... ... Tiens ?

Mais...

c'est quoi, ça ?

Je n'avais même pas remarqué ce tout petit morceau.

Les fragments sont parfois fissurés ou brisés ; c'était donc probablement un éclat que je tenais là.

Ces petits morceaux contiennent de tout petits éléments du Destin. C'est ce qui explique que parfois, un événement que l'on pense inévitable ne se produit pas.

Ces fragments de destin dont il manque un éclat peuvent prendre une tout autre tournure.

Il serait intéressant de savoir d'où vient cet éclat...

Je le ramassai précautionneusement

puis tentai de l'accoler ou de l'imbriquer dans les fragments déjà à ma disposition.

Je n'arrivais pas à grand'chose, quand soudain, prise d'inspiration,

je repris en main le fragment du quatrième tome.

Ce fragment avait une forme bizarre, je le savais bien.

J'essayai plusieurs angles...

...

...

...

...

Là !

Regarde, ça passe !

... Je me demande bien ce que l'ajout de cet éclat

a changé dans l'histoire...

Tu crois qu'il pourrait avoir... déclenché un miracle ?

Le monde était bizarre, comme dans un miroir déformant.

Probablement une distortion dans la couche transparente, puisque je n'ai fait qu'accoler les deux morceaux.

Mais je pouvais quand même distinguer quelque chose...

D'après le calendrier, je voyais les années 60 et quelque chose de l'ère Shôwa.

... Cela se passait donc quelques années après la mort tragique de Rika Furude et de tous les autres.

*Tschh*

Un faible signal retentit dans mon écouteur.

Nîmi

— À toutes les unités.

Le chef veut vous parler, alors ouvrez bien vos esgourdes.

Chef

— Messieurs.

Le commissariat local nous a accordé quinze minutes, et pas une de plus. Alors soyez efficaces !

Ne laissez partir personne !

Parmi nos cibles, il y a un diplomate.

Chef

Il ne doit pas savoir que nous sommes de la Police, arrêtez-le sans autre forme de procès !

Mais ne le frappez pas, c'est compris ?

J'ai pas envie de déclencher une crise diplomatique !

Nîmi

— C'est un petit enfant de salaud qui fricotte avec les gangs armés du coin, et il a l'immunité diplomatique.

Il se fait du fric avec les Yakuza, en faisant emprunter les pauvres à des taux faramineux et en se faisant payer en nature ou en filles pour alimenter les bars à putes.

Nîmi

D'après nos sources à l'ambassade, il recrute surtout des gamines de moins de dix ans.

Détective

— ... Espèce de sale merde...

Normalement, c'était une banale histoire de violence en bande armée.

Mais comme l'un des suspects à appréhender était un diplomate de là-bas, la situation était très délicate.

S'il avait l'immunité diplomatique, nous n'avions pas le droit de l'arrêter.

Mais nous savions que c'était un gros poisson, et qu'il assurait les liens commerciaux entre leurs organisations criminelles et les nôtres.

Nous ne pouvions pas nous permettre de le laisser filer.

Alors bien sûr, nous pouvions très facilement demander à le faire expulser, mais ça ne servirait à rien.

Nous avions demandé la collaboration des services de l'ambassade, mais ils avaient refusé.

Et depuis, la situation était bloquée.

Et alors que nous nous demandions quoi faire comme concessions pour les négociations, nous avions appris qu'une vente importante de technologies militaires allait avoir lieu : des radars et des missiles, principalement.

Pour prévenir la fuite de matériel top secret hors du Japon, la D.S.T. avait décidé de faire une opération coup de poing.

Et cette opération, c'était aujourd'hui...

Nîmi

— Deux gardes devant les escaliers de l'entrée de devant.

Deux autres à l'entrée en bas.

Quatre devant l'entrée de derrière.

Ils sont probablement tous armés de pistolets.

Détective

— Deux gardes de plus que d'habitude, donc.

Nîmi

— Bah, il mettra juste deux secondes de plus à entrer, c'est tout.

Tu sais, il rigole pas, lui...

Chef

— Akasaka, tu m'entends ?

Tu es responsable de l'entrée dans les bâtiments.

Fais TRÈS attention !

Messieurs, bonne chance. Allez-y !

Akasaka

— ... Ici Akasaka, bien reçu.

Je commence l'opération.

Une silhouette apparut nonchalamment au bout de la rue, entrant dans la longue rue chinoise de Yokohama.

C'était Mamoru Akasaka, mais il ne dégageait plus cette impression du débutant lancé pour la première fois dans une mission d'importance.

Lorsqu'il s'approcha de l'entrée du club souterrain, il fut arrêté par les gardes, qui lui parlèrent avec un fort accent étranger.

Garde

— Ici,

c'est club privé.

Honorable jeune homme,

toi avoir carte membre ?

Akasaka

— ... ...

Akasaka sortit en silence la carte de membre depuis la poche intérieure de sa veste.

C'était un genre de truc très difficile à falsifier. Ils n'avaient réussi à s'en procurer qu'une seule.

C'est pourquoi ses chefs l'avaient choisi lui pour l'infiltration.

Voyant qu'il avait une carte de membre apparemment normale, les gardes lui firent signe du menton qu'il pouvait descendre.

Nîmi

— ... Akasaka est passé.

Il descend les escaliers !

Kanô

— Allez, Akasaka...

En bas des escaliers, après un petit couloir, il y avait une porte richement décorée.

De minuscules lumières aux couleurs criardes l'enluminaient, preuve tacite que c'était l'antre tant cherchée.

Garde

— Bien le bonjour, Monsieur.

Puis-je voir votre carte de membre ?

Akasaka

— ... ...

Le garde le plus proche de l'entrée prit la carte et la passa dans un lecteur accroché au mur.

... *Baaaaap*

Erreur.

Akasaka sentit une goutte sur son front.

Le garde, sans trop se poser plus de question, repassa la carte dans le lecteur -- la situation devait arriver plutôt régulièrement.

... *Baaaaap*

*Baaaaap*

Nîmi

— ... On dirait qu'Akasaka a un problème à l'entrée...

Kanô

— Me dites pas que l'encryptage de leurs cartes à été changé ?

Kanô

— S'il se retrouve attaqué, on change de stratégie.

Vous foncez dans le tas et vous me le récupérez, je veux garder Akasaka en vie !

L'autre garde commença à regarder son collègue avec un regard de plus en plus sérieux.

De la main droite, il alla lentement chercher quelque chose dans sa poche intérieure. Il avait probablement un pistolet là-dessous...

... *Ting dong ting dong*

Avec un bruit un peu ridicule, contrastant fortement avec l'atmosphère tendue entre les trois hommes, le lecteur de carte alluma une diode verte.

On entendit alors un lourd mécanisme se libérer, et la porte s'ouvrit.

Garde

— Je m'excuse de vous avoir fait attendre.

Prenez donc la peine d'entrer.

L'autre garde enleva la main droite de sa veste pour tirer la porte à soi et ouvrir le passage.

À l'intérieur, des lumières stroboscopiques de toutes les couleurs agressaient les yeux, tandis que la musique résonnait très fort, agressant les oreilles.

Un garde en costume hors de prix arriva alors depuis l'intérieur et accueillit Akasaka avec le plus grand respect.

Le premier objectif d'Akasaka était atteint.

C'était le signal au reste des troupes pour entrer en force, mais en même temps, cela marquait le début des difficultés. Akasaka était tout seul ici, c'était donc très dangereux pour lui.

Cette porte était le plus gros obstacle à l'opération policière.

Elle se fermait automatiquement à clef dès qu'elle était refermée.

Elle était très épaisse et conçue pour résister aux assauts de l'extérieur.

C'est pourquoi l'un des agents devait absolument faire ouvrir la porte et la garder ouverte pendant la dizaine de secondes nécessaires aux autres unités pour s'introduire dans le bâtiment.

Et c'était Akasaka qui avait été choisi pour remplir cette mission cruciale.

Kanô

— ... Ici Akasaka.

J'ai réussi à ouvrir la porte d'entrée.

Chef

— FONCEZ !

En face du bâtiment où était entré Akasaka, deux grands camions de déménageurs étaient garés bien proprement.

Mais ce n'était qu'une couverture.

La porte de la cargaison de l'un des camions s'ouvrit à la volée, et des dizaines d'agents en civil en sortirent.

Il se passait la même chose près de la porte arrière du bâtiment.

Les gardes dans la rue remarquèrent bien sûr tout de suite qu'il y avait un problème. Ils sortirent immédiatement leurs pistolets, mais des “passants innocents” les attaquèrent par derrière pour les désarmer. Tout fut terminé en une seconde.

Les dizaines d'hommes en civil coururent tous vers les escaliers, dans le silence le plus total.

L'étroitesse des escaliers était désormais le plus gros obstacle qu'il leur restait à surmonter.

Ce spectacle étrange était forcément visible depuis les caméras de surveillance.

L'équipe de sécurité comprendrait ce qu'il se tramait en quelques secondes.

Et elle n'aurait qu'à appuyer sur un seul bouton pour faire fermer la porte et barricader le bâtiment.

C'était la principale raison pour laquelle quelqu'un devait sécuriser un accès à la porte d'entrée avant l'assaut.

Soudain, les deux gardes à côté d'Akasaka remarquèrent les bruits de pas beaucoup trop nombreux et se retournèrent.

De même, le garde intérieur jeta un œil à ce qu'il se passait.

L'attention des trois gardes passa d'Akasaka à un point plus lointain, vers les escaliers.

Celui-ci remarqua ce changement dans leur attitude.

Akasaka prit alors une grande inspiration, puis la retint.

Soudain, les deux gardes semblèrent être propulsés sur les côtés au ralenti, dans des poses très bizarres.

Akasaka savait exactement où les deux gardes extérieurs se trouvaient.

Il n'avait pas besoin de les voir pour savoir où frapper !

Il leur plaça un coup de poing formidable sur la base du bulbe rachidien, au millimètre près.

Il était surentraîné, et n'avait pas la moindre pitié pour les malfrats. Ses collègues surnommaient ses poings “les balles anti-chars” !

Il se repositionna à la vitesse de l'éclair.

L'éclairage stroboscopique donnait à la scène un côté irréel.

Le garde en face de lui ne comprenait certainement pas ce qu'il se passait.

Il comprit que ses deux compagnons étaient en train de tomber, et chercha Akasaka des yeux, ne le trouvant nulle part -- puis il baissa les yeux et le vit ramassé sur lui même, prêt à frapper.

C'est alors que le Temps reprit son cours normal !

Le garde en costume fut violemment propulsé au plafond du couloir, puis jeté avec force à terre.

Une fois bloqué à l'hôpital, il se repasserait cette scène sans cesse pendant qu'il essaierait de manger sa nourriture fluide. Comment lui avait-il cassé la mâchoire ?

Par un coup de poing ou un coup de genou ?

À terre, l'homme roula légèrement à cause du contrechoc et son corps se retrouva dans l'embrasure de la porte, l'empêchant de se refermer. Akasaka sut qu'il n'avait plus besoin de maintenir la porte ouverte.

Akasaka

— ... Ici Akasaka, j'entre dans le club.

Kanô

— Attends, Akasaka !

Attends les renforts !

AKASAKA !

Même malgré la musique si forte, les gens à l'intérieur du club comprirent tout de suite qu'il se passait quelque chose d'anormal.

Akasaka

— Tous à terre !

Lorsqu'Akasaka hurla cet ordre, il y eut immédiatement des cris de peur.

Les gens du petit peuple, persuadés de ne rien faire de mal, se mirent immédiatement à ramper par terre pour prouver leur bonne foi.

Mais les autres gardes présents dans le club affluèrent vers Akasaka pour stopper sa progression !

Il vit alors un groupe de gardes qui escortaient un homme vers la sortie arrière, comme pour le protéger d'éventuelles balles perdues.

Akasaka expulsa un peu d'air, reprit une inspiration, puis repassa à l'action !

Il bondit sur l'une des tables et fit valser du pied des bouteilles de vin qui coûtaient chacune plus que son salaire mensuel, ainsi que plusieurs verres à whisky contenant des glaçons prélevés dans quelque glacier éternel.

Un homme imposant, probablement un ancien boxeur américain, se dressa devant Akasaka pour lui barrer la route,

et se mit à l'insulter dans un langage approximatif pour le mettre au défi.

Manque de chance pour lui, celui-ci ne le regardait pas, et ne semblait pas intéressé le moins du monde.

Akasaka se mit en position et lança son poing, tout droit ; le boxeur remonta ses bras pour parer, ce qui était seulement destiné à impressionner l'adversaire.

Sauf que cela n'eut pas du tout l'effet escompté, puisque le poing d'Akasaka brisa les deux avant-bras du boxeur comme si de rien n'était !

Celui-ci baissa les bras dans un hurlement de douleur, et Akasaka en profita pour lui placer son poing gauche en pleine figure !

Heureusement pour l'ancien boxeur,

Akasaka était droitier.

Il s'en tira avec une simple fracture au niveau de l'orbite de ses yeux...

Un homme s'approcha à toute vitesse par derrière, pensant pouvoir saisir sa chance.

On peut vaincre n'importe qui en attaquant dans le dos !

Les gens sont concentrés sur ce qu'il se passe devant eux, ils laissent leurs arrières grandes ouvertes !

Mais malheureusement, cela ne serait vrai que dans l'éventualité où effectivement, Akasaka serait concentré sur ce qu'il se passait devant lui.

Or, ce n'était pas le cas.

Il entendait son adversaire approcher,

et il savait où il se trouvait par rapport à lui.

Et il avait survécu à suffisamment de bagarres avec des crapules pour savoir qu'ils adoraient vaincre par le nombre ou en attaquant par derrière !

Il retira son poing gauche du crâne de son adversaire.

Puis, dans le même mouvement, il prit appui sur sa jambe droite pour lancer sa jambe gauche et frapper l'homme derrière lui !

Après un arc grâcieux, on entendit un bruit sourd, horrible. Le coup porté avait brisé le nez de l'agresseur.

Mais Akasaka ne s'arrêta pas là.

Il baissa sa jambe gauche et y prit appui pour lancer un coup de poing sur le côté du crâne !

L'agresseur fut propulsé vers le mur,

et retomba violemment au sol, puis ne bougea plus.

Akasaka expira et reprit une inspiration.

Les autres gardes le regardèrent, sidérés. Était-ce une illusion d'optique créée par les stroboscopes ? Ils avaient l'impression de voir un sourire de psychopathe sur ses lèvres.

Ils surent instantanément qu'ils ne devaient surtout pas lui barrer le passage.

Ils étaient payés pour se battre contre toute personne humaine qui viendrait, mais ce mec, là, il n'avait pas l'air humain !

Leur salaire ne couvrait pas ce cas de figure !

Puis, d'un seul coup, les renforts d'Akasaka entrèrent enfin dans le club.

... Enfin, le mot “enfin” n'était peut-être pas juste envers eux.

Ils avaient couru depuis les escaliers jusqu'ici, mais tout s'était passé en un éclair.

Akasaka avait mis le temps nécessaire à deux respirations pour terrasser cinq adversaires armés !

Akasaka

— Tous au sol, les mains derrière la tête !

Si vous résistez, vous serez abattus !

L'action fulgurante d'Akasaka avait complètement changé la donne.

Les chefs de gang comprirent qu'ils ne s'en sortiraient pas et suivirent eux aussi les ordres donnés. Tous, sauf un, qui se mit à rire et à pavoiser.

Diplomate

— Si toi me toucher, toi bien embêté !

Crise diplomatique !

Sans se démonter, Akasaka s'approcha de lui, le saisit par le col de sa chemise, et lui claqua la tête contre un mur en béton.

Diplomate

— Vous, vous êtes flics !

J'ai immunité diplomatique !

Je suis diplomate !

Akasaka

— Ah ouais ? Je suis content pour toi.

Combien tu gagnes ?

Diplomate

— Il y aura incident diplomatique !

Ramenez immédiatement à l'ambass-

AAAAAAaaaaaaah !

Avec un cri féroce, Akasaka frappa du poing droit dans le mur, à moins d'un centimètre de la tête du diplomate.

Sans attendre, il frappa de l'autre poing aussi dans le mur, toujours à quelques millimètres de sa cible. Il lança toute une suite de coups, sept en tout, en à peine une poignée de secondes, et laissa deux petites craquelures dans le mur.

Chacun des coups qu'il venait de porter aurait pu tuer le diplomate, et celui-ci sembla s'en rendre compte.

La peur au ventre et la vessie soudain prête à exploser, l'homme glissa dos au mur, sans aucune force, terrorisé.

Diplomate

— ... ade...

Akasaka

— Ici Akasaka.

La cible est capturée.

Alors, les hommes de la D.S.T. procédèrent à une fouille en règle du club. Ils découvrirent assez vite un couloir secret qui servait à prendre la fuite.

En le longeant, ils découvrirent plusieurs caisses de kalachnikovs. Si Akasaka n'avait pas agi comme il l'avait fait, la D.S.T. aurait pu ne pas les retrouver, mais surtout, les fuyard auraient pu s'en servir et tuer plusieurs personnes.

Heureusement, la situation avait été réglée sans que personne n'eût le temps de tirer une seule balle...

Kanô

— ... Embarquez tout le monde !

Vite !

Les flics ne vont pas tarder à arriver, on doit déguerpir !

Tout le monde dans les camions, vite !

La Police n'avait pas le droit d'être vue ici.

Il y avait un diplomate parmi les gens arrêtés.

Officiellement, il aurait été pris à partie dans une guerre entre deux familles rivales de Yakuza.

Le menu fretin serait libéré sur un parking, et la cible rendue à la Police nationale.

Bien sûr, entre temps, la D.S.T. l'aurait fait parler.

Ce soi-disant “diplomate” servirait à une autre cellule dans ses négociations.

De toute façon, il y avait largement assez de preuves pour l'inculper, ne serait-ce que de trafic d'armes.

L'ambassade voudrait certainement éviter un blâme officiel, cet homme serait donc éliminé, d'une manière ou d'une autre, mais c'était désormais le problème de quelqu'un d'autre.

Le boulot de la D.S.T., c'était juste de faire le ménage dans les endroits où la Police n'arrivait pas à passer.

Kanô

— Comment va Akasaka ? Pas blessé ?

Akasaka, réponds-moi !

Akasaka

— ... Ici Akasaka.

Je me replie.

Kanô

— T'as encore fait ton super-héros, hein ?

Je te veux dans le bureau du chef dès que tu rentres !

Nîmi

— C'est vraiment un monstre, Akasaka.

T'as vu ça ? Il s'est fait cinq mecs en une seconde, bordel !

Détective

— C'est pas du karaté qu'il fait.

Je sais pas comment l'appeler, mais c'est redoutable...

Nîmi

— N'empêche, ils ont eu de la chance de pas avoir eu le temps de dégainer.

Connaissant Akasaka,

il les aurait criblés de balles dans la tête...

Akasaka

— Bon eh, les gars, je vous entends parler sur mon dos, hein !

Je suis pas un tueur à gages.

Je fais juste pas de cadeau aux malfrats que je croise, c'est tout.

Les saligauds qu'ils avaient coincés n'étaient pas de simples criminels. Ils avaient fait des choses vraiment répréhensibles, encore et encore, depuis longtemps.

Akasaka les frappait généralement aussi fort qu'ils le méritaient.

Plus leurs crimes étaient grands, et plus il frappait fort, sans la moindre hésitation !

Kanô

— Mettez-moi ces porcs dans le camion !

Akasaka, fais accélérer le mouvement !

Le commissariat du coin a été prévenu !

Akasaka

— ... Ici Akasaka, bien reçu.

Allez les gars, vous avez entendu, magnez-vous !

Nîmi

— Oui, Chef !

Ah, eh les gars, vous nous recevez ? On a cinq suspects qui ont besoin de soins.

Tenez-vous prêts !

Akasaka n'était plus le jeune bleu qui avait été envoyé à Hinamizawa.

Il était devenu un membre d'élite des forces d'intervention...

Au fond d'un dojo très sombre, sentant la sueur et la moisissure, on pouvait voir Mamoru Akasaka en kimono d'entraînement.

Le dojo lui même était situé dans un immeuble délabré du quartier chinois de Yokohama. Il n'occupait qu'une seule pièce, et il n'était pas bien grand, ni bien équippé.

À première vue, rien n'expliquait la présence d'Akasaka ici précisément.

Il n'y avait que peu d'élèves -- ils n'étaient en tout que quatre, et encore, Akasaka inclus.

... Et pourtant, il avait choisi depuis longtemps maintenant de venir s'entraîner ici et pas ailleurs.

Pour Akasaka, le karaté était bien sûr une arme servant à incapaciter ses adversaires, mais c'était plus que ça. Il y cherchait encore autre chose.

Et pour trouver ce qu'il cherchait au juste, il ne pouvait pas rester dans ces nouveaux dojos si populaires, peuplés de jeunes écervelés avides de combats.

Il avait traîné ses guêtres dans plusieurs dojos avant de choisir celui-ci.

Parfois, on entendait résonner dans la pièce un bruit sourd, suivi du cliquetis de chaînes. C'était Akasaka qui frappait sur un sac de sable.

Il ne frappait pas rapidement, ni au hasard.

Il s'y préparait longtemps, puis d'un seul coup,

le coup partait !

Le son était très grave, tellement qu'on aurait plutôt dit une vibration très basse.

Des gouttes de sueur tombèrent en pluie, et la poussière du sol se déplaça en volutes, attirée vers son bras, ce qui en disait long sur la puissance de sa frappe.

C'était un coup presque parfait, qui annihilerait n'importe quel adversaire.

Et pourtant, Akasaka ne semblait pas satisfait.

Il ferma les yeux, se remit en position, et recommença à travailler sa respiration, ses mouvements, sa concentration. Alors que l'on distinguait à nouveau, dans le silence de la salle, le chant des cigales du dehors,

un nouveau coup partit.

Un novice n'y verrait rien de bien folichon. Il aurait peut-être même envie de se moquer.

Mais les autres élèves qui le regardaient du coin de l'œil, eux, se rendaient bien compte de l'énormité du travail fourni. Ils avaient peur de lui, et en même temps, beaucoup de respect.

Disciple

— ... J'ai entendu dire qu'il était dans la police...

Disciple

— Putain, déconne pas,

si c'est lui qui patrouille dans les rues, je me range tout de suite...

Disciple

— Regardez-le, quelle concentration, purée !

Il sait ce que c'est, la fatigue, ou pas ?

Les jours où il n'était pas en service, Akasaka venait ici et s'entraînait depuis les premières lueurs de l'aube jusqu'au soir,

dans le silence le plus total.

Il paraissait évident qu'il n'entraînait plus son corps, mais son esprit.

Et c'était sa concentration hors du commun qui était le secret de sa force.

Mais pour en arriver là, ce n'était pas facile.

Un être humain vivant a l'esprit occupé par des tas de choses différentes.

Il était quasiment impossible de chasser toute pensée de son esprit. Pour réussir cela, il fallait aller plus loin que l'art martial. Il fallait atteindre la plénitude.

Et pour atteindre la plénitude, les êtres humains essayaient de nombreuses méthodes.

Le passé avait prouvé qu'il n'y avait pas qu'un seul chemin jusqu'à la plénitude.

Il suffisait d'en choisir un et de s'y tenir,

contre vents et marées, tout simplement.

Et Akasaka avait choisi le karaté...

Disciple

— J'ai entendu dire que...

En fait, il est marié, mais sa femme est morte.

Et c'est pour oublier qu'il a commencé le karaté.

Disciple

— Ah ouais ?

Parce que moi, j'ai entendu autre chose.

Il paraît que pendant l'une de ses missions, il n'a pas réussi à sauver une gamine, et que depuis il s'en veut...

Akasaka

— ... Eh les gars, je vous entends, je vous signale.

Puisque vous ne savez pas quoi faire pour vous occuper, entraînez-vous un peu.

Disciples

— OUI, M'SIEUR !

Une petite alarme électronique se fit entendre.

La montre de quelqu'un sonnait midi.

Disciple

— Ah, M. Akasaka ? On va se prendre des paniers-repas,

je vous en prends un aussi ?

Akasaka

— ... Ouais, c'est gentil.

Tu peux prendre n'importe lequel, j'm'en fous.

Merci.

En fait, Akasaka se réjouissait surtout de savoir qu'ils quitteraient le dojo -- au moins, il aurait enfin un peu la paix.

Ils remirent leurs chaussures et sortirent au pas de course. Le dojo fut alors plongé dans un silence assourdissant...

Akasaka

— ... Eh merde.

Moi aussi, je suis con, je sais bien que si je discute avec les gens, je ne peux plus me concentrer...

En même temps, si les discussions des autres gênaient autant sa concentration, c'est qu'il avait encore fort à faire.

L'entraînement serait encore long avant d'arriver à la béatitude.

Il se ressaisit et se remit à frapper le sac de sable devant lui, mais rien qu'au bruit, il était clair qu'il n'était plus du tout aussi concentré qu'avant. Il frappait beaucoup moins fort.

Akasaka comprit que rien n'y ferait et qu'il devait faire une pause. Il sortit une serviette de son sac de sport et s'assit par terre.

Les cris des grillons semblèrent vouloir le prendre dans leurs bras.

La fenêtre était ouverte, mais le dojo était construit de façon à ne pas laisser de courant d'air se créer. Elle ne rafraîchissait donc pas grand'chose.

Et pourtant, Akasaka sentit bien un tout petit vent frais sur son front, et pour lui, c'était largement suffisant.

... La raison pour laquelle il avait commencé le karaté,

ils en avaient parlé tout à l'heure.

C'était la mort de Yukie.

Bien sûr, il y avait aussi une raison professionnelle, puisque son inexpérience avait failli lui coûter la vie pendant son enquête sur l'enlèvement, mais c'était surtout la mort de sa femme qui avait motivé sa décision.

Yukie était morte à l'hôpital, alors qu'il était en mission à Shishibone, en tombant dans les escaliers.

Incapable de surmonter sa tristesse, il avait décidé de faire du karaté.

Mais en juin 1983...

... lorsque la catastrophe naturelle de Hinamizawa s'est déclarée,

il s'était rendu compte qu'il avait oublié quelque chose de très important...

Il avait oublié une petite fille, une petite fille qui lui avait prédit la mort de sa femme, une petite fille qui avait prédit sa propre mort.

Et cette petite fille lui avait demandé de la protéger.

La mort de sa femme avait été un accident.

Il n'aurait rien pu y faire, de toute façon.

Mais la mort de cette petite fille était différente.

Rika Furude avait annoncé sa propre mort plus de cinq ans avant la catastrophe.

Il s'était alors souvenu de Kuraudo Ôishi, un vieux policier qui l'avait épaulé à l'époque,

et lorsqu'il lui avait demandé si la gamine allait bien...

...

...

...

Il avait appris la vérité, et il avait compris qu'elle avait réellement su.

Il fut alors assailli de remords, qui ne le lâchèrent plus jamais.

Sa rencontre avec la petite Rika Furude avait été un embranchement dans sa vie.

S'il avait daigné croire en ses prédictions et s'il avait agi en conséquence, Yukie ne serait pas tombée dans les escaliers de l'hôpital ce jour-là.

Au lieu de ça, il n'avait même pas su comprendre la détresse d'une petite fille, lui qui avait pourtant choisi d'être dans la Police pour sauver la veuve et l'orphelin. Il avait eu cinq ans pour se rendre compte de ce qu'il fallait faire, et il n'avait rien vu... Et la petite fille était morte.

Oui, lorsqu'il avait été envoyé à Hinamizawa pour enquêter sur l'enlèvement du petit-fils du ministre du développement urbain,

il avait été à la croisée des destins.

Et s'il avait daigné écouter cette petite fille...

... sa femme Yukie ne serait pas morte.

Et il aurait pu retourner là-bas pour sauver Rika Furude.

C'étaient ces deux remords qui le rongeaient de l'intérieur

depuis toutes ces années...

M. Ôishi lui avait raconté un peu les affaires des meurtres en série de Hinamizawa. Elles avaient été éclipsées par la catastrophe naturelle, mais elles présentaient des aspects qui rappelaient, sans aucun doute possible, une conspiration de grande envergure.

S'il voulait aider à résoudre ces affaires, il lui fallait beaucoup plus d'expérience, et surtout la force nécessaire pour affronter n'importe quel adversaire.

Aujourd'hui, il s'entraînait jour et nuit pour atteindre ce niveau, mais...

il était trop tard, de toute manière.

Le malheur était déjà arrivé...

Lorsqu'il avait parlé de cela au vieil instructeur qui tenait ce dojo, celui-ci s'était moqué de lui.

“À quoi bon ressasser des événements auquels tu ne peux plus rien changer ?

La seule chose à faire,

c'est de t'entraîner, encore et encore, pour être prêt la prochaine fois que tu rencontreras cette situation, et pour faire la différence, cette fois-là.”

Mais il était trop tard.

Beaucoup, beaucoup trop tard.

Yukie était morte dans cet accident.

La catastrophe naturelle de Hinamizawa avait tué tous les habitants du village.

Quant à Rika Furude, elle avait été tuée, puis on lui avait ouvert le ventre et retiré les intestins...

Putain de MERDE !

J'ai perdu la tête à cause de la mort de ma femme, et j'en ai oublié de sauver une gamine que j'aurais pu sauver !

D'ailleurs, si je l'avais écoutée, cette gamine, j'aurais même pu sauver ma femme !

Je ne pouvais pas abandonner !

Je ne pouvais pas faire un trait sur ça !

Bordel de merde...

La tête entre les mains, Akasaka releva la tête, les yeux enlarmés, plein de rage.

Au loin, devant lui, il vit un petit autel shintoïste, censé offrir une protection divine à ce lieu.

Akasaka n'était pas spécialement pieux, et il n'avait jamais demandé aux dieux de sauver son âme de ses tourments, pas une seule fois dans sa vie.

... Et pourtant, la première chose qui lui passa par la tête en voyant cet autel fut de prier.

Il avait pour habitude de faire lui-même ce qu'il pouvait faire.

Mais ici, il ne pouvait plus rien faire. C'est pourquoi il lui fallait demander de l'aide aux dieux.

Il fit un vœu, un vœu plutôt égoïste.

Si ce genre de vœux étaient régulièrement exaucés, tous les êtres humains prieraient nuit et jour avec ferveur.

Akasaka

— Je vous en supplie...

Permettez-moi de remonter le fil du Temps.

Je vous promets que si je le pouvais...

alors, je vous jure que...

je les sauverai !

Soudain, son corps devint très léger.

Non, disons plutôt qu'il perdit le sens de l'équilibre.

Un peu comme lorsqu'il se relevait trop vite et qu'il avait des boules de lumières qui picotaient dans son champ de vision.

C'était peut-être à cause d'un manque d'oxygène au cerveau, son corps fatigué n'arrivait plus à suivre.

Et pourtant, il n'arrivait pas à détourner le regard de l'autel...

Hanyû

— ... Merci, Akasaka.

Nous avions besoin de tes regrets sincères.

... Était-ce un mirage provoqué par ce manque d'oxygène ?

Akasaka eut l'impression d'entendre quelqu'un parler avec lui, quelqu'un qu'il n'avait jamais rencontré.

Hanyû

— Nous avons cru en un miracle.

Mais puisque tu ne joignais jamais tes espoirs aux nôtres, le miracle ne s'accomplissait jamais.

Hanyû

Il faut que tout le monde croie en notre salut pour déclencher les miracles, absolument tout le monde.

Hanyû

Si tu ne cherches pas à saisir la main tendue, personne ne peut t'aider.

Il ne comprenait pas ce que cette voix disait,

et pourtant, il savait qu'il devait y prêter attention.

Cette voix lui disait quelque chose d'extrêmement important, il le savait, il le sentait...

Hanyû

— Akasaka.

Hanyû

Si tel est ton désir, alors nous pouvons t'accorder ce miracle.

Hanyû

Tu peux nous accorder ce miracle.

Hanyû

Nous pourrons assembler cet éclat perdu à un autre fragment, et ainsi créer un fragment d'une nature complètement différente.

Hanyû

C'est ta décision, mais sache que la décision que tu prendras aura une influence capitale sur nous tous.

Akasaka

— Alors...

est-ce que vous voulez bien faire revenir le Temps en arrière ?

Hanyû

— Non, Akasaka,

Hanyû

cela n'est pas en notre pouvoir.

Hanyû

Mais je peux faire en sorte que tu te rendes compte de tes erreurs à temps.

Hanyû

En apportant tes regrets et tes connaissances depuis ce fragment, tu pourras te les enseigner à toi-même dans un autre fragment.

Hanyû

Je ne ferai que replacer cet éclat là où il se doit d'être.

Mais je pense que cela suffira à produire un miracle.

Même si je doute fort que tu pourras t'en rendre compte.

Merci, Akasaka.

Merci de t'être souvenu de moi, même après toutes ces années.

Je ne sais pas combien de temps au juste j'aurais finalement attendu ton aide.

Mais aujourd'hui, enfin, je vais l'obtenir.

Alors laisse-moi te le demander encore une fois.

Je t'en supplie, viens me...

Non, pardon.

Viens nous sauver.