Akasaka écoutait la sonnerie du téléphone, voulant savoir quel message au juste Irie voulait lui faire passer.
Le message approchait les trois minutes.
Irie était en danger, et éventuellement, ce danger pouvait bientôt menacer Akasaka.
Takano avait commis une grave erreur.
Elle n'avait pas imaginé une seconde que la sonnerie était le message que le docteur voulait faire passer.
Elle pensait que si le directeur insistait autant, c'était pour convaincre quiconque était dans cet appartement de décrocher, pour le prévenir de l'urgence de la situation.
Et en fin de compte, c'est cette erreur qui permit à Akasaka d'obtenir le précieux message...
À la limite des trois minutes, Akasaka ouvrit la porte et descendit rapidement les escaliers.
Il avait déjà mis ses chaussures pendant la sonnerie, pour ne pas perdre une seule seconde.
Il avait lu, relu et appris la petite carte du village que les enfants lui avaient laissée.
Il s'était préparé une route directe pour rejoindre la villa des Sonozaki, ainsi qu'une route de secours, pour le cas où.
Si des gens le voyaient sortir d'ici et se rendaient compte qu'il n'avait rien à y faire, ils risquaient de poser des questions, mais là, il ne pouvait se permettre d'hésiter.
Il lui fallait rejoindre les autres à la villa des Sonozaki, et ce, le plus vite possible !
En fait, le plus problématique était qu'il risquait de se montrer aux hommes qui surveillaient cette maison...
Ils se mettraient sûrement à sa poursuite.
Après tout, si la pièce était vide, la personne qui l'avait occupée tout ce temps devait forcément savoir où se cachait leur cible.
Akasaka roula des épaules et se détendit les muscles une dernière fois.
Il savait qu'une fois la porte ouverte, il devrait être prêt à parer à toute éventualité.
— ... Mon Commandant, un message de l'équipe de surveillance.
Ils ont vus un homme suspect sortir à toute vitesse de chez R.
— Un homme ?
Mais qui ?
Peu importe, suivez-le, arrêtez-le !
— Ici l'équipe de surveillance, bien reçu.
Commençons la poursuite.
Allez les gars, il faut le maîtriser au sol !
Il n'était pas encore tout à fait 10h du matin.
L'endroit était déjà bien fréquenté, car à cause de la fête, les organisateurs et les vendeurs devaient déjà vérifier que tout était en place.
Akasaka courut pour descendre les escaliers menant au sanctuaire, remontant le flot des gens qui arrivaient.
Derrière lui, les hommes des chiens de montagne en faisaient de même.
Le visage si sérieux d'Akasaka et des autres derrière lui tranchait fortement avec les visages radieux et excités des gens qui montaient les escaliers.
Akasaka savait qu'il était suivi -- il entendait le bruit des gens qui étaient poussés ou bousculés.
Il prit une grande respiration et donna encore un coup d'accélérateur.
Il savait que ses chances de fuir augmenteraient exponentiellement avec la distance qu'il leur prendrait !
Une fois arrivé en bas des escaliers, il partit sans l'ombre d'une hésitation dans la direction opposée à celle de la villa Sonozaki.
Bien sûr, il le faisait exprès.
C'était pour semer la confusion chez ses poursuivants.
— La vache...
Salaupiot !
Il court vite !
— Il a bouffé de la souris mexicaine, ou quoi ?
Hah, haah !!
Les chiens de montagne n'avaient pas été mentalement prêts à un effort pareil.
Ils n'avaient pas pensé que ce serait un homme adulte qui sortirait en courant de la maison, et surtout pas à cette vitesse-là !
Ils avaient en tête l'image de Rika ;
mais Akasaka n'avait rien d'une petite fille...
Surtout qu'en plus, il avait bien plus d'endurance et de force physique que le premier quidam venu.
Déjà en temps normal, ils auraient eu du mal à le suivre, alors en plus, sur une attaque-surprise...
Bien en retard et aussi bien tombés dans le panneau, les hommes des chiens de montagne annoncèrent à leur Quartier Général la direction dans laquelle Akasaka fuyait.
Lui était presque certain de pouvoir les semer et les perdre s'il mettait encore un peu de distance entre eux.
D'ailleurs, il pouvait presque se permettre de les attaquer un à un, ce serait toujours ça en moins à se farcir par la suite...
Combien étaient-ils, trois ?
Hmm, non, probablement quatre.
Il savait qu'au meilleur de sa forme, il pourrait les affronter tous ensemble.
C'était dangereux de surestimer ses forces, mais il avait passé l'âge où il ne savait pas jauger de la force de ses adversaires.
S'il réussissait à attirer l'attention de l'ennemi sur un endroit bien loin des points stratégiques de cette opération en lui occasionnant des dégâts conséquents, il devrait envoyer des hommes en renfort ici, et donc cela en ferait d'autant moins par la suite...
Mais en même temps, il ne savait pas ce que le docteur Irie avait réellement voulu lui transmettre comme message.
Certes, la situation devait être dangereuse pour lui, mais quid des autres ?
Akasaka ferait peut-être mieux de ne pas jouer à cache-cache et de se rendre directement chez les Sonozaki...
Il réfléchit à la situation, poursuivant sa course folle.
Pouvait-il disposer de ses adversaires et se rendre directement au point de ralliement ?
Derrière lui, le groupe de quatre hommes avait éclaté. Ils se suivaient, en une longue ligne, tous plus ou moins hors d'haleine.
S'il procédait de la bonne manière, il pourrait faire face à un seul ennemi, mais à quatre occasions différentes, et ça, c'était beaucoup plus facile à gérer.
Il avait une chance, il devait la saisir. Akasaka ralentit légèrement pour conserver du souffle, puis s'agrippa à un poteau électrique pour faire brusquement demi-tour et repartir dans l'autre sens !
— ... Hein ?!
Voyant leur cible revenir à toute allure vers eux, le premier homme, surpris, monta sa garde et se prépara au combat,
mais elle était bien trop simpliste pour Akasaka.
Il put immédiatement voir comment, où et quand frapper. Il eut même encore six foulées pour éventuellement modifier son plan d'attaque.
Mais la chose fut plus aisée qu'il ne l'avait pensé.
Or, après tout, avec des poings craints pour être pareils à des balles anti-char, il aurait dû savoir qu'il n'aurait besoin que d'un seul coup en plein visage pour se débarrasser de chacun de ses adversaires !
Dès son premier coup, un homme valdingua dans les airs. Il n'était pas encore retombé que le deuxième poursuiveur se faisait allumer par une deuxième balle anti-char...
Dans ses oreilles, le chant lancinant des grillons bourdonnait, incessant...
Irie se releva brusquement, reprenant soudain conscience.
Il avait perdu connaissance pendant un petit instant à cause du choc de sa chute.
Heureusement qu'il avait la “sale manie” de toujours mettre sa ceinture : c'était sans aucun doute à cela qu'il devait d'être encore en vie. Il avait vraiment eu énormément de chance, en fait.
Sa ceinture ne s'était pas déformée, il put donc l'enlever, et sa porte n'était pas froissée non plus -- il ne se retrouva pas bloqué dans son véhicule.
Il se trouvait dans un fossé, le long d'une route en contrebas de celle qu'il avait quittée.
Serrant les dents, Iie se bougea tant bien que mal pour descendre de la voiture.
Il entendit du bruit, plus haut sur la pente ; des hommes descendaient à pied dans les buissons que sa voiture avait franchis.
Ils sont à mes trousses...
mais je ne dois surtout pas me laisser rattraper.
S'ils me font prisonnier, je ne serai pas en mesure de sauver Tomitake.
D'ailleurs, plus personne ne sera en mesure de le sauver, en fait !
Même s'il était à bout de forces, il ne pouvait pas se permettre de se rendre.
La seule chose qu'il pouvait faire pour éventuellement aider Rika et les autres, c'était de fuir, et ce le plus longtemps possible ; chaque seconde serait la bienvenue...
Mais à peine s'était-il mis à courir qu'il fut frappé par une évidence.
Son corps était désormais lourd et pataud, ses genoux tremblaient, et sa vision faisait des vagues partout.
Il n'avait fait qu'appuyer sur les pédales, mais ses poumons menaçaient de lâcher, et son cerveau manquait cruellement d'oxygène.
Il se sentait vidé, comme souvent après un gros coup de stress ou un grand choc traumatique.
Sa tête savait qu'il devait rester sur ses gardes, mais son corps n'arrivait plus à suivre.
Il se mit tout de même à avancer, maladroitement, mais obstinément.
Dans son dos, il entendait des bruits de pas, de la terre qui roulait sur la pente. Les hommes à sa poursuite descendaient, eux aussi.
Les carottes sont cuites.
Mais malgré cette pensée défaitiste, Irie continua d'avancer...
— Ici l'équipe de sécurité,
cible en vue.
Il est blessé.
Nous allons le cueillir.
Ça y est, ils l'ont dit à Mme Takano avec leur transmetteur sans fil.
... Bon sang, je fais quoi, moi, maintenant ?
Il faut que... j'me tire de là !
— Et pourtant je veux viiivre ou surviiivre...♪...
— Mademoiselle, vous chantez quoi, depuis tout à l'heure ?
— Quoi, tu connais pas ?
Il paraît que c'est le dernier truc à la mode...
— Désolé,
je m'intéresse à beaucoup de choses, mais pas trop à...
Qu'est-ce que c'est que ça ?
Plus loin devant eux, il pouvait voir une voiture bien amochée. Quelqu'un avait eu un accident.
... Et d'après la petite fumée blanche qui flottait autour, c'était vraiment tout récent.
Kasai ralentit l'allure. On ne savait jamais.
— Quoi, qu'est-ce qu'il t'arrive ?
Eh ! Ouah... Ah ben elle va rouler moins bien, maintenant.
Eh, mais c'est le Chef, là-bas !
Kasai fit piler la voiture.
En entendant les freins, Irie eut un sursaut de peur et tomba à la renverse.
D'après ses difficultés à bouger et son comportement, il paraissait évident que c'était lui qui venait d'avoir cet accident.
— Hallöchen, Chef !
Me dites pas que c'est votre voiture qui est là ?
— ... Shion...
— Docteur, est-ce que ça va ?
... Il faudrait vous faire examiner, le plus vite possible.
— On va le ramener à la clinique, comme ça, il pourra s'examiner lui-même !
Ahahahahahahahaha !
— Vous pouvez vous relever ?
Nous allons vous emmener à la clinique, cela vaut mieux.
— Non... pas la...
Pas la clinique...
c'est
trop
dangereux.
Je dois aller à la villa Sonozaki... ...
oooh…
— Chef ?
CHEF !
Mais qu'essy s'passe ?
Ça m'a pas l'air bon, ça, je la sens mal !
Kasai regarda l'épave de la voiture, puis scruta alentour, un peu partout.
Puis il prit une voix très basse, de façon à se faire comprendre uniquement par Shion.
— Mademoiselle, on dirait bien que la situation est compliquée.
— ... Et pourquoi ?
— Sa voiture a essuyé des tirs.
Et ce n'était pas un pistolet de petite frappe.
— Sérieux ?
... OK, tu prends l'autre côté,
on va le transporter chez la vieille folle.
Ils placèrent Irie tant bien que mal sur la banquette arrière, puis montèrent rapidement, et la voiture démarra en trombe.
— Il faudra lui parler si nous voulons comprendre ce qu'il s'est passé.
“Pas la clinique, c'est dangereux” ?
Je me demande bien ce qu'il a voulu dire par là...
— Je pense que quelqu'un de la clinique l'a poursuivi, mais ce n'est qu'une supposition, et il ne sert à rien d'en discuter pour le moment.
Par contre, une chose est sûre, les faits sont extrêmement graves.
— ... Eh, ben,
où tu vas ?
Kasai n'avait pas tourné dans la bonne direction. Il ne voulait pas aller à la villa ?
— ... Ceux qui lui en veulent ont tiré avec une machine de guerre sur ses pneus,
donc ils le voulaient vivant.
Ils sont certainement tout près de nous. Peut-être nous suivent-ils déjà.
— Tu penses qu'ils sont derrière ?
Je ne vois rien, pas de voiture, pas d'hélicoptère non plus.
S'ils veulent nous prendre en filature, ils vont devoir se rapprocher, le terrain ne se prête pas à un truc discret.
— Je sais, mais c'est juste pour être sûr.
Je vais encore prendre quelques virages, et ensuite, nous irons en ligne droite à la villa.
Je suis désolé de vous demander ça, mais si vous pouviez surveiller nos arrières, ça m'arrangerait beaucoup.
— Compris !
— ... Ici l'équipe de sécurité,
la cible a été recueillie par des civils.
Je vais vous donner le modèle et le numéro de la plaque.
— Ici le Quartier Général, bien reçu.
Bouscarle Chanteuse, vous ne cherchez plus une personne, mais un véhicule civil.
Et dépêchez-vous.
N'oubliez pas, autant que faire se peut, il faut garder le directeur en vie.
Enlevez aussi les civils,
morts ou vifs, peu importe.
— Vous êtes surs que vous le retrouverez ? Je veux dire, que vous le trouverez rapidement ?
— Ne vous inquiétez pas, Mon Commandant,
la blouse du directeur contient un émetteur.
Bouscarle Chanteuse a un appareil pour capter le signal, ses hommes pourront retrouver le directeur par simple triangulation.
La blouse en question était sur Irie, qui lui, était couché sur la banquette arrière de la limousine que conduisait Kasai.
Dans le revers de son col, un émetteur miniaturisé trahissait sa position.
C'était une mesure de sécurité qui devait aider les chiens de montagne dans le cas d'un enlèvement.
C'est pourquoi ils n'avaient pas besoin de suivre la voiture physiquement, et c'est aussi pourquoi Shion n'avait pas besoin de s'abîmer les yeux à scruter l'horizon. Ils savaient déjà où elle se trouvait...
— Bouscarle Chanteuse 3, j'ai la cible.
Elle entre sur le chemin à côté du moulin à eau.
Sur la table de la salle de sécurité, une grande carte de Hinamizawa avait été déployée.
Le chemin à côté du moulin à eau... Ici. Il menait à une grande propriété privée.
Après ce chemin, la seule maison était celle des Sonozaki !
— Mon Commandant !
— Hmpfhfhfhfhfh...
On dirait bien qu'ils sont pris dans un cul-de-sac.
— Ici Phénix 1.
Bouscarle Chanteuse, attendez.
Je serai bientôt sur place avec mon équipe.
Nous vous rejoignons, et nous passerons ensemble à l'attaque !
— Bouscarle Chanteuse 1, bien reçu.
— Okonogi !
Si Bouscarle Chanteuse n'attaque pas immédiatement, nous allons leur laisser le temps de s'organiser !
— ... *tschhhhhhh* Je vous entends très mal, le signal est brouillé !*tschhhhhhh*...
— Rah, c'est pas vrai, personne ne m'écoute, à la fin !
La salle souterraine des Sonozaki avait elle aussi des appareils pour sa sécurité, des écrans sur lesquels les caméras installées çà et là dans la propriété diffusaient leurs images.
Bien sûr, le matériel n'avait pas la qualité de ce que l'Institut Irie employait.
Et puis, la salle des opérations était spéciale, aussi. Imaginez les combles d'une toiture en mains-jointes : un truc très bas dans lequel il faut se déplacer à genoux ou à quatre pattes.
Vous y placez des câbles qui viennent de partout, et quelques moniteurs à-même le sol, et voilà ! Une salle secrète digne d'un film d'espionnage.
Il y avait le téléphone, l'électricité, et même si tout était en sous-sol, il y avait de quoi servir de base d'opérations. C'était la villa des Sonozaki, mais en miniature.
Au début, tout le monde restait dans la salle des moniteurs, à cause de la nouveauté, sans doute. Mais une salle pareille, au bout d'un moment, ça commence à chauffer. Et puis, l'oxygène part très vite.
Finalement, seules Rena et Mion y étaient restées, pour assurer la surveillance.
— Mii, c'est quoi, ça ? On dirait une voiture qui vient de passer.
— Euh, alors alors... Ah, c'est la voiture de Kasai.
C'est sûrement Shion.
Elle est venu à cause de la fête du village, ce soir.
Rah, mais pourquoi aujourd'hui, mince !
Elle voit pas que c'est vraiment pas le moment ? Aucune sensibilité, cette fille, j'te jure...
Mémé est partie aux aurores pour la tente des organisateurs.
La villa est vide.
Si je ne sors pas d'ici, elle va penser qu'il n'y a personne.
Hmmm, il vaudrait mieux lui expliquer la situation, non ?
Elle sait se rendre utile, et elle est plutôt efficace.
Mouaiche, mouaiche mouaiche...
Alors que Mion considérait ses options, Kasai arrêta sa voiture devant l'entrée principale, et des silhouettes en descendirent.
— ... Eh,
Mii, regarde, c'est le Chef !
— Quoi ?
La caméra montrait Kasai et Shion, chacun soutenant le docteur Irie. Il avait visiblement du mal à marcher.
Quelque chose lui était arrivé, cela crevait les yeux !
— Il vaut mieux aller voir.
Rena, p'tit gars, vous venez avec moi.
Satoko et les autres, montez et surveillez les moniteurs !
Rika, ne sors surtout pas, c'est compris ?
Hanyû, tu surveilles Rika et tu l'empêches de sortir si nécessaire. Tiens-la bien à l'œil !
— Sir, yes, sir !
— Ça marche !
— Miaou ! Méchante !
En fin de compte, Okonogi avait pris la bonne décision.
S'il avait suivi les ordres de Takano et envoyé Bouscarle Chanteuse à leur poursuite, les caméras l'auraient montré.
Mais comme il avait demandé à attendre, l'équipe de Bouscarle Chanteuse n'était pas dans le champ des caméras.
Ainsi, personne ne pouvait se douter qu'en fait, Okonogi avait déjà retrouvé le docteur Irie, et qu'il avait des hommes prêts à l'action !
D'ailleurs, à cet instant, plusieurs camionnettes des Jardins Okonogi étaient stationnées près du moulin à eau, attendant patiemment l'agent Phénix 1 -- le lieutenant Okonogi...
Mais Mion n'avait pas tout à fait perdu les pédales, c'était très astucieux d'avoir laissé Satoko surveiller les moniteurs.
Et puis, si elle n'était pas sortie, elle aurait condamné Irie à une mort certaine.
Elle ne le savait pas encore, mais sans Irie, il leur serait impossible de sauver Tomitake.
Donc l'un dans l'autre, elle avait peut-être trouvé la meilleure chose à faire...
— Grande sœur ? Graaaaande sœuuuuur ?
Elle est au sanctuaire, tu crois ?
— Shiiiiiiooooon !
— Eh ben alors, tu sors d'où, toi ?
Encore à la cave secrète avec un garçon ? Les gens vont jaser.
Je vais finir par le dire à la vieille folle, si tu continues !
— J'ai pas le temps pour tes conneries, Shion !
Comment va le Chef ?
Chef !
— Ils lui ont tiré dessus ?!
— ... Donc toi aussi, tu t'es embarquée dans un truc un peu compliqué.
Il se passe quoi ?
— Shii, je vais tout de dire, mais écoute bien !
Alors, euh...
— Chef !
Que vous est-il arrivé ?
— ... Aaah, mmmmh, désolé, mais...
Les chiens de montagne ont enlevé M. Tomitake.
Il est retenu dans nos sous-sols.
Ils m'ont poursuivi quand j'ai pris la fuite, et j'ai eu un accident de la route...
Pas encore vraiment remis, le docteur Irie tenta d'expliquer succintement ce qu'il s'était passé.
Tout le monde fut soulagé de voir qu'il n'était pas grièvement blessé,
mais Mion prit un air très grave, avant de poser des questions à sa sœur.
— Dis, vous avez été suivis ?
— Non, il n'y avait personne en filature.
— Nous ferions mieux de rentrer dans le bâtiment.
Cette histoire sent très mauvais, et je n'aime pas la tournure des événements.
Soudain, des bruits de moteurs.
Plusieurs véhicules se rapprochaient !
Qui pouvait bien venir aussi nombreux à une heure pareille ?
La question ne se posait pas !
— Eh ben alors, tu vois que t'as été suivie, pauv'conne !
— Et puisque que j'te dis que non ! Alors pauv'conne toi-même !
N'y tenant plus, Kasai prit une des sœurs jumelles sous chaque bras, puis courut se mettre à couvert.
— Allons à la salle souterraine,
nous serons en sécurité là-bas !
— Très chèèère !
Des véhicules étranges sont apparus, c'est une invasion !
— Je sais, ouais, on arrive !
Retourne au sous-sol !
On va fermer la porte !
Où est Rika ?
— Elle est entrée avec Hanyû dans la salle secrète !
— Bouscarle Chanteuse 6, cible en vue.
Plusieurs des amis de R sont là aussi.
— ... Hmpfhfhfhfh...
Cette fois-ci, nous les tenons, R est certainement là-bas aussi !
J'ai raison, n'est-ce pas,
Jirô ?
— ... ... ...
Tomitake était allongé à-même le sol, dans la salle de la sécurité.
Il était en mauvaise posture, encore pire qu'avant. On lui avait passé des menottes pour maintenir les unes aux autres les paires de menottes qui lui maintenaient les pieds et les poings attachés.
Il ne pouvait plus se relever ; il avait d'ailleurs du mal à bouger tout court.
Takano, imbue de sa victoire, était à ses côtés, tout sourire, lui chatouillant et lui pinçant les aisselles de temps en temps.
Les hommes des chiens de montagne passèrent sans aucune difficulté le mur d'enceinte de la villa.
À présent, les choses étaient claires.
Ils étaient effectivement les ennemis dont Rika devait se méfier.
Ils s'enfoncèrent en courant dans la forêt, en direction de l'entrée de la salle souterraine.
Les cinq hommes en tête pensaient attraper chacun l'un des fuyards, mais...
un homme chuta brutalement au sol,
puis un deuxième.
Au moment où leur camarade les tança pour leur demander ce qu'il leur prenait de jouer aux cons, son pied accrocha quelque chose, et il fit un gros vol plané.
— Raaaaaah, MERDE !
À peine avait-il essayé de se relever que son pied accrochait à nouveau quelque chose.
Il avait la jambe prise dans une corde !
Et comme il était bien tombé, elle s'était empêtrée sur lui, et le privait d'une grande partie de ses mouvements !
— Eh, les gars, faites attention !
Les buissons sont infestés de pièges !
Satoko avait posé des pièges un peu partout.
Elle n'avait eu qu'une journée, mais elle n'était pas du genre à chômer !
Un à un, les membres du club se faufilèrent dans l'ouverture de la porte du temple souterrain.
Les chiens de montagne les regardèrent faire, impuissants, se mordant les lèvres de rage !
— Venez tous m'aider !
Il faut fermer la porte !
— À la uuune, à la deuuuux, poussez !
La lourde porte en fer et en fonte fut déplacée en un instant, grâce à l'effort conjugué de tous.
Mion ferma la porte à clef, puis plaça une lourde poutrelle pour bloquer les battants.
— À ton avis, ça tiendra ? Ils ne pourront pas casser la porte, hein ?
— J'ai pu voir cinq ou six véhicules sur les moniteurs, mais ils sont peut-être encore plus nombreux !
Il y avait des hommes portant l'uniforme dans chaque camionnette !
— Ils ne passeront pas cette porte facilement, mais ils ont l'air d'être habitués à passer en force.
Il vaut mieux ne pas les sous-estimer.
À peine avait-il fini sa phrase que la porte était frappée plusieurs fois.
Les renforts étaient arrivés, et ils tentaient d'enfoncer la porte.
C'était très dérangeant de savoir l'ennemi si proche... Impossible de se calmer, dans une situation pareille !
— C'est ma faute...
Je suis vraiment désolé...
— Mais non, Chef, vous n'avez rien fait de mal.
Allez, il faut se cacher, maintenant !
— Ouais, il faut au moins les observer avec les caméras !
— Oui, d'accord, très bien, laissez-moi comme une conne à me demander ce qu'il se passe, je vous dirai rien.
— Rah, mais tais-toi, toi !
Quand j'aurai deux minutes, j't'expliquerai !
— Bouscarle Chanteuse 1 à Phénix 1.
La cible s'est retranchée dans une sorte d'abri-bombes.
La porte est en métal, impossible de la faire tomber !
— Ici Phénix 1, bien reçu.
Les Sonozaki sont très riches.
Leur propriété est tellement grande qu'on ne peut pas l'encercler. Il faut trouver autre chose !
Je vais me joindre à vous pour défoncer la porte.
Bouscarle Chanteuse, essayez de trouver un arbre mort
pour en faire un bélier !
— Phénix 7 à Phénix 1.
J'ai des charges de plastique, si vous voulez.
Je les place ?
Les charges de plastique sont des explosifs militaires.
Ils sont utilisés dans de nombreuses opérations, alors il y en a de toutes sortes. Dont une pour les portes récalcitrantes.
Okonogi faillit dire eurêka, mais il pensa à autre chose.
Si jamais il utilisait ces charges, le bruit de l'explosion s'entendrait dans tout le village. Les gens sauraient immédiatement que quelque chose de louche se passait.
En pleine journée, les chiens de montagne ne pouvaient vraiment pas faire ce qu'ils voulaient...
— ... J'aurais bien aimé, mais ça va pas être poss--
ible ?...
Attends voir.
Il est quelle heure, là ?
— Quasiment 10h.
— ... On peut ! Il va falloir faire très vite !
Phénix 7, sors les charges et les émetteurs !
— Pardon ?
Et où est le rapport avec l'heure, Chef ?
Okonogi était beaucoup plus froid et calculateur que d'habitude.
Mais il avait vérifié plusieurs fois déjà.
Son cerveau lui disait que c'était bon !
Tout le monde était agglutiné dans la petite salle secrète, devant les moniteurs.
— Vous allez tous bien ?
— Oh là là, nous avons regardé,
il y a une trentaine de soldats !
— La vache, tellement que ça ? Eh ben...
— Je vais changer de caméra, bougez pas...
Ahahaha, regardez-les, ils se sont fracassés tout seuls !
Mion avait changé de caméra en appuyant simplement sur un bouton, en bas de l'écran.
On voyait maintenant quelques hommes en train de se tenir les épaules.
Pendant qu'eux se massaient pour faire partir la douleur, d'autres cherchaient visiblement comment ouvrir la porte.
— ... Je me demande ce qu'ils comptent faire.
— Ils s'imaginent nous avoir coincés.
Je subodore qu'ils vont tenter de passer en force, d'une manière ou d'une autre !
— Ils font quoi avec ce bout de bois ?
— Ils ont ramassé un tronc et vont en faire un bélier.
— Pendant qu'ils sont en train de chercher à casser la porte, il faudrait partir d'ici !
Ils croient que nous sommes pris au piège, non ?
— C'est une bonne idée.
Et puis, il nous faut absolument sauver Tomitake...
— Oui,
même si la porte est solide, si jamais l'ennemi voit Rika, nous aurons perdu.
Je pense qu'il est temps de lever le camp.
— Grande sœur, vu les circonstances, on pourrait appeler la Police, tu ne crois pas ?
— Oui.
J'ai failli oublier, mais après tout, tous les civils ont le droit de vivre tranquilles !
Et même si leur agent infiltré dans la Police apprend que nous avons appelé, il ne pourra plus rien faire !
Je suis sûre que l'inspecteur Ôishi viendra nous sauver !
Mion, respirant la confiance en soi, prit le combiné.
Plus qu'un petit numéro, et l'affaire était dans le sac !
— ... Gné ?
... Hein ?
— Quoi, qu'est-ce que t'as ?
Mion se mit visiblement à transpirer. Elle raccrocha et décrocha à nouveau, encore, plusieurs fois. Elle avait l'air de plus en plus inquiète.
— Le téléphone... Mais pourquoi ?
On n'a pas de ligne !
— ... Ils ont coupé les câbles, je parie.
— Eeeeeeeeeeeh ?!
D'un seul coup, il fit un noir d'encre.
— ... Une coupure de courant, maintenant ?
Kasai alluma son briquet.
Mion chercha une lampe-torche et l'alluma.
— Ils ont trouvé le point faible de cet endroit...
— D'accord, mais il fait tellement sombre, ils ne pourront pas nous trouver facilement !
— Je ne sais pas si c'est le cas, mais je vous parie tout ce que vous voulez qu'ils ont des appareils pour voir dans le noir...
Vous êtes pas du même avis ?
— Très chère, à votre avis, pourquoi couper les câbles de l'alimentation ?
Pour nous faire peur ?
— ... Sûrement pour autre chose, mais quoi ?
Pour couper les caméras, peut-être...
— Ils ont tâté la porte, tout à l'heure.
Je pense qu'ils n'ont pas abandonné.
Ils ont sûrement préparé de quoi ouvrir la porte d'un seul coup, et ont coupé les caméras pour ne pas nous montrer ce qu'ils nous réservaient !
— Allons bon, ils vont quand même pas faire exploser la porte, quand même ?
— Attends, mais s'ils défoncent la porte, alors cet endroit ne nous sert plus à rien !
— Mii,
il faut partir d'ici, tout de suite !
Tu nous as parlé d'une sortie secrète, non ? C'est où ?
— ... Je vais vous la montrer, venez !
Le problème de l'ordinateur qui occupait la boîte crânienne de Mion, c'est qu'au moindre pépin, il se mettait à ramer comme pas permis.
Mion n'avait pas pris les chiens de montagne à la légère.
Elle avait supposé qu'ils avaient des grenades et des explosifs.
Mais elle avait aussi écarté leur utilisation, ils ne feraient pas ça dans un petit village tranquille, pas en plein jour !
Le bruit ne pourrait pas passer inaperçu !
Les explosifs silencieux, ça n'existait pas !
— De toute façon, ils sont là pour les opérations musclées, non ?
J'imagine que ça ne les dérange pas de prendre des risques.
— Je sais que ça n'en a pas l'air, en ce moment, mais les chiens de montagne sont extrêmement prudents.
Ils n'auront pas l'autorisation d'utiliser des explosifs en plein jour. Mme Takano pourrait se laisser tenter, mais pas Okonogi. Il ne le permettra jamais !
— Et ils veulent quand même passer en force, alors ?
Ils manquent pas d'air !
— Je ne sais absolument rien en armement, mais il y a bien des pistolets avec des silencieux, non ? Ça existe pour les bombes, par hasard ?
— Non, Rena,
tous les explosifs font plus ou moins le même bruit.
— ... Mais bien sûr, je vois quel est leur plan !
Chef, vous êtes l'un des organisateurs de la fête, n'est-ce pas ?
Qu'en est-il ? A-t-elle été reportée à cause de la météo ?
— Je ne sais pas, la décision sera prise aujourd'hui, vers... Mais bien sûr...
— Oh non, oh non, oh non !
Ça va être comme pour les événements sportifs ?
— Je vois, ils veulent cacher l'arbre au milieu de la forêt...
Rika connaissait le caractère d'Okonogi bien mieux qu'Irie.
Il était souvent à se plaindre qu'il devait protéger la princesse.
Qui aurait cru qu'il était aussi intelligent et aussi prompt à réagir ?
Personne, pas même elle, et c'était ce qui la vexait le plus.
Sur la porte d'entrée de la salle souterraine, il y avait maintenant des petites mottes de terre, comme de l'argile.
Il y avait des fils qui en partaient, qui se déroulaient sur plusieurs dizaines de mètres, et les chiens de montagne étaient encore derrière, bien à l'abri.
Tous les fils convergeaient vers une seule et même boîte ;
celle-ci se trouvait dans la main de l'un des agents.
— ... Attention, il sera bientôt 10h.
— Éhhéhéhéhé, ahahaha !
Quand ils nous ont attaqués ce matin, je me suis dit que c'était vraiment pas la bonne journée,
mais en fait, maintenant, ça m'arrange beaucoup !
Vous n'êtes pas les seuls à pouvoir utiliser cette journée pour vos plans.
Vous allez voir ce que vous allez prendre, ce sera pour vous remercier de m'avoir tiré du lit à une heure pas possible...
Les événements publics et autres grandes fêtes devaient prévenir les gens pour confirmer si ils auraient bien lieu, ou s'ils seraient ajournés.
Et c'est pourquoi très souvent, les comités d'organisations ont pour habitude de... faire un petit feu d'artifice.
Pour les fêtes sportives des écoles, par exemple, il était tiré très tôt le matin.
Mais pour les fêtes en soirée, un feu d'artifice à 10h du matin, c'était largement suffisant.
... Soudain, il y eut au loin quelques explosions de gros pétards et de petites fusées.
Dans un terrain aussi vallonneux que Hinamizawa, le bruit se répand en échos, il est donc toujours difficile de savoir d'où il provient exactement.
Et c'était aussi tout à l'avantage des chiens de montagne !
— MAINTENANT !
Il y eut un grand bruit, suivi de fortes vibrations, un peu comme un tremblement de terre.
Apparemment, plusieurs poutrelles avaient été pliées, ou ne serait-ce que déformées, car elles grinçaient beaucoup. Leurs bruits se réverbéraient un peu partout, et du plafond tombaient des nuages de poussière et de sable.
La déflagration avait dû être vraiment très puissante.
La lourde porte en fer avait probablement été soufflée.
Et tout ça, sans pour autant se faire remarquer par les habitants du village !
— Allez, venez,
c'est au fond !
Mion fit signe aux autres, depuis l'une des cellules creusées dans la roche.
Il y avait un puits vertical dedans, très, très bien caché. En fait, à moins d'entrer dans la cellule, on ne pouvait pas voir le trou.
Mion l'appelait “le puits caché”, mais c'était vraiment juste un trou super glauque.
Même avec toutes les sources de lumière, impossible d'éclairer grand'chose là-dedans.
— Quoi, il va vraiment falloir descendre là-dedans ?
Il va jusqu'où ?
— Il faut descendre pas mal, et à un moment, du côté, il y a un tunnel horizontal.
Si tu le suis jusqu'au bout, ça débouche dans un puits abandonné dans la montagne.
— Eh bien puisque nous avons un expert, tu ouvriras la marche, Grande Sœur.
Allez, hop hop hop.
— Quoi, moi, devant ?
— Qui veux-tu d'autre, tu es la meilleure !
Kasai et moi, nous couvrirons vos arrières !
Alors magnez-vous !
— ... Ouais, d'accord.
Mion avait voulu assurer elle les arrières.
Mais elle -- et probablement sa sœur jumelle -- étaient les seules à savoir que si tout le monde sortait par là un à un, les derniers se feraient tuer.
À la différence de la porte d'entrée, le reste des portes était franchement facile à forcer, même tout seul.
Et puis, il n'y avait plus ou moins qu'un seul chemin.
Les sbires de l'ennemi ne risquaient pas de se perdre en route.
C'est pourquoi Shion avait parlé avant sa sœur, pour l'empêcher de se sacrifier.
Et puis aussi, c'était elle qui était la véritable aînée.
Elle savait que sa petite sœur se dévouerait à faire croire aux autres qu'elle était l'aînée jusqu'au bout, mais cette fois-ci, ce n'était plus pour rire, c'était vraiment dangereux. Et Shion voulait, au moins maintenant, protéger sa petite sœur...
Mion regarda sa sœur, et à cause du lien si spécial qui les unissait depuis leur naissance, elle sut.
Elle n'était pas stupide.
Elle savait qu'elle n'était pas la seule à s'en vouloir d'avoir échangé leurs places.
Tout comme Mion s'en voulait d'avoir volé la place de l'aînée à sa sœur, Shion, elle, s'en voulait d'avoir refilé les responsabilités du chef de clan à sa cadette.
Et maintenant, elle obtenait une chance de payer pour cette faute.
— Mademoiselle,
donnez-moi la clef de l'arsenal.
Il est temps de nous en servir.
Mion prit la clef du chef de clan, puis la lança en direction de Kasai sans dire un mot.
Il l'attrapa, puis lui et Shion partirent plus loin, en direction d'une autre cellule.
— Bon, écoutez-moi bien, les enfants.
Il y a grosso merdo 30m de descente jusqu'au tunnel de sortie.
Mais ne tombez pas, parce que le puits descend beaucoup plus bas !
Et comme il fait nuit noire là-dedans, il faudra faire très attention à là où vous mettrez les pieds.
Ceux qui attendent leur tour, prenez la lampe-torche pour éclairer les appuis creusés dans la roche !
On ne pourra descendre qu'à un ou maximum deux à la fois.
Je passe la première.
Éclairez bien la paroi !
— Mion, fais très attention à toi.
Quant à ceux qui éclairent, ne vous penchez pas trop pour ne pas tomber !
Si l'électricité n'avait pas été coupée, ils auraient pu tous descendre en même temps, à la queue-leu-leu.
À cause des ténèbres, ce n'était plus visible, mais en fait, il y avait plusieurs ampoules tout le long du puits, que l'on pouvait allumer avec un interrupteur caché.
Mion avait pressé cet interrupteur,
mais rien ne fonctionnait, évidemment.
Encore, pour monter, ça n'aurait pas été trop un problème, mais à la lueur d'une lampe-torche, la descente était vraiment dangereuse.
Pour un peu plus de sécurité, quelqu'un devait éclairer le tunnel depuis en bas.
Mion avait vu juste.
En passant la première, elle se rendit bien compte que même elle, qui connaissait le chemin, avait beaucoup de mal à progresser...
Plus elle descendait, et moins la lumière éclairait ses pieds.
Elle dut commencer à tâtonner précautionneusement du pied pour trouver chaque appui, et fut rapidement en nage, non pas à cause de l'effort, mais de la nervosité.
Il y avait 30m jusqu'au tunnel de sortie.
C'était déjà plutôt profond.
Mais elle savait que le puits descendait beaucoup plus bas.
Si elle tombait, elle n'en sortirait pas avec quelques contusions !
... Hmmm. Je dois être arrivée pas loin des 30m, je pense.
Ça fait combien de tatamis en longueur, ça ?
J'ai quand même pas déjà dépassé l'entrée ?!
Alors qu'elle se posait encore la question, elle sentit un vent frais lui remonter le dos.
D'après le courant de l'air, le tunnel devait être tout près. Elle sortit sa propre lampe et éclaira la paroi du côté.
Elle vit alors l'ouverture d'une immense gueule d'un noir de jais.
— ... Allez...
Allez... Hop !
Pouh, la vache...
OK !
Eh, les enfants, j'y suis !
Vous pouvez descendre ! Rika d'abord !
Mion incline sa lampe-torche de façon à bien éclairer en l'air.
— Parfait !
Allez, à toi, Rika.
Ensuite, ce sera à vous, Chef, ensuite Hanyû, et ensuite Satoko !
Allez, traînez pas !
Irie fit mine de vouloir rester, mais Rena le coupa net dans son élan.
S'il ne s'enfuyait pas, personne ne pourrait entrer dans l'étage sécurisé de la clinique.
La présence du docteur était indispensable s'ils comptaient sauver Tomitake.
Bien sûr, on ne pouvait pas donner de valeur chiffrée à la vie, mais sa survie était cruciale, presque autant que celle de Rika !
— Faites attention. Allez, je vous éclaire.
— Je sais, Irie, je sais !
Et vous autres aussi, dépêchez-vous de nous s-- Aah !
— Rika !
À la différence de Mion, Rika était plutôt petite.
Elle ne pouvait pas descendre aussi facilement, devant chercher les marches presque à chaque fois.
C'est pourquoi il lui arrivait de glisser...
— Ne vous en faites pas, c'est bon !
Saloperie de merde, j'commence à en avoir ras le cul de vivre sans grandir !
C'est bien la dernière fois que je le fais ! Je dépasserai le mois de juin 1983,
et je grandirai, vous verrez !
Et j'espère que j'aurai même une paire de seins à vous rendre toutes jalouses !
Parce que ce corps de gamine, ça commence franchement à me courir !
Même à son âge -- cent ans et plus au compteur, excusez du peu -- Rika avait encore et toujours le vertige.
Essayant de dompter sa peur du noir et sa peur de tomber, elle serra les dents et chercha frénétiquement les marches au-dessous d'elle.
Elle remarqua que la lumière de Mion lui était plus utile que celle du haut.
Elle sut alors qu'elle pouvait demander au prochain de commencer à descendre.
— C'est bon pour moi, je peux me débrouiller !
Le suivant peut descendre !
— Allez,
Chef, c'est à vous !
— Et faites-nous le plaisir de descendre vite fait bien fait !
— Bon,
eh bien alors, allons-y.
Les chiens de montagne avaient équipé leurs lunettes bizarres, et avançaient désormais prudemment dans le bâtiment.
L'agent qui ouvrait la marche remarqua l'un des pièges de Satoko et fit signe aux autres de s'arrêter.
— Bouscarle Chanteuse 7 à Bouscarle Chanteuse 1.
J'ai trouvé un piège avec des fils.
Faites très attention quand vous avancez.
— Bouscarle Chanteuse 1, bien reçu !
Phénix 1, nous avons trouvé la trace de nombreux pièges.
Ne serait-il pas plus rapide de rétablir le courant ?
— Bien sûr que non, et puis quoi encore ?! Ça leur permettrait de s'enfuir plus facilement !
Ils doivent avoir beaucoup de mal à fuir dans des ténèbres pareilles.
Nous sommes à notre avantage, alors profitons-en !
Il faut les retrouver et les capturer.
Je ne me fais pas d'illusions, vu la taille de cet abri, il a certainement plusieurs sorties.
Ils ne sont pas en train de se cacher, ils sont en train de partir !
Donnez aux agents des armes à feu, un bouclier anti-émeute et des grenades aveuglantes.
Les Sonozaki sont une famille de yakuzas,
ils ont des armes illégales pour se défendre.
... Ce qui veut dire que les pièges avec des fils sont sûrement aussi dangereux que des claymores.
Vous avez intérêt à faire gaffe si vous ne voulez pas vous prendre des milliers d'éclats dans le buffet !
Si vous sautez dessus, vous serez réduits en charpie !
— ... Bien reçu.
Les pièges que Satoko avait posés étaient très efficaces, justement parce que les chiens de montagne étaient des pros.
Ils connaissaient beaucoup de pièges mortels construits de cette façon, et Satoko avait compté là-dessus. Ses petits pièges allaient leur faire gagner pas mal de temps...
Grâce à eux, elle avait pu freiner les agents à leurs trousses. Ils avaient défoncé la lourde porte en fer, mais ne pouvaient quand même pas courir dans le bâtiment, et c'était le principal.
Après tout, il n'y avait qu'une seule porte entre l'entrée et la grande grotte dans laquelle les fuyards descendaient le long du puits.
Bref, l'arrivée des ennemis n'était plus qu'une question de temps.
— Super, et maintenant, à toi, Rena !
— D'accord !
Mais traîne pas derrière, hein ?
— Mon cœur, ça va ? Vous avancez ?
— Ouais, on en est à Rena, là !
Apparemment, ça descend assez facilement !
— Ouais, ben t'emballe pas trop non plus, hein, tombe pas.
Ce puits sert depuis des générations à se débarrasser des corps de ceux qui osent nous défier. Enfin, c'est ce qu'on a dit☆!
— Ouh là... Shion, mais c'est quoi, ce que t'as dans les mains ?
Shion était revenue du fond de la salle avec, dans les mains... une énorme mitrailleuse.
C'était une arme automatique comme on en voyait souvent dans les films de guerre ! C'était quoi, déjà...
Rah, mais si, le modèle avec le chargeur tout rond qui se clipse devant !
Kasai portait lui aussi le même modèle d'arme.
Il la maniait avec une dextérité et une rapidité effroyable. Ça faisait vraiment surréel, comme si ce n'était pas vrai...
Mais dans la pénombre, et dans cette situation, en fait, la présence de ces armes était presque normale.
J'étais le seul idiot à ne pas savoir ce que c'était au juste ; c'était en fait moi qui n'avais pas ma place ici.
Shion et Kasai entrèrent dans la cellule où était caché le puits, puis ils se placèrent dans des creux de chaque côté, chacun vérifiant qu'il avait la salle de torture bien en ligne de mire.
Kasai avait l'air d'être un expert, mais Shion aussi.
— Shion, laisse, je vais le faire.
Quand Rena aura fini, descends le plus vite possible !
— Alors là, mon cœur, je dois dire que c'est mignon comme tout de vouloir jouer à l'homme protecteur, mais ta fierté risque de ne pas nous servir à grand'chose.
J'ai autre chose à faire qu'à t'expliquer le maniement d'une kalashnikov. Quand Rena sera en bas, tu descendras dans ce puits, et à toute blinde, si possible. Ça nous fera perdre beaucoup moins de temps.
Ne t'en fais pas, va.
Les jolies femmes ne meurent jamais dans les films☆!
Alors que Shion faisait un clin d'œil complice à Keiichi, une deuxième porte fut défoncée par les chiens de montagne.
Immédiatement, Kasai et Shion redevinrent sérieux. Ils se replacèrent en position, l'arme en position de tir.
L'ennemi était désormais dans la salle de torture.
Juste à côté de la porte, il y avait une lampe-torche encore allumée, qui éclairait justement la sortie.
C'était Kasai qui l'avait posée là-bas, pour les aider à viser.
L'ennemi semblait bien pouvoir voir dans la nuit, mais pour lui et Shion, c'était un autre son de cloche,
alors il avait dû improviser.
Dans la salle de torture, on entendait les déplacements des chiens de montagne.
Ils n'étaient qu'à une porte, une toute petite porte, de leurs cibles...
— Keiichiiiiiii !
Dééépêêêche-toiii !
— Allez, Shion, descends !
— ... Mademoiselle.
— Si je descends et que tu meurs,
ma sœur m'en voudra jusqu'à son dernier souffle.
Je n'ai plus personne dans ma vie, mais ma sœur, si.
— ... ???
De quoi tu parles, on n'a pas le temps pour ces conneries !
— J'ai pas l'intention de mourir,
mais dis à Shion que j'espère que lors de notre prochaine réincarnation, nous serons encore une fois sœurs jumelles !
Et maintenant, CASSE-TOI !
Shion décocha un regard qui ne souffrait pas de discussions.
Keiichi ne comprenait pas pourquoi Shion lui avait demandé de transmettre un message à “Shion”.
Mais il n'était pas du genre à trop chercher la petite bête. Il se sentait obligé de s'accomplir de cette tâche, aussi incongrue pût-elle lui paraître.
Il savait que s'il ne le faisait pas...
eh bien, dans le pire des cas...
Mion ne saurait jamais ce que sa sœur aurait voulu lui dire.
Soudain, une explosion déchira l'atmosphère.
Les chiens de montagne avaient lancé quelque chose depuis la porte de la salle de torture, qui avait provoqué un bruit assourdissant, puis Kasai avait tiré.
Et comme l'endroit était très grand et très haut, le bruit se réverbérait encore et encore, amplifié comme tout...
Keiichi grava la scène dans les rétines de ses yeux,
puis, ne supportant plus de se sentir aussi inutile,
il se mit à descendre les échelons, les larmes aux yeux.
Mion lui intimait l'ordre de s'activer, avec une voix suraiguë.
Keiichi fit passer l'ordre au-dessus, la voix bien plus aiguë qu'à l'accoutumée, lui aussi.
— Ici Bouscarle Chanteuse 1,
nous sommes attaqués ! L'ennemi a construit une ligne de défense dans une sorte de grande grotte naturelle.
J'ai pu voir les tirs de deux canons, certainement des modèles AK.
— Et ils tirent très bien, ce sont des pros en face.
Phénix 1, attendons vos ordres.
— Ahahahahahahahaha !
Aaaah, ça devient intéressant !
Bon, si on a des pros en face,
alors envoyez seulement ceux qui ont passé l'entraînement de la boucherie !
Bouscarle Chanteuse 1 et 2, Phénix 7 et 8, préparez-vous à l'assaut.
Vous avez quoi comme armement ?
— Nous avons quatre MP5, plusieurs grenades de chaque sorte.
Les boucliers anti-émeutes ne seront pas efficaces contre leurs tirs, nous les laisserons ici.
— Il y a une lampe-torche au sol qui éclaire la porte.
Je suppose qu'en face, ils n'ont rien pour viser dans le noir.
— Ici Bouscarle Chanteuse 1.
Nous allons nous occuper d'entrer pour les déloger.
À mon signal, vous balancez une grenade flash !
Pendant que l'ennemi préparait sa stratégie, Kasai changea son chargeur.
— Mademoiselle, vous en avez fait assez,
vous pouvez descendre.
— Si je descends, tu ne pourras plus recharger, Kasai, et personne ne sera là pour te couvrir.
Il faut rester à deux, tu devrais le savoir !
Ce qu'elle disait était logique, mais en même temps, elle impliquait que les deux derniers devaient rester pour toujours là-haut pour se couvrir l'un l'autre ;
cela ne pouvait pas marcher.
Depuis le tunnel, Mion passa la tête dans le puits et hurla vers le haut.
— ESPÈCE DE CONNASSE, AMÈNE TON GROS CUL !
DESCENDS ICI TOUT DE SUITE, ET EN VITESSE !
Tout le monde ici présent savait bien que c'était dangereux de rester ici.
Mais personne n'eut le cœur d'arrêter Mion et de la forcer à partir.
— ... Bon, Rena : euh, Mion et moi, on attend les autres.
Toi, tu accompagnes le Chef et Rika hors d'ici, dans la montagne, d'accord ?
— ... OK, c'est compris.
— Non, Keiichi, je refuse.
Je veux tout le monde ici et vivant.
— Rika...
— ... C'est le dernier monde, c'est mon dernier essai !
Si je rate mon coup, je ne pourrai pas me dire que tant pis, j'essaierai de faire mieux la prochaine fois, il n'y aura pas de prochaine fois !
Je ne veux pas d'un monde sans Shion, ni d'un monde sans Kasai !
Alors arrêtez de tous vouloir jouer au héros et magnez-vous de sauver votre peau !
Shion ! Descends, et dépêche-toi !
De là où Rika observait la scène, elle vit un grand flash de lumière, puis encore une fois, une cacophonie assourdissante retentit.
Puis, encore une fois, un bruit à vous crever les tympans.
Et surtout, le bruit d'un autre type d'armes.
Le petit bruit régulier, ça devait être celui des douilles qui tombaient au sol.
Bien sûr, vu d'en bas, on ne voyait rien.
La seule chose de perceptible était le son.
Et lorsqu'enfin, tout cela s'arrêta...
... Après un court silence, des bruits de pas, bien différents de ceux de Shion ou de Kasai, et surtout bien plus nombreux, se rapprochant.
Des chaussures très résistantes tapaient dans les douilles pour les écarter du chemin, avançant avec précaution...
— ... OK, zone nettoyée.
Bouscarle Chanteuse 1 à Phénix 1, nous avons pris d'assaut leur position défensive.
La voix arriva en écho depuis le haut du puits, parvenant aux oreilles des fuyards en contrebas.
Parmi eux, en vain...
certains restèrent bouche bée,
d'autres se mirent à pleurer,
d'autres encore à pousser un long cri silencieux.
Et pourtant, tous restaient là, le regard fixé vers le haut,
à attendre de voir Shion se mettre à descendre le puits,
mais bien sûr,
ils attendirent.
Une lumière crue et intense se mit à éclairer l'ouverture du puits.
Irie, Mion et Keiichi se replacèrent dans le tunnel de sortie.
Le problème était que de toute manière, les agents des chiens de montagne avaient de quoi voir dans les ténèbres.
Ils surent instantanément où les fuyards s'étaient cachés.
— ... ... ... Bien reçu.
Je vais tenter.
... Vous m'entendez ?
Pas la peine de répondre, écoutez-moi simplement !
Un des chiens montagne se mit à crier depuis la hauteur.
— Livrez-nous la Reine Mère, je veux dire, Rika Furude, ainsi que le directeur de la clinique, Kyôsuke Irie !
Vous faites erreur,
nous sommes venus pour éradiquer une maladie endémique très particulière.
Apparemment, le directeur est lié à un complot.
Mais les autres d'entre vous n'ont rien à voir avec cette histoire !
Alors ne faites pas d'histoires et donnez-nous ces deux-là !
Ayant auparavant éteint toutes leurs sources de lumières pour ne pas se faire repérer par l'ennemi, personne ne sut exactement comment réagirent les uns et les autres,
mais Keiichi sentit la rage déformer les traits de Mion.
Mais ni lui ni personne ne put empêcher celle-ci de crier.
— Espèces d'ASSASSINS !
Vous paierez ! VOUS PAIEREZ POUR SHION !
— C'est la gamine qui est ici ?
Si ça peut vous rassurer,
elle est vivante.
Elle est juste évanouie.
— T'as entendu, Mii ? Elle est vivante ! Elle est vivante !
Mais Mion savait que ce n'était pas une raison de se réjouir : dans cette situation, cela ne les avançait pas plus.
— Quant à l'homme, c'est pareil,
il est vivant.
Mais puisque vous ne voulez pas nous livrer nos cibles, nous allons être obligés de nous servir d'eux pour négocier.
— Qu'est-ce que vous comptez faire ?!
Alors que Mion regardait en vain vers le haut -- après tout, avec les ténèbres ambiantes, elle ne risquait pas de voir grand'chose -- l'entrée du puits se retrouva soudain très bien éclairée, et la gratifia d'une vision assez incroyable.
Un agent tenait Shion par l'arrière de son col, suspendue au-dessus du vide.
S'il lâchait, elle se mettrait immédiatement à tomber.
Et il y avait très loin jusqu'au fond.
Elle ne s'en sortirait pas vivante !
— Sh... SHION !
Celle-ci ne répondit pas, mais elle fit un vague mouvement.
Elle était encore vivante.
... En tout cas, pour l'instant.
— ... Non... T'inquiète, Mion,
ils la lâcheront pas, c'est du bluff...
— Hein ?
Mais t'es pas bien ou quoi, qu'est-ce qui te permet d'affirmer ça, hein ?
Je vais t'expliquer, gamin, si tu as plus qu'un seul otage, tu peux tuer tous les autres !
Ils ont Shion et Kasai.
Quand ils auront jeté Shion dans le puits, ils nous feront le même chantage avec Kasai !
C'est pas du bluff, ducon la joie !
Après s'être fait copieusement insulter, Keiichi ne put que se taire et regretter d'avoir parlé sans savoir.
— Si vous avez besoin d'y réfléchir, nous pouvons vous laisser un peu de temps,
mais sans réponse de votre part, dans une minute, je la lâche.
Alors réfléchissez vite, et bien !
— Merde, merde, merde, merde, qu'est-ce qu'on fait ? Qu'est-ce qu'on fait ?!
Mion commençait clairement à perdre les pédales.
— ... Ils en ont surtout après moi.
Nous n'avons qu'à dire que nous avons déjà fait évacuer Rika ailleurs.
Je vais y aller, mais seul. Je pense que ce sera suffisant pour sauver leurs vies.
Cette proposition semblait le meilleur compromis pour limiter les victimes au strict minimum, mais Rena ne semblait pas de cet avis.
— ... Non, Chef.
Shii a mis sa vie en danger pour nous faire gagner du temps et nous permettre de fuir.
Si vous remontez là-bas, tout aura été en vain.
— Alors quoi ?!
Tu veux qu'on la laisse crever ?!
Rena, tu penses sérieusement que Shion peut crever, que ce sera pas une grande perte ?!
Te fous pas de moi !! SHIONNNNNNNN !
— Arrêtez, mais arrêtez donc !
Que croyez-vous, très chère ?! Que cela ne nous rend pas complètement folles de douleur ?
Votre sœur est... votre sœur m'est... aussi précieuse que...
— Waaaahhh, Shion, Shionnn !...
Mion se rapprocha de Satoko pour serrer sa tête contre elle, et elles restèrent là, toutes les deux, à pleurer.
Le faisceau de lumière des chiens de montagne cherchait l'entrée du tunnel ; il finit par la trouver.
Grâce à la lumière qui atteignait l'endoit, le groupe put distinguer les traits et les émotions de chacun.
Mais bien sûr, cela ne les avançait à strictement à rien...
La situation était désespérée. Mion et Satoko pleuraient.
Rena se mordait les lèvres pour ne pas exploser.
Le Chef avait la tête baissée et restait silencieux.
Et à leurs côtés... Rika et Hanyû discutaient à voix basse.
— ... ... On fait quoi, maintenant, Hanyû ?
Je ne sais absolument pas quoi faire, tu as une idée ?
— Non, Rika, je ne suis pas plus avancée que toi.
— Mais bordel, t'es une déesse !
T'es une divinité, quand même, tu dois bien pouvoir faire quelque chose, n'importe quoi, je sais pas, moi !
Balance une vague d'énergie ou un rayon laser, mais sauve-la !
On ne pourra pas la sauver, à moins d'un miracle !
Alors sors-toi les doigts du cul et fais quelque chose !
Spaf.
Un drôle de bruit résonna dans le tunnel.
Tout le monde tourna le regard, pris par surprise.
Hanyû venait de mettre une gifle monumentale à Rika.
— Rika.
Tu vas te taire et tu m'écoutes.
— ... ... ... Hanyû ?
— Nous avons traversé plusieurs mondes toi et moi, toujours ensemble. Nous avons appris des choses qu'un être humain normal ne devrait pas savoir.
Parfois, c'est toi qui m'as appris des choses, parfois, ce fut le contraire.
Nous avons eu plusieurs leçons d'une importance capitale, et grâce à elles, nous avons atteint ce monde-ci, monde dans lequel, encore une fois, nous avons obtenu des informations essentielles.
Nous avons aussi appris une chose irremplaçable.
Tu ne te souviens pas quoi ?
— ... ... ... ...
... Comment on déclenche des miracles ?
Un miracle, c'est l'une des manifestations possibles des coups de dés jetés par les dieux.
Les humains passent leur temps à réagir en bien ou en mal à chaque résultat, ils pensent y voir simplement le reflet des caprices divins.
Oui, les miracles sont des armes maniées par les dieux.
Les humains ne sont pas dignes de se les approprier.
Mais même sans cela, les humains finissent toujours par deviner.
Ils finissent par remarquer des coïncidences, des schémas qui se répètent s'ils font certaines choses et pas d'autres. Des choses qui permettent de “déclencher” les miracles.
— ... Comment on déclenche des miracles.
— Rika.
Je sais que tu sais comment faire.
Tu l'as su et tu l'as remarqué bien avant moi.
Et maintenant que tu es au pied du mur, que tu es dans ton dernier monde, et que tu as la possibilité d'essayer une méthode déjà rôdée pour tenter de le sauver, tu refuses sciemment de le faire ?
— ... Ah...
Rika resta bouche bée.
Mais bien sûr...
La façon de déclencher un miracle, je la connais... mais je l'avais encore une fois oubliée...
— ... Écoutez-moi tous : vous devez vous enfuir.
Rika se releva, puis se tourna vers ses amis avec un air décidé.
Ils restèrent interdits, déroutés.
— Irie. Je te confie tout le monde.
Je vais sortir, ils ne veulent que moi, de toute façon.
Takano veut nous tuer tous les deux, j'imagine,
mais elle m'a réservé une mise à mort bien tarabiscotée.
Elle ne me tuera pas tout de suite.
— Mais tu rigoles ou quoi ?! Mais alors, elle va te tuer, de toute manière ?!
— Et si je ne sors pas immédiatement, c'est Shii qui va mourir.
Il vaut mieux que je me rende. Ça vous laissera un peu de temps pour vous préparer à contre-attaquer, et à venir me sauver !
— Mais oui mais... Rika...
— Finalement, la solution n'était pas si difficile que ça à trouver.
Rika sortit du tunnel et posa la main sur les échelons gravés dans la pierre.
Plusieurs rais de lumière vinrent immédiatement se concentrer sur elle.
Ça lui donnait une aura toute blanche, comme celle d'un ange. C'était encore plus impressionnant vu du tunnel, qui lui, était plongé dans l'obscurité. On aurait cru qu'elle était éclairée par une lumière divine, d'un seul coup.
— Après tout,
tant que nous serons persuadés de pouvoir gagner, et tant que nous y croirons dur comme fer, alors tout ira bien.
Je crois en notre victoire, vous croyez en notre victoire, et même la déesse Yashiro croit en notre victoire. Alors nous gagnerons !
Nipah☆!
Le sourire sur ses lèvres était confiant.
Elle était persuadée à 100%
que ses amis la sauveraient.
Elle savait qu'ils interviendraient avant que Takano ne pût la mettre à mort.
Donc effectivement, ça ne lui faisait pas peur de se rendre à l'ennemi.
Et puis, si en plus, ça lui permettait de sauver la vie de deux personnes,
alors c'était finalement bien peu d'efforts à consentir.
— ... ... Je vais remonter.
Replacez-la sur le sol.
L'homme en haut, la main toujours fermement sur le col de Shion, la déplaça du côté. Elle ne pouvait plus tomber.
— Si vous touchez à un seul de leurs cheveux,
je me mords la langue et je m'étouffe avec.
Takano a envie de me tuer selon un rituel bien précis, alors si je me donne la mort toute seule, elle ne va pas être contente, et vous allez avoir de gros problèmes...
— ... ... Soit.
Monte.
— Laissez-les partir.
De toute manière, quand vous mettrez votre plan à exécution, ils mourront tous.
— ... Je ne suis pas là pour parlementer.
Je veux bien ne pas les abattre, mais nous avons ordre de les faire prisonniers.
— Ah ben là garçon, pas de chance,
j'ai juste à me lâcher et tu peux me dire adieu, je ne survivrai pas à la chute.
Le puits est trèèès profond, tu sais.
Vous risquez de ne pas pouvoir récupérer mon corps, et sans mon corps, vous allez être bien dans la merde pour la suite des opérations...
— ... ... ... ...
Les chiens de montagne avaient seulement pour ordre de garder Rika Furude vivante.
Quant aux autres, ils étaient dispensables, et d'ailleurs, ils avaient pensé les abattre s'ils résistaient à leur arrestation.
C'est pourquoi ils ne pouvaient pas accepter les conditions de Rika.
Mais pouvaient-ils se permettre de lui mentir pour en finir au plus vite ?
Alors qu'ils se posaient encore la question…
Hanyû se mit à parler d'une voix surréelle,
qui semblait franchir tous les obstacles.
Peut-être était-ce dû à la configuration des lieux, qui faisaient réverbérer sa voix encore et encore, mais on aurait dit que sa voix provenait à la fois du plus profond des entrailles de la terre, mais aussi du ciel, perméant la roche.
Elle prit la parole et leur dit ceci :
— Êtres inférieurs, je m'abaisse à céder à votre chantage,
alors ne discutez pas et faites ce que l'on vous dit.
— ... ... Mais que... ?
— Rika Furude est en train de remonter vers vous,
en échange d'une simple promesse, alors tenez-la.
Le ciel n'est pas enclin à donner à ceux qui ne savent pas donner d'eux-mêmes.
L'être humain n'a pas besoin de se soucier des choses qui le dépassent.
Apprends ta place, et aies honte d'avoir voulu duper plus digne que toi.
— ... ... ... ...
L'homme dont le nom de code était Bouscarle Chanteuse 1 avait depuis tout à l'heure quelque chose qui le gênait.
Il savait qu'il avait gagné et que lui et ses hommes étaient en position de force, et pourtant...
il avait la désagréable impression de ne pas en mener très large. Quand le vent avait-il donc tourné ?
Mais la voix qu'il entendait avait... comment dire ?
Il sentait qu'elle était spéciale. Que c'était une voix... fédératrice. Une voix qui savait convaincre.
Une voix digne, mais qui avait, d'elle-même, une autorité naturelle.
Alors, d'instinct, il sut qu'il n'était pas qualifié pour discuter...
— ... Euh... Attendez, je...
Je vais en parler à notre commandant.
Restez où vous êtes.
Euh... Bouscarle Chanteuse 1 à Phénix 1...
Le soldat en haut qui les avait menacés il y a quelques instants avait l'air bien moins sûr de lui-même.
Décidément, Rika et Hanyû étaient de sacrés numéros.
— Ne...
T'en fais pas, Rika, nous...
Nous viendrons... te sauver.
Rena faisait tout pour retenir ses larmes.
— ... D'accord,
les autres peuvent partir.
Mais que Rika Furude monte, et sans traîner.
Le Commandant Takano a des choses à lui dire.
— Bon, eh ben alors, j'y vais. Allez, à plus tard !
Nipah☆!
— Eh ben alors, on vous a cherchée partout, Rika.
Vous êtes super importante, alors ne disparaissez pas comme ça, c'est pas gentil de nous faire des frayeurs.
... J'irais même jusqu'à dire que c'est pas du jeu. Vous avez triché.
— ... Miaou...
— Bon, eh bien, nous allons vous ramener à la clinique.
C'est bon, les gars, vous pouvez y aller.
Les hommes qui avaient raccompagné Rika à la sortie se mirent au garde à vous, puis repartirent dans le bâtiment en courant.
... Eux aussi savaient faire des entorses aux règles pour gagner.
— ... Alors comme ça, vous comptez ne pas tenir votre promesse ?
— Ma promesse ?
J'ai rien promis du tout, moi.
Éhéhéhéhé !
— ... ... !!
— Ooollààà, on se calme,
mais c'est qu'elle va vraiment se couper la langue en mordant dessus ?
Que quelqu'un lui mette un bâillon ! Et vite !
Alors que Rika se mettait à courir, Okonogi s'approcha et la retint par le bras.
Elle tenta de se dégager, mais bien sûr, elle ne put rien faire contre lui.
Un autre agent sortit une boîte, de laquelle il sortit une seringue.
Le produit à l'intérieur ne serait pas dangereux pour sa santé, selon toute vraisemblance, mais la plongerait dans un état léthargique.
Après tout, Takano avait besoin de Rika vivante, mais si celle-ci ne pouvait plus parler, ce n'était pas spécialement gênant.
... Si jamais ils me font cette piqûre...
ce sera
la dernière vision
que j'aurai de ce monde...
— *Hmmm*, *Mmmmmmh*, *MmmmMMM* !
Alors que Rika ouvrait la bouche pour se mettre à hurler, un deuxième agent vint se placer derrière elle et lui maintint la bouche bien fermée.
— *Hmmm*, *Mmmmmmh*,
*MmmmMMM* !
— Allez, magne-toi, fais-lui cette piqûre et qu'on n'en parle plus.
Okonogi fit un signe à l'agent qui tenait la seringue. Celui-ci s'approcha du bras de Rika.
Celle-ci avait désormais perdu toute liberté. Elle avait un bras dans le dos, la bouche bloquée, et ne pouvait pas se dégager.
Il faut y croire.
... Même si je suis droguée et endormie,
mes amis viendront me sauver...
De toute façon, quand ils me retrouveront, ils me réveilleront.
Quand j'ouvrirai les yeux, ce sera leur voix que j'entendrai !!
— ... ... Hein ?
Les autres agents regardaient la scène, et quelque chose leur semblait incongru.
L'homme qui s'était avancé vers Rika, la seringue à la main, avait été projeté violemment en arrière, tournoyant deux fois sur lui-même avant de retomber violemment au sol.
Okonogi aussi regardait avec un air incrédule. Quelqu'un prenait bien ses aises avec les lois de la gravité terrestre !
Et pour être tout à fait honnête et précis, Rika aussi se posait des questions.
Alors, l'homme qui maintenait Rika bien en place par derrière se mit à parler...
Sa voix était celle d'un homme qui avait connu la souffrance et les regrets.
— Je l'ai regretté tellement souvent, tu sais.
Mais à chaque fois que je m'en rendais compte, il était trop tard...
— Mais...
En fait...
t'es qui, toi ?
Les autres agents se mirent à reculer, lentement, essayant de placer une distance salvatrice entre eux et l'homme qui se tenait derrière Rika.
Les chiens de montagne sont un groupe de plusieurs unités, et personne ne connaît vraiment le visage de tous les membres de toutes les unités...
Et à cause de leur organisation, personne ne s'en était jamais vraiment inquiété.
Parmi eux, même hormis les professionnels au combat, il y avait des hommes à la stature assez impressionnante.
Et celui-ci était même plutôt bien baraqué, même pour cette catégorie-là.
Okonogi l'avait regardé tout à l'heure, surpris et intéressé.
Il avait pensé lui demander sur le chemin de la clinique de changer d'unité et de rentrer sous ses ordres, en tant que Phénix.
Mais là...
Là, il y avait un tout autre problème !
— ... Tu n'imagines pas
combien de fois j'ai voulu te le dire. Tu n'as aucune idée depuis combien de temps j'ai envie de te le dire...
— A...
A...
— AKASAKAaaaaaaa !
Les mains qui avaient retenu Rika lâchèrent gentiment son épaule.
Elles partirent lentement en arrière, toujours aussi calmes et innocentes.
— Salopard !
Puis elles se serrèrent en des poings durs et vengeurs, imbibés de colère, et fusèrent en arrière pour fracasser le visage des deux soldats qui s'étaient jetés sur lui !
Ils valdinguèrent cul-par-dessus-tête en arrière !
Comment avait-il réussi un coup pareil sans se retourner ?!
— ... Oh putain...
Les cinq agents qui restaient l'encerclèrent,
mais Akasaka ne les regardaient pas.
Il était dans son monde, soulagé de ne plus avoir à subir ces remords et cette culpabilité.
Mais ses cinq agresseurs eurent l'air de s'en douter.
Ce n'était pas qu'Akasaka les snobait.
Il ne les regardait pas,
tout simplement !
— Alors, vous attendez quoi !?
Maîtrisez-le !
Au signal d'Okonogi, les cinq hommes avancèrent en même temps.
— Rika, baisse-toi.
— Ça marche !
Rika se plaça les mains sur la tête et s'accroupit immédiatement pour se protéger.
Il ne restait désormais plus qu'un homme déterminé, seul, debout, prêt à tenir la promesse qu'il avait faite il y avait si longtemps.
Cette promesse datait d'il y a bien plus que cinq petites années. Elle avait un poids et une signification tout autre.
Rika le savait, instinctivement.
Et l'homme derrière elle aussi se rendait compte d'une chose qu'il n'aurait pas su dire avec les mots.
C'était une promesse qui les liait depuis plus d'un siècle.
Enfin, disons, plus de cent ans en additionnant tout le temps perdu et en le mettant bout à bout.
C'était le temps qu'il avait passé à s'en vouloir,
le temps qu'il avait passé à se faire violence, le temps qu'il avait passé à s'entraîner.
Son désir profond de réparer son erreur et trouver la rédemption, et le désir profond de cette petite fille d'obtenir un jour de l'aide et trouver le salut, avaient résonné ensemble et provoqué un miracle !
Et ce miracle unique et superbe avait fait en sorte de faire arriver Akasaka à temps, en ce jour de juin 1983 !
Le premier homme à s'approcher d'Akasaka fut envoyé à terre pendant qu'Okonogi clignait des yeux une première fois.
Il avait essayé de le plaquer au sol, naïvement,
mais Akasaka n'était pas du genre à se faire avoir aussi facilement !
Le coup qu'il mit avec le tranchant de la main dans la nuque de l'homme en question était suffisamment puissant pour, d'habitude, briser des blocs de glace et des tuiles pendant les démonstrations.
Or, d'habitude, Akasaka ne frappait pas à pleine puissance, pour ne pas se blesser lui-même...
Ses poings poursuivirent leur œuvre, indomptables, imbattables.
Okonogi eut l'impression qu'à chaque fois qu'il clignait les yeux, il manquait d'un seul coup un autre de ses hommes.
Oui, Akasaka faisait là l'éclatante démonstration de ses talents au karaté, se débarrassant de chaque ennemi en un seul coup précis !
Oui, ses collègues avaient bien raison lorsqu'ils en parlaient à voix basse, en des tons respectueux et révérencieux !
Aucun blindage ne pouvait être efficace.
Akasaka était ici pour mettre une dérouillée aux méchants, à tous les méchants, cachés ou pas, retranchés derrière des protections ou pas !
Mais il ne leur laissa même pas le temps de s'en rendre compte.
Quand vous voyez un géant débarquer dans votre champ de vision, vous commencez par lever la tête pour regarder votre adversaire dans les yeux.
Eh bien Akasaka faisait pareil avec les chiens de montagne, mais il ne leur laissait pas le temps de lever la tête, il les frappait immédiatement !
L'un des agents avait appelé des renforts par contact radio.
Une dizaine d'hommes revinrent soudain en courant depuis la salle secrète souterraine !
— Ne t'en fais pas,
Rika,
tant que je serai là, personne ne pourra te toucher !
— ... Miaou☆! Je vais prendre un bâton et faire des dessins sur le sol en attendant !
Elle tendit la main et ramassa une petite branche morte, dont elle se servit pour faire de grands traits, comme si réellement, la situation ne lui faisait pas peur...
En voyant cette attitude si désinvolte, Okonogi faillit sortir de ses gonds, mais il reprit bien vite son calme.
Observant la situation, il se rendit compte de ce qui pour lui, un combattant entraîné, était une évidence.
Le problème n'était pas de savoir combien d'hommes seraient là pour l'affronter.
Lui était un monstre de puissance, et eux des techniciens qui faisaient parfois un peu de sport.
Tous les hommes de ses unités qui pouvaient éventuellement avoir une chance contre lui étaient en bas.
Ils n'arriveraient à rien ! À rien !
— ... Éhhéhéhéhé, ahahahaha HAHAHA !
Ce qui veut dire que, vu que je suis le seul combattant ici, je vais devoir t'affronter en personne.
... Mais c'est tant mieux, parce que je me souviens de ta tête.
Ça fait un bail, mec.
T'es devenu quelque chose, à ce que je vois.
— ... ... Je vois...
C'était toi, il y a cinq ans ?
— Éhéhé,
il faut que j'te parle en patois pour que tu comprennes ?
J'me souviens d'ta fratz,
t'es devenu quétchose, petiot !
Comme on se retrouve !
Les deux hommes s'étaient fait face il y a cinq ans.
À l'époque, Akasaka voulait protéger le petit-fils du ministre.
Mais il avait surtout été un débutant...
— On m'avait dit de pas t'amocher à l'époque, alors j'ai dû t'épargner.
Mais aujourd'hui, ça va être un autre son de cloche !
Et l'autre barrique qu'était avec toi n'est pas là pour te sauver la mise, aujourd'hui !
— ... ...
— N'empêche, t'es vraiment devenu quétchose en cinq ans.
Ça me fait plaisir, tu sais.
J'avais espéré un truc de ce genre. J'ai espéré pendant cinq ans !
Vous n'y touchez pas, les gars, IL EST À MOI !
Okonogi arracha son oreillette et son micro, puis jeta tout ce qui pouvait entraver ses mouvements. Il défit un bouton de son uniforme et prit sa pose de combat.
Akasaka, le voyant faire, tenta de jauger jusqu'où allait le niveau de son adversaire.
Okonogi trouva cela très vexant.
Akasaka partait du principe qu'ils ne jouaient pas dans la même catégorie !
Il le considérait du même niveau que les incapables de tout à l'heure !
Pour ne pas impliquer Rika dans le combat, Akasaka dut se résoudre, pour la première fois, à bouger et à prendre ses marques.
D'ailleurs, c'était quelque chose que de se dire qu'il avait vaincu tous ses adversaires sans avoir à modifier sa position !
Okonogi savait qu'Akasaka était un bon karatéka, il l'avait vu à l'œuvre.
Mais il savait aussi que c'était un art de combat facile à contrer.
Le karaté moderne n'est pas destiné à combattre des ennemis qui veulent vous tuer, mais à vous aider à déstresser. C'est devenu un sport.
Ça n'avait rien à voir avec ce que lui avait appris à faire dans l'Armée !
Oh, oui, certes, Akasaka avait l'air très entraîné,
mais il ne se déplaçait qu'en faisant ses figures d'entraînement.
Et puis, les mouvements du karaté sont très directs.
Okonigi savait exactement comment les parer et comment mutiler ses adversaires !
Il se mit à utiliser un jeu de jambes nerveux.
En face, Akasaka ne bougeait pas.
Comme s'il pensait que le jeu de jambes de son adversaire ne lui serait d'aucune utilité.
Ce qui eut le don d'énerver Okonogi au plus haut point !
Il se déplaça de manière fulgurante, léger comme l'air. La différence de style entre lui et Akasaka était flagrante.
Akasaka prépara sa garde,
mais Okonogi n'analysait pas la situation de la même manière.
Lui pensait que son adversaire s'était rendu compte qu'il n'arriverait pas à éviter le coup, et qu'il préférait sacrifier un bras pour pouvoir mieux attaquer de l'autre !
— HaaaaAAAAAAAAAA !
Akasaka n'eut pas le choix et dut se prendre le coup de poing rapide qui visait sa figure sans pouvoir se protéger.
Oh, bien sûr, c'était un coup tout en vitesse, il n'avait aucune puissance, mais il servait surtout à déclencher en Akasaka un réflexe animal, celui de lever sa garde.
Et une fois sa garde levée, Okonogi pouvait alors placer le coup qu'il avait prévu,
un coup de pied formidable juste en dessous des abdominaux !
Évidemment, Akasaka ne put rien faire contre cela.
C'était une attaque impossible à contrer à l'instinct, surtout qu'Okonogi l'avait peaufinée pendant des années.
Il pouvait la sortir à une vitesse bien supérieure à celle du premier quidam venu !
La plupart des êtres humains normaux finissaient à terre, pris de vomissements.
Les plus faibles faisaient des lésions internes.
Akasaka encaissa le coup sans même poser un genou à terre ; il était vraiment beaucoup plus résistant que la moyenne...
— Héhéhéhéhé !!
Eh ben alors, garçon, qu'essy a, ça te fait tout drôle, d'un seul coup ? Tu vois des éléphants roses ?
Tu peux pas te battre contre quelqu'un qui n'utilise pas les mêmes techniques que toi ?
— Quoi ?
Akasaka avait dit quelque chose qu'il n'avait pas bien saisi.
Ou plutôt, si, il l'avait très bien saisi.
Mais il s'était attendu à un tout autre commentaire.
C'est pourquoi il était resté un moment sans savoir,
sans comprendre.
— Comment oses-tu...
— ... Tu ne frappes que pour faire tomber ton adversaire.
C'est pour ça que tes coups n'ont aucune puissance derrière eux.
— Gné ?
Eh, couillon, c'est pas le moment de me faire la leçon !
— ... Le karaté sert à faire mûrir le combattant.
Frapper quelqu'un implique de se préparer à être frappé en retour.
Lorsque tu auras enfin compris quelle douleur et quelle souffrance tu infliges en frappant ton adversaire,
alors seulement tu comprendras ce que signifie frapper quelqu'un, et tu sauras ce que c'est de recevoir un coup.
Mais toi, tu ne sais rien de tout cela, et c'est pourquoi tes coups ne sont jamais devenus puissants.
— Parce qu'en plus, tu me prends pour un clampin !?
Okonogi se rua à nouveau sur son adversaire, mais cette fois-ci, Akasaka ne resta pas sans bouger.
Il contra chaque coup de poing, chaque coup de pied, les bloqua, les détourna.
Puis il ne laissa plus Okonogi attaquer tout seul.
Puis enfin, il cessa de simplement parer les coups ;
il se mit à attaquer les membres avec lesquels Okonogi le frappait !
Okonogi comprit bien vite que son adversaire était dangereux.
Bordel, mais c'était un con d'agent de la circulation, pourtant, non ?
Il bouge trop bien.
Et il frappe sans hésiter !
Il a dû s'entraîner comme un fou, et on sent qu'il a une grande expérience du terrain !
Et en pl-- Eh ! Ce coup de talon, il est pas donné comme au karaté !
Okonogi put éviter le coup, mais vraiment de justesse -- il sentit un courant d'air très frais près de son crâne !
— Espèce de p'tit saligaud, parce qu'en plus, tu sais faire autre chose que du karaté ?
— Ah, non, désolé,
je fais que dans le karaté, moi.
— Fous-toi de ma gueule, p'tit con !
Ça fait plusieurs coups déjà que tu as lancé des attaques qui ne sont pas des mouvements de karaté !
La nervosité gagna Okonogi de plus en plus...
Il se moquait ouvertement des gens qui faisaient des sports de combat, car généralement, les combattants restaient strictement engoncés dans les carcans de leur entraînement !
Au karaté, il n'y avait qu'un seul coup de poing.
À la boxe, il n'y avait qu'un seul moyen de mettre un crochet du gauche.
Au judo, les projections avaient des ordres et des étapes toutes bien définies !
C'est pourquoi il était facile de lire leur mouvements, de les contrer, et de vaincre !
Mais l'adversaire qui lui faisait face, en ce moment,
celui qui clamait ne faire que du karaté, et qui avait assez d'entraînement pour en avoir fait le tour,
eh bien, il avait le culot de s'être affranchi des normes des coups qu'il portait !
Et ça, c'était un enseignement qui profitait à son esprit, à son mental, à son âme.
L'âme d'un sport de combat n'était pas liée à la forme parfaite du coup porté.
On entraînait l'athlète à porter des coups selon une certaine manière pour qu'il entraîne son âme, mais ce n'était qu'un moyen, un truchement.
C'était aussi pourquoi la plupart des grands maîtres développaient leur propre style.
Ils s'étaient affranchis du style imposé aux apprentis !
— ... Je suis déçu, tu sais.
— ... Va te faire FOUTRE !
Alors, pour la première fois,
Akasaka fit un pas en avant.
Sciemment, de son propre chef, il se mit à réduire la distance entre lui et Okonogi.
En faisant cela, le rayon de son allonge se rapprocha dangereusement de son adversaire.
En tout cas, Okonogi trouvait cela dangereux. Un seul coup sérieux, et c'était la mort assurée !
C'est pourquoi il se mit à reculer.
Pas parce qu'il avait peur, non.
Parce qu'il calculait la distance à garder, pour préparer une attaque, un contre, n'importe quoi.
— ... Puisqu'apparemment tu ne sais pas ce que ça veut dire de frapper quelqu'un, je vais te montrer un peu ce que ça donne...
— ... Pff !
... Eh ?
À force de reculer, le pied d'Okonogi avait fini par heurter la camionnette dans laquelle il était arrivé.
Il était dos au mur, et pris au piège !
Ce n'était pas tant un problème que d'avoir un mur derrière soi, mais juste derrière soi, c'était autre chose.
S'il laissait Akasaka faire encore un pas, il ne pourrait plus se placer de manière à se laisser une possibilité de contre !
Okonogi prit immédiatement sa décision.
Il n'avait qu'une seule chance, et ce serait lors du prochain pas en avant de son adversaire.
Il observa le pied en question.
Celui-ci se leva...
et se rapprocha !
MAINTENANT !
— CRÈVE, SALOPARD !
Okonogi cessa de faire dans la dentelle.
Il porta un coup franc, direct, sans fioriture, visant en ligne droite le plexus solaire d'Akasaka, avec la ferme intention de provoquer une fracture et éventuellement de lui transpercer le torse !
Je suis un pro, bordel de merde, un professionnel du combat à mains nues !
Je vais pas me faire bouffer par une saloperie d'amateur, quand même ?!
Akasaka prit alors une grande inspiration et lança un regard terrible !
— Woooooohhhhhhh !!!
Tous les agents présents entendirent alors un grand bruit.
Mais pas le bruit de deux personnes en train de s'échanger des coups, non.
C'était plutôt...
Comment dire. Oui, c'est ça, le bruit que fait un accident de voiture !
Akasaka évita à la dernière milliseconde le coup de son adversaire,
puis son propre poing partit s'encastrer juste à côté de la tête d'Okonogi.
Il avait frappé dans la carrosserie, au niveau de la porte coulissante.
Les vitres de part et d'autre s'étaient brisées,
le cadre de la porte s'était déformé comme si une voiture l'avait embouti,
et la vitre de l'autre côté du véhicule avait elle aussi volé en éclats !
Les deux hommes restèrent un instant immobiles, puis, alors qu'il n'avait pas été frappé, Okonogi tomba à genoux.
Akasaka n'avait pas fait exprès de frapper à côté.
Il avait frappé tellement fort qu'il n'avait pas réussi à contrôler la course de son bras.
Okonogi devrait lui en être reconnaissant.
Si Akasaka avait touché le visage de son adversaire, celui-ci serait mort à l'heure qu'il était...
Pour autant, les dégâts infligés à la fierté d'Okonogi étaient bien réels.
— ... Ouais, Akasaka, bravoooooo !
Rika se mit à applaudir la performance de son sauveur.
Mais dans l'état où les autres agents étaient, ils ne l'entendaient pas de cette manière.
Ils voyaient plus cela comme une manifestation de son aura de combat !
Akasaka retira son poing de la tôle froissée du véhicule, puis il se retourna lentement et parla d'un ton morne.
— Alors, les autres, ça vient ou pas ?
J'ai pas que ça à foutre. Je vous prends tous en même temps, autant que vous êtes.
— .........Ah !!!!
Tous les hommes se regardèrent, pris de panique.
Doués ou pas au combat,
ils surent tous qu'aucun d'entre eux n'avait la moindre chance de s'en sortir à mains nues contre cet homme.
Sans arme, ils ne réussiraient même pas à le blesser.
Il leur fallait des renforts, si possible lourdement armés, et tout de suite !
Il fallait les faire remonter depuis le bâtiment souterrain !
Et comme par magie, d'un seul coup, les hommes envoyés en bas, à la poursuite des autres, ressortirent en courant du bâtiment.
— Vous n'êtes pas autorisés à tirer à l'air libre, je répète, vous n'avez pas l'autorisation de tirer !
Phénix 1, récupérez R et donnez le signal du retrait des troupes !
Les hommes qui avaient vu Akasaka se battre savaient qu'ils devaient fuir, maintenant et tout de suite. Rika était le dernier de leurs soucis !
Où auraient-ils pu trouver le courage d'affronter un monstre pareil, après la démonstration qu'il venait de leur faire ?
Okonogi retrouva ses esprits, et se mêla aux hommes qui couraient dans les camionnettes pour prendre la fuite.
Il avait dû enlever son micro et son oreillette pour affronter Akasaka et ne savait pas du tout ce qu'il s'était passé en bas.
Normalement, l'équipe qu'il avait envoyée en bas aurait dû liquider l'équipe qui avait aidé Rika.
Mais avec l'arrivée d'Akasaka et le rappel de certains hommes en haut, le rapport des forces en présence avait complètement changé.
Kasai avait été sur le qui-vive, attendant son heure pour passer à la contre-attaque.
Saisissant sa chance, il reçut l'aide des autres membres du club, qui avaient trouvé, allez savoir quand, le temps de remonter le long du puits.
Les chiens de montagne n'ayant pas l'autorisation de tirer, ils se rendirent vite compte du danger que représentait Kasai, qui lui, était non seulement armé, mais qui n'hésitait pas à se servir de cette arme.
Et comme ils n'arrivaient pas à contacter Okonogi pour recevoir d'autres ordres ou d'autres instructions, Bouscarle Chanteuse 1 avait ordonné le repli stratégique immédiat.
Si l'on se mettait à la recherche d'un responsable à cette débâcle, on pourrait dire qu'Okonogi, en décidant d'affronter Akasaka et en délaissant son oreillette et son micro, avait failli à ses devoirs.
Mais en même temps, il n'avait pris cette décision que contraint et forcé.
Ce n'était pas tant les manquements d'Okonogi que la prestation excellente d'Akasaka qui avait fait évoluer les choses en l'état.
Tout était arrivé au meilleur moment possible...
Or, il était trop tôt pour se réjouir.
Les chiens de montagne n'étaient pas partis pour toujours, ils s'étaient simplement repliés pour revoir leur stratégie.
Il y avait fort à parier qu'ils reviendraient, armés jusqu'aux dents, et cette fois-ci avec toutes les autorisations nécessaires pour tuer.
Et surtout,
ils n'hésiteraient pas une seule seconde à le faire.
— ... Rika,
heureuse de voir que tu n'as rien.
— ... Oui, c'est une chance.
Heureusement qu'il y a eu ce miracle.
— Ce n'était pas un miracle, Rika.
Nous avons tous uni nos forces, c'est tout. Il se trouve tout simplement qu'Akasaka est arrivé à temps. Rien de moins, mais rien de plus.
Au au.
— ... Oui, tu as raison.
Ce serait bête d'utiliser un miracle simplement pour arriver à l'heure.
— Bien ! Et maintenant, c'est à nous d'attaquer !
En bas, les membres du club se congratulaient mutuellement pour avoir réussi à repousser l'ennemi.
Rika aurait bien voulu se joindre à eux, et elle en était un peu déçue,
mais après ce qu'Akasaka avait dit et fait pour elle, elle était bien assez contente, et décida de ne pas faire une fixation sur ce qu'elle avait raté.
Elle raconta à tous ce qu'il s'était passé au dehors, ce qui, curieusement, mit Akasaka plutôt dans l'embarras.
Kasai n'avait pas l'air blessé, mais Shion avait quelques problèmes.
Oh, bien sûr, rien qui mît sa vie en danger, mais une grenade avait explosé tout près d'elle, et depuis, elle n'entendait plus rien de l'oreille gauche.
Mion s'approcha de sa sœur pour lui susurrer quelques mots doux à l'oreille gauche -- idiote, blaireau, bigleuse -- mais elle prit un coup sur la tête, qui l'empêcha de poursuivre sa liste.
Mais bon, en même temps, elle avait peut-être tout entendu avec son oreille droite...
Shion alla s'allonger sur les tatamis posés dans la salle de torture, et le docteur Irie alla lui examiner l'oreille.
Mion tenta de rester avec elle, plutôt inquiète, mais sa sœur la chassa en lui demandant d'aller plutôt préparer la suite des opérations.
Mion revint alors vers les autres, ne manquant pas d'insulter copieusement sa sœur pendant le trajet.
Bref, maintenant, le petit groupe devait décider de la marche à suivre pour réussir à libérer Tomitake.
Ils avaient l'aide d'Akasaka et de Kasai -- eux étaient habitués aux situations dangereuses.
Et ils avaient aussi l'aide du Chef, le seul à vraiment connaître l'intérieur de la clinique.
Ils devaient agir le plus vite possible, mais ils ne pouvaient rien faire sans décider d'abord d'une stratégie.
Les montres indiquaient déjà presque 10h30 du matin.
Avec tout ce qu'ils avaient vécu depuis ce matin, ils étaient tellement fatigués qu'ils avaient l'impression d'être déjà le soir.
Et pourtant, s'ils avaient dû aller à l'école, ils n'en seraient qu'à la troisième heure de cours.
Alors ils décidèrent de se ressaisir et de se remotiver !
Irie utilisait une mini-lampe pour éclairer l'oreille de Shion.
— Je ne suis pas oto-rhino-laryngologiste, mais je te conseille d'aller en voir un. Tu as peut-être eu la membrane du tympan crevée.
Tu as mal à la tête ? Des étourdissements, peut-être ?
— Non, rien de rien.
Je pète la forme.
Irie utilisa le robinet de la salle de torture pour mouiller un mouchoir et nettoyer un peu le visage de Shion.
— ... Ça vous étonne ?
De voir que la manager fantôme des Fighters de Hinamizawa sait manier un fusil d'assaut ?
— ... Oui, plutôt.
Tu étais vraiment prête à mourir, si j'ai bien compris.
J'ai entendu ce que Maebara a dit à ta sœur.
— Aïe, c'est moche, ça.
Je veux dire, sur le coup, c'était émouvant à dire, mais je ne pensais pas survivre, en fait. J'ai un peu l'air d'une conne, maintenant...
« Je n'ai plus personne dans ma vie,
mais ma sœur, si.»
— Ça reste entre toi et moi, mais tu dois me promettre de ne pas faire ta timide.
Tu…
tu pensais à Satoshi en disant cela ?
— ... Peut-être.
Je me demande bien où il peut se planquer, en ce moment.
Je ne sais même pas s'il est vivant ou s'il est mort, d'ailleurs.
— Il est vivant.
— ... Quoi ?
Irie avait répondu du tac au tac. Shion s'arrêta tout net.
— Satoshi Hôjô est vivant, Shion.
... L'année dernière, le jour où il a disparu, eh bien en fait, le stress et la fatigue ont déclenché ce que les gens appellent la malédiction.
Il a fait une crise aiguë.
Shion avait appris par Mion en gros de quoi il retournait.
Elle avait une vague idée de ce que le docteur Irie était en train de lui dire.
— J'ai cru que je pourrais le soigner avec le même médicament que celui qu'utilise Satoko, mais il n'a pas fonctionné.
Il faut croire que le cas de Satoko est rare, ou bien alors le fruit d'une chance extraordinaire.
Quoi qu'il en soit, j'ai eu beaucoup de mal à soigner son état.
Et pour être honnête, je suis toujours en train d'essayer de trouver le bon dosage et la bonne formule pour agir sur son organisme.
— ... Mais alors...
Satoshi est...
Il est...
Il est vraiment vivant ?
— Je suis désolé de ne jamais t'en avoir parlé, mais effectivement, il est vivant.
Nous le gardons en observation, confiné dans le sous-sol secret de la clinique.
Shion et le docteur revinrent depuis la salle de torture.
Dans le regard de Shion, on pouvait lire une détermination très forte. Elle était prête à se battre.
Les membres du club discutaient justement de savoir pourquoi et comment l'ennemi avait su qu'ils se trouvaient ici.
Shion leur répondit immédiatement.
— Vous ne pensez pas que tout simplement, ils ont pu placer un micro-émetteur sur les vêtements de quelqu'un, le Chef, par exemple ?
Chef, vous avez un truc que vous mettez pour le travail sur vous, là ?
— Oui, bien sûr, cette blouse blanche, mais enfin, c'est à peu près la seule chose qui...
— Venez par ici, je vais voir ça.
Shion se mit à tâter le corps du docteur, comme un agent de sécurité dans un aéroport.
Dans le revers du col, elle trouva un bouton de manchette qui n'avait rien à faire là.
Il avait à peu près la taille d'un bouton d'uniforme d'écolier, mais peu importait --
il n'avait rien à faire caché dans le col d'une blouse de travail.
— C'est probablement un émetteur.
Ils n'ont qu'à capter son signal et peuvent ensuite savoir où vous êtes, sans avoir à bouger de leur centre de commande.
— Ah ben là, on s'est fait eus, merde.
Mais tant qu'on aura ce bouton, on pourra éventuellement s'en servir pour les berner.
— Oui, nous pouvons créer un groupe qui servira uniquement à les entraîner ailleurs. Pendant ce temps-là, un autre groupe devra pénétrer dans la clinique et sauver M. Tomitake.
Je pense que c'est notre meilleur plan d'action possible.
— Oooohhohhohho !
Eh bien, je propose que le groupe servant de diversion aille se perdre sciemment dans le dédale de mes pièges, dans la montagne !
— Ouais, on pourra les tourner en bourrique si on va là-bas !
Et puis, on aura beaucoup de place pour bouger.
Je parie qu'ils enverront plein de monde à notre recherche, pour essayer de ne pas perdre trop de temps.
Ça fera toujours tout ça en moins pour protéger la clinique !
— Oui, la seule chose qu'il reste à découvrir, c'est combien de soldats ils vont laisser là-bas pour couvrir leurs arrières.
Ils laisseront certainement plusieurs personnes,
M. Tomitake est un prisonnier qui peut leur rapporter gros.
— ... Alors il va falloir mettre un appât très appétissant pour les faire sortir de leur trou.
Tu es sûre que c'est bien raisonnable, Rika ?
— Oui, t'en fais pas.
Si je reste avec tout le monde, et que nous allons nous cacher dans le terrain de Satoko, nous ne risquons rien.
— Après tout, il n'y a guère que les membres du club qui connaissent plus ou moins le terrain.
Je propose que nous soyons le groupe qui fera diversion.
— Oui,
et pendant ce temps, les adultes attaqueront la clinique.
Vous pensez que ça laisse suffisamment de chances de réussir ?
— Tout ce que je veux, c'est qu'Akasaka n'en réfère pas à ses supérieurs.
J'ai entendu dire que vous étiez de la Police ?
Pendant qu'il disait cela, Kasai rechargeait un fusil de chasse avec une grande dextérité.
— ... Bah, vous savez, je suis en congés, hein...
Akasaka inspectait pour sa part un pistolet automatique.
Même s'il ne s'en était jamais vraiment servi, il avait dû le sortir une paire de fois,
et il s'entraînait régulièrement à tirer.
Le Chef, quant à lui, semblait avoir encore un peu de mal à enlever la sécurité de l'arme, et surtout, il avait des mouvements beaucoup moins précis.
— M. Akasaka, vous avez déjà tiré avec un fusil d'assaut ?
— Non,
je ne me sers que d'une arme de poing.
— Très bien, alors, servez-vous, prenez le modèle avec lequel vous avez le plus d'affinité.
Prenez surtout des munitions, nous en aurons besoin.
Et prenez un deuxième exemplaire de votre arme, au cas où la vôtre s'enrayerait.
— M. Kasai, vous avez un...
C'est quoi au juste ? Une carabine ?
— Une munition sur deux est une cartouche à balle.
Ça me permet de couvrir large avec un tir, ou de traverser un mur avec un autre.
— Ah ouais ? J'avais entendu dire que les gens t'appelaient “le mec aux deux fusils de chasse”, mais je croyais que c'était du flan !
— Un fusil de chasse, c'est une arme qui peut facilement semer la mort.
C'est pourquoi les gens en face de vous sont toujours enclins à se rendre, même si vous ne leur tirez pas dessus.
Eh, et n'oubliez pas de mettre des gilets pare-balles.
D'un côté, c'était très rassurant d'avoir un expert comme lui dans l'équipe, et de l'autre, le fait qu'il eût une telle expérience faisait un peu froid dans le dos...
Ce n'était pas comme s'ils devaient aller se bastonner dans un bar.
Avec une seule balle, on pouvait tuer le plus habile et le plus médaillé des vétérans.
Expert ou novice, la mort pouvait vous tomber dessus à n'importe quel moment...
Et puis, à bien y regarder, seuls Kasai et Akasaka étaient vraiment dignes de confiance, de ce point de vue là.
Kasai alla même jusqu'à demander au Chef de ne pas prendre d'arme.
Probablement pour ne pas se prendre un tir allié dans le dos et mourir bêtement...
Mion demanda s'ils ne voulaient pas un peu plus de monde avec eux, mais Kasai répliqua que tous ceux qui ne savaient pas se servir d'une arme lui seraient plus une gêne qu'autre chose.
— Aaah, ben alors, je vais devoir les accompagner, c'est clair.
De toute façon, à deux, ils vont pas aller loin.
Je vais prendre un Ingram pour les couvrir.
— Mais Shion, et ton oreille ? Tu peux pas y aller dans cet état ?!
— T'en fais pas,
elle est guérie, mon oreille.
Désolée de t'avoir fait peur.
— ... Shion,
t'as entendu ce que je viens de te dire ?
— Euh...
eh bien,
bien sûr, voyons !
Nan mais quand même !
Je ne suis pas sourde !
Sauf que malheureusement pour elle, c'était un piège.
Mion n'avait rien dit du tout.
L'oreille gauche de Shion avait l'air d'être en piteux état, malgré les apparences.
— ... Shion, c'est vraiment dangereux, déconne pas.
Je veux dire, le groupe qui fera diversion sera aussi en danger.
Limite, je serais plus rassurée de te savoir quelque part en train de te cacher.
— Écoute-moi bien, grande sœur,
je dois absolument aller à la clinique, d'accord ?
Mais si je t'explique pourquoi, Satoko va vouloir venir avec,
et tu seras bien emmerdée si tu ne l'as pas sous la main pour vous guider dans la montagne.
Et puis, nous serons chez eux. Ils n'hésiteront pas à nous tirer dessus.
— ... ... ... Ça veut dire ce que je crois que ça veut dire ?
Shion ne répondit rien, mais c'était tout comme.
Mion sut alors pourquoi sa sœur insistait tellement.
C'est aussi pourquoi elle ne s'opposa pas à ce changement dans les plans.
Parce qu'elle savait que si les rôles avaient été inversés,
elle aurait fait exactement la même chose, même avec les deux oreilles en moins.
— Mais enfin, très chère, c'est trop dangereux !
Je vous en conjure, reconsidérez votre décision !
— Satoko !
Shion ira dans l'autre équipe. Quant à toi, tu seras notre guide dans la montagne, sans toi, nous ne pourrons rien faire !
Alors concentre-toi sur ta mission !
— ... Shii ?
— Tu sais ce que c'est, toi, non ?
Et puis, tu vois bien que je n'ai pas l'intention de mourir.
— Oui.
Oui, je le vois bien, effectivement.
Et je sais aussi que dans ces moments-là, une femme ne meurt jamais.
— Hein, que c'est vrai ? Je vous l'avais bien dit !
Même s'ils m'abattent, je ne risque pas de mourir !
Shion et Rena se topèrent dans la main.
— Bon, eh bien, tout m'a l'air d'être décidé et fin prêt.
Il serait temps de bouger, non ?
— Shii,
donne-moi l'émetteur.
— Ah, tiens, voilà.
Et bonne chance à vous aussi, Dame Rika.
— Oui, merci, à toi aussi.
Et sache que c'est parce que tu y as toujours cru que ton vœu est devenu réalité aujourd'hui.
C'est une chance que les dieux t'offrent, alors à toi de la saisir.
— ... ... Et pourtant, j'ai l'impression de ne pas y avoir cru tous les jours.
Il me semble même que des gens se sont moqués de moi à cause de ça.
C'est dur de garder la foi pendant une longue période de temps, mine de rien.
— Certes, mais toi, tu as gardé la foi.
Tu as regretté les moments où la foi t'avait abandonnée.
Tu as fait amende honorable en redoublant de ferveur. Alors chéris les circonstances d'aujourd'hui.
Ta volonté a permis de forcer le destin et de vivre en ce jour. Les obstacles qui se dresseront devant toi ne seront probablement plus que peu de choses, si tu restes aussi ferme dans ta résolution.
— ... T'es une nouvelle dans le groupe à ma frangine, toi ?
Je sais pas qui tu es, mais merci.
... T'as raison en fait, j'ai l'impression que ça ira comme sur des roulettes.
— Tout ira bien, Shion.
La déesse Yashiro te le promet.
— Ahahaha, ahahahahahahahaha !