Il me semblait pourtant bien avoir dit à Tomitake de venir seul.
Or, il vint me rendre visite flanqué d'Irie.
Après notre petite conversation de ce matin, ce brave docteur n'était pas tranquille, c'était évident. Il semblait vouloir être témoin de mon échange avec Tomitake pour l'aider dans ses prises de décision.
Il commença par m'annoncer tout de go qu'il comptait simplement écouter, et qu'il n'interviendrait pas. Il s'assit en conséquence un peu à l'écart de nous.
— Le docteur Irie m'a raconté son entrevue avec toi.
... Pourquoi soupçonner Miyo ?
Elle sait pertinemment ce que ta mort risque de déclencher, bien plus que nous tous à l'Institut.
Et puis, elle s'est montrée très gentille avec toi et Satoko ces dernières années.
Tu crois que c'est un moyen de la remercier que de lui prêter des intentions de meurtre ?
Je savais bien qu'il réagirait ainsi.
S'il m'avait confrontée avec ce problème tôt ce matin, je n'aurais su quoi répondre,
mais heureusement, mes amis m'avaient fait comprendre bien des choses ce midi. Je pus donc contrer son argumentaire sans hésitation.
— ... Tomitake,
soyez franc avec moi.
Et surtout, je veux vous voir réfléchir à votre réponse.
Je pense moi aussi que Takano ne prendrait jamais le risque de me tuer en temps normal.
Mais qu'en est-il de la Takano d'aujourd'hui ? Vous pouvez m'assurer à 100% qu'elle ne tenterait rien ?
— Et... Que veux-tu dire au juste par là ?
— Miyo Takano a dévoué sa vie aux recherches sur le syndrome de Hinamizawa.
Oui ou non ?
— ... Oui.
Ça reste entre nous, mais l'étude du syndrome dépend entièrement d'elle.
Le directeur de l'Institut est officiellement M. Irie, mais dans les faits, c'est elle qui mène ces recherches.
... ... De plus, et j'espère que cela restera un secret entre nous...
La maladie a été découverte par son grand-père.
Elle avait beaucoup de respect pour lui.
Elle a fondé l'Insitut Irie uniquement pour mener à bien les recherches de son grand-père.
— ... Et que pense-t-elle des plans de votre conseil d'administration ? Vous devrez arrêter les recherches dans trois ans.
Elle est allée les voir pour les convaincre de réviser leur jugement, mais ça n'a pas marché, n'est-ce pas ?
Pour elle, c'est comme si sa vie avait été niée, discréditée.
Je suis sûre qu'elle en souffre beaucoup. N'ai-je pas raison ?
— ... Rika, comment est-ce que tu sais tout ça ?
Tomitake se tut, puis resta silencieux.
Il se rendait bien compte que ce que je disais n'était pas complètement faux.
— ... Eh bien...
Je sais qu'effectivement, elle est allée voir des membres du conseil d'administration, et j'ai entendu dire qu'ils avaient rendu un jugement très négatif sur le projet.
Il se raconte qu'ils se sont moqués d'elle et qu'ils l'ont prise pour une demeurée.
Ils ont dit que son projet n'était qu'un four, qu'une machine à gaspiller le fric.
... Elle n'a rien laissé transparaître,
mais je pense qu'elle a été profondément vexée.
— Alors, tu vois ?
Si c'est le cas, comment peux-tu être sûr qu'elle ne risque pas de déprimer et de vouloir en finir d'elle-même avec les recherches ?
— Ah, ça...
non, je pense que...
Non, pas Takano,
elle ne ferait pas ça, ce n'est vraiment pas son genre.
Il avait la même réaction qu'Irie.
Il ne faisait que répéter que c'était impossible, mais sans plus de précisions.
Il était simplement en train d'essayer de se rassurer...
... De toute manière, même si je savais qu'elle était un peu l'homme à abattre,
je ne pouvais que me perdre en conjectures et en spéculations quant à ses motivations.
La seule manière de les découvrir, ce serait de l'arrêter et de la cuisiner pour lui faire avouer.
Mais il était aussi important d'instiller le doute dans l'esprit de Tomitake.
Il devait se ranger de notre côté, c'était crucial.
Je ne savais pas trop pourquoi c'était crucial ; mais ça faisait partie du plan de Mion.
— ... Oui, c'est une perspective assez effrayante.
Mais je suis quand même sûr et certain qu'elle n'aurait rien à y gagner.
Je comprends son ressentiment, mais c'est une femme intelligente.
Je sais qu'elle préfèrera laisser le temps au Temps...
— Elle ne risque pas de se faire embobiner ? Les gens qui souffrent sont plus sensibles, n'est-ce pas ?
— Se faire embobiner ?
…
Tu penses à quoi, Rika ?
— Tomitake.
Si je meurs, tu sais bien ce qu'il se passera.
Les militaires devront appliquer les consignes d'urgence, et le village sera éradiqué.
— Hein ?
SÉRIEUX ?
Ah
ahahahaha !
Nan,
sans déconner ?
Je-
je suis pas au courant !
Purée, même un enfant serait plus doué que lui pour mentir, il est vraiment nul à chier.
Enfin, en même temps, c'est bien pour ça que je sais qu'il est honnête et intègre.
C'est une qualité, chez l'être humain.
— C'est Irie qui me l'a dit, je ne l'ai pas inventé.
Je n'ai pas vraiment le temps de jouer à tous ces petits jeux, Tomitake.
Le manuel n° 34, c'est votre mesure en dernier recours, le mieux serait de ne jamais avoir à l'appliquer. Mais si c'était le cas, ce serait un gros problème, n'est-ce pas ?
Tomitake resta silencieux un moment, mais je pus voir qu'il pondérait la situation.
Non seulement Irie m'avait mise au parfum, mais en plus, j'étais la Reine Mère et donc concernée au premier chef. Il prit la décision de ne plus jouer la comédie plus longtemps.
— ... Oui, ce sera un gros, gros problème.
C'est pas évident de raser tout un village de la carte du monde.
Cela implique des opérations d'envergure et une énorme prise de risques. Et puis surtout, même si nous n'avons pas le choix, ça ne justifie pas le sort inhumain de milliers d'innocents.
Tu peux me croire, ça va faire des vagues.
— Allons directement au cœur du problème :
je suis sûr qu'il y a des gens qui pourraient tirer partie de l'application de ce manuel.
— Mais non, voyons,
c'est n'importe quoi !
Au contraire, Rika, des tas de têtes vont tomber, à un très haut niveau, peut-être même dans le Cabinet du Japon !
— Justement.
Des gens pourraient en profiter.
Si l'application est décrétée, le village sera éradiqué, mais ensuite, il y aura le retour de bâton.
Les gens qui auront permis le massacre devront prendre leurs responsabilités.
J'imagine que ça ne concerne que les gens qui donnent les ordres à l'Institut Irie,
mais eux, ils perdront leurs postes et leur influence au sein de “Tôkyô”, n'est-ce pas ?
— ... ... ... Euh...
je dois t'avouer que je sais pas trop.
— Les postes ne sont pas pourvus à vie,
il y a toujours des gens pour essayer de devenir calife à la place du calife.
Et pour parvenir à leurs fins, il y a certainement des gens capables d'allumer la mèche et d'attendre que la bombe que représente ce manuel des consignes d'urgence explose.
Eux, ils sont en sécurité, ils restent dans l'ombre, et quand “Tôkyô” aura désigné et liquidé des responsables, ils pourront aller leur piquer leurs places !
— ... Hmmm... Ouais...
Ouais, ouais ouais...
Ça aussi, ça venait directement de Mion.
Et c'était assez flippant de voir qu'elle avait vu suffisamment juste pour faire douter Tomitake, alors qu'elle n'avait pas la moindre information concrète sur “Tôkyô”.
Elle était vraiment un stratège hors pair.
Tomitake croisa les bras et se mit à réfléchir plus nerveusement.
Il semblait enfin réaliser que ce que je lui racontais n'était pas du domaine du ridicule.
— ... ... Je sais que récemment, un gros ponte de l'organisation est mort.
Et je sais que depuis, les factions internes s'en mettent plein sur la figure, pour prendre leur part du gâteau.
Je sais que le conseil d'admnistration du projet alphabet, qui est le donnneur d'ordres de l'Institut Irie, a été complètement changé, on peut presque dire “expurgé”, vraiment.
Depuis, l'Institut Irie a été réexaminé, et comme il n'y a plus ce gros ponte pour faire passer les budgets en force, eh bien, le conseil d'administration a demandé l'arrêt des recherches...
— ... Si dans ce climat de tension, je devais mourir et forcer l'Institut Irie à appliquer les consignes d'urgence,
toutes les têtes de l'Institut Irie, de leurs supérieurs,
et même leurs associés, j'imagine, vont tomber.
Normalement, la maladie est secrète, personne n'est au courant du danger qu'elle représente.
Mais si un ennemi de “Tôkyô” parvient à les infliltrer et à découvrir l'existence de la Reine Mère, alors il leur serait très facile de déclencher cette catastrophe, et cela aurait l'effet d'une bombe !
— ... ... ... C'est quoi, ça,
une histoire que tu as inventée ?
— C'est la stricte vérité,
non ?
— ... .... Je ne sais pas.
Mais si j'en crois les guerres intestines qui secouent l'organisation...
Oui...
Disons que
…
ça ne m'étonnerait…
qu'à moitié.
— Tomitake...
Je sais que tu es un homme intègre.
Je sais aussi que tu fais confiance aux gens.
Donc je sais bien que tu ne vas pas aimer ce que je vais te dire.
Mais je suis obligée de te le dire, parce que tu es le Lieutenant Tomitake, agent de contrôle de l'Armée de Terre assigné à l'Institut Irie.
— ... ... C'est vrai, mais alors...
Tu soupçonnes
Miyo de vouloir atteindre ça ?
— Oui.
Elle est très vulnérable en ce moment, les recherches ont été condamnées, donc en gros, toute sa vie n'aura servi à rien, et en plus, le conseil d'administration s'est moqué d'elle.
Je suis sûre qu'elle va très mal, et je parie que tu le sais aussi bien que moi.
— ... ... ... ...
— Est-ce que tu es sûr que personne ne l'a approchée pour lui mettre des idées de revanche et de vengeance dans la tête ?
Les gens qui souffrent ouvrent plus facilement leur cœur aux gens qui les comprennent.
Il est fort possible que quelqu'un de “Tôkyô” profite de la situation pour la pousser à faire des bêtises.
Au début, il sembla prêt à le nier,
puis finalement, il sembla se raviser et considéra le problème.
Après tout, il n'était plus un enfant, lui non plus.
Il avait suffisamment d'expérience de la vie pour savoir comment réagissaient les gens qui souffraient.
C'est pour ça qu'il savait que la possibilité dont je lui avais parlé était tout à fait plausible...
— ... Très bien, j'ai compris.
Personnellement, j'ai entière confiance en elle, donc je me ferai un plaisir d'enquêter pour pouvoir te prouver son innocence.
— Tomitake...
— Je vais demander à Okonogi de prendre contact avec le quartier général, pour vérifier ses fréquentations et ses comptes bancaires.
Après tout, c'est pour ça que nous avons les chiens de montagne.
— Non,
Tomitake, les chiens de montagne sont à la solde de Takano.
— Qu'est-ce que tu me racontes ? T'es sérieuse ?!
— Vous savez, s'ils ont réussi à convaincre Takano,
ils ont pu tout à fait acheter les chiens de montagne en même temps...
— ... Oui,
c'est pas impossible, en fait.
Les chiens de montagne sont nos gardes du corps, ils assurent notre sécurité.
Personne ne pourrait implanter des espions dans l'Institut, ou même nous approcher, sans qu'ils ne le remarquent.
Mais s'ils ont été achetés par l'ennemi...
…
…
tout devient possible...
Hum…
mais…
— Tomitake,
menez votre enquête sans vous faire remarquer ni par Takano, ni par les chiens de montagne.
Irie est de mon côté, je n'en doute pas, mais il ne sait presque rien de “Tôkyô”.
— Oui, effectivement,
je ne suis qu'un chercheur.
J'ai été nommé Directeur, mais c'est un titre honorifique plus qu'une fonction réelle.
Je serais bien incapable de pouvoir aider Rika à y voir plus clair.
— ... Bien.
De toute façon, c'est un cas de figure qui a été prévu, et si c'est le cas, nous saurons comment y remédier --
c'est bien pour ça que l'on m'envoie faire des contrôles.
Je vais faire diligenter une enquête sur eux, le plus vite possible.
— ... Merci de m'avoir écoutée, Tomitake.
Je crois bien que c'est la première fois que tu me prends au sérieux.
Il m'avait ri au nez dans tellement d'autres mondes.
Mais aujourd'hui, enfin, il se décidait à me croire.
Je suis certaine qu'il nous sera une aide très précieuse...
Je pouvais vraiment remercier les autres membres du club, c'était uniquement grâce à eux que j'en étais là aujourd'hui.
Heureusement qu'ils m'avaient aidée à analyser la situation, sinon, je n'aurais jamais pu le convaincre !
Hanyû avait eu raison sur toute la ligne.
Si j'étais restée toute seule à me morfondre, je n'aurais rien pu réussir.
Mais en en parlant à mes amis, j'avais pu entièrement modifier la donne !
— Je pense me faire discrète et me cacher pendant quelques jours.
Il y a une salle secrète chez Mion, je pense qu'elle fera l'affaire.
Je ne lui en avais pas encore parlé, à Mion, mais bon...
Elle n'allait probablement pas me refuser cela.
— Donc si jamais vous avez du nouveau, appelez chez Mion.
Officiellement, je vais disparaître, et personne ne saura où je suis.
— ... Ça marche.
Et puis, je pense que c'est la chose la plus sûre à faire.
Quant à moi, je me comporterai comme d'habitude,
je ne dois surtout pas leur mettre la puce à l'oreille.
Et bien sûr, je ferai attention à moi.
Quant à vous, Monsieur le Directeur,
je vous conseille d'en faire de même.
— Oui... Oui, bien sûr.
Je vais essayer de faire attention.
— ... Tomitake, je... J'ai peur qu'il ne vous arrive malheur dans les prochains jours.
Vu ce que vous vous apprêtez à faire, il ne serait pas étonnant que l'on cherche à vous supprimer.
— ... ... ... ... ...
Il ne m'a jamais écoutée, mais cette fois-ci, j'avais peut-être une chance de le sauver...
Allez, j't'en supplie...
prends-moi au sérieux !
— ... Oui, tu as raison.
Merci de t'en soucier, Rika.
Je vais faire très attention.
Soudain, Tomitake tourna la tête.
Il avait dû remarquer quelque chose, mais Irie et moi ne savions pas trop de quoi il en retournait, et devînmes logiquement très nerveux.
Alors...
j'entendis des bruits de pas sur le gravier.
C'est pas vrai, des gens nous ont espionnés ?
Pas les hommes des chiens de montagne, j'espère !
— ... Éhhéhhéhhéhhéhhé !
Ah, je connais ce rire bidon...
— ... Bonjour tout le monde.
Eh bien, eh bien, eh bien, c'est pas tous les jours que l'on voit ça.
Un docteur, un photographe, et une prêtresse.
Cela fait bien longtemps que je visite Hinamizawa, mais je crois que c'est la première fois que je vous vois parler tous les trois ensemble...
— Eh bien...
Bonjour,
M. Ôishi.
Mais que faites-vous là ?
Y aurait-il une réunion d'organisation de la purification du coton ?
Vous arrivez bien tôt.
C'était bien tenté, mais apparemment, l'inspecteur avait tout entendu.
C'était mauvais pour nous, très mauvais pour nous.
Que Tomitake fasse de l'ingérence, c'était normal, mais si la Police s'en mêlait...
Non seulement les choses devenaient très compliquées, mais en plus, nous perdions la possibilité d'enquêter sur Takano...
C'était vraiment pas le moment !
— Ah non mais voyez-vous,
je suis d'abord allé à la modeste demeure de notre chère prêtresse, mais Mlle Hôjô m'a gentiment indiqué que vous vous trouviez ici.
Et là, je tombe sur une réunion secrète, apparemment.
Je suis vraiment désolé de vous déranger, hein...
Éhhéhhéhhé !
Un silence glacial s'abattit sur nous, et plusieurs anges passèrent.
Ôishi semblait vouloir nous tirer les vers du nez.
Il n'avait probablement pu entendre qu'une partie de la conversation et n'arrivait pas à en comprendre les tenants et aboutissants.
Il voulait nous faire passer à table...
— Allons, allons, ne me regardez pas aussi intensément,
vous allez me faire rougir.
Vous savez,
il se trouve que je suis venu vous voir dans un but bien précis, Mlle Furude.
Je vous ai ramené un vieil ami à vous.
Éhhéhhé !
Je ne sais pas si vous vous souvenez de lui, mais je l'espère.
Il est venu exprès depuis Tôkyô, je ne voudrais pas le voir pleurer...
Éhhéhhéhhé !
Quoi ?
Sérieusement ? C'est pas vrai... me dites pas que...
Je ne connaissais qu'une seule personne qui correspondît à cette description.
Mais il n'était jamais revenu, je ne l'avais jamais rencontré en juin 1983...
Mais en même temps, je ne voyais absolument personne d'autre !
C'était forcément lui !
— Allez, venez donc, vous pouvez vous montrer.
L'homme vaillant et assuré qui apparut alors devant moi était
bien plus impressionnant, plus calme, et plus rassurant que dans mes souvenirs.
— A... Akasaka...
— Merci de t'en être souvenue, Rika.
J'espère que cette fois-ci, tu ne me diras pas de rentrer à Tôkyô !
— A...
kasaka...
AKASAKA !
— Je me suis souvenu de ton appel au secours, Rika.
Même si je t'avoue que je l'avais oublié pendant un long moment.
Mais je suis sûr que si je ne m'en étais pas souvenu,
je l'aurais regretté pour le restant de mes jours...
C'est grâce à toi que j'ai pensé à appeler ma femme, et c'est grâce à cet appel qu'elle n'est pas morte.
Tu lui as sauvé la vie.
Alors maintenant... j'aimerais te renvoyer l'ascenseur.
... ... Je suis sûr que j'avais oublié ce que tu m'avais dit,
mais ça m'est revenu, d'un seul coup.
Je m'excuse de t'avoir fait attendre aussi longtemps, Rika.
— Oui...
On peut dire que tu m'auras fait attendre, saligaud.
En tout cas,
tu manques pas de culot...
de débarquer à l'improviste, comme un prince charmant sur son cheval blanc...
Akasaka... Akasaka......!
— La réponse est oui, Rika, mais maintenant, il va falloir me dire quelle est la question.
Et ne t'inquiète pas, je suis prêt à croire tout ce que tu me diras.
Dis-moi qui essaie de te tuer, et je t'en protégerai, tu verras !
Akasaka se plongea dans des souvenirs étranges, des souvenirs qu'il ne pouvait pas posséder.
Des souvenirs d'un temps où sa femme était morte alors qu'il enquêtait à Hinamizawa.
D'un temps où la tristesse lui avait fait oublier l'appel au secours d'une petite fille désemparée.
D'un temps où il avait été rongé par le remords, celui de n'avoir rien vu venir, celui de n'avoir rien su faire.
Des souvenirs d'un autre monde.
Il ne pouvait pas savoir exactement à quel point ce qu'il disait était réconfortant pour Rika.
Mais s'il en croyait les sanglots qu'elle essayait d'étouffer en enfouissant son visage dans sa veste de costume, elle devait être très touchée...
— Ne vous en faites pas pour moi, je n'ai rien vu !
Si votre femme me demande, je ne saurai pas que vous avez une toute jeune maîtresse que vous vous gardez sous le coude en cas de besoin.
Non, non, vraiment ! Je ne suis pas au courant !
— Voyons, Inspecteur !
Vous voyez bien l'âge qu'elle a !
Il y a des blagues que l'on peut faire, et les autres ! Ne soyez pas ridicule.
— Akasaka !
Akasaka...
Akasaka...
Akasaka...
Oooooooh !
Je me suis toujours plaint de ne pas pouvoir vaincre Takano toute seule.
Hanyû m'avait proposé une solution.
Elle m'avait conseillé de demander de l'aide à tout le monde, en me promettant que si nous y croyions tous, un miracle se produirait.
Pour être tout à fait honnête, je ne pensais pas que ça marcherait.
Et pourtant, rien que le fait d'en parler à Irie m'avait aidé pour en parler aux autres, ce qui m'avait aidé à en parler à Tomitake.
Tout allait de mieux en mieux, et maintenant, même Akasaka était là !
Est-ce qu'il est revenu parce que c'était une possibilité parmi d'autres,
ou bien était-ce dû à un miracle ?
Parce que franchement, ça y ressemblait fort.
Il était le plus puissant de mes possibles alliés, mais il n'était jamais revenu pour m'aider jusqu'à présent...
et aujourd'hui, il était revenu exprès pour m'aider, sans conditions...
— ... ... Alors ?
Je t'avais dit
que l'on pouvait déclencher des miracles.
— Oui,
tu avais raison.
Peut-être que je réussirai encore à trouver plus de gens prêts à m'aider !
Est-ce que tu crois que cette fois...
nous réussirons à lever la malédiction qui pèse sur le mois de juin 1983 ?
— Oui, nous y arriverons.
Mais nous devons pour ça tous nous tenir la main et tous y croire très fort. Sinon, nous ne réussirons pas à vaincre notre Destin.
Hanyû avait autrefois été une observatrice impartiale qui ne se mêlait pas de mes affaires.
Mais aujourd'hui, elle mettait les points sur les i. Elle me faisait payer cher mon hypocrisie, ma façon de faire semblant de me battre...
— ... Ça va mieux, Rika ?
— ... Euh, oui, pardon, désolée.
Je... Ça faisait tellement longtemps, je me suis laissé emporter par mes émotions.
Miaou☆!
Je profitai de ce moment pour donner le change et m'essuyer vite fait les larmes aux coins de mes yeux.
Le chant des cigales n'était pas différent d'il y a quelques minutes.
Et pourtant, j'eus la ferme impression qu'elles avaient voulu me transmettre un message, depuis tout ce temps,
et j'eus même l'impression de comprendre ce message, ce qui ne manqua pas de menacer de me refaire pleurer...
— Eh bien en tout cas,
ça, c'est une surprise !
Je te pensais un peu jeune pour t'être trouvé un amoureux, Rika !
Ahahah.
— Laissez-moi me présenter.
Je m'appelle Mamoru Akasaka.
Je travaille à la 7ème chambre des archives de la D.S.T. à Kasumigaseki.
— ... Si mes souvenirs sont exacts, les archives de D.S.T. sont en fait des cellules spécialement dédiées aux enquêtes internes et aux opérations coup de poing.
Un peu comme une police secrète, s'il on veut.
Évidemment, si vous avez une section pour des enquêtes secrètes, vous n'allez pas l'appeler “la section des enquêtes secrètes”, ça paraît tomber sous le sens.
Les sections dédiées à ce genre de travaux ont des noms tout à fait innocents.
C'était exactement le cas pour Akasaka.
Il travaillait officiellement aux archives, mais ce n'était pas du tout ce qu'il exécutait comme travail.
— Je vous trouve bien au courant, Monsieur.
Très peu de gens savent à quoi servent au juste les archives de la D.S.T., vous savez.
D'après le peu que j'en ai entendu, vous n'êtes pas une personne tout à fait normale non plus ?
— Ahahahaha,
non, non, je suis juste un peu spécial dans mes centres d'intérêts !
Il se trouve que par hasard, c'est le genre de choses que je connais, c'est tout !
Ahahah.
— Allons, M. Tomitake, vous pourriez nous dire la vérité, non ?
Je me doute bien que vous n'êtes pas photographe, alors dites-nous qui vous êtes réellement.
— Ah mais non,
mais vraiment,
je suis un simple photographe, vraiment !
Je vous jure !
Bah, c'est mon dernier essai et mon dernier monde.
Autant tenter ma chance, sinon, nous ne ferions que perdre du temps...
— ... Tomitake est un agent qui fait la liaison entre nous et Tôkyô.
Mais il est de notre côté, je peux lui faire confiance.
— Rika, voyons !
Irie et Tomitake poussèrent tous les deux des cris de surprise.
Je venais de révéler une information censée rester secrète. Normalement, les chiens de montagne devaient prévenir ce genre de choses et tuer tous ceux qui en savaient trop...
Mais bon, tant pis.
Je commençais à en avoir marre, moi,
de tous ces petits secrets !
Tomitake était le seul à vouloir nier l'évidence, mais plus personne ne semblait lui prêter attention.
— C'était quoi votre nom, déjà ? M. Irie, c'est bien ça ? Le directeur de la clinique ?
C'est vous qui m'avez soigné après l'incident d'il y a cinq ans.
Je vous suis très reconnaissant de m'avoir sauvé.
— Pardon ? Aaaah, oui, bien sûr !
Ah, c'était vous !
Mais de rien, je n'ai fait que mon travail...
— Il me semble que la clinique Irie porte aussi le nom d'Institut Irie,
c'est bien cela ?
— Euh...
Non...
Pas que je sache...
— Éhhéhhéhhé !
Allons, Docteur, arrêtez un peu !
Nous étions là, nous vous avons entendu discuter !
— Vous avez parlé de vos supérieurs, en les appelant le projet alphabet.
Pour tout vous avouer, je sais tout sur eux, donc je n'ai pas besoin de vos aveux.
J'ai justement enquêté sur des malversations pour des montants astronomiques très récemment.
Et le projet alphabet en faisait partie.
C'était de ça que parlait la feuille qu'Akasaka avait ramassée l'autre jour.
Elle décrivait quels projets étaient généreusement financés, et quels projets devaient être soutenus pour obtenir des rétro-commissions et autres fonds occultes.
Cet argent volé sur les caisses de l'État, il devait servir à aider à la reconstruction du Japon, avec des manières peu glorieuses ou peu orthodoxes, mais même ça, ce n'était que du flan.
Les grands décideurs des projets s'enrichissaient à en crever en détournant ces fonds pour leurs propres comptes en banque.
Si cela avait été rendu public, beaucoup d'hommes politiques influents auraient été déchus, et la vie politique du pays aurait bien changé.
C'était d'ailleurs pour ça qu'il y avait eu des pressions, très haut dans leur hiérarchie, pour faire capoter l'enquête.
— Je préfère vous prévenir tout de suite : l'enquête a été confiée à d'autres, et je ne travaille plus dessus.
Donc même si j'apprends des choses dessus ou si je révèle des éléments du dossier, eh bien, c'est mon problème.
En outre, je suis officiellement venu à Hinamizawa pour me reposer, en prenant des jours de congés.
Juste histoire que vous ne vous fassiez pas de fausses idées sur les raisons de ma présence ici.
— ... ... ... ...
Tomitake semblait vouloir nier mordicus son implication, ce qui quelque part était une preuve de son intégrité.
Mais Irie n'avait pas ce genre de considérations.
Il se doutait bien que si Akasaka connaissait même les liens avec le projet alphabet, alors il ne s'en laisserait pas conter...
— Au cours de mon enquête, j'ai appris que parmi les sommes détournées, une très grosse partie était allouée aux laboratoires de l'Institut Irie, à Shishibone.
À côté du nom de l'institut, il y avait entre parenthèse la mention manuscrite “Clinique Irie, Hinamizawa”.
La ligne précisait aussi que le directeur de l'établissement était le Lieutenant-Colonel
Kyôsuke Irie.
— Lieutenant-Colonel ?
Docteur, vous êtes un militaire ?!
— Non, non non non, c'est une méprise.
Je ne fais pas partie de l'Armée.
M. Tomitake, je pense que nous n'avons plus le choix.
Et puis, nous ne sommes pas obligés de parler de nos clients. Nous pouvons simplement leur dire qui nous sommes.
Je pense que si nous le leur cachons plus longtemps, nous ne ferons qu'attirer leur méfiance.
— ... Irie a raison.
Je suis sûr que si vous lui parliez un peu, Ôishi pourrait nous aider.
Si ça se trouve, cette fois-ci, nous réussirons même à nous mettre Ôishi dans la poche !
Ce serait une aubaine absolument formidable !
Tomitake finit par céder, mais il insista pour que tout ce qui se dirait entre ces murs restât strictement confidentiel.
Je pris alors la relève et expliquai à nos deux nouveaux venus l'existence de la maladie endémique du syndrome de Hinamizawa, et leur parlai des laboratoires de l'Institut Irie et de leur fonction.
Puis je leur expliquai pourquoi j'étais si spéciale.
Et enfin, quel complot était probablement en train d'être ourdi contre moi.
Au début, l'inspecteur poussait des oooh et des aaaah toutes les deux révélations, mais au bout d'un moment, Akasaka lui dit d'arrêter, et enfin, il se tut.
On voyait bien qu'Akasaka en avait vu d'autres. Il ne fit pas montre de surprise.
Il acquiesçait de temps en temps, semblait comparer avec les éléments qu'il connaissait déjà. Il semblait tout comprendre et assimiler très vite.
Et je dois dire que ça me rendait d'excellente humeur.
— ... ... Oui, Rika, je pense que tu as raison de te faire du souci.
M. Ôishi, tout ce qu'elle vient de nous raconter est plausible.
— Mouais...
Je ne sais pas trop, ça ressemblait plus à un roman d'espionnage qu'à la réalité.
Mais bon...
si c'est vrai, alors...
Hmmm...
L'inspecteur semblait avoir beaucoup de mal à faire face à ces nouveaux éléments. Il lui fallut pas moins de trois cigarettes pour admettre que c'était digne d'être considéré comme vrai.
— ... Pour ma part, je soupçonne Takano,
mais je n'en ai aucune preuve.
Je venais justement de demander à Tomitake de mener une enquête sur elle.
— Inspecteur,
vous pensez pouvoir appréhender cette femme dans le cadre d'une autre affaire ?
— ... Hum…
Ça va me coûter ma retraite, je pense, mais c'est faisable.
— Vous savez, nous avons des gens à nous installés au Commissariat d'Okinomiya.
Je pense que même si vous tentiez de la mettre en garde à vue, vos supérieurs vous ordonneraient immédiatement de la relâcher.
— Je compte faire une enquête interne sur elle, et honnêtement, votre présence sera plus une gêne dans mon travail qu'autre chose.
— Oui, ce n'est pas faux.
Il vaut mieux vous laisser faire seul, la présence de la Police pourrait tout compromettre.
Et puis, franchement dit, cette affaire sent mauvais.
M. Ôishi,
je sais que je vais vous paraître méchant, mais cette affaire est trop complexe pour vous. Vous feriez mieux de retirer vos billes dès maintenant.
— Et ça veut dire quoi, en clair, ça, M. Akasaka ?
— Vous l'avez dit à l'instant, vous êtes à l'âge de la retraite.
Vous en avez presque terminé avec une longue et dangereuse carrière. Vous allez bientôt toucher un revenu régulier pour vous soutenir dans vos vieux jours.
L'argent, c'est important.
Vous avez le crédit de votre maison, et votre épargne. Et puis, il vous faut de quoi vivre.
Mais là, cette affaire est vraiment très dangereuse.
C'est mon instinct qui parle, mais je pense que l'État étouffera cette affaire et que personne n'en saura jamais rien.
Donc...
— Donc vous voulez dire que je ferais mieux d'arrêter les frais, parce que je perdrai absolument tout ?
C'est ça ?
C'est bien ce que vous êtes en train de me dire ?
— ... Oui, c'est effectivement ça.
Je sais que je suis jeune pour vous donner des leçons,
mais vous savez, j'ai enquêté dans des domaines très dangereux, des choses bien éloignées de votre quotidien.
Et mon expérience du terrain me dit que ce n'est pas une affaire pour vous. Je vous dis ça parce que vous êtes un ami, Inspecteur. Vraiment.
— ... ... ... ...
Ôishi n'était pas un idiot.
Il en avait vu d'autres, et il était largement assez malin pour se débrouiller dans la vie.
Si ce n'avait été qu'une question de fierté, il aurait sûrement mis une droite au jeune con qui se permettait de lui donner des leçons.
Mais il comprenait bien qu'Akasaka disait vrai, et il tenait à sa retraite.
Parce que la vie d'un être humain ne s'arrêtait pas après son travail.
Après la retraite, les gens avaient encore une dizaine, même une vingtaine d'années devant eux, au bas mot.
C'était une deuxième vie, et pour la financer, les gens avaient absolument besoin de leur retraite.
Ce n'était pas qu'une simple somme d'argent.
C'était quelque chose d'essentiel.
Quelque chose de vital.
Kuraudo Ôishi avait supporté le vent, la pluie, les caprices de ses collègues et de ses supérieurs.
Combien de fois avait-il pensé à changer de métier, à quitter le Commissariat ?
Il le disait même encore maintenant...
Mais il avait toujours ravalé sa rage et il avait fait son travail.
Malgré un salaire qui ne rendait pas justice à tout ce qu'il faisait.
Il avait tenu bon, pendant des dizaines d'années !
Et enfin, dans quelques mois, il verrait le bout du tunnel, il serait récompensé.
La somme importait peu.
C'était une question de mental. Sa vie allait être jugée par ses pairs.
Si jamais il faisait une bourde, il y aurait des mesures de discipline à son encontre, et le montant de sa retraite serait amputé.
... Et donc la moindre bourde pouvait réduire à néant les efforts de toute sa vie.
Ce n'était pas rien.
Akasaka, lui, était encore bien jeune.
Même si ses supérieurs le viraient, il pouvait encore trouver du travail ailleurs et recommencer à cotiser.
Mais Ôishi en avait fini avec le travail, il ne pouvait plus rien faire.
Et il avait des emprunts qu'il comptait rembourser en partie avec sa retraite.
Et c'est parce qu'il était conscient de tout cela
qu'il ne pouvait pas se permettre de prise de risques inconsidérée...
Akasaka l'avait mis en garde car il pensait précisément à tout cela.
L'inspecteur le comprenait bien, et il lui en était reconnaissant.
Et c'est aussi pourquoi la décision était si difficile à prendre.
Akasaka voulait savoir jusqu'où le vieil inspecteur oserait aller.
— ... J'ai toujours voulu me garder un peu de sous pour m'amuser tous les mois, alors j'ai pris un emprunt sur une durée très longue.
Je savais pourtant pertinamment qu'en remboursant plus vite, je paierais moins au final.
Mais je voulais avoir de quoi aller boire, de quoi miser aux dés, au mah jong, aux courses.
Si j'avais vécu un peu plus intelligemment, sans remettre mes dettes sur ma retraite,
je serais en train de vous dire en gros “au diable mes supérieurs, ce n'est pas un blâme qui va me faire peur”...
Je vis qu'il serrait les poings, et que ceux-ci tremblaient.
C'était peut-être sa façon à lui de pleurer...
— Mais vous savez...
Malgré tout ce que j'ai pu faire...
Je suis un flic, bordel de merde ! Et je le serai jusqu'à ma retraite !
À vrai dire, ma retraite importe peu, finalement.
J'ai fait une promesse au vieux, devant sa tombe.
Je lui ai juré que je coincerai les enfants de salauds qui lui avaient fait ça.
Et donc tant que je ne l'aurais pas fait, je ne pourrai pas prendre ma retraite, d'une manière ou d'une autre !
Donc si vous voulez...
c'est pas parce que je suis flic que je fais ça !
Je fais ça parce que je l'ai promis à un ami, et je continuerai à le faire, jusqu'à ce que je puisse tenir ma promesse !
Je m'en contrefous, moi, des ennuis que je pourrais m'attirer.
Et vous osez...
Vous osez me demander si moi...
Si j'ai peur de perdre ma retraite ?
BIEN SÛR que j'en ai peur !
J'ai plusieurs millions qui m'attendent quand j'en aurais fini avec ce boulot de merde, et je compte dessus pour vivre !
J'ai envie de me la couler douce à Hokkaidô, j'ai envie de jouer dans les casinos de Susukino, j'ai envie d'apprendre à danser !
Alors pourquoi est-ce que j'ai peur de voir tout ça partir en fumée ?
Est-ce que mon sens du devoir
n'est pas plus important que mon petit confort ?!
Je me suis juré de découvrir la vérité sur les meurtres en série de Hinamizawa !
J'en ai rêvé pendant des mois, et aujourd'hui, je suis aux portes du savoir !
Putain de merde !
Et pourtant, je suis pas foutu de jeter mon calepin !
Saloperie de merde, je peux pas envoyer mes supérieurs se faire foutre !
Mais pourquoi est-ce que je peux pas, hein, POURQUOI ?
... Persone n'osa tenter de le réconforter.
Ôishi était confronté à ce dilemme, il restait à cette croisée des chemins, précisément parce qu'il avait planifié sa vie avec précaution et intelligence.
Personne ici n'était en mesure de pouvoir lui apporter du réconfort -- nous étions bien trop jeunes pour espérer comprendre dans quel état d'esprit il pouvait être.
— ... M. Ôishi, si je me souviens bien...
Vous étiez ami avec le chef de chantier, n'est-ce pas ?
— ... ... ... C'était bien plus que ça, Docteur.
Il était un ami, mais aussi un frère, et aussi même un père pour moi.
— Je suis le directeur de l'Institut Irie, même si cela est plus un titre honorifique qu'une véritable fonction.
Si jamais le complot qui se trame autour de Rika venait à être découvert, je serais le premier à être placé sur la sellette.
N'est-ce pas, M. Tomitake ?
— ... ... ...
Oui, Kyôsuke Irie n'avait été placé à la tête de l'Institut que pour servir de pare-choc.
Pour être sacrifié en cas de pépin, sans que Takano eût à en craindre les conséquences.
Tomitake le savait bien, mais Irie lui-même n'était pas dupe non plus.
Il savait que même s'il pouvait prouver son innocence, il devrait quand même démissionner, parce qu'il était le Directeur.
C'était une mesure de sécurité, qui laissait entrevoir la possibilité d'un blanchiment rapide et efficace de l'Institut.
C'était d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles son salaire était si généreux.
— Lorsque toute cette affaire sera derrière nous...
j'aimerais m'entretenir avec vous
au sujet de cette malédiction, Inspecteur. Je vous expliquerai tout.
Je sais bien que normalement, je suis tenu au secret, mais...
je peux compter sur votre indulgence, n'est-ce pas, M. Tomitake ?
— Ahaha, aha...
Je n'étais pas là et je n'en sais rien, faites comme vous voulez.
Évidemment, il ne pouvait pas cautionner de tels actes.
Mais en disant cela, il les permettait quand même.
— ... Non,
je ne peux pas accepter.
Si je vous avais aidés, j'aurais volontiers accepté,
mais là, je ne suis qu'un connard qui a peur pour ses vieux jours. Je ne le mérite pas.
Il avait tellement voulu savoir, il avait l'occasion de savoir, et pourtant…
sa fierté le poussait à refuser de savoir.
C'était une décision très difficile, et incompréhensible pour nous.
Nous étions trop jeunes.
Nous n'avions pas encore vécu ce que lui avait vécu.
Nous ne pouvions pas nous permettre de le juger !
— Est-ce que vous pourriez me laisser un peu de temps, pour y réfléchir ?
J'ai envie de punir les responsables et de faire triompher la vérité, croyez-moi.
Mais j'ai besoin d'un peu de temps pour...
pour avoir le courage de me lancer, si ça ne vous dérange pas…
À qui pouvait-il bien parler ?
Aucun d'entre nous n'avait le droit de le pousser à prendre une décision.
Ni Akasaka, si Irie, ni Tomitake,
ni bien sûr moi.
Mais malgré cela, Ôishi voulait être pardonné.
Pardonné de cet instant de couardise, pardonné d'avoir besoin de réfléchir longuement pour faire le bon choix, pardonner d'hésiter à faire montre de courage.
Sauf que personne parmi nous n'était en mesure de lui accorder ce pardon. Personne ne pouvait rien faire pour l'empêcher de sangloter...
— ... Très bien.
Si c'est votre souhait, alors c'est d'accord, prenez votre temps.
Hanyû ?
Mais depuis quand...
Je n'avais pas remarqué, mais Hanyû s'était joint à nous sans rien dire.
Quoique, elle avait toujours été là, en un sens.
Après tout, elle était la déesse protectrice du village.
— Je veux bien vous accorder le temps qu'il vous faudra pour prendre votre décision.
Vous avez toujours été honnête avec vous-même, et malgré les difficultés du quotidien, vous avez su organiser votre existence.
C'est bien parce que vous ne prenez pas votre vie à la légère que le choix s'avère difficile aujourd'hui.
Or, il n'est pas bon de se montrer trop prompt ou trop téméraire.
Au contraire, on saluera uniquement les décisions difficiles prises par des gens ayant déjà une grande expérience de la vie : si eux hésitent, c'est que le problème est réel.
Ces mots-là étaient bien présomptueux,
mais ils étaient nécessaires.
Qui parmi nous pouvait bien se permettre de lui donner de telles leçons ?
Nous étions tous plus jeunes que lui.
La seule qui pouvait tenir ce rôle,
c'était Hanyû.
Hanyû avait observé les humains pendant plus de mille ans...
— Quelle que soit la décision finale que vous prendrez -- la sécurité froide et calculée, comme le combat perdu d'avance --
vous aurez mes bravos,
tant que vous pourrez prouver que cette décision aura été le fruit d'une longue et douloureuse réflexion.
— ... C'est bien la première fois que je vous vois, Mademoiselle.
Je ne sais pas qui vous êtes, mais merci.
Je sais pas pourquoi, mais je suis bien content de vous entendre me le dire.
Merci de me laisser le temps de la réflexion.
Si c'était moi qui avait dû parler à l'inspecteur, je lui aurais directement demandé de m'aider, sans vraiment penser à sa situation.
Et du coup, je n'aurais probablement pas obtenu son aide.
Après tout, en lui demandant de l'aide, je ne faisais qu'essayer d'arranger les choses au mieux pour ma pomme.
C'était quelque chose d'égoïste, qui ne pouvait pas résonner en lui.
Mais les choses étaient différentes pour Hanyû.
Elle ne m'en avait jamais parlé, mais j'imagine qu'elle a vu Ôishi naître.
Elle l'a vu grandir, mûrir, souffrir.
C'est pour ça qu'elle savait trouver les mots.
Elle était la seule
à pouvoir réussir un tel tour de force.
— ... Docteur Irie,
j'ai quand même une question,
juste un détail, s'il vous plait.
— Mais je vous en prie, Inspecteur,
demandez-moi ce que vous voulez.
— ... J'ai toujours pensé que derrière le meurtre du vieux, il y avait eu des tractations et des ordres donnés par le clan des Sonozaki, mais je n'ai jamais réussi à le prouver.
Vous pouvez me dire si j'ai vu juste ou pas ?
— ... Oui, je peux vous le dire.
Vous faites erreur, Inspecteur.
Les meurtres en série de Hinamizawa...
ont tous un rapport avec nos laboratoires.
— Ah...
Je vois...
Ôishi se passa la main sur l'arrière du crâne, se grattant la tête.
Il devait probablement avoir du mal à encaisser. En même, ça ne devait pas être plaisant de s'entendre dire que l'on avait fait fausse route des années durant.
Mais j'avais l'impression qu'Irie n'en avait pas dit assez.
C'est pourquoi je pris la liberté de prendre la parole.
— Ôishi,
aucun des meurtres de la malédiction n'a été proprement planifié en secret par les villageois.
Ni par le clan des Sonozaki, ni par les clans ancestraux, ni par personne de chez nous.
Il n'y avait pas eu de tragédie. Simplement des erreurs, des gestes mal compris, des gens incapables de régler leurs malentendus.
Bref, il n'y avait eu que les hauts et les bas de la vie.
La véritable nature de cette malédiction, c'était justement cette erreur, cette volonté de croire à un motif sous-tendant des faits sans aucun rapport les uns aux autres.
— ... Alors, toutes les informations que j'ai pu glaner jusqu'à présent sur les possibles implications des Sonozaki,
ce n'était que du flan ?
Heh. Ahahaha !
— Le chef de clan des Sonozaki ne fait que se plier à l'une des règles ancestrales édictées dans le village. Oryô se comporte toujours comme si elle était responsable de tout, de chaque accident, de chaque hasard, de chaque catastrophe naturelle.
Mais les Sonozaki ne savent rien de concret sur les événements.
Ils tremblent de peur, car ils ne peuvent pas prédire ce qu'il risque de se passer l'année d'après.
Et comme ils sont dans une position délicate, ils sont obligés de faire croire qu'ils sont les responsables -- en agissant ainsi, ils empêchent les autres de remettre en cause leur autorité.
— Je ne savais pas qu'ils avaient cette règle.
Je vois…
Je comprends mieux certaines choses...
— ...
Ahahahaha,
AHAHAHAHAHAHA !
Si c'est vrai, alors...
Rah, sacrée vieille peau, merde !
Elle sait comment ménager ses effets.
Ahahahaha...
AHAHahahahaha !
Aaaaah... C'est vraiment vrai, cette histoire ?
— ... Oui, c'est vrai, Ôishi.
Il y a la même règle d'inscrite dans l'un des vieux rouleaux scellés légués par mes ancêtres.
Vous voulez que je vous le montre ?
— Ahahahahaha, c'est la meilleure !
AHAHAHA, hHAHAHAHAHAHAHA !
Je me demandais bien ce qu'il pouvait trouver de si drôle.
Ni moi, ni les autres n'avions la moindre idée de ce qu'il se passait dans sa tête en ce moment.
... À part peut-être une certaine personne qui avait soufflé depuis bien longtemps ses mille bougies.
— Vous savez, M. Ôishi...
Moi aussi, j'en suis bien contente.
— Ah bon ? Parce que vous savez à quoi je pense, peut-être ?
— ... Disons que je sais par expérience qu'il est très réjouissant de ne plus avoir à haïr et à se méfier des autres.
— Ahahahaha, vous n'y êtes pas du tout.
Les Sonozaki n'en demeurent pas moins l'un des gangs armés les plus dangereux du pays, et ils contrôlent toujours la majeure partie du trafic de drogue de Shishibone.
Vous savez, je ne compte même plus le nombre de jeunes recrues de chez eux qui ont essayé de me tuer pour gravir les échelons.
Même s'ils ne sont pas les responsables de ces meurtres en série, nous n'en restons pas moins des ennemis déclarés.
Enfin, je ne sais pas pourquoi, mais j'ai eu envie d'en rire, c'est tout.
Éhhéhhéhhé !
Je ne saurais dire si Hanyû avait vu juste ou pas.
Ôishi avait toujours soupçonné les Sonozaki, c'était de notoriété publique.
J'imagine qu'il doit être très déçu d'apprendre qu'il avait toujours cherché dans la mauvaise direction.
... Peut-être que Hanyû disait vrai.
Peut-être qu'il était vraiment difficile de haïr quelqu'un pendant très longtemps.
Je sentais bien qu'il y avait quelque chose de spécial dans le rire désabusé de l'inspecteur, mais je pouvais que faire des suppositions...
Ôishi sortit un paquet de cigarettes, puis déclara vouloir prendre l'air. Je le suivis des yeux alors qu'il partait vers la cour du sanctuaire, plaçant machinalement une cigarette entre les lèvres.
— Je pense que nous ne pourrons rien faire tant que nous ne saurons pas si Mme Takano est coupable ou innocente.
Il va nous falloir attendre le résultat de vos recherches, M. Tomitake.
— Je ne comprends pas vraiment ton acharnement contre elle, Rika, et je trouve cela injuste et vexant.
Mais tes craintes sont légitimes.
Ta vie est très précieuse, et pour toi, et pour nous.
Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser autour de toi des gens dont nous ne sommes pas sûrs qu'ils sont de notre côté.
Tomitake avait l'air bien décidé à nous prouver l'innocence de Takano.
Je ne pouvais pas lui en avoir ; après tout, il était amoureux d'elle.
Pour ma part, j'aurais préféré la savoir de mon côté.
Elle était l'une des rares à comprendre ma situation, et je l'avais toujours considérée comme l'une de mes plus formidables alliés.
J'avais maintenu des liens plutôt cordiaux avec elle pendant plus de cent ans, dans l'espoir d'obtenir un jour son aide.
Mais Hanyû m'avait dit ce qu'il en était :
Takano était la coupable.
... Puisque cela ne faisait aucun doute...
il fallait maintenant voir ce que Tomitake pouvait découvrir sur elle.
J'avais absolument besoin de pouvoir prouver la culpabilité de Takano si je voulais obtenir l'aide d'autres personnes.
Je devais faire entièrement confiance à Tomitake et lui laisser carte blanche.
— M. Tomitake,
soyez très prudent.
Si elle est effectivement coupable, votre vie sera en danger.
— Oui, je sais, merci.
Je vais immédiatement changer d'hôtel sans en référer à l'Institut.
Je sais bien que le plus sûr serait de quitter immédiatement Hinamizawa, mais cela pourrait lui mettre la puce à l'oreille.
— Oui, c'est une situation difficile à cerner.
Pendant l'enquête, il ne faut surtout rien faire qui sorte de l'ordinaire, mais ce n'est pas toujours évident.
Si vous voulez, vous pouvez venir dans mon hôtel, vous savez ?
— Non, ce ne sera pas nécessaire.
Je ferai attention à moi, ne vous inquiétez pas.
— ... En attendant, je suis surtout inquiet pour Rika.
Que faire, que faire...
— ... Je ne sais pas trop.
Hanyû, tu en penses quoi ?
— ... Disons que si nous étions aux échecs japonais, tu serais un roi sans défense.
Dès que ta pièce sera retournée, l'adversaire aura gagné.
— Donc il me faudrait tout d'abord resserrer ma garde,
c'est bien ça ?
— Oui.
Nous sommes aujourd'hui jeudi,
la fête de la purification du coton est donc dans trois jours.
Il vaudrait mieux te placer dans un endroit sûr et secret, au moins jusqu'au jour de la fête.
— Oui, mais est-ce que nous pourrons trouver un endroit suffisamment sûr ?
— Mais bien sûr, voyons. Il suffit de demander à Mion.
— Ah, oui, c'est vrai.
Le temple souterrain des Sonozaki fera parfaitement l'affaire.
— Et je suis d'avis qu'il vaudrait mieux prendre Satoko avec toi.
— ... Oui, après tout, si je disparais et qu'il ne lui arrive rien, les gens penseront qu'elle sait où je me cache.
Et alors, elle sera en grand danger...
... Pour le coup, je vais être obligée de leur raconter toute la vérité.
Et là, ce ne sera plus une histoire délirante pour un bon manga à suspense.
En même temps, ils ont toujours su largement dépasser mes attentes et mes prévisions.
Il vaut mieux leur en parler sans trop en faire.
Ils m'écouteront sans se moquer de moi, je pense.
Et si c'est le cas, leur soutien me sera très précieux.
— Alors soit, nous irons nous cacher pendant quelques jours.
Il y a un endroit chez Mion où nous serons en sécurité.
— C'est vraiment un endroit sûr ?
— Oooh oui. C'était une sorte d'abri anti-bombes secret.
Il y a tout ce qu'il faut à l'intérieur. Nous aurons de quoi vivre pendant un mois.
Le temple souterrain des Sonozaki leur servait en cas de coup dur, s'ils devaient se protéger d'un ennemi. Il avait été construit juste au cas où, et avait été prévu en conséquence, d'après ce que j'en savais.
Mion m'avait raconté une fois qu'elle s'en servait comme d'une maison de campagne parfois, pour se relaxer.
Ce qui prouvait bien qu'elle était complètement barje, cette fille ; comment se relaxer dans un complexe fait de cellules de prisonniers et de salles de torture ?
— Je ne sais pas combien de temps mon enqûete va prendre.
Je peux tomber tout de suite sur des détails louches, mais cela peut aussi me prendre bien plus longtemps. Si jamais je trouve quelque chose, j'appelle Mion pour vous prévenir ? Ça vous irait ?
— ... Ce serait très gentil de ta part, oui.
— Au point où nous en sommes, je préfère te le dire : à cause de leur mission, les chiens de montagne ont trafiqué ta ligne de téléphone pour pouvoir écouter les conversations en cas de besoin.
Donc en plus, ça nous arrange.
— Miaou ?
Vous voulez dire que vous avez écouté tous mes appels et tous mes secrets honteux ?
— Ah, non, non, ils ont tout installé pour pouvoir le faire, mais ils ne t'ont pas placé sur écoutes à temps plein.
Ils s'entraînent de temps en temps, juste pour tester le matériel.
— ... J'imagine que le téléphone de mon bureau est lui aussi équipé d'un mouchard ?
— Oui, bien sûr,
mais ça, c'est de bonne guerre, vu l'importance des laboratoires...
— Je me permets de vous interrompre,
vous pourriez m'en dire plus sur le modus operandi ?
— Les lignes qui viennent jusqu'ici sont dédoublées.
Il y a un petit abri creusé dans la roche, près de la cascade, derrière le sanctuaire.
Les doubles arrivent là-bas, et nous avons le matériel pour les écouter.
Il n'y a personne là-bas en temps normal ; mais si nous leur donnons une mission de protection rapprochée, les chiens de montagne doivent y placer deux hommes en permanence pour observer les appels, et nous enregistrons les communications.
Bien sûr, en temps normal, nous n'enregistrons rien.
— Et... Est-ce que vous savez si des exercices sont prévus dans les jours qui viennent ?
Ou bien si des ordres ont été donnés pour une protection rapprochée ?
— Les exercices de contrôle sont faits en janvier, avril, juillet et octobre,
donc pas de risques de ce côté-là.
Quant à la protection rapprochée de Rika, elle peut être décidée si les conditions l'exigent, mais ce cas de figure n'a encore jamais eu lieu.
— Qui a le droit de donner cet ordre ?
— Le directeur de l'Institut -- officiellement ; mais vous savez, dans les faits, Mme Takano me remplace dans presque toutes mes fonctions. Elle est autorisée à donner cet ordre à ma place.
— ... Si réellement c'est bien elle qui cherche à attenter à la vie de Rika, elle pourrait s'en servir pour la faire espionner.
— Oui, c'est une possibilité tout à fait vraisemblable.
— ... Si je comprends bien,
on peut dire que si jamais nous remarquions quelqu'un aller dans cet abri spécial, nous pourrions en déduire que Mme Takano est passée à l'action, n'est-ce pas ?
Et accessoirement, que les tensions autour de Rika ont été exacerbées ?
— ... ... Cela ne prouvera en rien qu'elle est bel et bien l'instigatrice d'un meurtre en devenir,
mais cela sera le signe indiscutable que Rika court un grand danger.
— Vous avez raison.
Cela serait le cas indépendamment de la culpabilité de Mme Takano.
Donc... Oui, ce serait vraiment bien de pouvoir à la fois surveiller cet abri tout en sachant que Rika se cache pour l'instant ailleurs...
C'est une bonne idée.
— ... Rika, il y a quand même un détail qui gêne.
Si jamais il n'y a plus de lumière le soir ou le matin, les gens vont se rendre compte qu'il n'y a plus personne chez vous.
Takano n'aurait même pas besoin de faire surveiller ton téléphone pour comprendre que tu as sûrement menti à l'école, que tu n'es pas malade, et que tu as pris tes jambes à ton cou.
— Oui, c'est pas faux, si elle fait observer la maison, elle s'en rendra compte.
Et ce n'est pas pour aider l'enquête de Tomitake.
... Oui, il faudrait vraiment trouver une parade à ce problème.
— Il nous faut trois composantes : d'abord, il faut surveiller l'abri des écoutes téléphoniques.
Ensuite, il nous faut allumer et éteindre la lumière chez toi pour faire croire que tu es très malade et que tu ne sors pas.
Et enfin, il faut qu'Akasaka soit au village, pour pouvoir intervenir plus vite en cas de besoin. Et maintenant, si je prends tout cela et que je me mets à faire un caprice en dansant d'un pied sur l'autre, qu'est-ce qu'on obtient ?
Mééé euh !
Moi je veux,
moi je veux !
Je veux que vous fassiez comme je dis !
— ... Non mais ça va pas ? C'est pas ce que je pense, j'espère ?
Tu veux qu'Akasaka vienne habiter chez nous ?
Ah non, alors là, non, non non non, non non non non non non non !
Non mais t'es pas bien ? C'est un boxon monstre ! J'ai encore mes petites culottes qui traînent partout ! Et puis même, c'est pas lavé, c'est crade comme tout, c'est pas aéré, non plus ! Et puis c'est tout pérave, on peut pas le laisser monter en haut, non non non, rien du tout !
— Youhou ! Aaaakasakaaaa va dormir à la maison ! Youpiiii☆!
— Non mais ça va pas, eh, j'ai dit non !
Non, non, mais NON, mais tu veux me foutre la honte ou quoi ?!
— Eh bien alors, Rika, que t'arrive-t-il ?
— ... Euh... Miaou...
Je crois que j'ai pété un câble.
Nipah☆!
C'est bien parce que je suis la prêtresse de la déesse Yashiro et que je suis obligée de rapporter tes propos que je vais le lui dire, Hanyû !
C'est pas du tout parce que ça me fait super plaisir et que ça rend tout excitée !
— Ohh, oui, si ta maison devient une coquille vide, si tu n'allumes pas la lumière le soir, cela va vite se savoir.
Et si tu pars en laissant la lumière allumée, ils vont se poser des questions en la voyant brûler toute la nuit.
— Euh, je...
Euh, Aka, aka, akasaka,
euh, tu, euh
…
Miaou.
Et si tu vivais dans ma maison pendant que je me cache ailleurs ? Est-ce que ça pourrait éviter le problème ?
— ... Aha, je vois, je vois, je vois.
Tu sais quoi, c'est pas bête du tout.
Si jamais ça ne te dérange pas, je crois que c'est la meilleure chose à faire.
... Il ne pouvait pas, je ne sais pas, moi, avoir des hésitations, ou bien, se sentir gêné ?
Il va voir ma chambre, mes jouets, mes petites culottes !
J'espère qu'il pensera à moi...
Ainsi donc, nous parvînmes à prendre les décisions nécessaires.
Tomitake devait prendre contact avec l'un de ses hommes pour essayer d'y voir plus clair sur Takano.
C'était le plus important.
Et c'était la seule chose à faire.
Irie devait continuer à se comporter comme d'habitude.
Bien sûr, c'était très difficile de faire comme si de rien n'était après une discussion pareille, mais en même temps, que pouvait-il faire ?
Il ne pouvait pas la piéger à lui tout seul.
Par contre, il pourrait nous être très utile une fois Takano mise hors d'état de nuire.
L'inspecteur ne fut finalement pas en mesure de nous apporter une réponse franche sur sa collaboration ou non, mais il nous promit de ne rien faire pour nous mettre des bâtons dans les roues.
De toute façon, il y avait des chiens de montagne infiltrés parmi la Police.
Ôishi avait donc tout intérêt à feindre l'ignorance, pour le moment.
Je devais désormais raconter toute la vérité à Satoko et partir me cacher chez Mion.
Je ne savais pas jusqu'à quand cela allait devoir perdurer, mais j'attendrai au moins jusqu'aux premiers résultats.
Pendant tout ce temps-là, Akasaka dormirait chez moi, pour donner vie à ma maison et faire croire que je suis simplement malade et que je ne bouge pas de chez moi.
Si jamais il devait se passer quelque chose, il arriverait trop tard s'il devait foncer ici depuis Okinomiya.
C'était très rassurant de le savoir déjà ici, au village.
Tout se jouera une fois que Tomitake aura progressé dans son enquête.
Irie semblait très inquiet, pensant improbable que les choses pussent aller aussi vite, mais j'étais confiante.
Ils l'avaient toujours tué le soir de la purification du coton.
Cela faisait partie intégrante de leurs plans, et ils n'en déviaient jamais.
Ce qui voulait dire que même si Tomitake ne trouvait rien, d'ici trois jours, il y aurait du changement, de toute manière.
Encore une fois, je demandai à Tomitake de faire extrêmement attention à lui.
... Si cette fois-ci,
tu meurs encore une fois, je te maudirai, toi et ta descendance, sur sept générations !
Il faisait désormais plus sombre dehors.
Tout le monde était reparti, sauf Akasaka.
Je me mis à réfléchir à la meilleure manière d'organiser son séjour chez nous, et surtout, à la manière d'annoncer la nouvelle à Satoko.
— ... Tu sais, Rika, ça ne te servira à rien de te faire autant de souci.
C'est toujours comme ça, tu n'arrives jamais à faire confiance à tes amis.
— En même temps,
tu me vois lui annoncer que l'histoire délirante de ce matin, eh ben en fait, c'était pour de vrai ?
Tu me vois lui dire que si on ne faisait pas super gaffe, elle risquait de se faire tuer elle aussi ?
Et puis, elle ne connaît pas Akasaka. Pourquoi croirait-elle à une histoire pareille ?
— ... Tu penses sérieusement qu'elle ne te croira pas ?
— Disons qu'elle fera un effort, j'imagine, mais...
c'est pas une certitude non plus.
— Aaaah, d'accord, au temps pour moi.
Je croyais que c'était ta meilleure amie.
— ... Est-ce que tu peux répéter ça ?
Je n'avais pas tout compris, mais il me semblait que malgré son sourire et son air enjoué, Hanyû venait, l'air de rien, de dire quelque chose de terrible.
— Je disais juste que je croyais que Satoko était ton amie. Je pensais naïvement que tu la connaissais suffisamment pour savoir que si tu lui disais la vérité, elle saurait s'en rendre compte et elle accepterait de t'aider.
Mais apparemment, tu sembles persuadée qu'elle ne te croira pas.
Donc en fait, tu ne lui fais pas confiance comme à une amie.
Et si elle n'est pas ton amie, lui expliquer notre plan ne sera qu'une perte de temps.
Alors laissons-là ici et allons tout de suite chez Mion !
— ... Non mais tu débloques complètement, ou quoi ?!
Non mais ça va pas ?
Satoko est ma meilleure amie !
— Elle est tellement ta meilleure amie que tu juges inutile de simplement lui dire la vérité sans fabriquer d'histoire à côté.
Tu me rappelles les gens qui aiment les chatons abandonnés et qui leur donnent à manger tous les jours.
Je suis surprise de voir que tu l'as laissée vivre avec toi, pour tout te dire.
— Mais ça n'a rien à voir avec la choucroute !
Satoko est mon amie,
c'est ma meilleure amie,
je l'aime même plus que toi !
— Et pourtant, tu refuses de croire qu'elle te croira et qu'elle aura confiance en toi.
C'est comme si tous les jours, tu racontais tes malheurs à un petit chat abandonné, pendant que tu lui donnes à manger.
Tu sais bien que le chat ne comprend rien à ce que tu lui racontes, alors tu en profites pour vider ton sac, mais c'est tout.
Aaah là là, la pauvre.
Et elle qui s'imagine que tu es sa meilleure amie, elle va être déçue quand elle verra que ce n'est pas réciproque !
Aah là là !
— Espèce de...
Je me plantai fermement devant elle et lui mis une gifle monumentale -- qui ne toucha que du vide.
Hanyû s'était désincarnée, et ma main passa à travers son image comme à travers de la fumée.
Espèce de sale tricheuse de merde, elle savait se rendre transparente quand ça l'arrangeait...
Hanyû continua de se moquer copieusement de moi tout en disparaissant.
Ça me faisait chier, mais quelque part, je comprenais un peu ce qu'elle voulait dire.
— Est-ce que la personne qui vit avec toi sera d'accord ?
— Je ferai le nécessaire pour la convaincre.
Satoko n'est pas impliquée dans ce complot, mais comme elle habite avec moi, elle sera forcément mêlée dans tout ça, qu'elle le veuille ou non.
Je dois lui expliquer le danger qu'elle encourt. C'est pour sa propre sécurité, et puis, je lui dois bien ça.
— ... Tu veux que j'attende dehors ?
— Non.
Reste avec moi, Akasaka, comme ça, elle verra que ce n'est pas une farce.
Et si jamais je n'arrive plus à trouver mes mots, je compte sur toi pour me tendre des perches.
— OK,
ça marche.
Akasaka sur mes talons, je montai à l'étage.
Pour être tout à fait honnête, je ne savais pas encore trop comment j'allais commencer mes explications.
Mais Hanyû s'était foutue de ma gueule, et rien que pour lui faire ravaler ses paroles, je devais le faire.
Alors tant pis pour les préparations...
Je pris une grande inspiration et me raidis, puis entrai dans la pièce. Et me raidis à nouveau, à cause de la surprise.
La pièce était à peu près rangée, et mon linge de corps sale n'était plus nulle part en vue.
Satoko, quant à elle, rembourrait un sac de jute avec des pyjamas et des serviettes,
comme si elle se préparait à aller en voyage avec l'école.
— Satoko ?
Je suis de retour, qu'est-ce qu'il se passe ?
— Cela se voit, pourtant, très chère ! Vos affaires sont déjà prêtes.
Vous ne pensiez tout de même pas demander à Mion de nous prêter des brosses à dents et des serviettes ?
De plus, je ne pouvais décemment pas attendre les bras croisés de vous voir inviter ici cet illustre inconnu, alors que nos pénates étaient encore plongées dans le chaos, la poussière, et les odeurs nauséabondes ?
Je vous avais bien dit, très chère, que nous devrions nettoyer céans plus souvent, mais comme d'habitude, personne ne m'écoute !
Je la regardai avec des yeux ronds comme des billes.
Mais pourquoi est-ce qu'elle avait tout accepté sans faire d'histoires ?
... En même temps, elle savait que je discutais avec Irie et Tomitake depuis un moment. Elle a vu Ôishi et un parfait inconnu venir s'incruster chez nous, donc forcément, elle a dû se demander ce qu'il se passait...
Et donc elle est venue espionner de quoi nous parlions, je ne vois pas d'autre explication...
Et elle a dû rester un bon moment à nous épier, puisqu'elle a su qu'Akasaka viendrait chez nous et qu'elle est vite repartie ranger la pièce.
Elle a dû faire bien vite, si elle a réussi à préparer déjà tout ça...
— ... Ce n'était donc pas un scénario pour un manga, si je comprends bien.
— ... ... ... Miaou.
— Vous savez, très chère, c'est la seule chose que je déteste chez vous.
— ... ...
— Vous ai-je jamais, au grand jamais, déjà laissée tomber ? Vous ai-je jamais traitée de menteuse ?
Après tous les déboires et les déconvenues auxquels nous avons fait face ensemble, j'eusse espéré prétendre être votre plus dévouée et fidèle amie.
— ... Je te demande pardon, Satoko.
Elle me regarda d'un air vaguement contrit, mais elle n'avait pas l'air de m'en vouloir au point de me haïr.
Elle avait l'air surtout décontenancée de réaliser que l'histoire de dingue de ce midi était vraie.
Mais Hanyû avait dit quelque chose de très juste tout à l'heure.
J'avais beau considérer Satoko comme ma meilleure amie,
cela ne m'empêchait pas de ne pas pouvoir lui faire entièrement confiance. Et ça, c'était un paradoxe bien ennuyeux.
Je devais reconnaître ce paradoxe, je devais m'en excuser, aussi.
Satoko me tourna le dos et m'annonça simplement que le temps des excuses et du repentir viendrait une autre fois,
mais je sentis bien qu'elle comprenait ce que j'en pensais, et qu'elle acceptait mes excuses.
La meilleure preuve qu'elle pouvait m'en donner étant justement qu'elle se préparait à m'accompagner chez Mion.
Merci, Satoko. Merci du fond du cœur.
— Et donc, Monsieur... Akasaka, c'est bien cela ?
Je ne connais pas la nature de vos relations avec notre chère Rika, mais si vous êtes de son côté, alors nous sommes alliés.
Satoko Hôjô, enchantée de faire votre connaissance !
— Moi de même.
Je m'appelle Mamoru Akasaka.
... Le complot qui se trame autour de Rika est complexe, dangereux, et il prend sa source tout près du siège de la Nation.
Comprends bien qu'elle avait peur de ne pas être prise au sérieux si elle en parlait plus ouvertement.
— Allons bon, j'en suis bien consciente !
Je suis sa plus fidèle alliée, vous savez.
Si moi-même je ne la croyais pas, elle serait seule au monde.
Dans ces conditions, son hésitation et son manque de courage semblent bien compréhensibles !
— Eh bien, tu es bien adulte, pour ton âge.
Pour le coup, Rika a une bien précieuse alliée, j'en suis presque jaloux !
À ces mots, Satoko se sentit galvanisée et sûrement très flattée, car elle se mit à lui expliquer dans les moindres détails tout notre équipement.
Elle le mit au courant du défaut de notre gazinière, de l'angle avec lequel il fallait frapper la télé si jamais elle ne captait plus d'images, et encore bien d'autres petites choses.
Puis elle sortit même une carte du sanctuaire, sur laquelle elle indiqua à quels endroits elle avait posé des pièges.
Akasaka se pencha sur la carte, l'écoutant avec le plus grand sérieux.
Ils formaient vraiment un duo bizarre, tous les deux. Oubliant pour quelques secondes ma situation, je me mis à sourire, le regard attendri.
Soudain, je me rendis compte que Hanyû était à nouveau à mes côtés, et qu'elle me regardait avec un grand sourire.
Elle se foutait de moi, clairement, comme pour bien me rappeler que j'avais été stupide avec mes hésitations.
Autant l'ignorer avec insistance, ça lui ferait les pieds.
— Si un esprit tordu comme celui de Satoko peut accepter cette histoire sans broncher,
j'imagine que nous n'aurons aucun problème avec Mion.
Keiichi n'est pas du genre à douter de tout et de rien, et quant à Rena, elle se rendra bien compte que je dis la vérité.
Mais je me demande si ce sera aussi facile...
Hanyû ne répondit rien, mais je sentais bien qu'elle était contente de voir que sa remarque cinglante avait eu son petit effet sur moi.
— Nous avons suffisamment de provisions dans le frigo, ce me semble.
Rika, très chère !
Cessez de rêvasser et mettez-vous en cuisine !
Il y a l'art et la manière de demander un service aux gens ; qu'il soit notre hôte, ce soir !
Et puis, on ne sait jamais ce qu'il peut se passer.
Nous irons nous présenter chez Mion plus tard dans la soirée, cela me paraît plus avisé.
— Allons bon, ce n'est pas nécessaire !
Je n'en ai pas l'air, mais je sais faire la cuisine.
— ... Vous ratez quelque chose. C'est une occasion en or de goûter à sa cuisine ! Et moi, je veux me régaler☆!
— Dis donc, toi, je te trouve bien sans-gêne, aujourd'hui !
Satoko, tu as raison, nous devons lui préparer un bon petit quelque chose.
D'ailleurs, si je me souviens bien, nous avons encore un grand pot avec du kimchi, non ? Tu peux le sortir ?
Non, ça c'est celui pour les gages, il y en a un avec l'étiquette “kimchi spécial mises à mort” dessus.
Je vais faire un pilaf chinois au kimchi ce soir.
Akasaka, ça ira si c'est relevé ?
— Oui, oui,
j'adore quand c'est très épicé !
— Hein ?!!
AH non, non non non, NoooOOOOOOOOoooooooon !
— Ah, et aussi, je crois que les choux à la crème que nous avons au frigo sont périmés.
C'est dommage, mais il va falloir les jeter.
Surtout qu'ils venaient d'une boutique très en vogue de Gogura ! Rah, c'est ballot, quand même...
— Pitié, nooooOOOOooooon !
— Aujourd'hui est décidément un jour étrange,
on croirait entendre des loups dans la montagne...
Peu à peu, la nuit tombait sur ce jeudi 16 juin 1983.
C'était notre dernier essai, notre dernier échiquier, et nous avions de plus en plus de pièces très avantageuses à notre disposition.
... D'ailleurs,
il va falloir que j'arrête d'en parler en ces termes, ce n'est pas très flatteur.
Peu à peu, disais-je donc, la nuit tombait sur ce jeudi 16 juin 1983.
C'était notre dernier essai, notre dernière bataille, et nous avions de plus en plus de gens très compétents qui nous proposaient leur aide.
La première clef de voûte de notre plan, c'était Jirô Tomitake. Dans trois jours, il était censé mourir, assassiné.
Mon Destin se révèlerait donc enfin, dans trois tout petits jours...