— Les enfants ! Ce matin, Hôjô et Furude ont téléphoné pour dire qu'elles avaient pris froid et qu'elles ne pourraient pas venir à l'école.
Nous sommes au changement de saison, c'est une période où les gens tombent très facilement malades !
Même si vous avez chaud avec votre couette, ne vous découvrez pas pour dormir,
c'est bien compris ?
— Ouiiiii Maaaaaîtreeeeesse !
— Hau.
C'est sûrement parce qu'elles habitent ensemble qu'elles sont tombées malades en même temps.
Rika doit assurer son rôle de prêtresse après-demain, pendant la cérémonie. Tu crois que ce sera possible ?
— Quand je pense qu'on voulait faire les fous pendant la fête ! Si elles sont malades toutes les deux, on va pas aller loin.
Espérons qu'elles seront en forme demain.
Qu'est-ce que vous en dites, on passe les voir après l'école ?
On pourra leur ramener quelque chose de frais, je sais pas, moi, peu importe.
— Ce sera pas nécessaire, p'tit gars.
Par contre, après l'école, j'aimerais vous montrer un truc chez moi, vous pourriez venir ?
D'habitude, Mion n'était pas du genre à laisser tomber ses amis.
Et pourtant, aujourd'hui, elle était un peu tendue, un peu... détachée.
Elle était même carrément bizarre depuis ce matin, en fait.
Tout le temps dans la lune, même en pleine conversation.
Et elle nous invitait chez elle ? Ça rimait à quoi ?
— Pourquoi, Mion, il y a quelque chose ?
Une fête ?
— Non, mais c'est un peu ça.
Disons que j'ai des trucs à vous dire, et que c'est important.
Et c'est pas le genre de choses dont je peux vous parler à l'école.
Elle avait une lueur très calme dans le regard. Ce n'était pas pour un jeu, et c'était très sérieux...
À la clinique, l'heure de la pause déjeuner était la plus effervescente de la journée, parce que bien évidemment, une floppée de patients venait toujours s'incruster en salle d'attente quelques minutes avant midi.
C'est pourquoi les gens qui travaillaient à la clinique prenaient leur pause un peu plus tard que la moyenne des gens.
Mais bien sûr, ce n'était qu'une petite pause au milieu de la journée ;
il fallait assurer les consultations dès le début de l'après-midi.
C'est pourquoi la plupart des employés prenaient leur pause en mangeant des plats tout préparés.
Ils mangeaient où bon leur semblait, tant que l'endroit ne devait pas être médicalisé, ou bien qu'ils étaient sûrs de ne pas croiser de patients.
Et comme la saison commençait à devenir chaude et humide, ils préféraient de loin aller en salle de conférence, là où la climatisation était toujours enclenchée au maximum.
Ils s'installaient avec leurs nouilles ou leurs paniers-repas et y discutaient joyeusement.
Étant le directeur de l'établissement, les employés se sentaient toujours un peu gênés en ma présence, et donc, je leur gâchais leur pause.
C'est pourquoi j'avais pris l'habitude de prendre vite fait les plats que j'avais commandés et de m'enfermer dans mon bureau pour manger.
Aujourd'hui, nous avions presque tous commandé des nouilles soba.
J'avais demandé une “grosse portion”.
C'était le nom du menu pour obtenir une grosse portion de nouilles soba.
On ne disait pas “grosse portion de nouilles soba”, juste “grosse portion”.
C'est pourquoi parfois, on avait des problèmes en commandant “une grosse portion et des nouilles udon rissolées”, parce qu'on se retrouvait avec une grosse portion de nouilles udon rissolées.
...
Aujourd'hui, d'ailleurs, la grosse portion me semblait bien petite.
Leur cuisinière se faisait vieille, je savais qu'elle avait des problèmes de hanche, mais là… Alors que je me perdais dans ces considérations, Mme Takano entra dans mon bureau.
Elle tenait dans les mains une vraie grosse portion.
C'était probablement moi qui m'étais trompé en allant chercher ma part, alors...
Quelle galère, vraiment.
— Mpfhfhfhf, oui, c'est vraiment difficile de s'y retrouver.
Ils devraient mettre des repères visuels dessus.
— Je suis tout à fait de votre avis.
Ils pourraient par exemple mettre quelque chose sur les grosses portions, je ne sais pas, moi, un drapeau de menu enfant, pourquoi pas ?
— Pkr... AHAHAHAHAHAHA !
Ça par contre, c'était une réaction inattendue.
Mme Takano dut se forcer pendant plusieurs instants pour cesser d'être secouée par les rires.
— Installez-vous donc, je vous en prie.
Je lui montrai le large canapé qui servait à accueillir mes visiteurs.
— Oh, eh bien, oui, pour une fois, pourquoi pas.
Par contre, si vous pouviez mettre la climatisation un peu moins fort, je vous saurais gré.
— Ah, oui, bien sûr, un instant. Où est cette télécommande ?
Voilà.
À bien y réfléchir, je n'avais pas parlé souvent avec elle.
L'Institut était un lieu de recherches où il valait mieux ne pas trop en savoir sur les autres, en tout cas, c'était un peu la règle tacite qui s'était installée parmi nous.
Et comme nous n'avions pas les mêmes idées sur pas mal de choses, je n'avais jamais vraiment essayé de tisser des liens avec elle.
C'était peut-être une erreur de ma part, en fait. J'aurais dû lui parler plus souvent...
D'ailleurs, je ne savais même pas de quoi elle aimait parler pendant les repas.
J'étais persuadé que si je ne trouvais pas un sujet de conversation normal rapidement, j'aurais droit à des détails croustillants sur les cestodes ;
ce serait sûrement mauvais pour moi, je n'oserais plus manger de soupe aux tagliatelles pendant des semaines, alors que je les adore !
Mais alors que j'étais encore en train de réfléchir nerveusement, ce fut elle qui poursuivit la conversation.
— Vous parliez des drapeaux du menu enfants...
Ça me rappelle ma propre jeunesse.
Je parie que les enfants d'aujourd'hui ne les ont jamais connus.
— Ooh, je n'en mettrais pas ma main au feu.
Ça fait un peu partie de la culture, maintenant, c'est un peu une institution.
Je parie que nous en aurons même dans le futur, sur les menus servis dans les vaisseaux spatiaux.
— Hmpfhfhfhf !
Ce serait assez drôle.
Je me demande si les enfants les regarderont encore avec des étoiles dans les yeux, et s'ils les collectionneront...
— Les collectionner ? Les drapeaux du menu enfants ?
Allons bon, vous le faisiez, vous ?
— Mais bien sûr !
Vous ne les avez jamais collectionnés, Monsieur le Directeur ?
— Mais non, voyons, bien sûr que non !
À notre époque, les menus enfants, c'était pour les familles riches !
Nous n'avions pas les moyens, je vous assure...
— Mais non, vous exagérez.
Nous étions plutôt pauvres, vous savez, mais parfois, nous allions au grand magasin, et chaque fois, avant de rentrer, nous allions au restaurant du dernier étage.
Moi, à l'époque, j'accompagnais mes parents parce que je savais que si nous allions au grand magasin, j'aurais un nouveau drapeau.
Je me souviens de la fois où ils sont partis sans moi, j'étais vraiment très en colère contre eux ce jour-là.
— Ahahahahahaha !
Eh bien, vous avez dû avoir une enfance enviable !
— ... Non, pas vraiment.
Le jour où ils sont partis sans moi au grand magasin, ils sont morts dans un accident ferroviaire.
Je suis restée chez nous, à leur en vouloir, et à les attendre, jusqu'au coup de fil de la Police. Quand j'ai décroché, j'étais sûre qu'ils appelaient pour se vanter d'avoir mangé au restaurant et pas moi, c'est dire.
Aaah, je m'en souviens, j'en avais dix-neuf, je voulais absolument avoir le vingtième,
c'était l'objectif que je m'étais fixé, avoir vingt drapeaux.
... ... Aaaah là là, non, la vie n'a pas été très tendre avec moi ce jour-là.
… Horrible, hein ?
Si elle a perdu ses parents à l'âge où les drapeaux du menu enfants représentaient encore une source d'émerveillement, c'est qu'elle était très jeune ; elle a dû en souffrir bien plus que ce qu'elle en dit aujourd'hui.
Ce qui signifiait que cette blessure qu'elle portait en elle depuis si longtemps n'avait toujours pas eu le temps de guérir.
— ... Eh bien,
je ne savais pas.
Est-ce que par hasard,
c'est cet accident qui vous a poussée à devenir médecin ?
— Pardon ?
Hmpfhfhfhfh, bien sûr que non, voyons, quelle étrange idée...
— Oh... Non,
je disais juste cela parce que personnellement, si je suis devenu médecin, c'est un peu en rapport avec ma famille. J'ai cru que c'était la même chose pour vous.
— Non, je n'ai pris la voie de la médecine que parce que c'était le moyen le plus sûr de pouvoir par la suite étudier le syndrome de Hinamizawa.
Je me doute que la formulation ne va pas trop vous plaire, mais on peut dire que pour moi, devenir médecin n'était que le moyen le plus sûr d'obtenir cette place de chercheur.
C'était une révélation très intéressante.
Cela voulait dire qu'elle connaissait l'existence de la maladie avant même d'avoir été à l'université, et qu'elle s'était donc déjà juré d'y consacrer sa vie...
— ... J'ai presque honte de le dire, mais finalement, je ne sais même pas comment est-ce que vous avez découvert cette maladie.
Comment en avez-vous entendu parler ?
J'ai entendu dire que vous l'aviez trouvée en lisant les papiers laissés par feu le Professeur Takano, mais je n'en sais pas plus.
D'après ce que vous me dites, vous auriez commencé les recherches sur le syndrome à l'époque où vous faisiez, en parallèle, vos études de médecine ?
Quand je pense à tout le mal que j'avais rien qu'avec mes études ! Vous avez tout mon respect !
— Hmpfhfhfhf.
Non, j'ai appris l'existence du syndrome de Hinamizawa bien longtemps avant cela.
Ça, c'était une phrase qui en disait long, mais qui me laissait avec beaucoup de questions.
Quand avait-elle bien pu apprendre l'existence de cette maladie ?
Et si elle était si jeune, pourquoi et comment ?
— Je suis dans le même cas que Satoko et Rika -- je suis orpheline.
J'ai été placée dans un orphelinat... ignoble, il n'y a pas d'autre mot.
À cette époque, ils avaient fort à faire, il restait encore beaucoup d'orphelins de la guerre.
Alors des gens avaient construit des orphelinats, pour pouvoir encaisser les aides de l'État.
Après des mois de mauvais traitements, je me suis enfuie. Et la personne qui m'a recueillie... devint mon grand-père.
C'était un certain Hifumi Takano.
— ... Vous avez vécu avec le Professeur Takano ?
Je comprends... vous avez eu donc accès très tôt à ses recherches.
Mais pourquoi l'avoir caché ?
— Aaaah, ça, ce sont des histoires de grandes personnes.
C'est une chose que d'aller demander des fonds pour mener des recherches sur une maladie étrange, et une autre que de demander des fonds publics pour mener à bien les recherches de son grand-père.
— Ooooh, oui, bien sûr, cela aurait été une tout autre histoire.
En tout cas, ça explique enfin pas mal de choses.
Lorsque vous parlez du Professeur Takano, votre regard est empreint de respect, mais aussi d'autre chose.
Ce devait être une personne formidable, si vous le respectez autant.
— ... Non, pas vraiment.
Il a vécu dans la solitude, incompris de tous. Il a mené ses recherches tout seul, et est mort tout seul.
Grand-père aimait la solitude, c'est un fait, mais elle le condamnait à ne pas pouvoir obtenir l'aide de ses pairs.
— Mais pourtant, il vous avait vous !
D'ailleurs, vous êtes aussi une “Takano”.
— Oui, mais ce n'est pas mon vrai nom.
Je me suis choisi un nom pour lui signifier mon respect.
J'aurais bien voulu prendre les mêmes idéogrammes, mais je me suis dit que cela aurait été ennuyeux à expliquer à nos clients, alors je me suis cantonnée à choisir un nom à la même consonnance.
... Enfin, je compris le lien entre les deux professeurs “Takano”.
Ce qui expliquait aussi la similitude entre le “1-2-3” de “Hifumi” et le “3-4” de “Miyo”.
Quant au reste, elle n'avait pas besoin d'en dire plus.
Si elle avait perdu ses parents à un si jeune âge, il n'était pas étonnant qu'elle eût reporté toute son affection sur lui.
Ça expliquait pourquoi elle l'appelait “grand-père”.
... ... Et ça expliquait enfin la passion et l'entrain démesurés dont elle faisait preuve dans nos recherches.
Et enfin, cela me donnait une vague idée de ce qu'elle pouvait ressentir maintenant que l'arrêt des recherches de son grand-père avait été décidé pour de bon...
... J'avais eu du mal à me l'imaginer lorsque Rika en avait parlé, mais désormais, je voyais bien toute la souffrance qu'elle devait ressentir.
Et même si je ne le savais pas auparavant, j'ai dû dire et faire beaucoup de choses qui l'ont blessée...
Jusqu'à ce jour, j'ai toujours considéré que le seul but intéressant de nos recherches était de pouvoir éradiquer la maladie, le reste importait peu.
Mais cette vision étriquée des recherches était une atteinte directe au souvenir de son grand-père.
Je comprenais maintenant pourquoi elle avait été si agressive parfois.
Je savais qu'après l'annonce de l'arrêt progressif des recherches par le nouveau conseil d'administration,
elle était restée dans nos laboratoires, tous les soirs jusque très tard dans la nuit.
Elle avait préparé des dossiers, des documents explicatifs, puis est montée à la capitale pour convaincre nos supérieurs.
Et ils l'ont rejetée.
J'ai retrouvé les documents qu'elle avait préparés dans une poubelle spéciale, celle où nous jetions tout ce qui devait absolument disparaître à tout prix.
Ils étaient très lisibles, très compréhensibles aussi -- on sentait bien qu'elle les avait écrits en pensant à un lectorat non-scientifique.
D'après l'absence de cornures en haut des pages, je dirais qu'une bonne partie des documents n'avait même pas été lue.
J'ai d'ailleurs même trouvé des traces étranges sur certaines feuilles, des traces que l'on ne trouve généralement jamais sur des papiers de cette importance.
Et je pense ne pas me tromper en affirmant que certaines avaient été mouillées par des larmes.
J'avais eu un message de Tôkyô, quelque temps après, qui m'informait de l'opinion très négative que le conseil d'administration avait de Mme Takano.
Il était difficile de faire changer d'avis des gens qui n'étaient pas de notre métier.
Ce qui voulait dire que cette fois-ci, l'arrêt du projet était bel et bien définitivement entériné.
Elle avait été présente lorsque nous avions appris l'arrêt progressif des recherches.
Tout comme elle avait été présente lorsque le couperet était tombé,
malgré ses efforts,
malgré la promesse qu'elle avait certainement faite à son grand-père.
— ... Mme Takano... Vous comptez continuer les recherches, après la fermeture ?
— L'Institut Irie ne sera fermé que lorsque la maladie aura été éradiquée.
Vous me voyez garder une souche entre deux lamelles, enlever quelqu'un et le contaminer, pour ensuite faire des expériences dessus ?
Toute seule ?
Sans matériel ni moyens ?
Pour me terrer dans mon étude, parmi les bocaux de formol, et amuser la galerie de temps en temps, quand certains soi-disant “scientifiques” viendront me rire au nez en m'expliquant que hahaha, ma bonne dame, les parasites ne peuvent pas avoir d'influence sur l'être humain ? Non, ça ira, j'ai suffisamment donné. Je ne suis plus jeune, je n'en ai plus la force ni vraiment l'envie.
Je ne suis plus qu'un chien battu, une perdante. Que pourrais-je donc encore faire ? Plus rien. Plus rien du tout.
— ... ... ... ...
M. Tomitake m'avait un jour raconté que normalement, l'Institut Irie aurait dû être l'Institut Takano.
Mais nos donneurs d'ordres avaient tiré la tête en voyant une femme au poste de Directeur. Et c'était surtout pour cette raison que le poste avait été à pourvoir.
Je pouvais tout à fait comprendre le comportement si distant qu'elle avait entretenu avec moi.
Après tout, ce devait être une insulte permanente que de voir des décisions sur la maladie de son grand-père prises par un parfait inconnu ne partageant pas les mêmes idéaux et la même vision des recherches qu'elle-même...
Le syndrome de Hinamizawa, c'était la mémoire de son grand-père, ses plates-bandes, en quelque sorte.
Elle devait se souvenir de lui et ressentir sa présence lorsqu'elle se plongeait à corps perdu dans les résultats des analyses.
C'était pour cette raison qu'elle avait insisté pour avoir au moins un homme des chiens de montagne de garde en permanence, pendant qu'elle travaillait jusqu'au milieu de la nuit...
— ... Dites, vous voulez la soupe de mes soba ?
— Euh... Oui, pourquoi pas, oui,
j'en prendrais volontiers.
Je l'observai en train de me verser sa soupe dans mon bol. Pour la première fois, je remarquai sur ses frêles épaules tous les signes d'une grande détresse.
Les mots de Rika me revinrent en tête, et cette fois-ci, ils ne sonnèrent plus aussi creux.
Mme Takano était dévastée par la décision de nos donneurs d'ordres, cela ne faisait plus aucun doute.
Si quelqu'un l'avait approchée en lui faisant croire qu'elle l'aiderait, elle avait tout à fait pu se laisser embobiner...
Quoi que je puisse lui dire... je pense que je ne ferai que retourner le couteau dans la plaie.
Parfois, même les mots les plus doux et les plus réfléchis étaient douloureux.
Mais ma bouche s'ouvrit d'elle-même et tenta quand même l'impossible, parce que tout simplement, j'étais trop stupide pour la maintenir fermée.
— ... Je pense que nous devrions vous laisser le contrôle des prochaines décisions, Mme Takano.
Nous avons obtenu trois ans,
nous aurons encore le temps de faire de grandes avancées.
Je savais que je ferais mieux de me taire.
Je le savais, mais rien n'y fit...
— Merci, mais non merci.
Vous savez, c'est très difficile de regarder quelqu'un dépérir et s'affaiblir pendant trois ans.
Je savais que le Professeur Takano avait souffert d'une crise aiguë de démence sénile, et que lorsqu'il avait compris qu'il ne pourrait plus jamais continuer ses recherches, il avait décidé de se donner la mort tant qu'il n'était pas complètement gâteux.
Tout ce que je venais de lui dire ne pouvait qu'avoir réveillé en elle tous ces souvenirs...
— Vous savez, un jour arrivera où les recherches seront comme un patient dans le coma. Il faudra choisir si l'on débranche les machines ou pas, un jour ou l'autre.
... Monsieur le Directeur.
Si vous étiez en charge d'un patient dans un tel cas, à qui donneriez-vous le choix ?
Vous n'êtes pas du genre à prendre la décision tout seul et couper les machines sans rien dire à personne, n'est-ce pas ?
La question pouvait semblait naturelle, mais venant d'elle, je savais bien qu'elle ne l'était pas.
Dans ses yeux, je pouvais bien lire qu'elle attendait une réponse bien précise de ma part.
— ... ... ... Si jamais j'étais placé dans cette situation...
je pense que
je laisserais le choix aux membres de la famille...
— Oui, nous sommes d'accord.
Hmpfhfhfh.
Bien sûr, les membres de la famille doivent être présents pour pouvoir faire leurs adieux au mourant.
Et moi aussi, j'ai la ferme intention d'être présente lorsque les recherches sur le syndrome prendront fin.
Plutôt mourir que de m'enfuir.
Quelqu'un toqua soudain à la porte, interrompant notre conversation.
— Monsieur le Directeur, les visites de l'après-midi vont bientôt commencer.
Vous êtes prêt ?
— Ah, non, euh, désolé,
j'en ai pour une minute, j'arrive !
— Allons, laissez, je vais ranger.
Vous devriez vous hâter en salle d'auscultation,
je parie que nos suspects habituels sont déjà là et meurent d'envie de vous faire la conversation.
Hmpfhfhfhfh !
Mme Takano riait, mais je voyais bien que le sourire sur ses lèvres était figé, et qu'il ne servait qu'à cacher la profonde détresse qui l'habitait...
Je n'étais pas vraiment intime avec elle, mais elle était un partenaire crucial dans notre travail.
J'avais toujours évité de lui parler trop, pensant que je n'avais pas besoin de tisser des liens trop serrés avec elle dans le cadre de ces recherches, mais en fin de compte, je commençais à comprendre que c'était une erreur.
Si j'avais parlé plus souvent avec elle,
j'aurais pu devenir éventuellement un confident, et elle n'aurait pas eu à souffrir autant.
... Mais il était bien trop tard, désormais.
Tomitake était déjà en train de mener son enquête pour essayer de l'innocenter.
Était-elle notre ennemi ou pas ?
Cela ne changeait malheureusement rien au fait que sa souffrance, elle, était bien réelle...
Une fois le docteur Irie parti, Takano se rassit sur le canapé et resta ainsi quelque temps, les yeux perdus dans le vague.
Puis, comme si elle s'était souvenue de quelque chose d'important, elle se releva et alla décrocher le téléphone.
— ... Ici Takano.
Est-ce qu'Okonogi est là ?
... C'est moi.
Dites, je sais que nous avions prévu de faire cela à partir du 20, mais j'aimerais faire surveiller R à partir d'aujourd'hui.
Pardon ? Pourquoi, ça pose pas de problème, quand même ?
Vous n'allez pas me dire que vous ne voulez pas travailler parce qu'il fait trop chaud, quand même ?
... Oui, s'il vous plaît.
Il ne reste plus que cinq jours avant l'assaut final.
Nous ne pouvons pas être trop prudents.
... Oui, merci, je compte sur vous.
— Bien, nous allons nous y mettre.
Oui, au revoir...
Okonogi reposa le combiné du téléphone, puis poussa un long soupir fatigué.
Oui, c'était son travail de supporter tous les caprices de Takano, mais franchement, aujourd'hui, ce n'était vraiment pas un jour à aller travailler.
Mais bien sûr, il ne pouvait pas se plaindre, sinon il avait à en subir les conséquences.
Il regarda par la fenêtre de sa pièce ; il était dans le bureau de sa fausse entreprise, les jardins Okonogi, qui servait de couverture aux chiens de montagne.
Lui et ses hommes faisaient réellement des travaux de jardinage à Hinamizawa. Ils avaient ainsi habitué les villageois à voir leurs uniformes de travail, et leur présence passait désormais inaperçue.
— Eh bé, c'est pas glorieux.
Contactez les équipes de Bouscarle Chanteuse et d'Alouette des champs, leurs congés sont annulés.
Ordre a été donné par notre petite princesse d'avancer les plans de surveillance de R de trois jours.
On va simplement prendre les équipes déjà décidées et les avancer de trois jours.
Il me semble que le premier jour, c'était l'équipe d'Aigrette, non ?
Qu'ils se débrouillent entre eux, mais il me faut une équipe de 4 hommes : un pour surveiller les appels téléphoniques, avec un autre pour l'aider, et un pour surveiller la maison de R, avec aussi un pour l'aider.
Le chef de l'équipe d'Aigrette assurera le commandement.
Sinon, il nous faudra aussi préparer le sabotage des communications plus tôt que prévu, comme ça, ce sera déjà prêt à l'emploi.
Normalement, c'était l'équipe de Bouscarle Chanteuse qui devait s'en charger, mais j'imagine que ça va déjà prendre facilement un jour pour les rappeler ici.
On va faire ça avec Phénix, alors.
Phénix 7, montez une équipe pour le sabotage des lignes, ça devra être terminé cette nuit, peu importe l'heure.
Ça vous paraît faisable ?
— Bien sûr, Chef.
Mes hommes ont le savoir-faire requis pour cette opération.
Les chiens de montagne n'étaient pas une équipe de mercenaires préparés uniquement au combat.
Ils avaient des spécialistes dans nombre de technologies, pour les assister dans leurs missions.
Ils devaient être en mesure de modifier des lignes téléphoniques, de mettre des gens sur écoute,
d'obtenir des informations ou d'en diffuser de fausses,
ou bien d'infiltrer les réseaux de la Police et autres organismes officiels.
Le cœur de cette unité était composé de militaires, mais les autres membres venaient d'horizons divers, qui des sapeurs-pompiers, qui de la Police, qui encore d'entreprises spécialisées.
Et bien sûr, il y avait aussi quelques hommes experts en combat rapproché.
Par contre, étant lui-même militaire de terrain, Okonogi ne se faisait pas trop d'illusions sur les capacités de ses techniciens -- ils n'avaient pas suivi d'entraînement spécial, et il n'en attendait pas grand-chose.
Bien sûr, ils suivaient un entraînement réglementaire, mais comparé à celui auquel lui était habitué, c'était une vaste blague.
Okonogi était à la tête d'une compagnie dont la plupart des hommes ne tenaient pas cent pompes à la suite.
C'était la seule chose qui ne lui plaisait vraiment pas dans ses missions.
Quitte à se retrouver affecté à une unité de guerre non-conventionnelle, il aurait préféré s'occuper des chiens de garde.
Mais pour une raison qui lui échappait, sa prudence téméraire ? avait retenu l'attention de Miyo Takano, qui l'avait parachuté dans cette unité, à la tête des chiens de montagne.
À cause de ses origines, Okonogi avait tendance à souhaiter l'arrivée de missions plus physiques, plus dangereuses, pleines d'action.
Il y a cinq ans, lorsqu'il avait dû organiser cet enlèvement, puis libérer l'enfant en faisant croire qu'il ne faisait que fuir la Police,
il avait vécu une expérience très désagréable, qui lui avait laissé un goût amer en bouche.
Le gros plein de soupe s'était pris pour un caïd, mais s'il n'avait pas eu des ordres, Okonogi l'aurait tué en une poignée de secondes.
Au lieu de l'endormir, il lui aurait tout simplement brisé la nuque.
Il aurait simplement fallu tourner un peu,
et *crac* !
Un flic en moins.
Quant à l'autre, le jeune bleu, il lui avait tiré dans l'épaule, mais au départ, il avait prévu de lui arracher une oreille.
Mais encore une fois, il avait eu des ordres, alors ça l'avait complètement déboussolé.
Il avait pensé pouvoir se rattraper avec un deuxième tir, mais après les supplications du jeune, il ne pouvait plus se le permettre.
Et ça ne lui plaisait pas de se dire que le dernier coup de feu de sa carrière aurait été ce tir de couilles molles, apothéose ridicule de ce petit jeu de dupes. Il ne pouvait pas laisser sa carrière se terminer comme ça.
C'est pourquoi il avait patiemment attendu son heure. Un jour, sûrement, il aurait encore une fois l'occasion de briller. C'est pourquoi il continuait de s'entraîner tous les jours, pour ne pas perdre sa forme physique.
Heureusement, avec cette opération, il avait toutes les chances d'avoir pas mal de choses à faire.
Et si en fin de compte, il n'aurait pas eu à tirer avec une arme à feu,
ou même s'il n'aurait pas eu l'occasion de se battre, ce n'était pas si grave.
Tant qu'il aurait une opération digne de ce nom à planifier, qui pourrait satisfaire ses attentes d'ex-militaire, il était preneur...
— Oui, veuillez patienter un instant, s'il vous plaît.
... Chef, un appel depuis l'extérieur.
Je ne sais pas trop si c'est au lieutenant ou au patron qu'elle veut parler.
Okonogi était officiellement le directeur des Jardins Okonogi.
Ses hommes devaient l'appeler “Patron” lorsqu'ils étaient en public.
— Attends, je reprends l'accent du coin.
... Aaah, aah,
eeh, eeeh bé, qu'essu veux fére, hein ?
Bon, on peut y aller !
Qui que c'est qu'appelle ?
— Une femme.
Elle dit s'appeler Mme Nomura.
Elle demande à parler à M. le Directeur.
— ... Ah, c'est pour le chef des chiens de montagne.
Je vais la prendre sur le poste de mon bureau.
Faites transférer l'appel.
Dans la chaleur montante du matin, un grand fracas se fit entendre.
On aurait dit que plusieurs bassines étaient tombées au sol, quelque part, au loin.
C'était en tout cas un bruit déclenché par l'un des pièges de Satoko.
D'après la carte des pièges qu'elle avait laissée à Akasaka,
c'était l'un de ceux placés près de l'endroit depuis lesquels les écoutes auraient lieu.
Hier soir, ils étaient allés tous les trois visiter et repérer un peu le coin.
L'endroit était vraiment fait sur mesure pour être utilisé à des fins suspectes. La petite cabane était placée dans un angle mort, un lieu où personne n'avait de raison de se trouver en temps normal.
Et c'était ce qui rendait ce son fracassant, au loin, si important.
Il signifiait que des hommes avaient essayé de prendre leurs quartiers là-bas.
À partir de maintenant, l'endroit était sous surveillance, et l'absence de Rika devait absolument rester indétectable.
Akasaka était presque certain qu'ils passeraient un coup de fil pour voir si elle était chez elle ou pas.
Il n'était pas nécessaire de décrocher -- officiellement, Rika avait une forte fièvre et ne pouvait plus se lever.
Les rideaux étaient tirés, ce qui empêchait les gens de regarder à l'intérieur,
mais histoire d'enfoncer le clou, les deux petites filles avaient sorti leurs couettes et les avaient rembourrées, pour faire croire qu'elles étaient alitées.
À partir de maintenant, il faudrait faire très attention.
Personne ne devait savoir qu'Akasaka se trouvait ici.
Et s'il devait se passer quelque chose bientôt -- ce qui ne faisait plus l'ombre d'un doute -- il devait être au meilleur de sa forme.
Soudain, le téléphone se mit à sonner.
Comme prévu.
C'était eux qui vérifiaient si Rika était chez elle.
Ils doivent normalement savoir que les deux gamines qui vivent ici ne sont pas allées à l'école et qu'elles ont de la fièvre.
Ils veulent juste avoir la preuve qu'elles sont bel et bien en train de dormir.
Le téléphone resta longtemps à sonner.
Bien trop longtemps pour être anodin. N'importe qui aurait largement eu le temps de décrocher.
Puisque cela était infructueux, la prochaine étape était de venir sur place.
Ils tenteraient sûrement de toquer à la porte, soit pour livrer quelque chose, soit pour un quelconque prétexte fallacieux.
Mais c'était moins problématique, car ici, il n'avait pas besoin d'aller ouvrir la porte.
Si elles n'entendaient pas les appels incessants du téléphone,
elles n'avaient aucune chance d'entendre quelqu'un toquer à leur porte un étage plus bas.
Plus ils en feraient, et plus ils risquaient de découvrir le pot-aux-roses, mais en même temps, c'était la preuve indéniable qu'ils étaient passés à l'action.
Et puis, ça lui permettait de découvrir à quel point le danger était proche.
De toute façon, le Docteur Irie était de leur côté, et il savait que Rika et son amie étaient ailleurs, en sécurité.
Ils avaient déjà discuté d'un plan avec lui. Il devait venir rendre visite aux deux filles, inquiet de les savoir absentes à l'école.
Il devait alors dire aux gens de l'Institut qu'elles étaient chez elles, toutes les deux, bien sagement au lit à se reposer.
Normalement,
ils n'avaient aucune raison de douter de sa parole.
Ce qui nous ferait gagner du temps.
C'était une méthode de haut niveau.
Eux pensaient être en train de rouler le docteur dans la farine, alors que c'était le contraire.
Malheureusement, c'étaient des pros de ce genre de combines, en face, alors que dans notre équipe, à part moi...
Et encore, je ne savais pas du tout quel niveau avaient mes adversaires.
Peut-être étaient-il bien plus doués que moi.
Nous n'étions pas à égalité.
Nous avions un très léger avantage, parce que nous avions attaqué les premiers, mais c'était tout.
Si nous perdions cela, nous n'avions plus aucune chance contre eux.
J'ai promis à Rika de la croire sur parole et de lui faire confiance.
Je suis prêt à me battre, même sans preuve tangible.
Mais à moi tout seul, je ne pourrai rien faire.
Et si je veux obtenir de l'aide, j'ai besoin que M. Tomitake trouve des preuves.
C'est lui qui mène l'attaque pour notre camp, en quelque sorte.
Et c'est lui qui est dans la position la plus dangereuse.
Ça ne m'avait pas surpris de voir à quel point Rika avait insisté sur sa prudence.
Au mieux, il a commencé son enquête hier soir, au pire, ce matin.
Si jamais nos adversaires ont réagi à cause de cette enquête...
Hmmm... Pourvu qu'il soit encore en vie, et qu'il ait des preuves...
J'entendis alors une voix.
C'était M. Irie.
— Satokoooo ? Rikaaaaa ? Votre maître est là pour un examen de santéééé !
Il monta les escaliers et toqua à la porte.
— ... Ne vous en faites pas, je suis tout seul.
— Parlez moins fort, s'il vous plaît.
Ils sont déjà en train de surveiller la maison.
Je le fis entrer et fermai aussitôt la porte derrière lui.
— Comment allez-vous ?
J'imagine qu'avec cette chaleur, ça ne doit pas être facile de rester enfermé sans pouvoir aérer.
Ah, tenez, c'est pour vous.
Dans son sachet de supermarché, il y avait de la glace, des jus de fruits, et de la nourriture toute prête. Et aussi de la bière.
N'importe qui comprendrait en la voyant que ce n'était pas pour Rika.
C'était très dangereux de faire ça,
mais ça partait d'un bon sentiment, aussi je retins mes remarques.
— Alors, de votre côté, comment ça se passe ?
— J'ai entendu du bruit tout à l'heure, provenant de l'endroit où ils s'installent pour écouter le téléphone.
Puis ils ont appelé ici, ils ont laissé sonner vraiment très longtemps.
À mon avis, ils savent que Rika n'est pas allée à l'école ce matin.
Est-ce que quelqu'un vous a demandé d'aller les voir ?
— Oui, si, vous avez vu juste.
Mme Takano m'a dit qu'elle était inquiète car Rika s'était fait porter malade sans pour autant venir consulter à la clinique. Elle m'a demandé de les examiner.
— ... Mouais,
je vois.
— Vous pensez que Mme Takano se doute de quelque chose ?
— Non.
J'aurais plutôt tendence à soupçonner que l'activité soudaine de nos ennemis est due à l'enquête de M. Tomitake.
Mais même si ce n'est pas le cas, cela reste pour lui une chance de trouver quelque chose.
— ... Oui, d'une manière comme d'une autre, quelque chose est en train de se mettre en place.
— C'est exactement ça.
Cela ne nous dit toujours pas si Mme Takano et ses hommes sont nos ennemis,
mais même si ce n'est pas le cas,
nous savons au moins que nos ennemis, quels qu'ils soient, ont commencé leurs manœuvres.
— Vous savez, cette série de meurtres à Hinamizawa a commencé par deux événements tragiques
que le hasard a simplement placé plus ou moins à la même date.
Mme Takano a trouvé cela très drôle et depuis, chaque année, elle me dit qu'elle espère qu'il se passera quelque chose.
— La purification du coton, c'est après-demain.
Ça me paraît cohérent.
... Et donc, la cinquième année, c'est Rika qui est visée.
Eh ben, cette Mme Takano est un personnage qui fait froid dans le dos.
— ... Vous vous souvenez de ce que Rika a fait comme suppositions sur Takano ?
À mon avis, elle a vu juste sur toute la ligne.
... Aujourd'hui, au hasard de la conversation, elle m'a avoué que le professeur qui avait découvert l'existence de la maladie était en fait son père d'adoption. Il s'appelait Hifumi Takano, et elle l'appelle souvent “grand-père”.
— Ceci explique cela.
Oui, je crois que j'y vois plus clair.
— Elle s'est juré de reprendre les recherches qu'il n'a pas pu mener à bien, car c'était la seule chose qui le liait encore à lui.
Et désormais, on peut dire que le couperet est tombé, les recherches devront prendre fin bientôt.
Je pense que c'est un affront pour elle et pour le souvenir de son grand-père.
— Exactement comme Rika nous l'avait expliqué, donc.
— Oui.
Mme Takano m'a aussi dit quelque chose d'un peu étrange.
Elle a comparé l'état de nos recherches à celui d'un patient tombé dans le coma.
Un jour ou l'autre, il faudra se décider à couper le courant. Et cette décision, seuls les membres de la famille du futur défunt ont le droit de la prendre.
— ... ... ...
En quelque sorte,
elle a essayé de vous dire que la seule personne qui avait le droit de décider de la fin de ces recherches, c'était elle-même,
puisqu'elle était de la famille du Professeur Takano ?
— ... Oui,
je pense que c'est ce qu'elle a voulu dire.
Nous avions donc désormais des preuves par présomptions.
C'était elle, notre ennemi. En tout cas, elle faisait partie du camp adverse.
Et si hier, M. Irie n'avait pas semblé convaincu, aujourd'hui, il l'était...
— Nous n'avons plus qu'à espérer que M. Tomitake obtienne des preuves tangibles.
... S'il réussit, il pourra obtenir l'envoi de troupes spéciales pour arrêter tout le monde.
— Pourtant, Mme Takano a sous ses ordres la compagnie des chiens de montagne.
Vous croyez que vous pourrez les arrêter ?
— Oui.
Je ne les connais que de nom, mais nous avons aussi des troupes armées appelées les chiens de garde. Elles sont entraînées pour nous sortir d'un véritable coup dur, en cas d'attaque terroriste, par exemple.
Les chiens de montagne sont plutôt des agents spécialisés dans le maintien du secret défense et dans les technologies furtives. Les chiens de garde sont vraiment plus tournés vers les opérations musclées.
— ... Si elles ont été entraînées pour empêcher toute rébellion pour le cas où votre institut ferait un coup en traître, elles doivent être sacrément puissantes.
Donc en fait, pour gagner, il nous suffirait d'obtenir le déploiement de ces forces armées à Hinamizawa.
— Oui, vous avez peut-être raison.
Même si pour être honnête, j'ai encore des raisons de m'inquiéter. Nos consignes d'urgence nous autorisent à placer le village en quarantaine et d'en exterminer les habitants, par principe de précaution, pour préserver le secret défense.
J'ai peur que même si les chiens de garde sont envoyés à Hinamizawa, ils ne soient obligés de procéder eux aussi à l'application de ces consignes d'urgence...
— Hmmm, non, je ne pense pas que ce soit réaliste.
Si nous pouvons prouver que l'objectif de l'ennemi est le déclenchement forcé de l'application du manuel n° 34, alors celle-ci n'a plus aucun sens.
Et s'il est prouvé que ces troubles ont été déclenchés par des guerres intestines, alors vos donneurs d'ordres vont tout faire pour calmer le jeu.
Les habitants n'auront pas le temps de comprendre ce qu'il se passe que nos ennemis auront été attaqués, maîtrisés et emmenés.
C'est bien parce que j'avais déjà connu ce genre d'opérations spéciales que j'avais une petite idée de ce qu'ils tenteraient.
Dans ces cas-là, nos supérieurs cherchent toujours à frapper très vite et très fort.
Et s'ils avaient des troupes spéciales pour se charger justement d'éventuels débordements de leurs troupes spéciales, elles devaient être un sacré morceau.
— Nous n'avons plus qu'à attendre les nouvelles de M. Tomitake, donc...
— Oui.
Oui, c'est maintenant une guerre des nerfs, il va falloir s'armer de patience.
Mais si jamais les choses se gâtent, tout va aller très vite.
Ce ne sera pas facile, justement à cause de ce contraste.
Je suis content de vous savoir parmi nos rangs, mais vous êtes toujours dans les lignes ennemies,
alors faites attention.
Pour eux, tous ceux qui se positionneront du côté de Rika seront des personnes à abattre.
— ... ... Oui, vous avez raison.
Cet endroit étant déjà sous surveillance, M. Irie devait se rendre physiquement ici pour me communiquer des informations.
Ce n'était pas une possibilité envisageable si jamais il se passait quelque chose d'urgent.
Dans ces cas-là, il fallait absolument se servir du téléphone, content ou pas.
C'est pourquoi j'avais déjà préparé un mémo pour lui.
J'y avais consigné le moyen de me communiquer quelques informations malgré les écoutes.
C'était un truc que moi et mes collègues utilisions lorsque c'était nécessaire.
— Et c'est quoi, ça ?
— C'est un moyen de me contacter par téléphone en cas de besoin.
Veillez surtout à ce que l'ennemi ne trouve pas ce papier.
Si jamais vous pensez ce risque probable, mangez cette feuille, c'est compris ?
— Mais... si le téléphone est sur écoute, où est l'intérêt ?
Si vous décrochez, même si vous ne dites rien, ils vont se douter de quelque chose...
— Mais justement, je n'ai pas besoin de décrocher.
La méthode n'est pas très pratique, mais elle marche, et c'est tout ce qui nous importe.
De plus, comme vous êtes le premier à pouvoir vous rendre compte de l'activité de nos ennemis, vous êtes le seul à pouvoir l'appliquer.
— ... Eh bien alors dans ce cas, très bien.
Dites-moi de quoi il retourne.
— Tout est écrit dessus,
mais je vais quand même rapidement vous en parler.
Le principe, c'est que selon le temps que vous allez laisser sonner, vous aurez autre chose à me dire.
On laisse par exemple rarement sonner plus d'une minute complète. Faites ça si vous pensez que je suis en danger et que je dois m'en aller.
Si vous laissez sonner 90 secondes, je dois me rendre immédiatement chez les Sonozaki.
Il y en a d'autres, tous séparés en plages de 30 secondes,
lisez-les par la suite.
Par contre, retenez bien les messages pour une minute et pour 90 secondes,
parce que ma vie et celle de Rika sont en jeu.
Les messages qui impliquaient une urgence pour la personne que l'on essayait de contacter étaient toujours les plus courts.
Mais si vous les faites trop courts, vous courez le risque de ne plus pouvoir les distinguer d'un appel téléphonique normal.
C'est pourquoi avant de laisser le téléphone sonner, il faut d'abord “prévenir que l'on va prévenir”, en laissant sonner d'abord une poignée de secondes.
Les messages étaient organisés en plages de 30 secondes pour éviter toute confusion entre celui qui passe le message et celui qui le reçoit.
La tonalité côté émission n'est pas forcément la même que pour la réception.
Il fallait en arriver là pour être sûr qu'un appel qui durerait à peine plus ou à peine moins que la durée convenue soit mal interprété.
— D'accord, alors d'abord, je laisse sonner un tout petit peu, puis je rappelle et je laisse sonner longtemps.
1 minute, c'est pour “fuyez”, 90 secondes, c'est pour “rejoignez Rika”.
D'accord, je pense que c'est rentré.
— Je sais que c'est un peu compliqué à mettre en place, mais c'est à utiliser uniquement en cas d'urgence. Je compte sur vous.
— Oui, ne vous en faites pas.
Je vous préviendrais si la situation se gâte.
— Une dernière chose que vous devez absolument retenir.
… Ce n'est pas vraiment un bon code en terme de conception, mais il est tout aussi important que les autres.
Il y a un message pour lequel vous n'aurez pas besoin de “prévenir que vous allez me prévenir”.
Laissez sonner le téléphone plus de 3 minutes complètes.
En fait, composez le numéro et laissez le combiné décroché.
— Et ça m'avance à quoi de faire ça ?
— C'est pour me prévenir que vous courez un danger
et que vous ne pourrez plus entrer en contact avec nous.
— ... Je vois...
Oui, évidemment, c'est un cas de figure auquel...
il faut penser à temps.
— Oui.
Si jamais vous êtes en danger, composez le numéro, cachez le combiné et allez vous cacher dans un endroit sûr.
Le seul problème avec cette méthode, c'est qu'il est toujours très difficile de se rendre compte du danger dans lequel on se trouve.
Et parfois, on se croit en sécurité, et d'un seul coup, on se rend compte que l'on a perdu tout moyen de communication.
Si jamais vous avez le moindre doute, la moindre crainte, appelez-moi, ça vaudra mieux.
Si j'en crois l'échelle démesurée de ce complot, les donneurs d'ordres ne s'encombreront pas de nous, ils nous exécuteront dès que possible.
Faites très attention.
— Bon, eh bien, c'est entendu.
Et vous, que ferez-vous ?
— Ça va dépendre de la situation ici, mais je tenterai une sortie, je pense.
Si jamais vous êtes en danger, il y a des chances pour qu'ils passent à l'action avec Rika.
Je me rendrai immédiatement à la villa des Sonozaki, j'espère juste que j'arriverai à temps.
Enfin, c'est uniquement dans le pire des cas.
C'est un cas de figure à envisager, mais il ne se présentera pas forcément, alors, ne paniquez pas.
Restez calme et attendez la suite des événements, c'est le moins dangereux. Ok ?
— ... Tout en restant quand même un minimum sur mes gardes, n'est-ce pas ?
— Oui.
M. Irie me dévisagea un long moment, puis il acquiesça.
... Et maintenant, plus qu'à attendre.
Nous serions bientôt fixés...