Takano

— Vous en êtes bien certain, n'est-ce pas ?

Monsieur le Directeur, vous avez pu constater que la Reine Mère se trouvait chez elle hier ?

Irie

— Mais enfin, ce ne sont pas des choses à dire !

Rika est tombée malade, alors je suis allé la voir.

... C'est pourquoi je peux vous l'assurer, personne ne peut l'avoir retrouvée morte.

C'est ridicule !

Takano

— Mais oui, je suis d'accord avec vous, c'est impossible, mais...

Mais

si nous ne sommes pas en mesure de vérifier cette information, eh bien...

les gens vont mal le prendre, et...

Irie

— Mais qui ? Quelles conséquences craignez-vous ?

Takano

— Ce que je veux dire, Monsieur...

c'est que si les villageois apprennent la mort de Rika Furude, ils seront pris de panique...

Pour la première fois depuis qu'il la connaissait, Irie pensa qu'elle n'était franchement pas douée pour mentir.

Il n'avait plus besoin d'attendre les résultats de l'enquête de Tomitake pour avoir ses certitudes.

Miyo Takano avait en ligne de mire l'application du manuel des consignes d'urgence.

Et elle était clairement affolée à l'idée de le voir perdre toute légitimité.

Pour présenter les choses sous un bon angle, on pourrait dire que quelqu'un avait enfin mesuré l'importance des recherches de son grand-père et était ainsi devenu un soutien très important pour elle.

Un peu comme une poutre ou une botte de paille à la surface d'une mer déchaînée : le genre de soutien dont on ne peut pas se passer, et surtout, dont on ne veut pas se passer. Elle ne voulait pas se noyer, elle s'agrippait ferme, elle se débattait.

Ça faisait beaucoup de peine de la voir ainsi.

S'il avait eu la moindre possibilité de le faire, Kyôsuke Irie lui aurait volontiers tendu la main pour la sauver des flots.

Mais sa main, même tendue, n'atteindrait pas Takano.

Car Takano elle-même ne tendait pas la main, ne demandait pas d'aide.

Tant qu'elle ne reconnaîtrait pas la situation désespérée dans laquelle elle se trouvait, tant qu'elle ne demanderait pas à être sauvée, les mains des autres ne l'atteindraient pas.

Si elle ne se rendait pas compte de ça, alors malgré toutes les bonnes intentions du monde, elle continuerait de repousser les mains tendues vers elle.

Mais bien vite, il fut sorti de ces considérations par une autre réalisation.

Rika était-elle chez elle, oui ou non ?

Lui avait dit hier et avant-hier que c'était le cas, il devenait donc suspect.

Le danger était bien plus réel, désormais, il lui fallait rester sur ses gardes.

L'homme en treillis qui tenait depuis tout à l'heure le combiné à son oreille poussa un soupir, puis le reposa sur son socle.

Chien de montagne

— ... Mon Commandant,

elle ne décroche pas.

On dirait bien qu'elle n'est pas chez elle.

Takano

— Et que dit l'équipe de surveillance ?

Chien de montagne

— Depuis qu'elle est en position, c'est à dire depuis le 17 juin, elle n'est pas sortie de chez elle. De plus, il n'y a eu aucun appel, ni entrant, ni sortant.

Takano

— Monsieur le Directeur,

qu'est-ce que vous en pensez ? Ça veut bien dire que Rika doit forcément être à l'intérieur, non ?

Irie

— ... Eh bien, je pense que oui.

Irie

Mais bon, on ne sait jamais, avec les enfants.

Irie

Elle était presque guérie, hier après-midi.

Irie

Elle est peut-être sortie quand même et est partie s'amuser.

Irie

Après tout, aujourd'hui, c'est la fête annuelle du village.

Irie

Il me semble que les gens ont installé une salle de bains supplémentaire dans un petit local, pas loin de chez Rika, non ?

Irie

Avec tous les gens qui ont aidé à installer les stands et le reste, il devait y avoir beaucoup de passage. L'équipe de surveillance l'a peut-être ratée, qui sait ?

Takano

— Alors ?

Vous pensez que c'est possible ?

Chien de montagne

— Non, nous avons placé des petits scellés après chacune de vos visites.

Chien de montagne

Je vois mal les deux gamines sortir de chez elles par la fenêtre et sauter au sol. À moins qu'elles n'aient fait ça, nous ne pouvons pas les avoir ratées.

Takano

— Donc les chiens de montagne sont certains que R n'est pas sortie de chez elle ?

Chien de montagne

— Affirmatif.

Il n'y a aucune erreur possible.

R se trouve chez elle.

Et elle n'est pas sortie une seule fois depuis le 17.

Elle est donc forcément chez elle, à l'intérieur.

Takano

— Seul Monsieur le Directeur est entré. Les chiens de montagne ne sont pas allés vérifier de visu.

Mais vous semblez quand même persuadés d'avoir raison, n'est-ce pas ?

Chien de montagne

— ... Eh bien...

L'homme des chiens de montagne regarda Irie, l'air effaré, semblant demander un soutien.

Irie déglutit, puis acquiesça plusieurs fois de la tête.

Takano

— Mais alors, pourquoi est-ce que son corps sans vie est apparu au commissariat d'Okinomiya ?!

Chien de montagne

— Comme je vous le disais, il reste la possibilité d'une erreur.

Nous avons eu confirmation que l'autopsie n'était pas terminée, et que l'identité révélée n'était en fait qu'une supposition...

Takano

— Vous me l'avez dit et redit, je le sais !

Vous vous rendez compte que cela fait des HEURES que Tôkyô est au courant ?

Si jamais quelqu'un là-bas décidait de ...

Euh...

Se souvenant enfin de la présence du docteur, Takano s'arrêta net dans son élan.

Mais bien sûr, celui-ci avait son idée sur ce qu'elle aurait dit par la suite.

Chien de montagne

— Mon Commandant, Mme Nomura de Tôkyô au téléphone.

Takano

— ... Tsss,

combien de fois devrai-je lui dire d'attendre, à celle-là !

D'habitude si calme et distinguée, Takano se gratta frénétiquement la tête, bien qu'en public.

On voyait bien qu'elle était nerveuse, même sans faire de psychologie.

Elle avait les traces de ses ongles un peu partout, ce devait être un tic nerveux chez elle.

En tout cas, là où ses doigts reposaient lorsqu'elle croisait les bras, on pouvait voir des marques très profondes.

Irie

— Vous avez l'air d'avoir beaucoup à faire.

Vous voulez que je m'en occupe ?

Mme Nomura, vous dites ?

C'est la première fois que j'entends ce nom.

Chien de montagne

— Ah, euh, elle a spécifiquement demandé à parler au Commandant, en fait...

L'homme lançait quelques regards furtifs à Mme Takano, ne sachant pas trop ce qu'il pouvait se permettre de faire.

Takano

— ... Monsieur le Directeur,

effectivement, j'ai pas mal de choses à faire.

Je suis vraiment désolée, mais est-ce que vous pourriez retourner dans votre bureau ?

Irie

— ... Ah. Oui, bien sûr.

Après tout,

c'est vous qui vous occupez de la bonne marche de l'institut.

Il vaut mieux que je ne m'en mêle pas.

Takano

— Que quelqu'un accompagne le directeur.

Allez, dépêchez-vous !

Là, c'était franchement à peine si elle ne lui avait pas craché à la figure.

Irie préféra ne pas s'en offusquer et ne pas faire de vagues ; il tourna les talons et quitta la salle de la sécurité.

Takano

— Oui allô ? Ici Takano.

Je suis désolée de vous avoir fait attendre.

Nomura

— Je m'excuse de vous rappeler sans cesse.

Alors, avez-vous réussi à vérifier les informations d'Okinomiya ?

Takano

— Non, je suis désolée.

J'ai donné des ordres pour que le processus soit accéléré.

Notre coopérateur de l'intérieur s'est déjà rendu sur place, j'attends son coup de fil, mais rien ne vient...

Nomura

— Ah, je vois, cela ne va donc plus tarder ?

À quelle heure dois-je vous rappeler ?

Takano

— Euh,

Takano

en fait, je comptais vous contacter dès que j'avais une information, mais là, ça fait déjà un moment, je ne m'attendais pas à devoir patienter autant.

Takano

Je serais bien incapable de vous donner une heure précise, mais ne vous en faites pas, j'ai demandé à ce que les choses soient accélérées...

Nomura

— Hmpfhmpf.

Commandant,

vous avez déjà pris l'avion ?

Takano

— Pardon ?

Oui, oui, bien sûr, évidemment.

Nomura

— Au décollage, l'avion doit accélérer, et donc à cause du stress donné aux moteurs,

eh bien parfois, des avaries se déclarent.

Nomura

Il paraît que si la vitesse n'est pas trop importante, le pilote freine et retourne à son point de départ, mais que si la vitesse nécessaire pour décoller est atteinte, alors plutôt que de freiner, il vaut mieux décoller et essayer de se débrouiller ensuite avec l'avarie.

Nomura

Et puis de toute manière, un quadrimoteur peut voler sans utiliser tous ses moteurs.

Pour cette opération, c'est pareil.

Nomura

Nous n'avons pas qu'un seul moteur, si nous parvenons à décoller, nous pourrons nous débrouiller pour la suite.

Nomura

Mais pour l'instant, notre avion n'est pas lancé,

Nomura

il n'est même pas encore sur la piste.

Nomura

Vous voyez où je veux en venir ?

La première étape de l'opération finale était l'assassinat de l'agent de surveillance de Tôkyô, Jirô Tomitake.

Même cette étape-là n'était pas encore mise en place. Mme Nomura avait donc raison.

Nomura

— Si vous saviez que l'avion dans lequel vous vous trouvez a une avarie de moteur, et que l'avion ne roule pas encore, que feriez-vous ?

Vous descendriez, n'est-ce pas ?

Eh bien là, c'est pareil.

Nomura

Nos donneurs d'ordres et nos sympathisants ont appris que le moteur était cassé, et demandent à sortir de l'appareil.

Si l'on a déjà atteint le point de non-retour, alors il ne sert plus à rien de faire les gros yeux pour n'importe quelle petite erreur.

Mais justement, ce n'est pas le cas, donc ils sont très sensibles et réagissent immédiatement à la moindre anicroche.

Takano

— Mais justement, nous sommes en train de vérifier si c'est vraiment une avarie moteur, ou si c'est une erreur dans nos appareils de détection.

Nomura

— Mais je le sais, Madame, je le sais.

Vous êtes le chef de la tour de contrôle,

mais moi, je suis l'hôtesse de l'air qui doit calmer les passagers.

Nomura

Et là, j'ai fort à faire pour qu'ils restent assis à leurs places.

Si jamais les réparations n'interviennent pas rapidement, le vol sera annulé.

Nomura

Ça veut dire que les thèses de votre grand-père seront à jamais considérées comme n'étant que des divagations.

Commandant Takano, vous avez bien compris ?

Takano

— ... ... ...

Nomura

— Vous savez ce que les gens vont dire ?

Nomura

Que tous les résultats des recherches sont des concentrés d'idioties.

Nomura

Une jeune fille dont la mort déclencherait celle de tous les villageois ?

Nomura

Mais c'est la science fiction,

ahahahahaha !

Mais sur quoi vous vous êtes basés pour nous pondre ça ? Vous avez pris quelles drogues ?

Nomura

Tous ces résultats, c'est du vent, c'est du flan !

Et puis regardez les noms, Takano 123 et Takano 34, ce sont des colorants chimiques ou quoi ? Ahahahahahaha !

Miyo Takano serra sur ses dents, retenant des commentaires peu flatteurs.

Elle agrippa fermement le combiné, serrant dessus à en faire grincer l'appareil...

Nomura

— Bref…

C'est comme ça que les gens vont réagir, malheureusement.

Vous comprenez ?

Alors il nous faut résoudre ce problème le plus vite possible, si nous voulons préserver la mémoire de votre grand-père.

Takano

— ... Oui, oui,

vous avez raison. Merci de votre compréhension...

Nomura

— Ne vous en faites pas.

Je suis de votre côté, Mme Takano.

Je ferai tout pour vous aider à mettre un point final à cette histoire, et ce, de la manière la plus satisfaisante pour vous.

Nomura

Mais vous devez aussi faire votre part. De quoi j'ai l'air, moi, en ce moment, à vous défendre contre vents et marées ? Faites vérifier l'information d'Okinomiya, et vite.

Nomura

Je fais ce que je peux, mais je vous assure que de nombreuses personnes veulent quitter l'avion.

Takano

— ... Oui, bien sûr, je suis vraiment désolée pour tout ceci.

Je vais faire vite, laissez-moi juste un moment.

Oui...

Bien, à plus tard.

Takano attendit que son interlocutrice eût raccroché avant de reposer le combiné.

Takano

— Okonogi n'a toujours pas rappelé ?

Passez-le moi au téléphone !

Chien de montagne

— Mon Commandant, nous l'avons contacté il y a moins de dix minutes.

Il doit de toute façon nous contacter dès qu'il a du nouveau.

Vous devriez faire une courte pause.

D'ailleurs, votre café est fro--

D'un geste violent, Takano repoussa le gobelet que lui tendait l'opérateur. Sur le sol, une petite flaque noire se dessina.

Tout à coup, un silence assourdissant se fit dans la salle de sécurité.

Takano

— ... Eh bien quoi ?

Takano

Allez prendre un balai, au lieu de rester comme des idiots !

Takano

Je me fous de savoir quand est-ce que nous l'avons appelé, rappelez-le et dites-lui de faire vite !

Takano

Il nous faut une preuve que la mort de Rika Furude, c'est du pipeau !

Et il nous faut aussi arrêter Tomitake !

Elle commençait elle aussi à comprendre.

La disparition de Tomitake ne pouvait que signifier une catastrophe en devenir.

Et probablement que les deux choses étaient reliées ! Si elle lui mettait la main dessus, elle aurait sûrement des explications sur la situation au commissariat d'Okinomiya !

Il ne payait pas de mine, cet homme, et pourtant, il avait apparemment découvert notre stratagème, et avait même réussi à déclencher de quoi tout faire capoter.

Il cachait bien son jeu ! Il avait tout manigancé !

Quand je pense que s'il s'était tenu tranquille, je lui aurais accordé son petit plaisir avant de le tuer...

... Le plus rapide serait d'aller directement chez Rika Furude et de vérifier sa présence.

Mais Takano ne pouvait pas quitter cette salle, il y avait trop à coordonner. Et puis, elle ne pouvait pas confier cette mission au docteur Irie.

Quant aux chiens de montagne, avec le peuple qu'il y aurait à la fête, ils auraient déjà fort à faire rien qu'à surveiller l'entrée de la maison...

Si au moins la petite répondait au téléphone, mais non, même pas !

Mais alors, la maison était peut-être vraiment vide ?

La mort de Rika Furude était peut-être bien réelle !

Où était l'erreur ?

Qui avait pu les mener en bateau ?

... La réponse tombait sous le sens, en fait.

Il n'y avait qu'une seule personne qui avait vu Rika Furude chez elle ces derniers jours.

Le directeur, Kyôsuke Irie. Il était donc un suspect tout désigné !

Tomitake avait déjà changé d'hôtel sans rien dire à personne, et il se terrait ailleurs.

Rika Furude devait en avoir fait de même.

Mais dans ce cas de figure...

cela signifiait qu'Irie les avait trahis, et qu'il avait des contacts secrets avec Tomitake ?

Takano

— ... Placez le directeur sous surveillance. Ne le lâchez pas des yeux.

Chien de montagne

— Comment, vous pensez que monsieur le directeur

nous aurait menti ?

Mais pourquoi aurait-il fait une chose pareille ?

Takano

— Je ne sais pas quand est-ce que Tomitake a deviné nos plans, mais il a l'air très au courant.

Takano

Il a fui son hôtel et s'est débrouillé pour placer R en secret dans un endroit sûr.

Takano

Ils nous ont eus ! Nous avons surveillé une maison vide !

Chien de montagne

— Mon Commandant, sauf votre respect, nous avons constaté des ombres à l'intérieur, ainsi que des lumières allumées et éteintes.

La maison de R n'est pas vide.

Takano

— Mais nous n'avons aucune preuve qu'il s'agit bien là de R !

Takano

Et je vais vous dire ce que j'en pense, j'en pense que justement, ce n'est PAS R.

Takano

Quelqu'un se terre là-bas pour nous faire croire qu'il y a quelqu'un, mais c'est juste pour nous berner !

Takano

Dites à Okonogi d'entrer chez R, de force !

Takano

Je ne sais pas qui se terre chez elle, mais cette personne est en contact avec Tomitake, ou avec Rika, ou même avec les deux !

Alors kidnappez-le !

Chien de montagne

— ... Mon Commandant, nous ne pourrons pas entrer en force chez R aujourd'hui, il y a trop de monde !

Chien de montagne

Avec cette salle d'eau juste à côté de la maison, il y a trop de passage,

Chien de montagne

nous devrons attendre que tout le monde ait quitté la fête ce soir, même les organisateurs !

Takano

— Mais bon sang, si vous êtes là, c'est bien pour pouvoir agir dans ce genre de situations !

Takano

Alors débrouillez-vous, improvisez, mais faites quelque chose !

Takano

Pourquoi vous ne bougez pas, hein ? Je ne suis pas votre supérieure ?

Takano

Je ne suis pas assez bien pour vous donner des ordres ?!

Takano

... Il vous faut quoi, une autorisation écrite de mes parents ?

Mais merde, à la fin...

À présent, Takano sanglotait nerveusement. Aucun des hommes présents n'osa parler.

Ils savaient tous que rien ne pourrait améliorer les choses...

Soudain, le cri du téléphone déchira le silence gêné qui régnait dans la salle.

Takano en eut un sursaut de peur.

Chien de montagne

— Oui, allô ?

Chien de montagne

... ... Quoi ?!

Chien de montagne

Mon Commandant, bonne nouvelle !

Chien de montagne

Corbeau a réussi à découvrir le numéro que le service des enquêtes doit rappeler à 9h pour communiquer avec Tomitake !

Chien de montagne

Le numéro commence par l'indicatif de Shishibone !

Chien de montagne

Les chiens de montagne ont commencé à rechercher l'attribution !

Okonogi

— C'est le numéro de Tomitake, aucun doute possible !

Alouette des chants, prenez vos meilleurs hommes !

Le lieutenant se tient sur ses gardes, alors attention !

Aigrette, suivez-les en renfort !

Alouette des chants 1

— Bien reçu !

Alouette des champs 1 à toutes les unités.

Nous partons dès que nous aurons l'adresse, tenez-vous prêts !

Montez déjà dans les véhicules !

Okonogi

— Raaah, merde ! Il fait quoi, l'employé des télécoms ?

Phénix 2

— Il cherche !

Donnez-nous juste cinq minutes !

La montre indiquait qu'il restait moins de quinze minutes avant 9h.

Selon l'endroit où le numéro les mènerait, ils n'auraient peut-être même pas le temps d'atteindre leur cible !

Ils allaient devoir avoir beaucoup de chance...

Okonogi

— Tu te fous de ma gueule ou quoi ?!

Il a juste à taper le numéro sur le standard ! Il a cinquante secondes et pas une de plus !

Phénix 2

— Ça y est !

Shishibone, Hirasaka, quartier 1, maison ** ! C'est l'hôtel Moderato !

L'appel venait de leur standard, impossible d'avoir la chambre !

Okonogi

— T'as entendu, Alouette des champs ?

Alouette des chants 1

— Bien reçu, Chef ! Allez les gars, on y va !

Ils avaient de la chance, le quartier 1 de Hirasaka était tout proche !

Okonogi avait vu juste,

Tomitake se cachait tout près !

Les rideaux de protection des garages des Jardins Okonogi se levèrent, et plusieurs camionnettes en sortirent, l'une derrière l'autre.

Okonogi

— Héhéhé, saligaud, tu vas voir...

Cette fois-ci, c'est à notre tour d'attaquer.

Je parie que tu te doutais pas que j'avais un agent infiltré parmi tes hommes.

C'est nous qui allons t'attaquer, maintenant !

L'hôtel Moderato.

Sa pancarte sale n'en donnait pas vraiment une bonne impression.

C'était un hôtel bon marché en fin de vie, idéal pour quelqu'un désirant rester anonyme.

S'il se reconvertissait en love hotel, il aurait certainement une chance de pouvoir survivre, mais le propriétaire n'avait pas les moyens pour une réfection de cette envergure.

Et c'est pourquoi l'hôtel donnait cette impression d'être à deux doigts de déposer le bilan, quand les gens prenaient la peine de le regarder...

Dans l'une des chambres à l'étage, Jirô Tomitake attendait un coup de fil important.

Sa chambre était encore plus sobre que celle de son ancien hôtel. Tout juste y avait-il un lit et un téléphone.

Mais après tout, ce téléphone, c'était la seule chose dont il avait désormais besoin.

Il eût été plus sûr de changer constamment d'endroit, surtout si Tomitake s'en était tenu aux contacts périodiques.

Mais comme il attendait les progrès de l'enquête et que chaque indice pouvait modifier la donne -- et donc la marche à suivre -- Tomitake avait compris qu'il valait mieux rester au même endroit, pour ne pas rendre la prise de contact trop difficile.

... Bien évidemment, il n'avait pas pensé à la possibilité d'un espion au sein-même de son équipe...

Le seul bruit dans la chambre était celui de sa montre.

Il était bientôt 9h.

Mais bien sûr, il savait que l'appel n'était pas programmé à la seconde près.

Tomitake prenait son mal en patience, trompant sa nervosité comme il le pouvait.

Il se tenait prêt à répondre, et en même temps, respirait calmement et repassait en revue quelles informations donner, avec quelles formulations, pour expliquer au mieux la situation sur le terrain.

Et en même temps, il se demandait que faire si l'ennemi réussissait à découvrir où il se cachait. Il n'arrivait pas à se défaire de cette idée.

Soudain, il entendit au loin le cri perçant d'une femme, quelque part dans l'hôtel.

Alors qu'il se demandait encore ce que cela pouvait signifier, un deuxième cri rententit.

Des bruits de pas résonnèrent en écho un peu partout.

Instantanément, il sut.

Quelqu'un se déplaçait de porte en porte avec un passe-partout et vérifiait toutes les chambres !

Se plaçant près des rideaux, il les entr'ouvrit légèrement et risqua un coup d'œil dans la rue.

Plusieurs hommes des chiens de montagne se tenaient là, scrutant les portes et les fenêtres, tout autour du bâtiment.

Mais quand étaient-ils arrivés ?!

Ils m'ont eu !

Ils ont découvert où je me cachais !

Il entendit des bruits de pas se rapprocher,

et des voix, aussi.

Alouette des chants 1

— Chambre vide. Suivante !

C'était un hôtel pas cher, ici, il n'y avait pas de chaînette pour bloquer la porte. Il ne pourrait rien faire contre le passe-partout !

D'après les bruits de pas et en comptant le nombres d'hommes nécessaires pour bloquer les issues,

Tomitake comptait facilement 20 soldats.

Il y en avait peut-être même plus.

Il ne pouvait pas résister depuis sa chambre.

Il devait se cacher !

Sous le lit ?

Dans la baignoire ?

Il ne pouvait pas passer par le toit...

Sauter par la fenêtre ?

... Il était à l'étage, ce n'était pas si dangereux que ça...

Par contre, dans la rue, il y avait d'autres gens prêts à lui barrer la route.

Mais il était en plein quartier de centre ville.

S'il courait suffisamment vite, il n'aurait pas trop de mal à les semer et à les perdre !

Les bruits de pas se rapprochèrent ;

la prochaine porte serait la sienne !

Il n'avait plus le choix !

Sautant par la fenêtre, il se réceptionna par terre, dans la rue !

Bien sûr, les chiens de montagne étaient prêts.

Quelqu'un alerta les autres, montrant Tomitake du doigt, et d'un seul coup, six hommes se mirent à sa poursuite !

Encore au sol, Tomitake partit comme un athlète sur un starting-block.

Les hommes à sa poursuite ne dirent rien, mais ils étaient tous plutôt surpris de le voir capable de redémarrer aussi vite après une chute pareille...

Tomitake, quant à lui, trouvait ça tout à fait normal :

il s'était entraîné pendant des années pour pallier à ce genre d'éventualité...

Alouette des chants 10

— Alouette des champs 10 à Alouette des champs 1 !

Cible en vue !

Je le poursuis !

Envoyez des renforts !

Alouette des chants 1

— Alouette des champs 1 à Aigrette,

la cible file dans la rue derrière le bâtiment et se dirige vers l'ouest !

Attrapez-le !

Aigrette 1

— Ici Aigrette, bien reçu !

Aigrette 2, 3 et 4,

on y va !

Aigrette 2

— ... Il est là !

C'est lui !

Sortant de l'angle mort d'un poteau électrique, trois hommes se placèrent sur son chemin pour lui barrer la route.

Ils le regardèrent en train de foncer sur eux, comme une locomotive, calculant la distance restante.

Leur cible ne leur fonçait pas dessus pour les frapper.

Il voulait simplement les prendre de vitesse et leur filer entre les doigts.

Il ne leur servirait à rien de se mettre en position de combat.

Ils arquèrent légèrement leurs jambes, prêts à lui sauter dessus pour le maintenir au sol.

Aigrette 2

— Allez,

maintenant !

Ils plongèrent tous les trois bien bas, alors que dans le même temps,

Tomitake faisait un petit saut, comme pour passer une haie !

Sauf que nous n'étions pas aux jeux olympiques et que les soldats n'étaient pas des haies.

Le pied et le talon de Tomitake prirent appui sur le crâne du soldat juste en face de lui !

Quant aux deux autres des côtés, ils s'étaient rapprochés très vite, certains de leur prise.

Mais Tomitake, aidé par la force kinétique de sa frénétique fuite en avant, put prendre un second élan et les prendre de vitesse. Il écarta les mains et saisit la tête des deux hommes, pour les faire se cogner l'un l'autre violemment !

Bien sûr, cela ne suffisait pas pour les mettre hors d'état de le suivre, mais au moins, il avait gagné quelques précieuses secondes !

Aigrette 2

— La cible a passé notre ligne de défense à l'ouest !

Nous le poursuivons !

Aigrette 1

— Bande d'imbéciles, mais qu'est-ce que vous foutez ?!

Aigrette 10 !

Prends un véhicule, tourne à gauche au deuxième croisement et continue à 9h !

Aigrette 3

— Eh, ça va ?

Merde,

le laissez pas s'enfuir !

Aigrette 4

— Espèce de salopard, quelle force physique !

Putain, mon nez pisse le sang, j'arrive plus à respirer !

Au croisement devant Tomitake, une camionnette passa, la porte latérale ouverte.

Elle freina brusquement et n'hésita pas à frapper dans un mur d'agglos avec un flanc pour assister au freinage et s'arrêter net. Immédiatement, cinq hommes descendirent du véhicule !

Aigrette 10

— On doit l'arrêter à n'importe quel prix, c'est notre dernière chance !

On l'arrête !!!

Aigrette 8

— Amène-toi, espèce de salopard, on est cinq, tu vas moins faire le malin !

Tomitake vit bien tous ces hommes en train de lui bloquer le passage.

Mais il ne semblait pas inquiet d'être arrêté...

D'après vous, pourquoi les locomotives utilisent leur sifflet à vapeur quand il y a un obstacle en face ? Pas parce que la machine va être endommagée :

parce que les choses ou les gens sur lesquels elle fonce vont se faire exploser !

Tomitake

— Baaaarreeeeez vouuuuuuus !

Clairement, Tomitake ne disait pas ça parce qu'ils l'empêchaient de passer.

C'était une mise en garde ! C'était leur dernière chance de s'écarter et de ne pas être blessés dans la collision !

Aigrette 7

— Idiot, on est plus que toi !

On est plus lourd que toi, tu passeras pas !

Tu crois quand même pas que tu vas nous faire voler ?!

Arrête de rêver !

Allez les gars, il passera pas, c'est pas possible ! Prêts ?

ON Y VA !

Tomitake eut un rictus,

pour autant, bien sûr, que les locomotives peuvent avoir des rictus...

Tomitake

— AAAAAAAaaaaaaaaaah !

Aigrette 1

— Nous avons réussi à capturer Tomitake.

Takano

— Vraiment ?!

Hmpfhfhfh, eh bien, ce fut rapide, finalement.

J'ai des tas de questions à lui poser...

Ne le tuez pas, amenez-le ici !

Je le tuerai plus tard ce soir, mais selon une méthode bien précise...

Takano

Hmpfhfhfhfhfh...

Pendant ce temps, dans une chambre d'hôtel un peu minable, un téléphone sonnait, encore et encore, vaillamment, sans savoir que son maître, Tomitake, ne pourrait jamais venir décrocher...

C'est environ 30 minutes après ces entrefaites que Tomitake fut emmené, baîllonné, pieds et poings menottés, à la clinique Irie, entrant discrètement -- mais sous haute escorte -- par la porte de service.

Il avait le regard vitreux, comme si quelqu'un lui avait injecté un sédatif.

Les hommes le portèrent depuis la camionnette, en faisant attention.

Irie remarqua la scène depuis les fenêtres de son bureau, et se précipita à leur rencontre.

Miyo Takano était déjà là, à les attendre.

Irie

— ... Mme Takano, qu'est-ce que ça signifie ?

Les hommes ne dirent rien, mais décochèrent un regard sévère au directeur.

Comme s'il était arrivé au mauvais moment...

Takano

— Je ne savais pas où Jirô était passé, je me suis inquiétée et j'ai demandé aux chiens de montagne de le rechercher.

Takano

Et regardez ! Il était à deux doigts de la mort, il présente des symptômes de la phase terminale. J'ai bien fait de les envoyer...

Irie

— M. Tomitake est en phase terminale ?

Mais comment ?

Évidemment, dans l'état où il était, Tomitake ne pouvait pas répondre.

Mais Irie préféra ne pas poursuivre ses questions.

Irie

— Peu importe, après tout.

C'est terrible,

nous devons immédiatement lui faire une injection du sérum.

Takano

— Bien sûr, Monsieur le Directeur.

J'espère simplement que nous pourrons lui inoculer le produit à temps...

Hmpfhfhfhfhfh...

Irie n'était pas dupe.

Les chiens de montagne avaient recherché Tomitake pour l'empêcher de mener à bien son enquête.

Avait-il réussi à régler le problème et à tout expliquer à Tôkyô ?

Est-ce que les chiens de garde étaient en route, ou pas ?

... Hmmm, non, probablement pas.

S'il était clair que les chiens de garde étaient en route, alors Mme Takano et ses hommes seraient déjà en train de prendre la fuite, sans demander leur reste.

C'était une unité faite pour être efficace,

pas pour parlementer...

Or, s'ils prenaient la peine de venir ici pour l'enfermer au sous-sol, c'est que Tomitake n'avait pas réussi à entrer en contact avec ses supérieurs. Les chiens de montagne pensaient encore être capables de noyer le poisson...

Ce qui signifiait que le lieutenant n'avait pas réussi à mener à bien sa part de la mission...

Que pouvaient-ils vouloir lui faire subir ?

S'ils l'avaient emmené ici vivant, ils allaient peut-être essayer de le torturer pour le faire parler.

C'était dangereux.

Il serait sûrement assassiné, à un moment ou à un autre.

Irie devait maintenant échanger les rôles, et tenter de faire quelque chose pour le sortir de là !

Ne serait-ce que parce que Kyôsuke Irie ne savait pas comment contacter “Tôkyô” !

Cela venait surtout du fait que Takano ne lui avait jamais révélé comment faire.

Et ainsi, elle avait pu s'assurer que ce serait toujours bel et bien elle qui tirerait les rênes de l'Institut Irie.

C'est aussi pourquoi même s'il pouvait recevoir des appels de l'extérieur sans aucun souci, il ne savait pas comment joindre leurs donneurs d'ordres et autres sponsors sans passer par elle.

Tomitake était donc irremplaçable. Irie savait que sans lui, Rika n'aurait aucune chance de gagner...

Sauf qu'Irie n'était pas un surhomme entraîné à l'art de la guerre, comme les chiens de montagne.

C'était simplement un médecin et un chercheur.

Tout seul, il ne parviendrait jamais à sortir Tomitake de la salle de sécurité, surtout maintenant que toutes les troupes avaient été mobilisées et que le niveau d'alarme était remonté au maximum...

Normalement, la clinique dispose d'une unité de huit hommes des chiens de montagne pour assurer la sécurité.

D'habitude, deux de ces hommes se partageaient cette tâche, mais avec la mobilisation, ils étaient maintenant tous là...

De plus, l'étage secret dans lequel les recherches étaient menées était lui aussi bien gardé, et surtout, il comportait de nombreuses portes inviolables dont l'ouverture était déclenchée par mot de passe.

Ce qui voulait dire que, quelle que fût la perspective que l'on avait sur la question, le seul à pouvoir entrer ou sortir d'ici qui ne tenait pas avec “les méchants”, eh bien, c'était lui...

Outre les mots de passe, il y avait aussi la reconnaissance biométrique, ainsi qu'un sésame composé d'une carte spéciale.

Il ne pouvait donc même pas donner une liste de mots de passe à quelqu'un d'autre pour faire le travail dangereux.

Irie avait une carte, et il avait les empreintes nécessaires. Seul lui pouvait faire ce boulot !

Même s'il avait peur…

et même si ça lui paraissait bien au-dessus de ses capacités...

Irie se mit à serrer les poings, essayant de rassembler tout son courage, mais la seule chose qu'il réussit à faire, fut de remarquer qu'il tremblait de partout.

... ... Irie,

as-tu déjà oublié ?

Irie releva la tête ; il entendait la voix d'Akasaka dans sa tête.

Akasaka

« Si jamais vous êtes en danger, composez le numéro, cachez le combiné et allez vous cacher dans un endroit sûr.

Akasaka

Le seul problème avec cette méthode, c'est qu'il est toujours très difficile de se rendre compte du danger dans lequel on se trouve. Et parfois, on se croit en sécurité, et d'un seul coup, on se rend compte que l'on a perdu tout moyen de communication.

Akasaka

Si jamais vous avez le moindre doute, la moindre crainte, appelez-moi, ça vaudra mieux.

Akasaka

Si j'en crois l'échelle démesurée de ce complot, les donneurs d'ordres ne s'encombreront pas de nous, ils nous exécuteront dès que possible.

Faites très attention. »

Irie sentit une goutte de sueur froide lui couler le long du dos.

Akasaka l'avait mis en garde ; est-ce que finalement, ce ne serait pas maintenant qu'il était en danger ?

Après tout, il pensait que tout allait encore bien, mais c'était peut-être juste pour se rassurer...

Se montrer courageux, c'était une chose, mais s'il le faisait maintenant, ce serait pure folie.

Il palpa du bout des doigts la carte qui servait de sésame.

Oui, il était le seul à en avoir une, mais cela ne voulait pas dire qu'il devait sauver Tomitake tout seul.

Il pouvait tout à fait demander de l'aide et revenir plus tard...

De toute façon, puisque Tomitake était prisonnier, cela signifiait d'une part que les chiens de montagne avaient compris qu'ils étaient attaqués, et surtout, qu'ils pouvaient désormais passer à la contre-attaque.

D'ailleurs, peut-être avaient-ils déjà porté leurs soupçons sur son intégrité...

Si jamais les chiens de montagne entraient chez Rika, ils découvriraient la supercherie et comprendraient qu'il leur avait menti !

... Oui, il était clairement en danger.

Irie prit sa décision.

Étant donnée la menace qui pesait sur sa vie,

il valait mieux partir d'ici,

et ce le plus rapidement possible.

Le point de chute en cas de pépin, c'était la demeure des Sonozaki.

Tous ceux qui pourraient l'aider se trouveraient là-bas.

Il devait les rejoindre, leur expliquer la situation, et monter une stratégie pour sauver Tomitake.

Takano ne le tuerait probablement pas tout de suite.

Elle avait l'intention de faire croire à une cinquième malédiction.

Il avait donc un tout petit peu de temps devant lui.

S'il réussissait à obtenir de l'aide, il avait encore la possibilité de revenir plus tard pour le sortir d'ici.

Il lui fallait donc maintenant prévenir Akasaka qu'il prenait la fuite.

Et puis, si Mme Takano se mettait à le soupçonner, elle finirait par envoyer les chiens de montagne chez Rika.

Et donc, par ricochet, Akasaka aussi était en danger !

Irie

— ... ... ...

C'était une chance pour Irie. Encore un peu, et il ratait sa dernière occasion de pouvoir s'enfuir vivant de l'institut...

Mais avant de fuir, il avait encore une dernière chose à faire.

Irie retourna dans son bureau, appuya sur la touche qui servait de raccourci pour appeler Rika, puis posa le combiné bien en place, caché, et laissa sonner.

C'était le signal le plus important, le plus long aussi : celui qui indiquait une urgence.

Irie se souvint des premiers mois de travail ici, ceux pendant lesquels il lui était arrivé de regarder son bureau, extasié, en se demandant combien de temps il aurait la chance de travailler ici.

Il n'aurait jamais cru, à l'époque, que l'heure des adieux viendrait de manière si soudaine...

Du coin de l'œil, il vit un cadre sur son bureau ; une photo avec, simplement, son père et sa mère.

Il avait commencé sa spécialisation dans le cerveau dans l'espoir de les réconcilier...

Depuis quand avait-il dévié de cette voie ? Depuis quand versait-il dans des choses louches ?

Peu importait, il reviendrait bientôt.

Et cette fois-ci, il se remettrait au travail, et il éradiquerait la maladie.

Il ne pouvait pas abandonner cette responsabilité !

Irie

— Papa, Maman...

Je reviendrai.

Irie tourna les talons, puis quitta son bureau.

Chien de montagne

— ... Mon Commandant.

La ligne interne du bureau du directeur est active.

Il a appelé...

la maison de R !?

Takano

— Quoi ?

... Mais pourquoi ?

Est-ce que vous pouvez espionner la conversation ?

Chien de montagne

— Oui, bien sûr,

nous pouvons le faire, d'ici aussi...

L'homme toucha plusieurs boutons sur le standard, et les enceintes de la salle de sécurité se mirent à grésiller avec les sonneries sur la ligne.

Takano

— Mais pourquoi essaie-t-il de l'appeler maintenant ?

Chien de montagne

— R doit être à la maison. Vous pensez qu'il essaie de la prévenir que nous avons enlevé Tomitake ?

Takano

— ... Ce n'est pas impossible.

Hmpfhfhfhfh, il ne se doute pas que nous l'écoutons...

Alors, alors, je me demande bien ce que tu vas lui raconter, Irie.

N'hésite pas à vider ton sac, je t'écouterai avec la plus grande attention...

Pourtant, à part le son insistant des sonneries, rien ne se passait.

Cela faisait presque 30 secondes que le téléphone sonnait.

Rika ne décrochait pas.

Elle était peut-être réellement absente.

Chien de montagne

— ... Monsieur le Directeur semble bien décidé à ne pas lâcher l'affaire.

Comme s'il savait pertinemment qu'elle décrocherait.

Chien de montagne

— Ah, Mon Commandant !

J'ai aperçu Monsieur le Directeur sur la caméra de la porte de service !

Sur un écran noir et blanc scindé en quatre, l'un des coins montrait le docteur Irie sortant précipitamment par la porte de service.

Takano

— Mais qu'est-ce que ça veut dire ?

Mais alors, qui est en train de passer ce coup de fil dans son bureau ?

Les sonneries continuaient toujours, imperturbables, à la différence de Mme Takano.

... Est-ce que par hasard... Non... Si ?

D'un seul coup, elle sentit ses pupilles se dilater.

Takano

— C'est un piège !

Il savait que sa ligne était sur écoute, il a lancé un appel et a laissé sonner ! Il savait que nous serions ici à essayer d'espionner la conversation !

Irie nous a trahis !

Attrapez-le !

Chien de montagne

— Eh, la sécurité !

Arrêtez le Directeur, vite !

Il est passé par la porte de derrière et se dirige vers le parking, il ne doit pas s'enfuir !

Les deux gardes qui jouaient aux cartes laissèrent tout tomber et bondirent hors de leur salle.

Elle était située tout près de la sortie, donc normalement, ils devraient pouvoir encore le rattraper !

Quant à Irie, il avait fait une erreur monumentale.

Il avait quitté l'institut très vite, en quelques secondes.

Mais une fois arrivé devant sa voiture, au parking, il s'était rendu compte qu'il avait oublié ses clefs, et il était reparti les chercher...

Il n'aurait pas dû, c'était bien trop tard !

Il aurait dû s'enfuir à pied.

Mais Irie n'était pas Akasaka, il n'avait pas le sens du danger.

C'était la première fois qu'il était dans une telle situation, il faisait donc des erreurs de débutant...

Malgré cela, il avait quand même pensé à prévenir Akasaka, donc pour un débutant, il s'en sortait avec les honneurs.

Le plus triste, c'est que c'est c'est toujours dans ces moments-là que l'être humain devient maladroit.

D'habitude, Irie n'avait aucun mal à démarrer, mais aujourd'hui, il n'arrivait même pas à tourner la clef de contact...

*vroOOOOOMMmm*

Enfin, le moteur avait démarré !

Pas de panique, ils n'ont encore rien remarqué...

Et même s'ils m'ont vu, je n'aurais qu'à dire que je vais faire quelques courses...

Il leva sa main gauche en sueur pour ajuster son rétroviseur intérieur,

et remarqua alors les deux membres des chiens de montagne qui sortaient en courant et qui se dirigeaient à toute vitesse vers le parking.

Alors qu'ils tournaient la tête dans tous les sens, son regard croisa, dans le reflet du rétroviseur, celui de l'un des poursuiveurs.

Immédiatement, celui-ci pointa du doigt en sa direction, et les deux hommes arrivèrent en courant.

En voyant le regard dans leurs yeux, il comprit que non, ils n'avaient pas ramassé son stylo et n'essayaient pas de le lui redonner...

Irie

— ...Oooh.... ooooooooooohh...!!

Irie se mit à transpirer de plus belle, de tous les pores de la peau. Comment faisait-il pour transpirer autant ?

À la seconde où les deux gardes voulurent sauter sur sa voiture, celle-ci fit un démarrage en trombe.

Bien sûr, ses poursuiveurs n'abandonnèrent pas pour autant.

Ils allèrent immédiatement prendre leur véhicule et se remirent en chasse.

Chien de montagne

— ... Équipe de sécurité au Quartier Général.

Le directeur a pris la fuite en voiture.

Est-ce que nous pouvons l'arrêter de force, ou pas ? Répondez !

Chien de montagne

— Mon Commandant ?

Takano

— Ici Takano.

J'imagine qu'il se rend au sanctuaire Furude.

S'il y parvient, nous ne pourrons plus l'atteindre, il y a trop de monde.

Ne le laissez pas arriver là-bas.

S'il est blessé, bah, tant pis.

Takano

Je vous autorise à utiliser la force.

Chien de montagne

— Bien reçu.

Nous allons l'appréhender de force.

Envoyez des renforts juste au cas où. À vous.

Chien de montagne

— Ici le Quartier Général, bien reçu.

On vous envoie Bouscarle Chanteuse en renforts,

mais ne les attendez pas !

Je répète, ne les attendez pas. Procédez immédiatement à l'arrestation du directeur !

La voiture du docteur Irie continuait sa course folle sur la route, faisant crisser les pneus, mais les gardes l'avaient bien en ligne de mire.

Il leur suffisait maintenant de définir où passer à l'action pour la meilleure efficacité.

Une voiture, c'était un objet un peu contradictoire.

Plus vous appuyiez sur l'accélérateur, plus elle allait vite, certes.

Mais du coup, elle était moins maniable, il fallait donner des coups de volant, et donc freiner pour ne pas faire d'accident. Donc rouler plus vite ne voulait pas dire “s'enfuir plus vite”.

Irie voyait bien ses poursuivants dans le rétroviseur, et la nervosité rendait sa conduite dangereuse et erratique.

Il avait toutes les chances de faire un accident de la circulation, peut-être même avant toute attaque des hommes qui l'avaient pris en chasse.

Et comme la peur lui avait vidé la tête, il ne réfléchissait plus beaucoup. Il oubliait à quelles intersections tourner.

Et à chaque erreur, il paniquait de plus en plus !

Chien de montagne

— Eh ben alors, Monsieur le Directeur, il faut pas s'affoler, donc.

Je vais vous mettre une balle, vous allez voir, ça va vous calmer.

Ils avaient eu l'ordre de passer à l'attaque, mais les hommes de la sécurité virent bien que le directeur risquait de mourir tout seul, sans avoir besoin d'aide.

Mais après tout, ils ne pouvaient pas se permettre de faire une trop longue course-poursuite...

Okonogi

— *Tschh*Ici Phénix 1,

vous m'entendez ?

Chien de montagne

— Ah, c'est le chef !

Ici le véhicule de la sécurité,

pousuivons la voiture du directeur.

Sommes près du petit bois du quartier 5, à vous.

Okonogi

— Le QG nous a demandé de vous donner des renforts.

Ils seront là dans 15 minutes,

ne comptez pas sur leur présence.

Je ne pense pas qu'ils vous rejoindront à temps.

Okonogi soupira. Leur petite princesse avait piqué une crise et il avait dû envoyer des hommes.

Mais il savait bien que la distance était bien trop grande.

Malgré cela, elle lui avait ordonné l'envoi des renforts.

Elle n'était pas du genre à écouter les explications, encore moins aujourd'hui.

Les hommes eurent un petit rire gêné, pleins de compréhension pour leur chef.

Okonogi

— Vous allez vers où ?

Chien de montagne

— Au pire des cas, il tente de rejoindre la ville.

Okonogi

— Vous ne pouvez pas le laisser faire.

Je veux bien faire une battue et le rechercher dans la montagne, par contre. Détruisez les pneus.

Il y a des témoins ?

Au fait, vous avez quoi comme armement ?

Chien de montagne

— Là pour l'instant, c'est de la forêt,

donc personne ne nous voit.

Nous avons l'armement réglementaire du véhicule, un pistolet mitrailleur.

Le passager défit sa ceinture et passa sur la banquette arrière, souleva une couverture et découvrit un pistolet tout noir et à l'apparence plutôt frêle.

La peinture était éraflée dans les coins et laissait apparaître des reflets argent.

Ce n'était pas assez impressionnant pour être une vraie mitraillette.

Mais lorsqu'il sortit la crosse et l'installa, d'un seul coup, l'arme dégagea une toute autre impression...

Okonogi

— C'est un MP5, donc ?

Un A5

ou un SD3 ?

Le passager montra l'arme entièrement montée dans le rétroviseur. Le canon était large et très long.

Chien de montagne

— C'est un SD3

avec un silencieux.

Okonogi

— Je vous autorise à tirer.

Tirez une bonne rafale dans les pneus.

Chien de montagne

— Bien reçu.

Nous passons à l'attaque.

L'homme portant l'arme ouvrit la fenêtre arrière, puis se hissa légèrement au dehors, l'arme à l'épaule.

D'un regard sûr, il plaça son viseur au niveau des pneus de la voiture du docteur Irie...

Ils étaient sur une ligne droite.

Le docteur passait parfois d'un côté à l'autre de la route, mais rien de suffisant pour éviter une rafale...

Ils le tenaient.

Ils auraient voulu se rapprocher pour être sûrs de ne pas rater les pneus, mais s'ils s'approchaient trop, ils risquaient de faire un accident avec la voiture du docteur si celle-ci faisait une embardée sur le côté.

Ils ne pouvaient donc rien faire de plus sans prendre de gros risques.

Chien de montagne

— Compte à rebours de 3 et je tire.

Trois,

deux,

un…

Il y eut un bruit vraiment bizarre, comique, presque.

Quelque chose qui ne ressemblait pas à un coup de feu.

Mais moins le coup de feu était fort, et plus sa cadence et sa puissance en étaient augmentées.

Les pneus arrières d'Irie se déchirèrent en un instant, et une fumée blanche s'échappa, puis les roues cédèrent !

Avec une roue arrière en moins et une autre endommagée, Irie ne pouvait plus conduire.

Dans sa panique, il donna de grands coups de volant, qui rendirent la situation encore plus dangereuse !

Dans un grand dérapage, la voiture d'Irie se déporta hors de la route, et se mit à dévaler la pente de la forêt à un endroit plutôt accentué...

Irie

— AaAAAAAaaaaAAaaAHHHH !!!!!

Dans un grand bruit de branches cassées, de vitres et de froissements de tôle, la voiture disparut en contrebas...

Les poursuivants s'arrêtèrent et se rendirent là où la voiture avait quitté la route. De là où ils étaient, la végétation leur cachait ce qu'il était advenu de leur cible...

Chien de montagne

— Attaque réussie.

La cible a dévalé une pente dans la forêt. Le Directeur a pu mourir dans la chute, elle était violente.

Nous allons poursuivre à pied pour soit récupérer son corps, soit l'appréhender.

Okonogi

— Ici Phénix 1, bien reçu.

Bouscarle Chanteuse est dans le coin, elle vous cherche.

Avec un peu de chance, vous pourrez vous rejoindre.

Personnellement, ça m'étonnerait.

Commencez sans eux.

Je compte sur vous !

Chien de montagne

— C'est compris, Phénix 1, terminé.

Allez, on y va !

Les deux hommes descendirent de leur véhicule, et sans la moindre hésitation, ils sautèrent dans les buissons pour dévaler la pente...