— Laissez-moi faire les présentations.
Voici le Commandant Takano.
... Mon Commandant, voici le professeur Kyôsuke Irie.
— Bon-
Bonjour Madame,
Irie, enchanté.
Irie me voyait pour la première fois et avait l'air particulièrement nerveux.
Il devait croire qu'il était chez le chef d'un quelconque groupe mafieux...
— Hmpfhfhf.
Allons, ne soyez pas aussi formel.
Appelez-moi simplement Takano.
— Désolé, Madame.
Je suis très honoré et je vous suis extrêmement reconnaissant pour cette occasion de vous rencontrer.
— Eh bien, asseyez-vous donc, je vous en prie.
Comment décrire l'impression que dégageait Kyôsuke Irie ? Je dirais qu'il était un homme du petit peuple, en fait.
Le genre traditionnel d'homme réprimé par le système d'avancement à l'ancienneté, parfait pour être utilisé et jeté si nécessaire.
Il avait l'air bien moins rusé que moi.
Mais cela ne voulait pas dire pour autant qu'il n'avait aucune ambition.
Lui aussi rêvait de laisser son nom gravé dans l'Histoire. Comme tous les jeunes chercheurs, il voulait faire quelque chose de grandiose.
Il était très modeste et réservé lorsqu'il était en public, mais sa thèse de doctorat présentait des thèmes agressifs et révolutionnaires. Le fossé entre les deux était impressionnant.
— ... Je me suis permis de lire les éléments du dossier sur le syndrome de Hinamizawa.
— Ah oui ? Et qu'en avez-vous pensé ?
— Eh bien... Je suis allé de surprise en surprise, pour être franc.
Le sujet a beau être un nid de guêpes qui pourrait nous faire déraper dans un domaine plus sombre de la médecine moderne, je dois avouer que le fait de me retrouver avec l'un des derniers grands mystères de la science me fait trembler d'excitation. J'ai vraiment eu envie d'en savoir plus !
J'esquissai un sourire.
Il était complètement fasciné par le syndrome de Hinamizawa, et cela se voyait.
J'ai vécu suffisamment longtemps et rencontré suffisamment de gens pour développer une intuition.
Et mon intuition me disait qu'avec lui,
le projet se passerait bien.
Et même s'il n'était pas à la hauteur de toutes mes espérances, il ne risquait pas de me créer des problèmes.
C'était probablement l'homme qui pourrait convenir le mieux aux attentes de nos sponsors.
— Vous savez, je dois vous dire que moi aussi, je suis très surprise.
Vous avez une grande connaissance de votre domaine, et beaucoup d'expérience. Et pourtant, vous n'avez qu'un petit poste dans une pharmacie, alors que vous pourriez faire de grandes choses à un poste ayant plus de responsabilités.
Je pense que c'est une grande perte pour la Science.
— ... Ahaha, allons, n'en rajoutez pas trop non plus...
Il reprit un rire gêné, tentant de détourner la conversation.
Il s'imaginait peut-être avoir gardé le secret sur son passé, mais j'avais en ma possession tous les documents nécessaires pour me faire mon idée sur le personnage.
Je savais pourquoi il avait été relégué dans l'arrière-boutique malgré ses compétences hors du commun.
Il avait fait la démonstration de son talent sous les ordres d'un neurochirurgien de renom. De nombreux espoirs reposaient sur ses épaules.
Mais il perdit la face en défendant ses théories face à la communauté scientifique, et fut expulsé du cercle fermé dans lequel il avait réussi à entrer.
La thèse d'Irie défendait que la plupart des actes considérés comme anti-sociaux
pouvaient être expliqués par des maladies du cerveau.
Il soutenait que l'on ne naissait pas malfaiteur, qu'ils devaient être considérés comme de vrais patients, être soignés et si possible guéris.
Chaque homme naissait “normal”, mais des raisons physiologiques ou psychiques pouvaient intervenir pendant la croissance pour déclencher certaines maladies dans leur cerveau et les rendre mauvais.
Il pensait que les criminels avaient besoin non pas d'une peine de prison, mais d'un traitement. Et si leur maladie pouvait être guérie, alors ils pourraient à nouveau redevenir d'honnêtes gens.
C'était l'un des courants de pensée du confucianisme, qui prônait que l'homme était essentiellement bon.
D'après cette théorie, les hommes naissaient avec l'instinct de faire le bien à leurs semblables. Ils ne devenaient méchants et corrompus que par la suite, au cours de leur vie.
Pour Irie, donc, l'inné et l'acquis étaient clairement définis.
Et il considérait l'acquis comme une maladie.
Toutes les pensées de l'être humain se forment dans le cerveau.
Lorsqu'un être humain souffre mentalement, c'est que son cerveau souffre de maladie. Guérissez le cerveau et cette personne redevient tout à fait normale.
Cette façon de voir les choses s'appelle en médecine la psychochirurgie.
C'est un domaine qui a disparu de la médecine de l'ère Heisei, mais il était encore très en vogue et acclamé jusqu'au milieu des années Shôwa, vers 1955.
On disait que les opérations de psychochirurgie avaient montré des résultats inimaginables sur des patients que l'on pensait condamnés, tous atteints de très lourds troubles psychiques et mentaux. D'ailleurs, le premier chirurgien à avoir opéré un patient avec cette méthode obtint le prix Nobel de Médecine.
C'était une méthode révolutionnaire.
L'être humain est un animal qui pense, et c'est ce qui peut le conduire à souffrir.
D'ailleurs, tout le monde sait que lorsque l'on pense trop à ses problèmes, on peut facilement faire une dépression.
Et lorsque la partie du cerveau dédiée à l'acte même de penser tombe malade, alors cela peut engager un processus qui vous entraînera à l'encontre des conventions sociales.
Et cette partie du cerveau qui vous fait penser s'appelle le “lobe frontal”.
Pour parler simple, une opération de psychochirurgie consiste en l'ablation d'une partie du lobe frontal.
Elle ne nécessite pas d'enlever toute la boîte crânienne.
Il suffit de percer un petit trou dans le crâne du patient et d'introduire par là des bistouris un peu particuliers pour lui enlever un tout petit morceau de ce lobe frontal.
Rien de bien lourd, dans la pratique.
C'est peut-être aussi cet aspect qui rendait ce domaine aussi révolutionnaire.
Ces opérations eurent parfois des résultats absolument miraculeux sur des patients atteints de graves maladies mentales. Cette méthode d'opération, découverte encore avant la guerre, fit le tour du monde en un rien de temps.
Même sur des maladies mentales aux séquelles très lourdes.
Même sur des patients que l'on pensait condamnés à souffrir pour toujours.
D'un seul coup, il devenait possible de sauver tous ces gens.
Le genre humain s'est inventé les religions et les formules magiques pour tenter de guérir ses blessures psychologiques.
Imaginez que d'un seul coup, une opération chirurgicale peut vous donner les mêmes résultats, en mieux.
Est-ce que vous vous rendez compte du choc que cela a été pour les gens d'alors ?
Irie s'est mis à idéaliser la psychochirurgie et ses opérations.
Mais si l'on regarde le processus du point de vue des droits de l'homme, c'est quand même un scandale que de devoir perdre une partie de son cerveau pour un simple problème psychologique.
L'opinion publique se mit à changer au cours du siècle, et aujourd'hui, la psychochirurgie passe pour une pratique inhumaine.
Le lobe frontal n'est pas seulement la partie du cerveau active lorsque nous nous faisons du souci. C'est cette partie du cerveau qui fait que l'être humain est un être humain.
Lorsque l'on enlève un morceau de cette partie, il arrive malheureusement assez fréquemment que les patients perdent certaines choses irrémédiablement.
Certains ne sont plus capables de se faire du souci et sont toujours étrangement heureux.
D'autres se retrouvent avec une personnalité complètement modifiée.
D'autres ne s'intéressent plus à rien.
Certains ne peuvent plus contrôler leurs émotions et en font voir de toutes les couleurs à leur entourage, changeant d'humeur comme le vent pendant la tempête.
Certains perdent la mémoire.
... Et bien sûr, certains en meurent.
À partir des années 1960, la psychochirurgie devint moins populaire,
puis ne fut carrément presque plus pratiquée à cause de l'avènement des médicaments psychotropes.
Mais les défenseurs les plus fervents et les plus chevronnés de cette discipline continuèrent à la pratiquer et à amasser des données.
Dans l'espoir de pouvoir un jour montrer au monde qu'ils avaient raison de croire en ces possibilités.
Et puis, parfois, certaines opérations pouvaient être pratiquées sans l'accord du patient.
Il se raconte que rien qu'au Japon, il y eut plusieurs dizaines de milliers de personnes qui furent tout simplement placées sous anésthésie générale
et qui se réveillèrent avec une partie de cerveau en moins.
Aujourd'hui, cela ne serait plus possible, mais à l'époque, cela ne choquait personne.
D'ailleurs, ce n'est que depuis les années 1990 que l'on demande l'avis des patients avant de les opérer...
Ce qui explique pourquoi à l'époque, personne ne s'est ému du caractère inhumain de ces trépanations forcées.
Mais la question fut un jour posée, et les débats furent houleux.
Au bout du compte, la psychochirurgie fut déclarée comme étant inacceptable, et c'est ainsi que le rideau se referma sur cette discipline.
La décision sera plus tard entérinée par l'académie japonaise de psychiatrie et de neurologie, qui décidera de renier cette discipline.
Depuis, la pratique de la psychochirurgie est interdite au Japon, devenant peu à peu un tabou dans le monde médical.
Or, Kyôsuke Irie était l'étoile montante de cette discipline.
Il pouvait s'enorgueillir d'être efficace et d'avoir une grande pratique en la matière.
C'est pourquoi il fut condamné moralement comme un criminel de guerre ayant perpétré des exactions, et c'est pourquoi il avait été relégué loin de la scène publique.
Mais ce n'est pas pour autant qu'il avait retourné sa veste et qu'il ne croyait plus en ses propres thèses.
Irie restait aujourd'hui encore persuadé que la source de tous les comportements mauvais de l'être humain se trouvait quelque part dans le cerveau et que cela pouvait être soigné.
Et l'existence du syndrome de Hinamizawa, qui parasitait le cerveau humain pour en contrôler les émotions, venait précisément confirmer sa théorie...
— Si vraiment, vous me considérez comme étant suffisamment compétent pour oser participer à ce projet...
alors je dois vous avouer que cette proposition m'intéresse beaucoup et que je l'accepte volontiers.
Évidemment.
Un simple regard sur son curriculum vitæ suffisait pour deviner qu'il ne pourrait jamais refuser une offre pareille.
Il ne fallait pas se fier aux apparences, il avait les envies et les ambitions de son âge.
Et puis, il avait sûrement dû rêver de pouvoir faire un jour des recherches qui viendraient montrer à l'académie des sciences qu'elle s'était trompée sur son compte.
Or, aujourd'hui, une occasion en or de leur en mettre plein la figure se présentait à lui...
— C'est moi qui vous remercie.
Je savais que je pouvais compter sur vous !
Je vous assure que je suis bien contente de voir arriver un spécialiste comme vous pour nous épauler, ce ne sera pas de trop.
— Juste une chose, vous croyez vraiment qu'il est bien raisonnable de me placer à la tête de cet institut ?
Je pense que c'est un honneur qui vous revient de droit,
je ne suis qu'un simple médecin, après tout.
Et puis, je n'ai pas l'expérience pour diriger une équipe...
— Oh, rassurez-vous,
je serai là pour vous épauler dans vos fonctions.
Nos supérieurs désiraient de toute façon avoir une personne ayant la carrure de l'emploi, pas forcément les galons.
Pourquoi, ça ne vous plairait pas de vous faire appeler
“Monsieur le Directeur” ?
Hmphfhfhfhf !
— Non, enfin, si, je veux dire...
Enfin, c'est un peu... Ahhahahahaha, ahaha, haaaa, *ahem*.
Le titre avait beau gêner un peu notre jeune docteur, ça n'avait pour autant pas l'air de lui déplaire autant que ça.
— Les laboratoires de recherche sont actuellement en construction à Hinamizawa.
Officiellement, ce sera une clinique.
Puisque vous êtes prêt à relever le défi avec nous dans cette aventure, ce sera donc la clinique Irie.
— Vous me faites seigneur et maître de mon propre château ?
C'est vraiment beaucoup trop, je vous assure...
— Ah, pour faciliter la paperasserie, vous ferez partie de l'Armée de Terre, vous serez donc médecin militaire.
Et comme vous serez mon supérieur, je pense que vous aurez le grade de lieutenant-colonel.
Lieutenant-Colonel Irie. Comment vous trouvez ça ? Est-ce plaisant à entendre ?
— Ahahahahaha !
Non, vous savez, je n'ai jamais été porté sur les petits soldats.
Quitte à choisir, je préfère encore “Monsieur le Directeur”,
même si honnêtement je ne m'en sens pas vraiment digne.
Ahahaha, non, rien que d'y penser...
C'était une offre d'emploi assez fantastique :
Une chance d'étudier un parasite inconnu du cerveau, à la tête d'une équipe, dans sa propre clinique, avec à la clef le poste de directeur.
Surtout que ces recherches seront financées, avec le soutien de deux ministères du gouvernement qui lui fourniront le nec plus ultra en matériel technologique.
Je pouvais tout à fait comprendre qu'il en eût des trémolos dans la voix.
Oh, bien sûr, il y avait des risques.
Les recherches étant classées secret défense, il était lui aussi tenu au secret presque le plus absolu.
De plus, il devrait vivre dans la zone d'infection du parasite,
prenant par là-même le risque d'être contaminé lui aussi.
Mais il était encore trop jeune pour hésiter face à ce genre de considérations.
Persuadé de pouvoir réussir sa vie et sa carrière grâce à ce projet, Kyôsuke Irie signa d'une main résolue les différentes déclarations sur l'honneur imprimées devant lui.
Ce n'est que lorsque je le vis faire qu'enfin, je sentis la tension s'amenuiser dans mes épaules.
Je savais bien qu'il accepterait probablement ma proposition, mais il y avait bien forcément eu une chance pour qu'il refusât le poste.
Le choix du directeur de l'établissement s'était avéré particulièrement difficile -- il n'y avait guère que lui, parmi les candidats, avec lequel j'avais senti des atomes crochus.
S'il avait refusé l'offre, je dois avouer que je ne sais pas trop comment nous aurions fait.
Mais il avait accepté ; désormais, les recherches sur le syndrome de Hinamizawa allaient pouvoir officiellement commencer.
Le centre de recherche ainsi que la clinique qui lui servirait de couverture seraient terminés pour le printemps prochain.
Le ministère de la Santé ainsi que celui de la Défense avaient rassemblé du personnel compétent et du matériel absolument irréprochable. Et ne parlons même pas des budgets généreux qui avaient été alloués.
Enfin, les choses sérieuses allaient pouvoir commencer.
Les choses suivaient leur petit bonhomme de chemin, sans aucune anicroche.
Ce qui, finalement, était un peu normal.
J'avais fait suffisamment d'efforts et de choses dans l'ombre pour m'assurer du déroulement des opérations...
— Eh bien, c'est tout ce qu'il vous fallait faire pour aujourd'hui.
Toutes mes félicitations, Monsieur le Directeur.
Mon Commandant, tous les papiers sont signés.
— Merci, Adjudant.
Eh bien, j'espère que notre collaboration se fera sans heurts ! Je compte sur vous,
Docteur Irie. Je veux dire, Monsieur le Directeur.
— Oh, mais c'est moi qui compte sur vous,
Madame Takano.
J'espère que nous nous entendrons bien.
Je vous promets de m'investir corps et âme dans cette aventure !
— Mais c'est aussi mon intention.
J'espère que nous saurons faire au mieux.
Enfin, le poste de Directeur était occupé, et le dernier problème fut officiellement résolu.
— AHHAHAHahahahaha !
Ah, tant mieux, tant mieux !
Eh bien vraiment, toutes mes félicitations, Madame Takano.
Oh pardon, je devrais dire “Mon Commandant”, n'est-ce pas ?
Ahahahahaha !
— Jamais je n'aurais pu accomplir tout cela sans votre aide, Messieurs.
Je vous suis infiniment reconnaissante pour tout ce que vous avez fait pour moi.
— Ne nous emballons pas, Messieurs !
Madame Takano ne pourra recevoir nos bravos que lorsque les recherches auront abouti.
Pour l'instant, nous n'en sommes qu'au début de nos peines !
— Et vous avez tout à fait raison !
Mais j'ai bien l'intention de passer tout le temps qu'il faudra pour réussir, et qu'importe le sommeil !
— Vous savez, nous sommes tous un peu impatients de voir jusqu'où vous pourrez pousser ces recherches.
Ahahahahahaha !
— Allons, allons, Messieurs Dames !
Cessons un peu avec les affaires sérieuses !
Nous sommes ici réunis pour fêter la naissance de l'Institut Irie et pour souhaiter bonne chance au Commandant Takano dans ses futurs travaux ! Portons un toast !
— Avant de commencer à boire, je voudrais absolument me présenter.
Je m'appelle Nagata et je travaille au Ministère de la Santé.
Je suis ravi de faire votre connaissance.
— Ah, Madame Takano, n'hésitez pas à lui donner des ordres et à le tuer à la tâche, il est là pour ça !
Ce sont ses laboratoires qui donneront un coup de main à l'Institut Irie pour tout ce qui concerne le côté technique et technologique.
Si vous avez un problème, appelez-le !
— Le tuer à la tâche,
mais vous n'y pensez pas !
Je m'appelle Takano, Miyo Takano.
Moi aussi, je suis ravie de faire votre connaissance.
— Ah, Madame Takano, j'aimerais aussi vous présenter deux personnes.
Voici Messieurs Tomitake et Okonogi.
Ils vous seront affectés directement depuis les troupes de l'Armée de Terre
et seront là pour vous épauler.
— Je suis heureux de vous rencontrer, Madame,
je m'appelle Tomitake.
On m'a désigné comme inspecteur général en charge de ce projet.
J'espère que nous ferons du bon travail ensemble.
Puisque l'Armée mettait la main au porte-monnaie,
il était plutôt normal de la voir se soucier de l'utilisation de toutes ces sommes. D'où la présence de cet inspecteur.
Mais normalement, de par sa nature, cet inspecteur devrait vouloir me mettre des bâtons dans les roues.
Comment se fait-il que cet ennemi potentiel ait été appelé ici, pour cette réception en particulier ?
... Ça voudrait dire que lui aussi est dans notre camp ?
Eh bien, ils ont vraiment pensé à tout. Tous les postes-clef sont pourvus par nos hommes. J'ai vraiment les bonnes personnes derrière moi pour surveiller mes arrières...
— Je ne serai pas en place à Hinamizawa, mais je viendrai vous rendre visite régulièrement pour m'informer de l'avancement des recherches et pour écouter vos éventuelles doléances.
— Et c'est fort dommage, Monsieur,
Hinamizawa est un endroit vraiment très joli. L'air y est pur et les paysages y sont splendides.
Vous devrez venir en dehors de vos missions de temps en temps, je vous assure !
— Ahahaha,
eh bien, ma foi, avec plaisir !
Merci pour l'invitation !
Si de toute manière il est amené à surveiller nos activités, il vaut mieux être en bons termes avec lui.
De plus, si c'est l'Armée de Terre qui continue à financer les recherches, cela veut dire que c'est cet homme qui décidera du montant des sommes allouées...
— ... Okonogi.
Enchanté.
— Il est le chef des Chiens de Montagne -- une troupe formée à l'art de la guerilla.
Il sera en permanence à Hinamizawa et assurera directement votre sécurité.
— Vous serez donc mon garde du corps, si j'ai bien compris ?
— Mes hommes et moi pourrons assurer une protection rapprochée si besoin est, mais aussi effacer des preuves.
Nous exécuterons tous vos ordres, Mon Commandant, alors n'hésitez pas.
— ... Je comprends. Je suis ravie de vous rencontrer.
Si l'on pouvait considérer Tomitake comme un militaire sans histoires, Okonogi était le portrait craché du contraire.
Il a dit qu'il servirait à effacer les preuves, mais j'imagine qu'il verse dans le renseignement et le contre-espionnage.
Oui, ceci expliquait cela. Ça collait avec l'impression qu'il dégageait.
Si l'Armée se met à financer ce projet, cela veut forcément dire qu'il y a une utilisation militaire en vue.
Et donc si ces recherches sont classées secret défense, il faudra se débrouiller pour faire en sorte que personne ne l'apprenne.
Ce qui signifie que nous aurons besoin de ce genre de troupes, forcément.
Et puis, c'était rassurant de savoir que nous aurions une équipe de spécialistes prête à intervenir en cas de pépin.
Oui, il vaut mieux être dans ses petits papiers à lui aussi...
— Bien, bien !
Allez, nous avons assez fait les présentations, il est temps de trinquer !
Allons, M. Tomitake, ne soyez pas assis aussi formellement !
C'est une petite fête privée en l'honneur de l'Institut Irie ! Nous sommes entre nous !
Oui, c'était une fête en l'honneur de l'Institut Irie, et son futur directeur n'avait pas été invité. Quelle farce...
Mais bon, c'était son rôle, après tout.
Il n'était qu'un épouvantail destiné à amadouer les sponsors.
Oh, bien sûr, il était un spécialiste des parasites et je comptais sur ses connaissances, mais il n'était que du vernis, du trompe-l'œil.
J'avais pensé pouvoir réunir ici toutes les personnes sans qui ce projet n'aurait pas abouti pour faire une fête en leur honneur,
mais je me rendis bien vite compte que mes invités avaient retourné les tables -- ils pensaient que j'étais celle qui avait le plus donné, et voulaient tous trinquer en mon honneur.
D'habitude, c'était moi qui remplissais les coupes de saké pour inciter ces messieurs à boire, et aujourd'hui, les rôles étaient inversés.
Plusieurs nouveaux associés essayaient de rentrer dans mes bonnes grâces, avec des manières peu discrètes.
Quant aux habituels cadres supérieurs et gros bonnets du gouvernement, eux qui se tenaient si distants et courtois d'habitude me portaient aux nues en en faisant des tonnes et des tonnes.
Mes recherches s'apprêtaient à prendre leur envol, après avoir obtenu l'accord de très nombreux partenaires.
Je parie que tous ces gens seront les premiers à me tomber dessus lorsque mes recherches auront porté leurs fruits et qu'il faudra distribuer les parts de gâteau.
Enfin, peu m'importaient leurs plans. Pour l'instant, ils m'étaient tous très utiles, et c'était tout ce qui comptait.
— Alors, portons un toast à la création de l'Institut Irie, et à l'espoir de voir Madame Miyo Takano arriver à de grandes choses !
Monsieur Arai ?
À vous l'honneur !
Je me sentais comme dans un rêve.
Oh, je n'étais pas dupe.
J'avais seulement fini mes préparatifs -- la scène était en place, mais je ne devais pas m'en satisfaire et me reposer sur mes lauriers.
Et pourtant, je pourrais simplement boire et oublier un peu tous les problèmes que j'ai eus jusqu'à présent...
Je n'ai jamais été très résistante à l'alcool,
mais je dois dire que ce soir, il avait un goût merveilleux, et plus j'en buvais, plus il me mettait de bonne humeur...
Et puis, c'était flatteur de s'entendre appeler “Mon Commandant” par tous ces hommes, les militaires en tête.
On m'avait expliqué que c'était le même grade que Grand-père avait eu lors de la guerre.
Ce grade était la preuve qu'enfin, j'étais devenue son égale.
Et maintenant, les choses sérieuses commençaient.
Je devais maintenant atteindre des sphères que lui n'avait jamais pu approcher.
Cette nuit s'annonçait comme la plus merveilleuse de toute ma vie...
Je m'excusai en prétextant devoir me repoudrer.
J'étais si contente et si fière de moi que mon cœur allait exploser.
J'avais bien besoin d'un peu d'air frais,
et la brise nocturne était parfaite pour cela.
Notre fête avait lieu dans un endroit séparé du bâtiment principal du restaurant de luxe que nous avions loué.
Les toilettes étant, elles, dans le bâtiment principal, je devais absolument passer par une petite galerie.
Depuis cette galerie, l'on pouvait observer un jardin japonais absolument splendide -- leur jardinier était très méticuleux.
Je remarquai soudain -- comment avais-je pu l'oublier ? -- qu'il pleuvait aujourd'hui.
D'habitude, je trouvais la pluie ennuyeuse, mais aujourd'hui, j'avais l'impression que même elle voulait me féliciter.
Et puis, les gouttelettes de pluie glaçante étaient juste ce dont j'avais besoin -- j'avais chaud comme tout.
Je marchai encore un peu et remarquai que mon corps avait du mal à se maintenir droit.
J'ai dû boire un peu trop.
Ce n'était vraiment pas mon genre d'oublier quelle dose d'alcool je pouvais boire et quelle dose je ne devais pas dépasser...
Je ne pouvais pas me montrer complètement saoule devant les autres invités. Je décidai de rester dans le jardin, sous la pluie si nécessaire, jusqu'à ce que l'alcool cessât de me jouer des tours.
Il y avait quelques chaises élégantes drapées d'un velours rouge écarlate. Je m'y installai.
Enfin seule, je pus réellement me détendre --
une chose impossible lorsque tous les autres avaient été près de moi dans la salle.
Je levai les yeux au ciel. La pluie était toujours forte, mais à l'horizon, le ciel semblait moins gris.
La pluie allait donc bientôt cesser.
... ... Oui, c'est vrai, après tout.
La pluie finit toujours par s'arrêter.
Même la pluie la plus glaciale, la plus battante, la plus gifflante, la plus cinglante,
finit toujours par se calmer.
Mon regard se promenait au sol lorsqu'il vit des sandales et un petit parapluie.
... C'était une invitation.
Je décidai de faire quelques pas dans le jardin.
Les rires gras et ridicules de la fête me semblaient s'éloigner.
Je plaçai le parapluie légèrement de côté et regardai le ciel.
La pluie battit mon visage, sans aucune pitié.
Mes cheveux étaient mouillés et le seraient encore plus si je restais ainsi, mais je n'en avais cure. Je fixai longuement le ciel, stoïque, sous toute cette pluie, hébétée, oubliant le temps...