— ... Et je crois que c'est tout.
Vous avez des questions ?
Oui, ça, pour avoir des questions, j'en avais une tonne et demie.
Elle venait de nous raconter une histoire de dingue.
Si elle avait attendu quelques secondes avec un air sérieux, pour ensuite nous annoncer qu'elle se foutait de notre gueule, ça ne m'aurait pas étonné.
Mais je savais que poser des questions, à ce stade, ç'aurait été de la satisfaction personnelle, et surtout, une perte de temps.
Mion avait vraiment bien expliqué et bien résumé ce qu'il y avait à savoir.
— En temps que représentante du chef de clan des Sonozaki, j'aurais des tas de questions à te poser, Rika.
Apparemment, ton histoire a un rapport très étroit avec les meurtres de la malédiction de la déesse Yashiro.
Mais pour l'instant, nous avons d'autres chats à fouetter.
T'as eu une très bonne idée de venir chez moi pour te cacher.
Notre salle au sous-sol a été construite pendant la guerre froide,
on peut survivre à une ogive nucléaire !
On a tout, l'électricité, l'eau, à manger, etc.
Et si les chiens de montagne sont aussi dangereux que tu le dis, Rika, alors il n'y a que chez nous que tu pourras rester.
— ... Je suis vraiment désolée de vous mêler à tout ça. Je ne sais pas quoi dire de plus.
Elle avait vraiment l'air de ne pas savoir où se mettre.
Rika avait dû supporter le poids de ces secrets, de cette maladie, de cette organisation, sur ses seules épaules, depuis tout ce temps.
Elle avait toujours fait de son mieux pour ne pas nous entraîner là-dedans.
Et je pense que c'est parce que nous en étions tous bien conscients que personne n'osait lui faire de reproche...
Alors que le silence édifiant commençait à me faire mal aux oreilles, Hanyû s'approcha de Rika à toute vitesse et lui donna une grande tape dans le dos.
— Dis donc, toi, depuis hier, tu n'arrêtes plus de t'excuser, c'est quoi comme attitude, hein ?
Si tu t'excuses encore une seule fois, tu seras condamnée à m'offrir des choux à la crème tous les jours jusqu'à la fin de ta vie !
Non mais des fois !
Et puis d'abord, personne ne t'en veux !
C'est pas vrai peut-être, Keiichi ?
Sans crier gare, j'eus le grand honneur de devoir répondre pour nous tous.
Regardant dans les yeux de Hanyû, je pus voir qu'elle attendait quelque chose de bien précis de ma part.
Mon rôle à moi... c'était de donner l'étincelle.
J'étais une flamme rouge, je servais à faire démarrer les autres !
Alors qu'est-ce que j'attendais ?!
— Heh !
Elle a pas tort, Rika, tu sais.
Je suis resté un peu con sans trop savoir quoi dire, parce que cette histoire, c'est quand même un truc de dingue, mais c'est tout ! N'est-ce pas, les filles ?
Moi, je parie que tout le monde est en train de se dire que finalement, c'est assez palpitant, comme truc !
Satoko, c'est le moment de briller.
Je parie que tu as des pièges très dangereux, que tu as dû ranger au placard, non ?
Je suis sûre que tu en gardes pour ce genre d'évènements.
Héhéhéhé !!
Eh ben c'est l'occasion ou jamais de les sortir, je dirais !
— Oooohhohhohho !
Et vous seriez bien avisés de m'en remercier !
Je ne sais qui osera nous affronter, mais si j'ai effectivement l'autorisation d'y aller sans réserves, alors je peux vous promettre des pièges d'une qualité miraculeuse !
— Je suis curieuse de voir ça !
Si tes pièges sont tellement bien que même Mii les a approuvés,
alors ils seront efficaces, même sur de vrais soldats !
— Ouais, non mais Rena, c'est bien de porter Satoko aux nues, mais je sais que tu ne seras pas en reste !
D'habitude, t'as l'air un peu deux de tension, mais je t'ai déjà vue quand tu es sérieuse, t'es un monstre !
Tu sais quand est-ce que tu dois te battre et quand ce n'est pas nécessaire.
Et quand tu sais que tu dois te battre et que tu y vas à fond…
ben, je suis pas sûr de faire le poids contre toi !
— ... C'est gentil, mais c'est un peu exagéré.
Et toi alors, Keiichi ? Tu as du répondant, tu réagis vite et tu frappes fort.
Je suis sûre que tu pourrais nous sortir de bien des impasses.
— Oui, Keiichi est comme une flamme rouge, mais Rena est plutôt une flamme bleue.
— Eh, mais c'est une super image, en fait, ça !
Ladies and gentlemen ! Dans le coin droit, l'homme au cœur rouge vif, Keiichi Maebara !
Dans le coin gauche, la guerrière à l'aura bleue, Rena Ryûgû !
C'est le moment où jamais de montrer au monde de quoi nous sommes faits !
Et pour nous guider, il nous faut un maître en la matière.
J'ai pas raison, Mion ?
Pris séparément, on est tous super forts,
mais en équipe, on est imbattables !
C'est ça, le principe de notre club !
— ... Héhhéhhé...
Eh ben...
Moi, je voulais pas le dire, parce que ça la fout mal, quoi, mais pour être honnête, plus j'en entendais sur c't'histoire,
plus j'me disais que ça s'annonçait vraiment intéressant !
Je vais te dire, je te suis plutôt reconnaissante.
Merci de m'avoir appris l'existence de ces gros poissons !
Ils ne manquent pas d'air, d'être venus à Hinamizawa sans même venir se présenter.
Ils vont voir ce qu'ils vont prendre dans la gueule !
À peine cinq minutes après les excuses de Rika, nous étions à nouveau à fond dans les starting blocks, prêts à en découdre avec le reste du monde.
Nous étions confrontés à une conspiration de haut niveau, mais franchement dit, je ne nous voyais pas perdre.
C'était un sentiment grisant, absolument extraordinaire !
Et nous devions ce retournement de situation entièrement à Hanyû.
Pour de la bleusaille, elle semblait avoir des talents très prometteurs.
Elle avait deviné au premier coup d'œil à qui parler dans notre groupe d'excentriques psychotiques pour faire redémarrer la machine dans le bon sens.
D'ailleurs, à bien y réfléchir, c'était même encore pire que ça. Nous étions tous un peu perdus, car nous savions que l'ennemi était d'une toute autre dimension. Mais elle, ça ne l'a pas dérangée le moins du monde, elle en a carrément profité pour en rajouter une couche !
Mais qu'est-ce qu'elle va devenir, plus tard, cette fille ? Une légende ?!
— Je... Je ne sais pas quoi dire.
Merci à tous, merci de me croire, ça représente beaucoup pour moi...
— Non mais t'as fini, oui ? “Merci de me croire” ? Mais encore heureux, Rika !
Je te l'ai dit très souvent, mais apparemment ça suffit pas : c'est normal de te croire, nous sommes tes amis !
Alors arrête de nous remercier tout le temps, à la fin !
— Ouais, elle a raison !
Tu sais, Hanyû,
j'aime cette attitude, tu me plais bien, toi !
— Eeeh, mééé euh, arrête !
Je lui chopai la tête et lui ébouriffai les cheveux.
Elle avait beau dire, ç'avait l'air de pas mal lui plaire...
— Bon, eh bien ne perdons pas de temps, il nous faut trouver une stratégie !
Commençons par faire le point.
Tout d'abord, Rika et Satoko resteront cachées ici pendant quelques jours. Officiellement, elles sont malades et restent chez elles,
mais il vaut mieux rester prudent, juste au cas où.
Je pense que personne ne sait qu'elles sont ici.
Il faudra dire merci à ce M. Akasaka, heureusement qu'il reste chez vous pour faire illusion !
— On pourra aussi lui dire merci de s'être souvenu de la promesse qu'il a faite il y a cinq ans.
C'est vraiment quelqu'un de formidable !
D'ailleurs, je crois bien que je suis jalouse, pour le coup...
— ... Disons qu'il ne rentre pas dans les canons de la beauté qui attirent mon regard, mais il est vrai que je vous en envie légèrement, très chère.
— Mais, mais enfin, miaou, quoi ! Il n'y a strictement rien entre lui et moi, bon sang !
— En plus, un mec de la D.S.T. de la capitale, affecté aux renseignements et aux services secrets ?
Mais c'est presque un surhomme, ce mec !
Je suis bien content de l'avoir avec nous !
— Oui, nous pouvons lui faire confiance,
je suis certaine qu'il est très fort !
— Mais gardons la tête froide : son rôle, c'est un peu de nous sortir de la mouise en cas de pépin, il sert de “dernier rempart”.
Celui qui nous intéresse le plus pour le moment, c'est M. Tomitake, c'est lui qui doit mener l'enquête et trouver des preuves.
C'est un peu lui notre attaquant, si vous voulez.
Et surtout, il n'y a que lui qui pourra tirer la sonnette d'alarme et appeler les unités spéciales pour nous aider.
C'est donc la personne la plus importante dans toute cette opération !
… Hum…
Je vais être honnête avec vous, ça me fait super bizarre de me dire que c'est de ce photographe raté que dépend entièrement notre survie...
Tout le monde se mit à rire. Le pauvre Tomitake en prenait pour son grade.
Chacun se permit sa petite remarque afin de restaurer l'honneur du photographe : “Ouah, l'autre, eh !”, “Je lui dirai ce que t'as dit, tu vas voir !”, “T'es méchante avec lui, quand même !”, etc…
— Écoutez, ce n'est pas que je n'ai pas confiance en M. Tomitake, mais il vaudrait mieux avoir un plan B, non ?
— ... Je ne suis pas contre le principe, mais que peut-on faire sans passer par lui ?
— Hmmm, Hanyû a raison, dans l'absolu.
Nos adversaires ne sont pas stupides, ils verront bien que M. Tomitake est celui sur lequel toute notre stratégie repose.
S'ils remarquent qu'il fait une enquête, ils décideront peut-être de le zigouiller.
Lui aussi sera en territoire ennemi après tout.
Alors il nous faut une stratégie pour nous en sortir sans lui, c'est très important.
— Permettez-moi d'abonder en votre sens !
C'est un peu le même cas de figure pour les pièges, il est bien difficile de parvenir à ses fins en n'en tendant qu'un seul.
Il faut penser à toutes les éventualités et tendre un piège pour chacune d'entre elles. Alors seulement, le piège devient parfait !
— Oui,
ce serait stupide de nous limiter à une seule possibilité d'attaque.
Il nous faut trouver un autre angle, une autre manière de porter un coup à nos adversaires !
— D'accord, mais nous ne savons rien de concret sur “Tôkyô” et sur son fonctionnement. Que pouvons-nous faire ?
— M. Tomitake va nous servir entre autres à appeler les chiens de garde.
Il faudrait savoir comment on pourrait faire la même chose...
Comme ça même si lui est court-circuité, nous ne perdrons pas toute possibilité de nous en sortir !
— Moui, c'est pas bête,
après tout, c'est surtout ça qui le rend si important à nos yeux.
Et en même temps, c'est notre talon d'Achille.
... Il faudrait lui en parler. Il est le seul à pouvoir nous éclairer sur ce point.
Le problème étant que maintenant, il s'est caché pour pouvoir mener son enquête, et qu'on a aucun moyen de le contacter. Ça nous avance pas...
— C'est vrai, mais en attendant, c'est quand même une bonne idée.
La prochaine fois que nous pourrons lui parler, il faudra absolument lui demander comment contacter les chiens de garde.
Ça nous fait une idée pour un plan de secours.
Quelqu'un a une autre idée ?
D'un seul coup, Hanyû se prenait pour une modératrice, faisant le lien entre tous les participants, et servait aussi de greffier.
Rena aussi semblait l'avoir remarqué, et ça la faisait sourire.
— Disons que ça, c'est une sorte de sécurité au cas où M. Tomitake échouerait.
Voyons plus, large…
Est-ce qu'on ne pourrait pas faire un truc de notre côté pour l'aider ?
— Ooooh, mais ce me semble un concept des plus intéressants.
Nous pourrions tendre un piège à l'ennemi pour le forcer à se montrer, et de là, M. Tomitake intervient et l'empêche de couvrir et d'étouffer les faits !
Oui, cela me paraît être une grande idée !
— ... Ils en ont après moi, nous sommes d'accord ?
Donc je pourrais peut-être servir d'appât ?
Je sais que c'est dangereux, mais puisque Takano et ses hommes m'ont en ligne de mire, ils seront obligés de réagir.
— Oui, c'est une solution vraiment dangereuse.
Mais tu as raison, Rika, ça nous permettrait sûrement de récolter des preuves de cette conspiration.
— Donc tu te montres, tu fais du grabuge, et ensuite tu pars te cacher !
Mouais.
Si, ça devrait porter ses fruits.
Et surtout, on pourrait aller dans la haute montagne, là où Satoko a tendu tous ses pièges !
— Oh oui, oui oui oui !
Si nous arrivons à atteindre sa cabane secrète, les ennemis qui viendront tenter de nous déloger vont souffrir !
— Ouais, clairement !
Heh,
j'ai hâte de voir ça !
C'est vraiment devenu palpitant, cette histoire, en fait !
— Oui, mais je reste persuadée que ce serait notre dernier recours.
On pourra se cacher là-bas, mais on va se retrouver assiégés, et ça, ça change tout.
À mon avis, il vaut mieux nous réserver cette possibilité pour le cas où tout le reste aurait échoué !
— Oui, il me peine de l'admettre, mais vous avez raison, très chère.
Les pièges que j'ai posés en montagne nous offriront une grande protection, mais ils ne sont qu'une ligne de défense.
Elle ne pourra en rien nous servir à attaquer notre ennemi.
— Hum…
Notre dernier ressort, hein ?
Ce sera notre dernier atout si jamais ils réussissent à nous coincer,
donc il vaudra mieux jouer ça en toute dernière carte. On ira là-bas si jamais ils arrivent à nous déloger d'ici.
Mais ne vous en faites pas, il y a un tunnel caché pour nous permettre de sortir de notre salle spéciale. Il débouche quelque part dans la montagne.
— Ah ouais, carrément !
La vache, mais c'est génial, ça !
Mais c'est de plus en plus excitant, cette histoire, ma parole !
On a une mystérieuse organisation à nos trousses,
des opérations secrètes, une base secrète,
un tunnel secret pour une sortie cachée,
mais c'est un truc de dingue !
Comment vous voulez qu'un garçon comme moi ne pète pas un câble ?
— Ahahahaha !
Ne t'inquiète pas, je suis une fille, et ça ne m'empêche pas d'être excitée comme une puce !
Bon, ça nous fait deux plans de secours.
Allez, là, les enfants ! Nous devrions quand même bien pouvoir en trouver encore au moins un !
— Ouais,
il nous en faudrait encore.
Là, on est en train de préparer nos défenses, mais il nous faudrait un truc pour attaquer, pour passer vraiment à l'offensive.
Je sais pas, moi, il nous faut un truc qui nous aille comme un gant…
Vous voyez !!
Un moyen de mettre un coup tellement sidérant à nos adversaires qu'ils ne s'en remettront pas !
— ... D'accord, mais je ne pense pas que ce soit dans nos cordes...
— Si, Rika,
il y a forcément quelque chose. Nous ne sommes pas aussi démunis que tu ne sembles le croire, tu sais. Nous avons encore d'autres atouts.
Tu es la pièce maîtresse de leurs plans à eux, mais tu es ici, avec nous.
Ça, c'est un atout de poids.
Et par là, je ne veux pas dire que tu dois forcément servir d'appât.
— Oui, elle a raison.
Nous avons la Reine Mère avec nous, et ça nous donne un énorme avantage sur eux.
Après tout, le but du jeu pour eux, c'est quoi ?
C'est de faire assassiner Rika pour obtenir l'application du manuel n° 34. Une fois que le village aura été exterminé, des responsables seront désignés comme coupables et devront payer, et donc leurs partisans vont monter en grade.
On est d'accord ?
— Exactement,
Rika est un peu comme une bombe qui peut souffler tous les gens haut gradés dans l'organisation.
— Ils veulent me faire exploser pour déboulonner tous les hauts postes et placer des gens à eux...
— Et donc pour gagner, il nous faut empêcher cette bombe d'exploser.
Hmmm, les choses ne vont pas en notre faveur.
— Non, effectivement.
Nous allons devoir protéger Rika pendant une durée indéterminée, alors qu'eux peuvent faire tout et n'importe quoi, tant que Rika meurt, ils gagnent la partie.
C'est comme si nous jouions au foot et qu'il n'y avait qu'un seul but sur le terrain.
— Et la méthode Tomitake pour nous sortir de là, c'est d'aller le dire à l'arbitre et de faire envoyer les chiens de garde pour arrêter le match.
Mais est-ce qu'il n'y aurait pas un truc qui pourrait remplacer leurs cages au but ?
Je suis sûre qu'il y a un truc.
Dans ces cas-là, il faut réfléchir en se mettant à leur place.
... ... ... Eh, mais ?
Mais, mais, mais mais ?
Héhhéhhé, je crois que j'ai trouvé...
Mion se mit à rire dans sa barbe, avec une drôle de voix.
Sacrée elle, elle est vraiment douée.
Grâce à elle, plus les choses vont bien, et meilleures elles deviennent, c'est à devenir fou !
Mion était très intelligente.
Elle savait analyser une situation, et ce très rapidement.
C'est pourquoi elle avait été la première à dire que nous n'avions aucune chance quand Rika nous avait parlé la première fois. Et c'est pourquoi elle avait très vite perdu confiance.
Mais si elle abandonnait malheureusement un peu vite, elle avait un autre trait de caractère : si vous lui redonniez un peu le vent en poupe, elle pouvait vous le transformer en un moteur électrique.
À notre charge, donc, de souffler pour gonfler sa voile. Si ça marchait, elle pourrait gréer d'elle-même le navire jusqu'à bon port !
— Rika, je dois vérifier quelque chose.
Dans ce fameux manuel, ils expliquent que quand tu mourras, tous les villageois deviendront fous dans les 48h et que donc avant que ça n'arrive, il faut envoyer des soldats pour tuer tout le monde, c'est bien ça ?
— ... Oui,
c'est ça, autant que je sache.
— Eh, mais ?
Mais comment ils peuvent savoir ça, en fait ? C'est pas comme si tu étais déjà morte et qu'ils avaient chronométré...
— Oui, maintenant que tu le dis,
c'est bizarre, en fait.
Comment peuvent-ils affirmer que les villageois seront en phase terminale dans les 48h ?
— Je ne sais pas au juste, je dois dire. Takano m'a dit que dans d'autres cas très similaires, à l'étranger, il y avait eu des morts dans les 48h,
mais c'était du charabia.
Même Irie m'a dit qu'il ne comprenait pas trop non plus.
— Ah !
Mais alors, se pourrait-il que...
Oooohhohhohho !
Je crois bien avoir vu une faille, mes très chers amis !
— ...
Ouais, moi aussi, j'ai compris.
Ouais ouais ouais, c'est logique, en fait !
Mais il faut y penser, c'est pas évident !
— ... Hein ?
Euh, sérieux ?
Vous avez compris quoi ?
Je ne vous suis pas du tout, là...
— Moi non pluuuuus,
j'comprends paaaaas !
— Héhhéhhé !
Eh ben alors, mesdemoiselles, comment ça, vous ne comprenez pas ?
Vous voulez un gage trèèès licencieux pour vous aider à réfléchir ? La dernière aura intérêt à ne pas tenir à sa modestie !
Héhéhé !!
Et toi, Hanyû ?
Tu m'as l'air d'avoir trouvé il y a un moment ?
— Oui, moi, je l'ai vu !
Et ça explique pourquoi Rika est si importante aux yeux de Mme Takano.
Mais c'est déjà un gros indice que je leur ai donné !
— Oooohhohhohho !
Je me sens généreuse, je vais donc moi aussi distiller quelqu'indice.
Notre ennemi cherche à provoquer des événements graves à Hinamizawa.
Il veut le faire par le truchement du manuel des consignes d'urgence, donc ce manuel peut être considéré comme étant leur point faible !
— Euh, oui, et alors ? Hmm, je vois pas...
— Miaou, miaou, miaou...
Je vois rien non plus...
— Aaaah bon☆?
Rika, si tu me demandes pardon à genoux pour tout ce que tu m'as fait subir, je veux bien te donner la réponse !
— Plutôt crever, oui !
Et arrête avec tes simagrées, tu m'empêches de réfléchir !
— Eh ben alors, c'est quoi, ça ? Même toi tu trouves pas, Rena ? Pourtant d'habitude, tu carbures...
Bon, écoutez bien.
Notre attaque repose sur M. Tomitake, c'est donc lui notre point faible. Eh ben pour l'ennemi, c'est pareil, il se repose entièrement sur l'application du manuel.
Donc, il suffit de se débarrasser de ces consignes d'urgence.
Vous comprenez ?
Il suffit de les rendre caduques !
— Exactement !
Et qu'est-ce que ça signifie ?
Le manuel sert à cacher l'existence de la maladie, en tuant tous les patients et en faisant croire à une catastrophe naturelle.
C'est pourquoi l'Armée doit intervenir et tuer tout le monde en moins de 48h, avant que les habitants ne deviennent fous.
Et c'est ça, ce que nos ennemis veulement déclencher.
— Ouais, et donc, euh...
ça veut dire que...
il faut les empêcher d'appliquer le manuel dans les 48h ?
Euh...
— Tant que je ne suis pas morte, le décompte des 48h ne commence pas, donc... Donc...
Donc quoi ? J'ai juste à fuir pendant 48h ? Non ?
Non... Je sais pas...
— Eh ben alors, vous l'avez, la solution !
Héhéhé !!
Vous l'avez ?
Rah, bon, on va vous la donner, alors.
Vous êtes prêts, les autres ?
Un, deux :
« IL SUFFIT QUE RIKA SOIT MORTE DEPUIS PLUS DE 48H ! »
Si on l'avait fait exprès, on n'aurait pas pu le dire plus à l'unisson.
Décidément,
on est vraiment tous sur la même longueur d'onde !
— Ça y est, j'ai compris !
— Oh, je vois maintenant !
Rena et Rika se topèrent dans les mains.
Comment est-ce qu'on faisait pour avoir des idées aussi géniales ?
— Purée,
j'ai cru que vous n'y penseriez jamais !
On aurait du faire ça dès le départ !!
Mais c'est quoi cette mentalité de chochotte que vous avez, à être tout le temps sur la défensive ? On n'est pas là pour ça, que je sache !
Au au au !!
— Ah ouais, carrément ?
Eh bé, y a rien qui t'étouffe, dis voir ?
Mais ça me plaît !
Pour récompenser cette mauvaise foi, tu recevras la grande croix spéciale de notre club !
Mais ça devra attendre, on a autre chose à faire maintenant. Voyons voir comment mettre notre stratégie à exécution...
Alors, regardons d'un peu plus près ce manuel d'urgence.
En fait, il cache un énorme point faible :
il n'y a pas grand'chose qui prouve que moins de 48h après la mort de la Reine Mère, tous les habitants vont devenir frappadingues.
Et donc !
Si par hasard, il était constaté que même plus de 48h après la mort de Rika, les gens se comportaient normalement, alors ce manuel perdrait toute valeur !
Eh oui.
Parce que, soyons honnêtes : personne n'a envie de l'appliquer, ce manuel.
Mais si on ne le fait pas, les gens du village risquent de devenir fous et de provoquer des scènes d'apocalypse.
Et donc contents ou pas, les grands de ce monde devront bien autoriser son application, pour qu'il y ait le moins de victimes possibles.
Mais imaginons maintenant que le corps de Rika soit retrouvé et que l'autopsie indique que la mort remonte à 72h.
On mettrait donc le manuel d'urgence devant le fait accompli : non, même 48h après la mort de la Reine Mère, les villagois ne sont pas devenus fous. Et donc, la base-même de l'existence de ce manuel serait remise en question !
— Nous pouvons nous permettre ce mensonge car Rika est cachée ici, à l'insu de tous.
— La dernière fois que les gens l'ont vue, c'était hier, après l'école.
Si on compte 48h, ça veut dire qu'on peut faire découvrir son corps disons après-demain matin ? Ça nous arrangerait bien !
— Oui, et si M. Ôishi pouvait nous apporter son aide, il pourrait faire un faux rapport d'autopsie !
— Exactement, très chère !
Il n'aura donc plus qu'à annoncer au monde la mort de Rika comme remontant à plusieurs jours, et le tour sera joué !
— Euh, ça risque de poser pas mal de problèmes s'il fait publier ça dans les journaux. On pourrait se contenter d'en parler à l'Institut Irie.
Et comme le Chef est de notre côté, il n'aura aucun mal à jouer le jeu et à les berner !
— ... Ahaha,
ah ouais...
La vache, mais c'est bien pensé, en plus...
— Une fois que le manuel d'urgence aura perdu toute crédibilité, plus personne n'autorisera son application.
En fait, c'était ça, leur point faible. C'était Rika elle-même, et ce manuel.
— Ôishi ne nous a pas encore promis de nous aider,
mais j'ai bon espoir qu'il nous aide.
Au.
— Oooohhohhohho !
Ce sera un piège magnifique !
Je peux déjà voir Mme Takano s'arracher les cheveux en essayant de comprendre ce qu'il se passe !
— ... Pour l'instant, elle est persuadée que toi et moi sommes à la maison, alitées à cause d'un coup de froid.
Mais elle ne nous a pas vues, physiquement.
Si jamais mon corps devait être découvert après-demain et que l'autopsie devait lui dire que j'étais morte depuis plus de 48h...
— Ahahahahahaha !
Ça va être très rigolo à regarder !
— Normalement, les gens qui tirent les ficelles en face se rendront compte que leur stratégie a échoué, et ils se retireront, soit pour s'enfuir, soit pour préparer autre chose.
Et c'est là que nous passons à l'attaque !
Et d'ici là, M. Tomitake aura sûrement obtenu les preuves dont il a besoin.
— Et alors, il n'aura plus qu'à ramener les toutous en laisse et ils pourront venir mordre les méchants !
Et nous aurons gagné !
— Eh ben alors,
c'est pas si impossible, après tout ?!
Et en plus, on va faire ça comme on a l'habitude de faire, en se payant la tête des gens !
Mais c'est-y pas beau, tout ça ?! Ah, ça me plaît ! Ouais, ça me plaît !
Nous poussâmes plusieurs “hip hip hip HOURRA !” pour nous mettre dans le bon état d'esprit.
Enfin, les choses devenaient vraiment intéressantes !
Mais pour réussir un coup pareil, il nous fallait rendre l'annonce de la mort de Rika crédible.
Et pour ça, nous avions encore absolument besoin de l'aide de l'inspecteur Ôishi.
Et alors que nous nous demandions comment nous rendre à Okinomiya pour aller lui expliquer notre plan,
il vint de lui-même nous rendre visite, chez les Sonozaki.
Il savait que Rika se cachait ici.
Et il savait que des membres des chiens de montagne étaient inflitrés au commissariat.
Il était parfaitement conscient qu'ils étaient du genre à placer les gens sur écoute.
C'est pourquoi, préférant jouer la sécurité, il était venu directement ici.
— J'ai rencontré le docteur Irie tout à l'heure.
Il m'a demandé de vous faire savoir que M. Akasaka se débrouillait et qu'il allait bien.
Vous savez, il a vraiment pris du galon et de l'expérience ces cinq dernières années, je le reconnais à peine.
Il saura remplir sa part de la mission, je n'ai pas de doute à ce sujet.
Il prit le thé d'orge qui lui fut servi, puis défit légèrement sa cravate.
J'imaginais bien qu'il n'aurait jamais pensé qu'un jour, il boirait du thé dans la demeure des Sonozaki.
— Et donc, Ôishi !
Vous en pensez quoi, de notre plan ?
— Eh bien, c'est une très bonne idée, je trouve.
Je pense qu'en face, ils vont avoir très peur.
Et s'ils deviennent nerveux, ils feront des erreurs, c'est sûr et certain.
Je pense que ça devrait beaucoup aider M. Tomitake à faire son travail.
En fait, c'est une excellente stratégie ! On dit toujours qu'à trois, je ne sais plus quoi, mais alors avec autant de jeunes que vous, on peut dire que les bonnes idées ont fusé !
Il se mit à rire, approuvant totalement l'ingéniosité et la probable efficacité de notre plan.
Mais il avait du mal à se décider quand même, à cause de ses obligations.
— Ça va être un sacré pari.
Et je pense que quelle qu'en soit l'issue, je vais devoir en répondre devant le conseil de discipline.
Oh, je pense que je m'en tirerai, mais à la moindre remarque de travers, je peux aussi y perdre pas mal de plumes.
Il va falloir être sûr d'avoir bien pris la bonne décision...
Notre plan mettait malheureusement l'inspecteur Ôishi sur le devant de la scène, et donc une grande part de la responsabilité lui échéait.
La Police, ce n'était pas de la rigolade.
L'inspecteur n'avait aucune garantie de ne pas être poursuivi par la suite par sa hiérarchie.
D'ailleurs, je découvrais qu'en fait, M. Ôishi partait à la retraite cette année.
Et qu'il avait besoin de sa retraite pour terminer de payer son épargne logement.
C'était un moment particulièrement délicat dans sa vie.
Oui, bien sûr, Rika était en danger, mais cela ne voulait pas dire qu'elle pouvait forcer les gens à foutre leur vie en l'air juste pour ses beaux yeux.
— Merde…
Vous savez, je suis vraiment épaté, c'est une très bonne idée que vous avez eue.
Mais...
Mais je...
— ... Ôishi.
Si vraiment ça pose un problème, ne vous cassez pas la tête dessus et dites-nous simplement non.
Nous voulons gagner, certes, mais nous ne voulons pas sacrifier tout le monde en cours de route.
Je pensais que personne parmi nous ne saurait quoi dire, mais Hanyû avait pu briser le silence sans hésiter.
Pendant les activités du club, elle fait pas mal de petites simagrées, mais elle est aussi capable de beaucoup de tact et de réconfort quand elle voit une âme en peine.
Oui, c'était une belle formule, ça, tiens.
Si elle avait l'âge et l'apparence de la sagesse dont elle savait faire preuve, Hanyû serait largement grand-mêre.
— Et puis,
nous sommes l'élite du club de l'école de Hinamizawa !
Si vous ne pouvez pas nous aider à mettre ce plan en place, c'est pas grave, nous en trouverons un meilleur !
N'est-ce pas, Mion ?
— Hein ? Euh, oui, oui, bien sûr !
M. Ôishi, si vous pouvez pas, vous pouvez pas, c'est pas grave !
De toute façon, on n'avait pas à faire un plan en vous refilant la patate chaude sans vous demander votre avis, non plus !
— Certes, nous nous sommes quelque peu laissés emporter.
Veuillez accepter nos plus humbles excuses, monsieur l'inspecteur.
Rena se pencha vers moi pour me murmurer quelque chose à l'oreille.
— ... Elle est douée, Hanyû, tu trouves pas ?
Si jamais un jeune élève de l'école te parlait comme ça, tu ferais tout pour l'aider, tu ne crois pas ?
— Hein ?
Attends, tu veux dire que ?
Mais alors, c'est pour ça qu'elle est allée le consoler ?
— ... Miaou.
Il ne faut pas croire, elle est encore plus faux-cul que moi.
Pendant qu'Ôishi se torturait l'esprit pour prendre une décision, Hanyû restait à côté de lui, souriante -- mais de temps en temps, son regard s'illuminait d'une lueur de psychopathe.
OK, je retire tout ce que j'ai dit.
Cette fille est une manipulatrice !
Purée, mais quelle classe, Hanyû !
Il va falloir faire super attention à elle par la suite, ou elle risque de me bouffer tout cru...
— Euh…
Écoutez, vous savez quoi ? Je vais y réfléchir ce soir.
J'ai quelques amis à qui je peux en parler, je vais leur demander de l'aide.
Ne vous en faites pas, ce sont des gens en qui je peux avoir entière confiance.
Je veux juste calculer mes chances de réussir --
après tout, si j'accepte, nous n'avons pas droit à l'erreur.
M. Ôishi n'était pas du genre à faire des promesses dont il savait qu'il ne pourrait pas les tenir.
Il restait très prudent dans sa manière de parler, mais au vu de sa situation, c'était déjà très courageux de sa part.
— Ne vous en faites pas, Ôishi.
Si jamais le montant de votre retraite devait avoir une baisse de forme, je suis sûr que Mion saura lui redonner un peu de vigueur.
N'est-ce pas ?
Ahahahahahaha !
— Miaou.
Si jamais on ne faisait rien pour lui, ce serait vraiment méchant de notre part.
Miaou.
— Gné ?
Ahaha,
euh, ahem, euh, ben, ouais, on avisera !
On dirait pas comme ça, les enfants, mais vous savez, ma famille a les moyens !
Ahahahaha...
Ça devait courir dans toute la famille Furude, cette capacité à tromper tout le monde...
Je crois que lors de nos prochains jeux, ça risque d'être très compliqué de gagner...
Et c'est sur ces entrefaites que notre petite réunion prit fin.
Demain, nous saurions si notre plan pourrait marcher ou pas.
Pour l'instant, nous n'avions aucune nouvelle de M. Tomitake, mais il avait sûrement déjà commencé son enquête.
Le Chef et M. Akasaka étaient en plein cœur du camp ennemi, mais pour l'instant, ils ne pouvaient qu'attendre.
C'était très dangereux,
mais nous ne pouvions que prier pour qu'il ne leur arrivât rien.
Quant à Mme Takano, que dire ?
Quelque part, j'avais encore du mal à croire qu'elle était réellement contre nous, qu'elle avait réellement monté toute cette opération.
C'était une bonne chose que d'avoir M. Tomitake pour vérifier si par hasard, elle n'était peut-être quand même pas innocente...
Elle était mystérieuse, un peu froide et distante, mais aussi parfois un peu coquette.
... Et puis bon, elle habitait depuis longtemps ici, c'était un peu une villageoise, après tout.
Pour être honnête, j'avais beaucoup de réticences à la considérer comme une ennemie.
Je commençais à comprendre un peu dans quel état M. Tomitake devait être.
Il ne mène pas cette enquête pour prouver qu'elle est la coupable.
Il veut trouver de quoi prouver à tous qu'elle est innocente.
Parce qu'il est très éprouvant de douter d'une personne que l'on chérit...
— Oui, allô ?
Oh, c'est vous, Mon Lieutenant ! Je suis désolé pour tous les désagréments que ça vous cause.
— Non, ce n'est rien. Il y a plus important. Vous avez du nouveau ?
Normalement, une enquête secrète prend plusieurs mois.
Ce n'est pas quelque chose de facile, et ce n'est pas en un jour que l'on peut compiler toutes les données nécessaires.
Mais Tomitake se rendait bien compte qu'il y avait quelque chose d'énorme qui se mettait en place.
Il sentait que l'heure H approchait.
Et il savait que lorsqu'elle aurait sonné, il serait trop tard.
C'est pourquoi il demandait des informations aussi souvent que cela.
— Nous poursuivons toujours nos recherches sur le Commandant Takano.
Il semblerait qu'à l'époque où elle avait été invitée à rejoindre le projet alphabet, un autre de nos services avait déjà mené une enquête préliminaire pour savoir à qui nous avions affaire. Je suis en train d'essayer de convaincre cette section de nous faire parvenir le dossier de l'époque.
Quant à la période plus récente, tous nos effectifs sont sur le terrain.
Je vous demande de nous laisser encore un peu de temps.
— Je sais bien, je sais bien.
Mais j'ai comme l'impression que les choses vont bientôt s'accélérer, c'est pourquoi je vous demande de faire le plus vite possible.
— Oui, bien sûr.
Ah, sinon, outre votre requête, Mon Lieutenant, nous avons eu l'ordre de mener immédiatement une enquête secrète sur l'Institut Irie.
Cette enquête a la plus haute priorité.
L'ordre est signé par notre Directeur.
— ... Le Directeur a diligenté une enquête ?
Indépendamment de la mienne ?
— C'est exact, Mon Lieutenant.
Enfin, officiellement, elle n'a rien à voir avec votre enquête, mais si je puis me permettre un commentaire, je pense qu'il essaie de donner un soutien administratif à votre requête.
— Le Directeur me soutient dans cette enquête...
Pour être honnête, j'aurais du mal à expliquer ce que ça pouvait vouloir dire au juste.
Une chose était certaine, les grands pontes de l'Armée de Terre étaient bien conscients du danger que représentait une possible rébellion de l'Institut Irie.
Et si comme Rika le prétendait, l'objectif de cette conspiration était de les forcer à appliquer les consignes du manuel d'urgence,
alors le camp adverse devrait tout faire pour empêcher cela d'arriver, par absolument n'importe quel moyen.
Mon enquête n'était qu'une étape, une sorte de premier pas vers cet empêchement.
Donc si le Directeur était acheté par les gens derrière cette conspiration, il aurait fait annuler mon enquête.
Mais là, ce n'était pas le cas, il l'avait justement appuyée.
Donc lui, au moins, n'était pas une taupe.
D'ailleurs, il y avait fort à parier qu'il faisait partie de la faction adverse.
... Ou pas, finalement.
Il ne faisait peut-être que suivre des ordres.
Donc maintenant, les gens qui ont concocté cette conspiration risquent de remarquer quelque chose, puisqu'ils ont non pas une, mais deux enquêtes sur le dos.
Si jamais ils ont des gens chez nous pour faire pression, mon enquête risque d'être passée à la trappe. Je me demande jusqu'où je réussirai à fourrer mon nez.
Je ne savais pas ce qu'il se tramait aux étages supérieurs.
Mais c'était surprenant de voir que le Directeur s'en mêlait...
... Que Miyo soit coupable ou innocente, il y a quelque chose de pas net avec l'Institut Irie, et des choses sont en train de se mettre en place...
— Nous sommes bien sûr à fond sur cette affaire.
Nous n'avons pas encore terminé les analyses, mais nous avons trouvé des irrégularités dans les budgets de l'Institut.
Nous avons demandé à un expert de nous dire s'il pense que c'est une simple erreur ou si c'est voulu.
— C'est à dire, un problème au niveau des comptes de l'Institut ?
— Affirmatif, Mon Lieutenant.
Vous savez, je pense, qu'ils ont un compte spécial sur lequel les virements de l'État sont opérés.
Eh bien, les chiffres ne correspondent pas avec nos archives.
Certains fonds doivent avoir été replacés ailleurs, ou bien alors, ils ont des fonds d'une autre source.
Il y aussi pas mal de problèmes avec les dates des virements -- on suppose l'emploi de faux documents.
D'habitude, les budgets sont alloués à l'année pour assurer le bon fonctionnement de l'organisation concernée.
Par exemple, si vous avez un budget d'un million qui vous a été alloué, eh bien, au début de l'année fiscale, vous recevez un million sur votre compte en banque.
Donc parfois, vous faites votre année et vous vous rendez compte à la fin que vous n'avez dépensé que 900 000. Il vous reste 100 000 sur le compte.
Donc quand les gens du gouvernement voient ça, ils se disent “eh mais en fait, 900 000, ça leur suffit !”.
Et donc puisque vous avez 100 000 sur le compte, ils y rajoutent 800 000, et roule ma poule. Eux ont fait une économie de 200 000, donc ils sont très contents !
Et donc -- mais j'imagine que vous commencez à vous en douter -- plus vous faites une gestion parcimonieuse des crédits alloués par l'État, moins vous allez en recevoir, et donc à un moment, vous allez vous retrouver coincés.
C'est pourquoi tous les gens de l'administration vous diront qu'il faut apprendre à bien dépenser l'intégralité du budget.
Si certains en profitent pour financer des initiatives,
d'autres prennent simplement la somme non-dépensée et la placent sur un autre compte, secret si possible, pour faire croire qu'ils ont en fait, tout dépensé.
Ils font leur rapport en disant bien qu'ils ont dépensé tout le million, et au premier jour de l'année fiscale suivante, ils reçoivent du coup encore un million.
Et du coup, quelque part, quelqu'un se retrouve avec 100 000 sur les bras.
Et cette somme d'argent devient alors un fonds occulte.
Et si vous utilisez toujours seulement 900 000 sur votre budget, tous les ans, vous avez 100 000 en plus sur un autre compte, à votre disposition.
Et peu de gens sont au courant, évidemment.
C'est ce qu'on appelle communément un détournement de fonds publics.
Et c'est comme ça que le projet alphabet obtient une grosse part de son financement.
Pour empêcher ça, évidemment, il y a des gens qui sont payés tous les ans pour vérifier les comptes.
On raconte souvent que curieusement, c'est toujours vers la fin de l'année fiscale que les services font des rénovations, mais n'entrons pas dans les détails.
Disons avec pudeur qu'il est très difficile d'obtenir des fonds publics et n'allons pas plus loin.
Jusqu'ici, nous avons vu le cas de figure bienheureux dans lequel le budget consenti par l'État est suffisant.
Mais parfois, ce n'est pas le cas.
Il n'y a qu'une seule et unique rentrée d'argent, pour toute l'année ; à la différence d'une famille normale, on ne peut pas aller dire à la banque de liquider le plan d'épargne --
il n'y a rien d'autre !
C'est pourquoi les dépenses ne peuvent jamais, jamais, jamais être plus importantes que les rentrées d'argent.
Parce que si c'est le cas...
Ça veut dire que quelqu'un d'autre place de l'argent sur le compte.
Et donc qu'il y a des fonds occultes qui transitent par là.
Les choses n'étaient pas encore tirées au clair, mais apparemment, les comptes de l'Institut Irie présentaient des signes de fraude caractérisée.
S'ils ont détourné de l'argent, limite, ce n'est pas un souci.
C'est un cas de figure très fréquent, et nous saurons quoi faire.
Mais si c'est le contraire, alors là, le problème prend une tout autre dimension.
En effet,
cela impliquerait une autre source de financement, en plus du financement officiel.
Allons plus loin.
Cela implique la possibilité qu'une tierce partie ait payé pour s'infiltrer dans l'Institut.
Pour l'instant, je ne faisais qu'étudier la possibilité d'une alliance frauduleuse entre Miyo et les chiens de montagne.
Mais si Miyo pouvait éventuellement s'allier à cette conspiration pour des raisons personnelles, il en allait tout autrement pour les chiens de montagne.
Pour s'acheter les services des chiens de montagne, il fallait de l'argent. Beaucoup d'argent.
Et si l'on trouvait des traces de financements suspects, cela pouvait en être une indication.
— Ah, allô, vous êtes encore là ?
Quelque chose vient de tomber.
Mon Lieutenant, vous connaissiez Maître Koizumi, n'est-ce pas ?
Il était le chef de sa propre faction.
Il est mort assez récemment, et depuis, ses successeurs tentent de s'arracher le pouvoir.
Est-ce que vous saviez que Maître Koizumi était très ami avec le Commandant Takano ?
— Oui, plus ou moins.
J'en ai entendu parler.
— Alors, saviez-vous que Maître Koizumi était un grand ami de feu le Professeur Hifumi Takano ?
— Pardon ?
Non, je...
Oho, je vois...
Je comprends enfin pourquoi Maître Koizumi était toujours si gentil avec le commandant Takano.
— Hmm...
Ça aussi, c'est intéressant.
À la mort de Maître Koizumi, tous ses comptes secrets ont été liquidés.
On a alors découvert un retrait fait par Maître Koizumi en personne, sans passer par son avocat, comme il le faisait d'habitude.
Cette transaction unique en son genre a eu lieu environ six mois avant la décision du projet alphabet de fonder l'Institut Irie.
— Ne serait-ce pas tout simplement le montant utilisé pour s'assurer de la coopération des autres sponsors ?
— Non, les sommes utilisées pour décrocher des sponsors transitaient par son avocat.
C'est donc forcément pour autre chose qu'il a retiré cet argent.
En tout cas, c'était vraiment pour une raison très personnelle et très importante, sinon, il n'aurait pas fait cela de cette manière.
... Cela pouvait-il avoir un rapport avec Miyo ?
— Vous pensez que Maître Koizumi aurait donné ces fonds directement au Commandant Takano ?
— Affirmatif.
C'est en tout cas l'avis de nos experts. Nous sommes en train d'essayer d'en apporter la preuve.
Nous pensons qu'il a voulu aider au financement de la construction de l'Institut Irie en offrant cet argent au commandant, en plus de faire le nécessaire pour lui obtenir un financement officiel.
— ... On peut donc considérer qu'elle dispose de fonds occultes pour financer une éventuelle rébellion ?
— Nous avons fait vérifié les financements qu'elle a trouvés pour l'Institut. Toutes les sommes provenaient de fonds officiels.
Si elle disposait de cette somme, elle n'a pas eu à s'en servir. Il est fort possible qu'elle ait toujours ces fonds à sa disposition.
— Je sais que je vais sauter les étapes, mais dites-moi quel était le montant de ce retrait.
— ... Un milliard, Mon Lieutenant.
— UN MILLIARD ?!
J'ai une relation assez intime avec Miyo, mais pourtant, je n'ai jamais eu l'impression qu'elle était riche.
Au contraire, elle vit assez chichement, toute proportion gardée.
Rien dans son quotidien ne permet de deviner qu'elle possède une telle somme...
... En même temps, ce n'est pas de l'argent qu'elle a reçu pour elle-même.
Cet argent, elle l'a obtenu de quelqu'un qui était un grand ami de son grand-père d'adoption, une sorte de coup de pouce pour l'aider dans les recherches.
À ses yeux, c'est certainement une sorte d'atout, de joker qu'elle a dû garder précieusement, pour le cas où...
Si elle avait eu un quelconque soutien parmi le nouveau conseil d'administration, elle aurait pu les acheter, mais ils se sont copieusement moqués d'elle.
Elle ne les a pas achetés.
Elle a sûrement décidé d'employer cet argent
pour mettre un point final digne de ce nom aux recherches sur le syndrome de Hinamizawa...
Avec un milliard, elle a probablement de quoi acheter les chiens de montagne.
Et si quelqu'un derrière elle est là pour la protéger ou pour la pousser au crime, elle a de fortes chances d'avoir réussi.
Elle est en train de tout mettre en place pour mettre un point final tragique et grandiose aux vœux à jamais irréalisables de son défunt grand-père...
... ... Merde, merde, MERDE !
Je sais que ce n'est pas ce qu'elle voulait faire de sa vie !
Je sais que quelqu'un lui a monté la tête, et a réussi à la manipuler !
Miyo... Miyo,
je te demande pardon...
J'ai eu beau passer tellement de temps avec toi... je n'ai jamais été en mesure de saisir ta détresse et ton désarroi.
Et apparemment, je n'ai jamais eu l'air suffisamment digne de ta confiance pour que tu me confies tes problèmes...