, il ne peut plus les poursuivre !
Je continue avec le reste de mes hommes !
— Ahahahahaha, ne les laissez pas partir.
Suivez-les encore et encore, ne les laissez pas reprendre leur souffle !
— Ici Alouette des champs 11, j'ai évité un piège de justesse !
Alouette des champs 12 et 13 m'ont l'air d'avoir perdu connaissance !
S'ils avaient eu moins de chance dans leur chute, ils seraient morts !
— Aaaaah! Ici Alouette des champs 16 !
Je suis bloqué dans un piège,
j'ai la jambe prise dans un filin.
Impossible de le couper avec le couteau de survie !
Ramenez-moi un vrai cutter !
Les messages de détresse se mirent à fleurir sur les ondes radio.
Okonogi se rendit compte que finalement, les chiens de montagne n'étaient vraiment pas à leur avantage...
— Ici Bouscarle Chanteuse 10 !
Ces salopards ont transformé des trous de loup !
Deux agents sont tombés dedans et ne peuvent plus en sortir !
Amenez des renforts !
EEEEh !
Aaah, non, noooon !
— Bouscarle Chanteuse 10, répondez !
RÉPONDEZ !
— …
Ici Bouscarle Chanteuse 10, je me suis fait avoir.
Ils m'ont poussé dans le trou aussi.
Nous sommes donc trois ici, Bouscarle Chanteuse 9, 10 et 11.
Aucun blessé, mais nous sommes pris au piège et nous ne pouvons pas en ressortir !
— Quartier Général à Bouscarle Chanteuse, vos renforts se sont fait attaquer eux aussi.
L'ennemi peut prédire vos déplacements !
Faites attention !
— Ici Bouscarle Chanteuse 1.
Demande d'informations ! Pourquoi est-ce que l'ennemi connaît nos déplacements ?!
Il n'y a aucun drone en vue !
— Alouette des champs 1 au Quartier Général,
nous les avons perdus de vue ! Devons abandonner les poursuites !
Bordel de merde, c'est truffé de pièges, ici, on n'y arrivera jamais !
Non mais vous avez vu le nombre d'agents qu'on a perdus sur une si petite distance ?
— Aigrette 1 au Quartier Général, avons aperçu R et quelques autres.
Sommes à leur poursuite.
Envoyez-nous des renforts !
— Héhéhéhé,
les petits salopards, ils se sont séparés !
Ils veulent entraîner de petits groupes d'agents dans des zones piégées pour nous éliminer petit à petit !
Aigrette 1, faites attention !
Ils vont vous emmener en terrain dangereux !
L'ennemi utilise des stratégies de guérilla, ils vont faire des diversions et des attaques surprises sur toutes les unités isolées !
Ce ne sont pas des débutants !
Il y a déjà pas mal de pertes dans les autres équipes,
alors prudence !
Redoublez de vigilance, Aigrette 1 !
... Aigrette 1 ?
— Ici Aigrette 2,
Aigrette 1 est pris au piège !
Que quelqu'un aille couper la corde qui le maintient en l'air !
Les autres, passez à l'attaque, ne laissez pas R s'échapper !
— Ici Bouscarle Chanteuse 1,
je n'ai plus de contact avec Bouscarle Chanteuse 7 et ses compagnons.
Ils ont dû être attaqués.
Demande l'autorisation d'envoyer des renforts !
— Ici Aigrette 5, j'ai trois agents qui ont été assommés par des barils en tôle !
Où est-ce que vous nous avez envoyés, bon sang ?!
Y en a encore beaucoup, des pièges comme ceux-là ?!
— I... Ici Alouette des champs 13.
Aigrette 5 s'est fait attaquer, il ne se relève plus.
... Ah !
J'en ai trouvé une !
Je la poursuis !
Espèce de sale gamine de merde, tu vas voir ce que tu vas voir !
— Arrête, numéro 13 !
Tu n'es pas à la hauteur !
— Oooohhohhohho !
Eh bien, eh bien, venez donc me chercher !!
— Saloperie de moufton de merde !
Reviens ici tout de suite !
Satoko courait en se retournant de temps en temps, l'agent Alouette des champs 13 derrière elle -- lui, par contre, avait les traits déformés par la colère.
Il était très grand et se faisait griffer au visage par toutes les branches du coin.
Mais il serrait les dents et continuait la poursuite.
Curieusement, Satoko n'avait pas l'air de fuir aussi vite que possible.
C'était comme si elle courait dans son jardin, pour s'amuser.
Forcément, dans un jardin, on ne pouvait pas se faire mal !
Alors que l'agent 13 la coursait, il vit sur les côtés plusieurs autres agents à terre, qui pris dans un piège, qui attaché, qui sans connaissance.
Et plus la poursuite continuait, plus le nombre d'agents blessés augmentait...
Est-ce que c'était réellement une simple gamine qu'il était en train de suivre ?
C'était pas plutôt un monstre sanguinaire ?
Il arriva dans une sorte de clairière, avec des troncs coupés rangés sur le côté, comme si l'endroit servait à une exploitation forestière.
Et là, il vit un spectacle pour le moins anormal.
Il y avait un agent d'une autre équipe pendu par un pied à un arbre, et aussi, un peu plus loin, des bottes qui dépassaient d'un trou -- sûrement des agents tombés tête la première dans un trou de loup.
Il put encore voir un homme qui avait le pied attaché avec des menottes à une grosse racine, et qui faisait tout pour se dégager.
... Et puis, plus loin encore, un cercle bien dégagé, comme une place.
Il se mit à transpirer de partout, la gêne et la peur évidentes sur le visage.
Elle est en train de m'attirer dans un piège,
ça se sent à plein nez.
Elle va réussir à m'avoir !
Satoko s'arrêta alors nonchalamment de courir et alla se positionner sur une souche, bien en évidence, au milieu. Elle se retourna et décocha un sourire moqueur à celui qui l'avait poursuivie.
Et en plus, elle se fout de ma gueule !
— Ici Alouette des champs 13 !
J'ai réussi à coincer l'une des cibles dans une petite clairière !
Je vais l'attraper, elle va voir ce qu'elle va voir !
— Ici Bouscarle Chanteuse 7, c'est moi qui suis pendu par les pieds, derrière toi !
Ne te laisse pas avoir, c'est pas une simple gamine, ça doit être un déguisement !
Tous ceux qui l'ont pourchassée ne sont plus en état de se battre !
— Alouette des champs 13, ici le Quartier Général !
C'est très bien, restez où vous êtes
et attendez les renforts !
Je vais vous envoyer les unités les plus proches de votre position !
— Oooohhohhohho !
Eh bien alors, jeune homme, que vous arrive-t-il ?
Si vous voulez vous emparer de moi, il vous reste encore 10m, ce me semble ?
Ouais, il reste 10m.
Si je réussis à faire ces 10m, je peux la choper et lui tordre le cou !
Il me faut combien de pas pour faire dix tout petits mètres ?
Disons qu'il me faudra dix pas. Donc je vais devoir prendre dix fois le risque de me faire avoir par un piège pour atteindre la souche...
Mais bon, ce ne sont que dix pas !
En dix pas, je peux mettre un terme à tout ça !
— Puisque vous en semblez si persuadé, faites donc, je vous en prie !
Allons, allons, commencez par faire un premier pas !
— Pu…
tain de merde !
Où est-ce que je pose mon pied pour le premier pas ?
L'herbe cache quelque chose, c'est sûr.
Mais la zone de terre à nue sent le piège aussi...
Est-ce que je peux passer par les autres souches ?
Non, surtout pas !
C'est ça qu'elle essaye de faire ! Elle veut me faire emprunter les souches !
Rah, saloperie de gouttes de sueur de merde, c'est pas le moment...
Il me reste dix petits pas de rien de tout, bordel de merde !
Pourquoi est-ce que j'ai déjà tellement peur avant d'avoir fait le premier ?!
— ... Alouette des champs 13, pour ce que ça vaut, de là où je suis, je ne vois rien d'anormal avec les souches.
Ce sont de vraies souches d'arbres, rien de plus.
— Arrête, Alouette des champs 13 !
Ici Bouscarle Chanteuse 8, c'est moi qui suis attaché à la racine.
Je te parie ce que tu veux que les souches sont piégées !
C'est pour ça qu'il y en a autant !
— Alouette des champs 13, tu m'entends ?
Ne passe pas dans les buissons !
Méfie-toi de l'herbe !
Et dis-toi bien qu'il y a des fosses là où la terre est à nu !
— Raaah, mais bordel de merde,
je fais quoi, alors ?
Je vais pas me mettre à voler dans les airs, quand même ?
— Jeune homme, vous ne voulez toujours pas venir ?
Je vais finir par me lasser et aller voir ailleurs, pressez-vous !
Oooohhohhohho !
— Euh... Ici Bouscarle Chanteuse 9, je suis pris au piège dans un trou, et... Euh, comment dire..
L'une des cibles
me caresse la tête
pour me consoler.
Elle me dit que l'endroit où tu te trouves est une zone entièrement piégée.
... Quoi ? ... ...
Apparemment,
c'est la petite fille qui attend sur la souche qui a tout mis en place, et c'est le piège dont elle est la plus fière.
Fais super gaffe à toi...
Ils se foutent de ma gueule ou quoi ? C'est son meilleur piège ?
Et ça veut dire quoi, hein ?!
Parce que tous les pièges que nous nous sommes pris, c'était de la merde, peut-être ?!
On est des pros, bordel, on est payés pour se battre contre n'importe qui !
On va quand même pas perdre contre une pisseuse au lit !
Faut arrêter de se foutre de la gueule du monde, à un moment, c'est du bluff, forcément !
Quel piège peut-elle avoir placé ici, hein ?
C'est du bluff, ça ne peut pas être autre chose !
Elle va voir, je vais prouver à tout le monde que tout ce qu'elle raconte, c'est du vent !
Alors, d'abord... à droite ?
Non, d'abord le pied gauche !
Alors Satoko tendit un bras vers l'avant, et écarta bien les doigts de la main.
... Halte là ? Que pouvait-elle vouloir dire ?
— ... Disons cinq pas.
— Cinq pas quoi ?!
— Si vous arrivez à faire cinq pas sans tomber dans un piège, vous aurez gagné.
— Ah ouais ?
Eh ben, t'es plutôt sûre de toi, dis voir...
Et si je les réussis, ces cinq pas, tu fais quoi, hein ?
— Eh bien, tout simplement,
je déclarerai forfait et je me constituerai prisonnière.
Mais j'ai le regret de vous informer qu'aujourd'hui, je suis en pleine forme.
Je pense avoir toutes les chances de vous éliminer d'ici là !
— Espèce de sale prétentieuse !
— Calme-toi, Alouette des champs 13, ne lui réponds pas !
— Te laisse pas avoir par son apparence, c'est un monstre, cette gamine !
Elle sait lire dans les pensées, tu pourras pas te mesurer à elle !
— Ici le Quartier Général !
Alouette des champs 13,
pas la peine d'en faire plus !
L'équipe de Bouscarle Chanteuse n'est plus très loin !
Attendez les renforts !
— Si…
Si je fais ça... c'est comme si j'avais perdu !
Cinq pas ?
Cinq pas et pas un de plus, hein ?
Va te faire foutre, je relève le défi !
C'est bien cinq pas, hein ? Juste cinq ?
— Ooh, il suffit ! Cessez donc de ressasser toujours les mêmes mots !
Si vous étiez en train de déclarer votre flamme, j'approuverais cette démarche, mais pour le reste, contentez-vous d'une seule remarque et gardez le silence !
— AaaaaaaAAAH, mais FERME-LA !
— Alouette des champs 13,
ne cédez pas à la colère, elle risque de pouvoir lire vos mouvements !
— ... OK, restons cool, restons zen.
Je suis l'agent numéro 13 de l'équipe d'alouette des champs, je suis pas le premier pelé venu.
Je suis froid et impassible, comme XIII et Golgo !
En réfléchissant calmement, je devrais trouver la solution.
... Oui, elle m'a embrouillé les pensées.
Elle a failli réussir à me faire croire que je devais absolument avancer de cinq pas !!
— ... Tiens donc ?
Et que voulez-vous dire par là ?
Héhéhéhéhé, je la tiens !
JE LA TIENS !
— Je ne dois pas avancer, mais reculer de cinq pas !
Ahahahaha, je l'ai eue, je l'ai eue, j'ai gagné !
C'était ça, le piège ! Elle m'a pris pour un con !
Mais moi, pour gagner, je n'ai qu'à FAIRE cinq pas, donc pas forcément vers l'avant !
Alors pourquoi prendre des risques inutiles ?! Autant reculer de cinq pas et rester en sécurité !
Ahahahaha, alors, hein ?
— ... Et c'est bien pour cela que je vous ai donné cinq pas !
— A-Alouette des champs 13 ne répond plus !
— Rah, la colère lui est montée à la tête !
Ces résultats extraordinaires n'étaient pas dus à un effort surhumain de la part de Satoko.
Elle avait simplement partagé sa connaissance du terrain avec Mion, qui lui avait donné des conseils en retour.
Elle avait noté sur une carte tous les pièges qu'elle avait posés.
Mion l'avait étudiée et s'en était servie pour définir les grandes lignes des manœuvres, et c'est cette alliance qui s'avérait si efficace !
Rika et Hanyû étaient, elles aussi, dans leur élément ici. Elles faisaient discrètement la liaison entre Mion, Rena et Keiichi, pour leur transmettre ordres et informations, puis se tapissaient dans l'ombre pour préparer des attaques surprises.
Les pièges n'étaient pas tous déclenchés par le passage des gens.
Il fallait parfois les déclencher à la main, en jaugeant à quel moment faire tomber un objet pour atteindre une cible donnée.
Keiichi et Rena, sur les indications de Mion, passèrent sans arrêt d'un type de mission à un autre, parfois en embuscade, parfois en allant frapper directement l'ennemi, pour réduire ses effectifs, lentement mais sûrement.
Alors bien sûr, ce furent les pièges de Satoko qui assurèrent le gros des dégâts, mais les attaques surprises de Keiichi se placèrent juste derrière.
En effet, en attaquant l'ennemi alors que celui-ci venait à peine d'éviter ou de se prendre un piège, on le prenait très facilement au dépourvu ; même un soldat entraîné avait du mal à réagir sur plusieurs fronts en si peu de temps.
L'être humain possède ce que l'on appelle un temps de réaction.
D'après les recherches de l'armée américaine, pour un soldat, ce temps est en moyenne de 15s.
Cela signifie en gros que n'importe qui reste vulnérable environ 15s après tout événement imprévu.
On peut réduire ce laps de temps avec un entraînement approprié -- ce qui était le cas pour les chiens de montagne, et c'était tout à leur honneur --
mais même raccourci, ce laps de temps ne peut pas être réduit à zéro !
Et puis, leurs transmissions radio étaient un facteur qui allongeait ce temps de réaction, parce que chaque message ou presque montrait la confusion, les soucis, la débandade des autres.
Plus ils en apprenaient sur la situation, moins elle était bonne, ce qui les rendait nerveux, forcément. À cause de ça, ils se déplaçaient plus lentement, plus prudemment, et réfléchissaient de moins en moins compliqué.
Et leur mental en piteux état permettait à Mion de les achever comme s'ils étaient déjà sur sa planche à découper.
— Mii !
Keiichi a encore frappé très fort !
Je vais pouvoir caresser la tête d'un autre agent ! Nipah☆!
— … Oh oui, oui !
Satoko aussi a réussi son coup !
Elle les a tous eus !
— Bien reçu.
Ça en fait cinq en moins sur cette attaque, hein ?
Éhhéhhé !
Alors, les gens, vous faites quoi, maintenant, hein ?
Le Front du Sud a perdu presque un tiers de ses hommes.
Vous allez devoir mettre deux soldats de chaque équipe pour vous occuper des blessés.
Du coup, il ne vous reste plus grand monde pour attaquer.
N'importe quel commandant ayant encore un peu de cervelle demanderait un repli !
— Ici Alouette des champs 1. Nous avons de nombreux blessés, nous sommes débordés !
Nous devons arrêter les poursuites,
nous n'avons pas le choix !
— Alouette des champs 1, je sais que vous avez perdu pas mal d'hommes, mais nous avons pu faire reculer l'ennemi dans une zone bien plus confinée !
Je ne tolèrerai aucun repli,
maintenez la ligne de front avec les effectifs valides !
— Aaaaaah, MERDE !
Alouette des champs 1 à toutes les unités,
le Quartier Général nous laisse crever !
Vérifiez vos armes et votre équipement, et tenez-vous prêts à repartir !
— Éhhéhhéhhé...
Sauf que Takano a complètement craqué son slip, et donc elle va refuser.
Et donc le commandant sur le terrain va reprendre les opérations, complètement dégoûté et démotivé.
Et c'est le meilleur moment pour leur taper dessus !
Rika !
Tu vas rejoindre Rena et vous allez les attirer dans la zone Z !
Les pièges là-bas sont pas piqués des hannetons.
Hanyû, va dire à Keiichi de se placer dans la zone X.
Éhhéhhéhhé, ça va être marrant... Ahahahahaha !
— Oh là là…
Mion a l'air dans une forme olympique !
— Si elle était née à une autre époque, son nom serait resté gravé dans l'Histoire.
— Aaaah,
les enfants, moi je dis, finalement, Nelson et Tôgô étaient pas si extraordinaires que ça !
Je sais déjà tout ce qu'il se passe dans les moindres recoins de la montagne ! Éhéhéhéh !
Mion était du genre à croître de manière exponentielle.
Quand elle déprimait, elle devenait une sorte de loque humaine, mais quand elle carburait, le résultat était sidérant !
C'était ça, le sang du clan fondateur du village ! Il faisait cet effet-là !
Si la Mion qui dirigeait aujourd'hui les opérations avait participé à une autre guerre historique -- n'importe laquelle, d'ailleurs -- elle aurait à chaque fois changé le cours de l'Histoire.
Si elle avait tenu avec Napoléon, la France irait de la mer d'Iroise au détroit de Béring.
Si elle avait tenu avec Hitler, l'Europe s'appellerait encore le IIIème Reich millénaire.
Mais le pire, en fait, dans tout ça, c'est qu'elle employait un talent de stratège phénoménal pour une simple manœuvre de diversion...
Comme Mion l'avait prévu, la perspective d'une battue en montagne à l'importance cruciale avait provoqué une grande confusion dans les rangs ennemis.
S'ils y avaient un peu réfléchi à tête reposée, ils se seraient rendu compte que personne n'avait encore vu un seul adulte dans les groupes aperçus depuis les véhicules d'observation.
Mais à cause des attaques qui s'enchaînaient les unes aux autres, personne n'avait eu le temps de le remarquer.
Bien évidemment, tout cela avait été calculé.
L'envergure de la manœuvre de diversion avait été choisie pour cacher l'existence d'un deuxième groupe prêt à passer à l'action. De plus, tous les résultats obtenus par cette diversion serait comme un tir d'appui pour aider l'équipe qui se chargeait d'exfiltrer Tomitake.
C'était pour cette raison que Mion avait choisi cette manière un peu m'as-tu-vu de provoquer l'ennemi.
Mais en même temps, c'était aussi un peu sa spécialité.
D'ailleurs, Mion avait changé ses plans. Elle ne voulait plus faire diversion :
elle comptait annihiler le gros des troupes des chiens de montagne directement sur le terrain.
Ce qui mettait en lumière l'avantage écrasant que donnait la connaissance du terrain.
C'était surtout à cause d'elle que les stratèges s'accordaient sur la proportion de 3 contre 1 pour déloger les défenseurs d'une position donnée.
Mais si l'on suivait ce raisonnement,
cela pouvait signifier que l'équipe partie délivrer Tomitake avait un gros désavantage.
Les quatre membres de l'équipe, le docteur Irie en tête, se cachaient dans la végétation aux abords de la clinique.
— Allons-y.
La caméra de surveillance installée de ce côté est actuellement cassée, et nous ne la ferons remplacer qu'avec l'argent du budget de l'année prochaine. Aucun risque.
— Ah ouais, carrément, on va y aller comme ça, au culot ?
Eh ben...
— Nos adversaires sont obnubilés par leur équipement de sécurité.
Je pense que nous ne risquons rien.
— Eh bien alors, en avant !
Nous allons commencer par longer les murs, mais jusqu'où irons-nous ? Derrière votre bureau ?
— Exact.
Je suis sorti sans fermer la fenêtre, et je parie qu'elle est encore ouverte.
En entrant par là, nous serons directement à côté de la porte de service. Juste là, il y a une caméra de surveillance, et il y a aussi le poste de garde des chiens de montagne. Aujourd'hui, ils sont deux au rez-de-chaussée.
Par contre, l'entrée à l'étage secret des laboratoires est surveillée par plusieurs caméras, notre entrée sera obligatoirement repérée.
— Donc avant d'entrer au sous-sol, on doit se farcir les deux de l'entrée de service.
Il faut être sûr de pouvoir s'enfuir en cas de pépin.
— D'accord, alors nous passons d'abord par la fenêtre de votre bureau et nous allons voir vos deux gardiens...
Suite aux recommandations d'Irie, le groupe courut se coller au mur extérieur, puis se mit à le longer prudemment, en marchant en canard, faisant très attention aux fenêtres, jusqu'à arriver sous la fenêtre du bureau du directeur.
Si un enfant les avait vus faire, il leur aurait sûrement posé des questions. Il aurait peut-être même voulu jouer avec eux.
... Heureusement qu'aujourd'hui, c'était un dimanche, et qu'il n'y avait pas de consultations.
Tout doucement, Irie osa un regard dans son bureau. La pièce était telle qu'il l'avait laissée.
La fenêtre était encore ouverte.
Le groupe armé se faufila dans la pièce.
Akasaka colla immédiatement l'oreille sur la porte du fond.
Il fit signe qu'il n'y avait personne.
Comme aujourd'hui, les civils ne venaient pas, il n'y avait ici que les membres des chiens de montagne.
Heureusement qu'aujourd'hui était un dimanche...
Les salles d'auscultation étaient calmes et désertes.
On n'entendait que le chant des grillons qui résonnait partout.
La montre sur le bureau du directeur indiquait pas tout à fait 11h30.
Shion entendit son ventre gargouiller et se dit que l'être humain était quand même une machine imperturbable, même dans les pires des situations.
Kasai et Akasaka inspectaient leurs armes respectives.
Irie, quant à lui, se leva pour sortir depuis une armoire fermée à clef un énorme tube portant en bleu les mentions de “plans d'architecte de la clinique Irie de Hinamizawa”.
— ... Regardez, la salle où nous sommes se trouve ici.
Là, vous avez la salle des gardes du rez-de-chaussée.
C'est tout de suite du côté en sortant.
Vous voyez comment j'ai placé ce crayon de papier rouge ? Il vous donne l'angle de vue couvert par la caméra de surveillance.
— Hmm, cela ne posera aucun problème.
Ce qui nous ramène à l'entrée au sous-sol...
— ... Voilà l'étage de nos laboratoires.
Là, vous avez l'entrée.
Officiellement, ici, c'est une cage d'escalier du personnel, pour se rendre à l'étage au-dessus, mais la porte qui mène au sous-sol y est cachée.
Elle mène à des escaliers, qui eux, mènent au sous-sol.
— Ça n'a pas dû être facile de construire un truc aussi énorme en sous-sol.
C'est beaucoup plus grand que la surface du rez-de-chaussée.
— En même temps, c'est le but principal de cet établissement. La clinique n'est qu'un leurre.
— Et donc, nous ne pourrons pas passer cette porte sans votre carte et sans vos codes.
Y a-t-il un risque qu'ils aient rendu votre carte caduque ?
Si jamais votre carte devait ne plus fonctionner, aurions-nous un moyen de l'ouvrir de force ?
— C'est une porte très épaisse. Elle sera scellée aux murs et nous noierons le bâtiment lorsque nous devrons effacer les traces de son existence.
— OK, donc c'est une porte hermétique.
Si elle doit supporter la pression de toute l'eau qui noiera le sous-sol... Elle est sûrement résistante à tout.
— Donc sans une carte qui marche, on peut lâcher l'affaire.
— Les cartes normales peuvent être effacées ou annulées, mais moi et Mme Takano avons des cartes spéciales.
Pour faire supprimer l'une ou l'autre, il faut que nous entrions tous les deux un mot de passe long comme le bras, donc nous pouvons considérer qu'ils ne sont pas en mesure de le faire de leur propre chef.
— Ils n'ont pas prévu le cas où ce seraient les dirigeants qui en feraient un usage frauduleux, j'imagine...
— Si vraiment ça devait quand même ne pas marcher, nous n'aurons qu'à demander à l'un des gardes de nous ouvrir.
Les cartes des membres de la sécurité leur offrent généralement un accès quasiment non-restreint au bâtiment.
— Je doute fort qu'ils soient très coopératifs...
— Éhéhéhéh !
Pas grave, j'ai mon couteau. S'ils ne veulent pas nous aider, nous pourrons leur emprunter un doigt.
— Oui, enfin, si possible, il vaudrait mieux ne pas en arriver à ce genre d'extrémités.
Il ne reste qu'à prier pour que ma carte fonctionne.
— Et la salle de sécurité du sous-sol se trouve... ?
— On entre par ici, et directement à côté, il y a une salle.
Cette salle a la climatisation, et il y a des téléviseurs. Les personnes de garde sont généralement toujours là-bas.
Si nous nous débarrassons de deux gardes en haut, cela signifie qu'il restera six gardes en bas.
— Six gardes...
Si nous ne les maîtrisons pas immédiatement, ça risque d'être compliqué.
À moins de faire très vite, ils auront de temps de lancer une alarme.
Il y a un moyen de la couper avant d'entrer ?
— ... Je dois avouer que ça me dépasse. Nous avons de toute manière des générateurs de secours pour prendre le relais...
— Donc c'est pas vraiment réaliste.
D'accord, on aura plus de chance en attaquant de front, en fait.
Les gardes à notre étage, ils sont armés comment ?
— Ils ne sont pas armés tout le temps, mais il y a des armes dans leur salle, de ce que j'en sais.
Les gardes au sous-sol sont toujours armés.
Et il me semble qu'ils ont des armes plus puissantes, avec tir automatique, dans leur salle de sécurité.
— Si l'on considère l'utilisation intra muros, ce sont sûrement des pistolets automatiques avec un canon très court.
La précision devient très mauvaise dès que la distance avec la cible augmente, mais elle est très maniable, et si vous êtes à portée, la puissance de tir est conséquente. Ce sont des armes dangereuses.
— Ils nous ont attaqués avec des MP5, ce matin.
Et ils en ont beaucoup, c'est un gros problème.
Mais si nous prenons la salle du haut, celle du bas ne devrait pas trop nous résister.
... Chef, où est Satoshi, dans tout ça ?
— Je préfèrerais ne pas avoir à le bouger, mais...
nous ne pouvons pas le laisser en plein territoire ennemi.
Il nous faut le transférer en lieu sûr.
Vous aurez besoin de moi.
— Et alors ?
Il est dans quelle pièce ?
— ... Là, au fond, nous avons des cellules médicalisées.
Il est enfermé dedans depuis l'année dernière, c'est devenu sa chambre.
— ... Satoshi...
Le regard de Shion se fit plus ferme et décidé.
Dans la salle de garde du rez-de-chaussée, les agents qui avaient pourchassé le directeur Irie continuaient désormais la partie de poker qu'ils avaient laissée en plan.
Ils savaient, eux aussi, que les chiens de garde avaient été tous mobilisés, et que leur existence-même était menacée.
Mais leur rôle à eux était de se faire chier à rester ici.
Et c'est pourquoi ils en étaient naturellement revenus à jouer au poker.
Mais bon, ils n'y mettaient pas beaucoup d'entrain.
Ils étaient encore tout excités de la course-poursuite de ce matin. Ils se la racontaient en boucle, en refaisant le match.
Roh, qu'est-ce qu'on aurait rigolé s'ils nous avaient dit de tirer sur le directeur au lieu de sur ses pneus !
Et puis, au moins, il n'aurait pas pu s'enfuir...
Quand l'être humain se sent en sécurité, il baisse sa garde.
Et là, c'était le cas.
C'est pourquoi il fallut moins de deux secondes pour les maîtriser.
— Les mains en l'air, tous les deux.
Eux étaient des pros.
Et c'était exactement pour ça qu'ils virent immédiatement que les armes qui étaient pointées sur leurs têtes étaient des vraies de vrai.
Ils avaient aussi entendu parler des échanges de coups de feu dans la salle souterraine, ce matin.
En face d'eux, ils n'avaient pas des débutants.
Ils avaient des vétérans qui n'hésiteraient pas à tirer.
C'est pourquoi ils se firent dociles et firent tout ce qu'on leur ordonna de faire, en vitesse.
Comme les gardes avaient des menottes sur eux, il fut très facile de les priver de leur liberté de mouvements.
Eux n'avaient sûrement jamais imaginé qu'un jour, ils seraient attachés avec leur propre paire de menottes...
Et surtout pas attachés sur les W.-C. !
Assis de force sur la cuvette des W.-C., ils avaient les bras attachés dans le dos, le tuyau d'arrivée de l'eau leur passant entre les bras.
Dans la bouche, plein de serviettes en papier, avec du scotch partout.
Shion semblait toute joyeuse. Elle avait toujours rêvé de faire ça. Kasai eut beaucoup de mal à ne pas pouffer de rire.
— Bien, pour l'instant, tout marche comme sur des roulettes.
Le problème, c'est le sous-sol.
Les caméras nous verront obligatoirement.
— Elles sont en noir et blanc ?
Avec un écran séparé en quatre sur le moniteur ?
— Il me semble, oui.
C'est un écran de surveillance comme on en voit un peu partout.
— Mouais, donc la résolution de l'image est pas terrible.
... Éhhéhhéhhé, je sais comment on peut faire. J'ai un plan pour vous, Messieurs...
— Mademoiselle, vous savez que je suis contre les tortures infligées aux otages...
— Hmm, hmmm ?
Les deux gardes se mirent à hurler, mais le son n'était pas vraiment audible. Leur situation déjà peu enviable allait encore se dégrader encore plus, malheureusement pour eux...
L'installation sonore de la salle de sécurité était branchée sur les communications radio qui rythmaient les combats dans la montagne.
Les gardes écoutaient les messages attentivement, les bras croisés.
D'après les messages qui revenaient régulièrement, leurs camarades n'étaient pas en position de force.
La zone était apparemment piégée, et à cause des attaques surprises incessantes de l'ennemi, ils avaient subi de lourdes pertes.
Il paraissait évident qu'ils avaient été attirés dans un piège ; ils risquaient de perdre non seulement sur le plan matériel, mais en plus sur le plan stratégique.
Les chiens de montagne avaient mal interprété les actions de leurs ennemis.
Ils pensaient que les fuyards avaient rejoint la montagne pour tenter de quitter Hinamizawa.
Alors qu'en fait, ce n'était pas du tout cela.
Les fuyards les avaient attirés dans une zone piégée avec la plus grande minutie.
Depuis leur poste de transmission,
ils entendaient les cris enragés de leurs camarades, les cris hystériques du commandant Takano, et aussi Okonogi,
qui tentait de remonter le moral des troupes en leur expliquant combien les marges de manœuvre de l'ennemi avaient été réduites.
On avait vraiment l'impression d'être sur le front de guerre.
— *Tschhh*
Phénix 1 à toute l'équipe Phénix.
La pause est terminée, les gars, il est temps d'y aller nous aussi ! Nous allons prendre les positions d'Aigrette. Leurs hommes ne répondent plus.
Nous avons perdu beaucoup d'agents, mais l'ennemi a beaucoup reculé et ne pourra plus fuir bien longtemps.
Nous les tenons !
Vous êtes encore frais et dispos, alors vous allez devoir prêter main forte à nos troupes pour en finir d'un seul coup !
Le commandant Takano sera à la tête des troupes, sur le terrain !
Je vais venir avec vous, moi aussi, et nous allons régler cette histoire une fois pour toutes !
— Vous avez entendu ? Le patron va aller sur le terrain !
Le Phénix s'envole ! On a vraiment toutes nos troupes dans la bataille !
— C'est pas croyable...
Mais alors, les autres, en face, ils nous ont éliminé toute une équipe ?
— Mais qui sont ces gens !?
Ils sortent d'où ? De quel bataillon secret ?!
Ainsi, à chaque transmission, les gardes donnaient leur avis, et suivaient l'évolution de la situation. Pour eux, c'était franchement palpitant.
Et d'un seul coup, une sonnerie toute mignonne vint casser l'ambiance.
C'était le bruit discret d'une alarme qui se déclenchait dès que quelqu'un voulait entrer dans l'étage secret.
Le règlement stipulait qu'il fallait toujours vérifier dans le moniteur la personne qui se présentait.
Les hommes regardèrent leur moniteur, et restèrent bouches bées pendant quelques secondes.
— Eh, les gars !
C'est le directeur !
— Arrête ? Sans déconner ?!
Chacun se pressa pour observer l'image. Les deux gardes du rez-de-chaussée tenaient Shion et le docteur Irie en joue.
— ... C'est bien le directeur, j'ai pas la berlue, hein ?
Mais ça veut dire quoi, alors ?!
— AAAaaaah, je sais !
En fait, ils ont attiré les troupes dans la montagne pour faire diversion ! Ils voulaient en profiter pour venir délivrer le lieutenant Tomitake !
— Il faut absolument prévenir le Commandant Takano, vite !
Tiens ? Mais que...
Un ordinateur s'était allumé, et affichait en direct les codes utilisés.
Passeport Spécial :
Matricule 0001 (classe S1)
Lieutenant Colonel
Kyôsuke Irie (Directeur)
Mot de passe :
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: Exact.
Empreintes :
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: Reconnues.
— ... ... Mais que ?
Quelque chose clochait.
L'équipe de sécurité leur amenait Irie,
soit, rien de bien suspect là-dedans.
Mais pourquoi utiliser la carte du Directeur ?
Et pourquoi le laisser enclencher la reconnaissance des empreintes digitales ?
Ça irait pourtant beaucoup plus vite d'ouvrir la porte avec leur carte à eux !
— Merde !
L'un des gardes se rendit compte de la supercherie, mais trop tard.
Les portes de l'étage souterrain s'ouvrirent, et les quatre sauveurs, armés jusqu'aux dents, entrèrent à toute vitesse !
Les bruits de pas de tous ces gens furent presqu'immédiatement audibles devant la porte de la salle de sécurité.
Ils s'étaient fait avoir !
Au moment où la porte s'ouvrit, tous les gardes sortirent leurs armes et se mirent à tirer !
Akasaka se pressa au mur, des sueurs froides dans le dos. S'il ne s'était pas plaqué immédiatement, il serait percé de partout en ce moment...
Aussitôt, un garde renversa une table sur le côté.
Les gobelets en plastique déversèrent leur contenu au sol, et une mare de café se forma.
Avec le bureau, les hommes firent une barricade !
Pendant ce temps-là, deux hommes tiraient sans relâche dans l'ouverture de la porte. Ils voyaient bien qu'il n'y avait personne, mais ils tiraient quand même, pour justement empêcher l'ennemi de passer à l'attaque.
Pendant qu'eux tiraient, Kasai et les autres ne pouvaient rien faire.
Pendant ce temps-là, un homme alla presser le bouton de l'alarme, et un autre ouvrit le compartiment dans lequel étaient entreposés les pistolets mitrailleurs.
Enfin, un autre garde alla chercher des masques à gaz.
En quelques secondes, ils avaient dressé une défense conséquente. C'était un tour de force impressionnant, qui faisait honneur à leur régiment.
Il y allait désormais forcément avoir des coups de feu. Cela risquait de prendre un bon moment pour les mettre hors d'état de nuire.
Une sirène d'alarme se mit à retentir en force, signalant l'échec de l'attaque surprise.
— ... Zut,
nous avons foiré notre coup !
— Peut-être, mais ils sont tous dans cette salle, pris au piège.
Tant que nous les tenons ici, allons délivrer Satoshi et M. Tomitake !
L'alarme était certainement étudiée pour parvenir aux chiens de montagne qui étaient en mission.
Impossible de trop prendre son temps, sinon il ne serait plus possible de s'enfuir.
Et cette fois-ci, ce seraient eux qui seraient pris entre deux feux, et donc faits comme des rats.
— Aaah...
Oui…
Il y avait encore autre chose... Il me semble qu'en cas d'attaque...
c'était quoi, déjà...
Le docteur Irie se mit à chercher dans ses souvenirs, tandis que Shion se retenait de lui mettre une gifle.
Il n'aurait pas pu se souvenir de ce genre de détails super importants AVANT d'en arriver là ?
Irie ne parvenait pas à se souvenir du reste, mais cela s'avéra ne pas être très grave, car l'alarme se chargea de donner les explications pour lui.
— Attention, attention. Alerte dans la zone d'entrée.
Alerte dans la zone d'entrée.
Toutes les issues seront condamnées jusqu'à ce que le problème soit résolu.
Le personnel doit se rendre immédiatement dans la salle de la sécurité. Prenez un masque à gaz et mettez-le.
Suivez les instructions de l'équipe de sécurité.
Diffusion d'un gaz incapacitant dans 120 secondes.
Je répète :
— Au moins, nous sommes fixés. Nous avons moins de deux minutes pour les désarmer et arrêter l'alarme...
— Le gaz incapacitant, ce sera quoi ?
Du poison ?
— Si j'ai bonne mémoire, c'est simplement du cyanure de diphénylarsine.
Il est mortel seulement à des doses extrêmes, sinon, il ne cause que certains désagréments pendant quelques minutes.
Par contre, l'effet est très rapide.
Les symptômes les plus graves s'estompent vite, mais ce gaz est connu pour provoquer des éternuements pendant presque une demi-heure.
— ... Je vois, c'est l'un de ces gaz utilisés autrefois par l'armée impériale, c'est ça ?
C'est plutôt costaud.
Il fallait soit fuir et partir d'ici immédiatement, soit se lancer à l'assaut de la salle de sécurité. En même temps, la sortie était bloquée à cause de l'alarme, donc le choix était tout trouvé.
Mais à l'intérieur, les ennemis avaient des armes lourdes, et s'ils passaient la tête, ils seraient criblés de balles avant d'avoir eu le temps de dire “ouf”.
— Raah,
on n'arrivera jamais à viser et à tirer dans des conditions pareilles !
— Quelle stratégie on peut utiliser, normalement ? Une grenade, bien sûr !
Ouais, sauf qu'on n'en a pas sur nous... Merde !
— Si nous essayons de passer en force, nous sommes foutus.
Que pourrait-on faire ?
— ... Quand je pense que Satoshi est tout près...
Ça m'écœure !
Shion appuya sa tête contre le canon de son arme, les yeux fermés, clairement en train de s'énerver.
Après l'avoir regardée quelques secondes, Kasai se leva.
— Fort bien.
Je vais m'occuper de ça seul, et à ma manière. Restez où vous êtes.
Les gardes pris au piège dans la salle se tenaient prêts à toute éventualité, mais n'en menaient pas large.
Ils savaient que lorsque le gaz serait lâché, tout irait mieux pour eux, mais ils se doutaient bien que leurs adversaires n'allaient pas jouer la montre.
Normalement, ils devraient essayer d'attaquer, quitte à subir des pertes.
Alors bien sûr, avec les armes en leur possession, ils devraient réussir sans trop de problème à s'en débarrasser, mais uniquement si l'affrontement se faisait à faible distance.
Ce qui voulait dire que selon toute vraisemblance, eux aussi subiraient des pertes.
Et donc plus l'arrivée du gaz approchait, plus ils devenaient tendus et nerveux...
Et c'est pourquoi ils n'avaient pas pensé
que l'ennemi viendrait à la porte grande ouverte
pour la refermer.
Ils tirèrent comme des fous sur la porte, et finirent par y laisser de nombreux petits trous.
Puis le silence s'installa.
... À quoi pouvait penser l'ennemi ?
Ce n'était pas le moment de jouer à cache-cache.
Le gaz allait bientôt être lâché dans les pièces et les couloirs.
Quel intérêt l'ennemi avait-il de fermer la porte ? C'était n'importe quoi !
Soudain, il y eut comme une explosion, et un trou gros comme un poing apparut dans la porte.
Mais pas seulement ! Il se forma aussi un trou d'à peu près la même taille dans le mur du fond, à l'autre bout de la pièce !
— ... C'était quoi, ça, un Magnum ?
Non, ils ont des cartouches à balles !
Depuis l'autre côté de la porte, une voix calme et grave leur répondit.
— Bonne réponse, Messieurs.
Ce ne sont pas des munitions utilisées d'habitude contre des êtres humains.
Je pense que vous êtes bien placés pour savoir quelle puissance elles ont.
— ... ... ...
Les cartouches à balle ne sont efficaces qu'à très courte portée, mais leur puissance est immense.
C'est parce qu'elles sont tirées par des fusils, sans être des amas de petits plombs.
En fait, ce sont des cartouches pour fusil, mais avec seulement une seule grosse balle à l'intérieur.
D'où leur nom.
On les utilise pour la chasse.
Pour tirer sur autre chose que sur des êtres humains.
Si jamais vous tirez avec ça sur un bras ou sur une jambe, vous pouvez l'arracher très facilement. Visez la tête et après, vous devrez chercher la tête.
Elles sont tellement puissantes que limite, il faudrait les considérer comme des obus !
Elles ont une force de pénétration telle que la balle pourrait sans souci traverser
la porte,
puis le bureau qui sert de protection,
puis encore le garde caché derrière le bureau, avant de terminer sa course dans le mur du fond.
Et ça, les gardes qui se cachaient dans la salle en étaient bien conscients.
Eux avaient des armes qui tiraient vite et beaucoup, mais faites pour être efficaces sur des humains -- elles n'avaient pas la capacité de trouer la porte ou le mur.
Mais en face, leurs adversaires pouvaient se permettre de tirer à travers la porte, et ils avaient toutes les chances de les toucher quand même !
Leurs balles traverseraient tout !
Il ne servait donc à rien de se cacher derrière les bureaux et les tables !
— ... Nous pouvons vous déchiqueter, et je sais que vous en êtes conscients.
Alors, Messieurs ? Si vous ne voulez pas mourir, coupez l'alarme immédiatement.
— ... T'inquiète pas,
le gaz va bientôt sortir,
il suffit juste d'un peu de patience...
— Et il ne vous vient pas à l'esprit que je peux vous trouer le torse à tout moment ?
La voix de Kasai se fit plus menaçante.
Pas vraiment dans le ton, mais dans ses sous-entendus -- et les gardes ne pouvaient pas faire croire qu'ils ne savaient pas ce que Kasai voulait dire.
— Je n'ai pas le temps de vous laisser y réfléchir.
Vous avez 5s pour vous bouger.
Je vais compter jusqu'à 5, et si l'alarme n'est pas éteinte,
eh bien, il faudra faire vos prières.
— ... On fait quoi ?
Il reste facilement encore une minute avant l'arrivée du gaz !
— T'en fais pas, ils se font dans le froc, en face.
On n'a pas besoin de discuter avec eux.
Alors, une voix gutturale résonna à travers la pièce.
— Eh,
bande de connards, vous n'écoutez même pas quand on vous parle, ou quoi ?
C'était bien la voix de Kasai, pas de doute là-dessus.
Mais le contraste avec le ton juste avant était tout de même saisissant, et les gardes restèrent interdits.
— Je suis en train de vous dire que je veux bien faire un effort et pas vous crever comme des porcs,
et il vous viendrait pas à l'idée de me dire merci ?
Bande de connards, vous me prenez pour un con ou quoi ?
... Hein ?
... ...
VOUS ALLEZ RÉPONDRE, OUI OU MERDE ?
Il y eut une, deux, trois détonations à crever les tympans, et d'un seul coup, toute la partie supérieure de la porte vola en éclats.
La salle se retrouva complètement arrosée de plombs, qui allèrent se loger dans les murs, les lumières, qui cassèrent les néons et firent tomber des morceaux de verre un peu partout !
On se serait cru plongé en enfer.
Il y eut comme une tempête de plombs, qui cassèrent tout sur leur passage, semant le chaos et la destruction dans toute la pièce !
Les gardes se plaquèrent au sol, mirent les bras sur la tête et se mirent à prier.
Il fallait au moins cela pour espérer ne pas prendre une balle perdue, ou un éclat de verre, ou un morceau du plafond !
Kasai délogea les restes de la porte d'un grand coup de pied, puis avança dans la pièce et en fit de même avec le bureau le plus proche. Il trouva un garde derrière, à terre, tremblant de peur, et posa son pied sur sa tête, puis se mit à lui hurler dessus.
— ALORS, bande de moules, lequel veut crever en premier, HEIN ?
C'est toi qui faisais le malin tout à l'heure ?
C'EST TOI OU PAS ?
— Non, non non, c'est pas moi, j'ai rien dit !
Je me rends, je me rends,
tirez pas !
— FERME TA GUEULE, sale connard, j't'ai rien d'mandé !
T'as envie de mourir, le bleu ? HEIN ?
J'ai empilé plus de macchabées que t'en verras dans toute ta vie, couillon de la lune !
— Ahhhhhhh !!
J'ai rien fait, j'me rends, me tuez pas j'vous en supplie !
Kasai ne dit rien, mais tous les gardes jetèrent leurs armes et se mirent à terre, les mains sur la nuque.
Derrière lui, Akasaka, Irie et même Shion le regardaient les yeux ronds comme des soucoupes, en train de gober des mouches...
Ils avaient été nombreux et armés.
Certes, Kasai avait deux fusils, mais surtout, il avait eu une autorité impressionnante.
Ce n'était pas une chose dont il fallait se vanter, mais effectivement, il avait eu à se sortir de situations dangereuses bien plus souvent que les gardes en face de lui -- chiens de montagne ou pas...
— ALORS ? C'est pas l'heure de la sieste !
Je vais t'prend' ton masque et t'le faire BOUFFER !
LÈVE TON CUL ET ÉTEINS-MOI C'T'ALARME !
— Ouais, OK, OK, j'l'arrête, tirez pas, j'l'arrête ! Tirez pas !
L'un des gardes se releva et alla en vitesse appuyer sur des boutons, sur un pupitre de commande. Enfin, l'alarme cessa.
Kasai le tint en joue sans le presser plus, mais en réalité, le gaz avait été vraiment à deux doigts d'être diffusé partout dans le bâtiment.
Shion et Akasaka reprirent leurs esprits et commencèrent à aider Kasai à attacher tout le monde.
— ... Kasai...
La vache, je... Roh putain !
— ... J'avais espéré ne jamais avoir à le refaire...
Mais bon, c'était nécessaire, alors tant pis.
Oubliez ce que vous avez vu.
Kasai avait repris sa voix normale -- Shion retrouvait le Kasai qu'elle avait toujours connu.
À bien regarder le résultat, il n'avait tué personne.
Shion se souvint de ce qu'il avait dit plus tôt ce matin, lorsqu'il avait chargé ses armes.
Alors
c'était pour ça que les gens lui avaient donné son surnom...
— Hâtons-nous, Mademoiselle.
De toute manière, l'alarme a déjà sonné, donc leurs renforts sont au courant.
Nous ne pouvons pas rester plus longtemps.
— Oui, vous avez raison,
faisons vite.
Prenant les menottes des gardiens, Kasai et Akasaka commencèrent à les rassembler dans un coin de la pièce.
— ... Et Satoshi, alors ?
Il est où ?
Maintenant que les gardes de la salle de sécurité étaient tous incapables de bouger, plus rien ne séparait Shion de Satoshi. Cette pensée la rendait complètement folle.
Elle savait à peu près où était la pièce. Elle la cherchait.
C'était par ici, sur le plan, non ?
Elle se mit à courir, impatiente.
— Je vais l'accompagner.
Il nous faut récupérer Satoshi et M. Tomitake le plus vite possible...
— Docteur, je compte sur vous.
— ... Hein ?
Un,
deux,
trois,
quatre,
cinq.
Akasaka eut un frisson d'angoisse qui lui remonta dans le dos.
Le docteur Irie avait pourtant bien dit qu'il y avait six gardes dans la salle du sous-sol, non ?!
Shion était sur son petit nuage.
Elle ne pensait qu'à une chose, au fait qu'elle allait retrouver Satoshi, que son rêve allait se réaliser.
Et puis surtout, elle avait oublié que son oreille gauche n'entendait plus rien depuis ce matin.
Et malheureusement pour elle, comme si le hasard l'avait fait exprès, le dernier garde était sur sa gauche, et il attendait son heure !
Shion s'insulta mentalement pour avoir été aussi insouciante.
Le garde l'attaqua par derrière, lui passant son bras autour du cou pour serrer et soulever.
Shion se rendit bien vite compte qu'elle ne pourrait jamais se dégager toute seule.
Irie vit toute la scène, car il arrivait en retard sur elle.
Par chance, le garde qui avait surpris Shion lui tournait le dos.
Irie avait donc une chance, une seule, de pouvoir attaquer cet homme par surprise.
Mais malheureusement...
depuis ce matin...
Irie avait perdu presque toute confiance en lui-même.
Il s'était passé beaucoup de choses depuis ce matin, et à chaque fois, Irie avait été complètement inutile.
Il n'était pas un soldat, donc forcément, il ne pouvait pas servir à grand'chose dans la bataille, mais il se sentait vraiment mal à l'aise de ne pas pouvoir se rendre plus utile que cela.
Mais maintenant, il était le seul à pouvoir la sauver.
S'il avait le temps, il préfèrerait appeler discrètement Kasai ou Akasaka.
Eux étaient très doués.
Ils sauraient se débarrasser du garde.
Mais la situation n'était pas à son avantage.
Ou plutôt, elle ne le serait que maintenant -- tant que l'ennemi aurait encore le dos tourné.
S'il laissait passer cette chance, le garde prendrait Shion en otage, et leur mission serait stoppée net.
Et dès lors qu'il ne savait pas quand est-ce que les renforts de l'ennemi allaient arriver, ce contre-temps sérieux pouvait signifier leur mort à tous les quatre.
Ce qui voulait dire...
qu'il ne pouvait demander à personne de venir l'aider.
Il devait agir seul, et maintenant.
Et puis, selon toute vraisemblance, il ne pourrait attaquer qu'une seule fois.
Si cette attaque ne mettait pas son adversaire K.O., il se retournerait, le remarquerait, et les problèmes commenceraient...
... Avait-il réellement une chance de se débarrasser de cet homme en une seule attaque ?
De toute façon, j'ai pas le choix...
Et puis, je suis un homme, quoi, je peux pas rester sans rien faire !
Il doit forcément y avoir un moyen... Peut-être un truc que je suis le seul à pouvoir utiliser !
Irie chercha dans ses poches et y trouva un stylo à plume. Il le serra de toutes ses forces.
C'était sûrement la seule “arme” qu'il avait sur lui, de toute manière...
— ... Prends ÇA !
— Aïeeeeuh !
Aaah, saloperie,
eh ben alors, Monsieur le Directeur, ça fait mal, vous savez ? La vache...
Irie avait tenté d'enfoncer la plume dans le dos de son adversaire, près de la base du cou, mais il avait juste réussi à le faire un peu saigner, sans plus.
En même temps, ce n'était qu'un stylo, pas un poignard... Il n'avait aucune chance de le rendre inconscient avec ça !
L'homme sortit son arme et la plaça directement contre la tempe de Shion. Les jeux étaient faits.
— ... Je suis... désolée, je...
Je pensais à Satoshi, et...
j'ai pas fait attention...
Des larmes de rage étaient en train de monter aux yeux de Shion.
— Bon, eh bien alors, Monsieur le Directeur, je suis désolé de faire dans le banal, mais je vais vous demander de poser toutes vos armes, à vous et à vos compagnons.
J'ai entendu le bruit, tout à l'heure, vous avez ramené un gros calibre.
J'aimerais pas me prendre une balle perdue.
Réfléchis, Irie, souviens-toi de Kasai, de ce qu'il vient de faire. Tu peux le faire !
TU PEUX LE FAIRE !
— Hmpf. Hahahaha.
Laissez-moi rire, enfin.
Vous croyez sérieusement que vous êtes en position de marchander avec moi, dans MON territoire ?
C'est une mauvaise blague, j'espère.
— Qu'est-ce que…
vous me racontez !?
— Vous voyez ce stylo ? C'est une seringue. Une arme spécialement développée par Mme Takano.
Je suppose que je n'ai pas besoin de vous expliquer quel genre de liquide elle contenait ?
— Oh putain... Vous n'êtes pas sérieux !?
Si un autre avait tenté ce coup de bluff, cela n'aurait pas fonctionné.
Mais Irie avait des arguments pour lui : il était médecin, il était chercheur, il avait une blouse blanche, des lunettes, des idées bizarres, et il se trouvait dans son laboratoire secret. Alors forcément, le garde devait y réfléchir à deux fois !
Son instinct lui disait que ça devait forcément être du pipeau,
mais en même temps, la blessure dans son dos commençait furieusement à le démanger, et il savait que ce n'était pas un bon signe...
— Le H178 est pour ainsi dire la crème de la crème, le nec plus ultra dans tout ce que Mme Takano a développé comme souche virale.
Elle est teigneuse, hargneuse, et peut faire avancer la maladie en l'espace de quelques minutes jusqu'à son stade terminal. Elle occasionne des hallucinations, des maux de tête, le rhume, la diarrhée, des spasmes très violents, et pour finir, la victime se met à se gratter le cou jusqu'à s'arracher la carotide.
Le seul remède connu…
est l'inoculation par piqûre de notre plus puissant sérum, mais sans attendre ! Après une minute, il sera trop tard !
— ... Nan, c'est pas vrai, vous vous payez ma tête ! Ça n'existe pas, ce truc !
— ... Nous verrons bien, cela fait déjà 30s.
Je pense que tout doucement, la circulation du sang doit avoir bien irrigué vos ganglions lymphatiques.
Ils ne vous démangent pas ?
Vous ne vous sentez pas fatigué ?
Vous ronflez, la nuit ?
Héhéhéhé !
Shion regardait le docteur avec des yeux incrédules.
Il racontait n'importe quoi et ne savait vraiment pas jouer la comédie, mais le garde avait l'air d'y croire !
— Aaah, merde !
OK, je me rends.
Faites-moi la piqûre, vite !
— ... Eh bien dites donc, jeune homme, quelle façon de demander un service...
— ... D'accord, d'accord, j'ai compris.
Je me rends. Je vous en prie, faites-moi cette piqûre...
— Aah, mais sur ce ton-là, ça ne va pas être possible.
Vous ne savez pas parler à votre maître.
Je vais vous dire comment faire, une seule fois, alors écoutez-moi bien.
Vous voyez cette seringue ? Le plus efficace est de vous piquer dans la fesse.
Alors vous allez commencer par baisser votre pantalon et vous mettre à quatre pattes, puis à tendre les fesses en arrière.
Le plus facile est de poser vos épaules bien sur le sol.
Mordez sur l'ongle de votre pouce droit et tournez la tête pour me regard-- oui, comme ça, très bien,
et maintenant, prenez votre voix la plus voluptueuse et dites “Monsieur, enfoncez votre seringue en moi, très profond, je l'ai mérité, je suis une si grosse cochonne...”
Comment ça, NON !?
Aah, mais quel désastre, vous n'avez donc pas conscience que jadis, une domestique offrait sa soumission totale à son maître, et mettait un point d'honneur à le servir au mépris de ses intérêts personnels ?!
Où sont donc passés les restes de cette pratique ancestrale ? Dans le Japon moderne, qui donc, aujourd'hui encore, fait vivre cette culture ?
Les jeunes filles ont depuis longtemps oublié les idéaux des domestiques ! Elles se font bronzer à en devenir presque noires de peau,
portent de longues chaussettes plissées,
des costumes hawaïens honteusement révélateurs !
Làs, qu'est-il donc advenu de Nadeshiko Yamato, l'idéal de la femme japonaise ?
Où sont les grains de peau lisses, soignés, d'une couleur pâle comme un pétale de cerisier ?
Il faut porter des chaussettes longues, cela va de soi, mais les porte-jarretelles ne sont pas à proscrire non plus !
Et que dire de bas fin, de temps en temps ?
Mais le plus important et de nourrir et de porter en soi les valeurs humbles de la domestique dévouée !
Le Japon a semble-t-il tout oublié !
Et le résultat, on le voit, c'est une société à la natalité en berne, vieillissante !
Les populations des tranches d'âges mûrs augmentent, ce n'est qu'une question de temps avant que les médias attenants à la PASSION ne cherchent à les cibler !
Dans les magasins de porno, le coin avec des actrices d'un âge mûr est pour l'instant ridiculement petit, mais il ira en grandissant, phagocytant tout le reste de la production !
Mais tout comme il ne faut pas mélanger les nettoyants des W.-C.,
il y a aussi des genres à ne pas mélanger !
Une domestique d'un âge mûr devient immédiatement au mieux une gouvernante, au pire une vulgaire femme de ménage !
Et là, ce sera la fin des domestiques, elles seront vouées à l'extinction !
Alors depuis la Lune, une pluie née de la tristesse et du ressentiment de tous les hommes s'abattra sur la Terre, comme une pluie d'astéroïdes !
Et alors commencera le Jugement Dernier, comme il est écrit dans les livres !
Et lorsque le relief de la Terre sera tant amoché qu'il ressemblera à une coiffe géante, alors le maître ultime apparaîtra !
HAHAhahahahaha, misérables humains, vous êtes en présence de votre roi !
Alors agenouillez-vous devant moi !
Vite, confisquez-lui la pierre de l'Eau Bleue !
Entendez ces mots divins :
Leete
Latobarita
Maid
Foooooooooo !
— Ça va, Shion ?
— Oui, merci beaucoup.
Euh, Chef ?
M. Akasaka est venu et s'est occupé du garde, on peut y aller !
— COMMENT ?!
Mais enfin, je n'ai même pas terminé sa rééducation !
— Docteur, vous prendrez le temps une autre fois.
— Satoshi !
Cette fois-ci, il n'y avait vraiment plus rien pour les séparer.
Shion se mit à courir à toute vitesse dans le couloir -- elle faillit d'ailleurs en perdre l'équilibre plus d'une fois.
La pièce de Satoshi était juste devant elle...
Il y avait une large baie vitrée qui permettait en fait d'observer la salle du patient depuis le couloir.
Shion se jeta dessus, manquant de peu de s'y cogner.
Il y avait un lit... et sur ce lit, un jeune homme endormi, sous perfusion : Satoshi.
Il avait des câbles partout sur la tête et sur le torse, qui mesuraient ses signes vitaux. Ils étaient reliés à une grosse machine, qui dessinait des courbes lumineuses, en mouvement constant. Au moins, il était bel et bien vivant.
Mais son sommeil avait l'air profond.
Et surtout, son visage était affreusement pâle. Sans le bruit de la machine, Shion n'aurait pas pu être sûre qu'il était vraiment vivant.
— ... J'ai pas la berlue, il respire, hein ? Il est vivant ?
Satoshi est vivant, quand même, rassurez-moi !
— Calmez-vous, Mademoiselle.
Docteur, vite, allez le chercher !
Irie revenait justement avec une civière pliée.
Il la passa à Kasai, qui la mit en forme et la fixa.
— Vite, vite, il faut le sortir de là !
— Shion...
Avant de le sortir de cette pièce, il y a plusieurs choses que tu vas devoir me promettre.
Shion le regarda avec un regard incendiaire, outrée de le voir poser des conditions dans un moment pareil.
— ... Je vais le placer sur cette civière, mais tu ne dois surtout pas le réveiller,
c'est compris ? Tu dois me le promettre.
— Mais pourquoi ?!
Pourquoi je ne peux pas le réveiller ?!
C'était la toute première chose qu'elle avait eu l'intention de faire.
Elle avait voulu lui dire en personne qu'il était désormais enfin libre.
Alors pourquoi le lui interdire ?
— Je n'ai pas le temps de tout t'expliquer, alors je vais aller à l'essentiel.
... Le jour de sa disparition, Satoshi a fait une crise aiguë. Son cerveau et son mental ont beaucoup souffert.
Le plus frustrant, c'est de voir que physiologiquement, il n'a aucun problème. Mais... Eh bien, Satoshi n'est plus capable de discerner le vrai du faux.
Il est en proie à une paranoïa extrême, et pour ne pas devenir complètement fou, il a fait comme une souris prise au piège : il est devenu agressif. Il attaque toutes les personnes qui entrent dans son champ de vision.
L'année dernière, un membre de notre équipe l'a détaché, inconscient des risques. Satoshi l'a frappé encore et encore, il a dû être opéré et faire de la chirurgie plastique pour retrouver un visage à peu près normal.
Si tu le réveilles, il te sautera dessus pour te briser la nuque. Même toi.
Shion remarqua alors enfin des détails perturbants.
Satoshi avait une couverture, mais au-dessus encore, il y avait deux ceintures en cuir,
pour l'empêcher de force de se relever.
Il y avait même des lanières de cuir
qui attachaient ses poignets aux bords du lit.
Et ces lanières avaient l'air d'avoir beaucoup souffert...
— ... ... ... C'est pas vrai...
C'est...
Mais au moins, ça se guérit ?
— ... ...
Le silence du docteur en disait long.
S'il avait pu rassurer Shion en lui promettant que c'était possible, il l'aurait fait.
Mais Irie était un médecin.
Il savait que s'il faisait des promesses irréfléchies, cela ferait souffrir toutes les personnes concernées.
C'est pourquoi il préféra garder le silence...
— Mais enfin,
c'est...
C'est...
C'est quoi ce bordel ?
Alors…
Alors quoi ?
Satoshi ne...
Il ne...
parlera
plus jamais ?
Il ne me…
caressera plus jamais la tête ?
Pourquoi ?
POURQUOI !
Les larmes dans les yeux, Shion se mit à frapper dans la vitre, de rage et d'impuissance.
— Arrête !
Si vraiment tu penses à lui, si vraiment tu tiens à lui,
alors ne le réveille pas.
Et tu sais, je pense que c'est ce qu'il préfèrerait aussi.
Si tu le réveilles, tu verras comment il est en ce moment.
Et tu souffriras.
Je ne pense pas que Satoshi veuille te voir souffrir,
et encore moins être responsable de ta souffrance.
Et qu'il n'aimerait pas savoir que tu l'as vu dans cet état.
Alors s'il te plaît...
essaie de comprendre...
— ...
C'est pas vrai... c'est pas... possible...
......Ahh.
...Oooh...
Whahhhhhhhhhh...
Whahhhhhhhhh......
Whahhhhhhhh…
Shion se mit à pleurer à chaudes larmes, glissant mollement contre la vitre, à bout de force et à bout de nerfs.
Arrivée au sol, elle se mit à piquer une crise de rage, tapant du poing, griffant le sol.
Elle aurait pu continuer jusqu'à s'en arracher tous les ongles, mais elle savait que sous ce sol, il n'y avait rien pour elle.
Satoshi n'était pas sous ses pieds, il était sur ce lit, dans cette pièce médicalisée.
Il dormait paisiblement, encore et encore,
d'un sommeil qu'il ne fallait surtout pas troubler...
— ... Tout n'est pas perdu.
Les améliorations sont faibles, mais...
en un an, ses signes cérébraux ont changé. Il se remet, tout doucement.
Le corps humain est une machine exceptionnelle, tu sais.
Le cerveau aussi.
Même des gens dont les cerveaux avaient été gravement endommagés ont pu retrouver un quotidien normal.
Satoshi... essaie de revenir parmi nous.
Il se bat comme un beau diable contre ses peurs.
Et moi aussi, je me bats contre la maladie.
Je continue de développer des sérums, pour pouvoir lui tendre la main de mon côté.
Et un jour... un jour, je le ramènerai à Hinamizawa.
Je te le promets !
Le cerveau fait toute la personnalité d'un être humain.
Mais en fin de compte, il ne reste qu'un seul organe, une partie du corps.
Si ce corps venait à souffrir ou à dépérir... l'être humain devrait subir des changements, consentant ou non.
L'image des patients les fait souvent souffrir, mais est aussi souvent insoutenable pour les proches des patients.
Et lorsque les patients remarquent le regard que les autres, que leurs amis portent sur eux, alors ils en souffrent une deuxième fois...
Irie eut le souvenir de ses parents.
Il les vit lorsqu'ils étaient encore soudés, puis il vit son père changer, puis sa mère mourir, refusant jusqu'à son dernier souffle de comprendre ce qu'était une maladie du cerveau, reniant son mari et son passé.
Il ne voulait plus connaître cela.
C'était d'ailleur pour cela qu'il avait choisi de se spécialiser dans l'étude du cerveau humain !
Devant lui, il y avait un jeune homme
et une jeune femme.
Et sur eux, superposés, ses parents,
et cette impossible tristesse,
ces regrets infinis.
Il n'avait appris la vérité sur la raison du changement de caractère de son père qu'après sa mort.
Il avait été trop tard pour tenter de le guérir.
Il avait pleuré, il avait regretté de ne pas s'être intéressé au cerveau humain plus tôt, au début de ses études !
Mais aujourd'hui, il avait étudié, il avait pratiqué, et il avait une grande confiance en lui-même, acquise avec l'expérience du terrain.
Il observa la scène qui se jouait dans son cerveau, et décida qu'il en avait assez vu.
Il serra les poings et se mit à parler solennellement.
— Je te le jure !
Je suis prêt à parier ma vie dessus.
Je guérirai Satoshi, et je le ramènerai à Hinamizawa !
Moi, Kyôsuke Irie, je te le dis et je te le répète, je réussirai !
Satoshi se bat, il essaie de revenir parmi nous.
Alors moi aussi, je dois me battre, pour lui tendre la main, pour qu'enfin, il puisse la saisir !
Shion,
fais-moi confiance ! Je te demande juste de la patience.
Il reviendra !
Je le ramènerai des limbes de son inconscient !
C'était une promesse qui lui venait du plus profond de son cœur, de son âme, presque.
Alors, Irie sut.
Il sut que toute sa vie avait en fait essayé d'en arriver là.
Devant lui, ce n'étaient pas ses parents...
Mais il avait enfin matière à vaincre ses vieux démons.
Il avait enfin un but pour lequel il pouvait tout sacrifier.
— C'est... C'est vrai ?
Vous me le... promettez ?
Satoshi va...
Satoshi va revenir ?
Vraiment ?
Whaah...
whahhhhhhh…
— Oui, je vous le jure.
Même si je dois y passer toute ma vie, je trouverai le moyen de le ramener à Hinamizawa.
Promets-moi, Shion,
que tu attendras.
Que tu seras à mes côtés pour l'accueillir.
Est-ce que tu t'en sens capable ?
Est-ce que tu pourras te taire ? Ne jamais rien dire à Satoko ?
— ... Oui.
Si c'est pour Satoshi...
alors je ferai tout.
N'importe quoi !
— Là-bas.
Regardez donc ce qu'il y a, là-bas.
— ... Ah!!!
Au fond de la salle,
dans un coin plus sombre,
il y avait quelque chose qui contrastait fortement avec le reste de la pièce.
Quelque chose de vraiment anormal dans le paysage.
Il y avait là...
une peluche absolument énorme...
— Il a travaillé pendant des semaines, comme un fou,
pour acheter cette peluche à sa petite sœur.
... Tu as vraiment cru que Satoshi disparaîtrait sans donner cette peluche à sa sœur ?
C'est insensé, voyons.
Satoshi reviendra, il ira retrouver sa sœur, pour lui offrir son cadeau.
Alors s'il te plaît, Shion, prends ton mal en patience, jusqu'au jour où il pourra le faire...
— ... D'accord, mais...
Est-ce que je...
pourrai... venir
le voir ?
— Bien évidemment.
— Est-ce que je pourrai m'asseoir à côté de son lit...
et lui lire des histoires ?
Et est-ce que... est-ce que...
Oooh…
— Oui, oui, tout ce que tu voudras.
Et je parie qu'il en sera très content, lui aussi.
— Oooh…
Shion se remit à pleurer.
Derrière elle, Akasaka arrivait avec Tomitake, mais ils ne surent pas quoi dire pour la consoler...
— S'il va bien, alors tant mieux.
Vous devez maintenant réussir à appeler les chiens de garde, et tout sera réglé.
— ... Sauf que ce sera moins facile que je ne le pensais.
À cause de l'affrontement de tout à l'heure, le transmetteur radio est hors d'usage.
J'imagine que les chiens de montagne ont déjà mis en place une partie des consignes d'urgence, et qu'ils ont bloqué les communications ainsi que les voies de passage. Et puisque nous ne pouvons plus utiliser les fréquences radio de l'institut, il va nous falloir rejoindre Okinomiya si nous voulons pouvoir prévenir Tôkyô...
— Il va nous falloir forcer le barrage, alors.
Mademoiselle Mion et ses amis font diversion et nous permettent de gagner du temps,
mais ils sont assiégés, et finiront sûrement bientôt par ne plus pouvoir résister.
M. Tomitake, vous devez quitter le village au plus vite, pour ramener les chiens de garde et les sauver avant qu'il ne soit trop tard.
— On va avoir un problème.
Si comme je le pense, ils ont coupé les lignes de téléphone ainsi que les routes,
alors ils ont pris, comme le veulent les consignes, un lance-grenade anti-char portatif pour justement empêcher un véhicule de tenter un passage en force.
— ... Un RPG-7 ?
Quoique, s'ils partent du principe qu'ils doivent arrêter une voiture, j'imagine qu'ils n'y mettront que des obus et non des roquettes. Mais s'ils touchent le véhicule, ils le retourneront comme une crêpe.
C'est un problème, en effet...
— Certes, mais nous n'avons pas le choix,
si nous faisons un détour, nous n'arriverons qu'en pleine nuit.
Je veux bien que les autres soient vaillants au combat, mais je les vois mal tenir tête à tout une compagnie jusqu'à la tombée de la nuit.
Nous devons nous dépêcher, c'est trop dangereux pour eux.
— ... Allez, pas de temps à perdre.
Débrouillez-vous comme vous voulez, mais emmenez M. Tomitake à Okinomiya, et fissa.
Chef, trouvez-vous un endroit sûr et allez-y avec Satoshi.
Il faut faire vite.
Les chiens de montagne vont sûrement revenir ici en nombre, d'une minute à l'autre.
Shion avait encore les yeux rouges et gonflés, mais elle avait retrouvé son calme.
Elle avait réussi à récupérer Satoshi, parce qu'ils avaient gagné cette bataille.
Il leur fallait maintenant poursuivre dans cette voie, et affronter les autres dangers.
Et puis, même si la situation était déchirante, Satoshi était vivant.
Et un jour, il serait de retour.
À cette réalisation, Shion manqua de pleurer à nouveau, mais cette fois-ci, de joie.
Grande sœur...
merci pour la diversion.
On a réussi notre coup !