Je m'appelle Satoko Hôjô.

Enfin, ce n'est pas tout à fait vrai, Hôjô est simplement le nom de mon père actuel.

Lorsque j'avais un père différent, je portais d'autres noms. Je fus autrefois Satoko Hatano, puis Satoko Yoshizawa. Il me souvient même d'une époque où l'on m'appelait Satoko Matsu'ura.

C'est pourquoi il est fort probable que je ne réagisse pas si vous m'appelez simplement “Hôjô”.

Par contre, dites “Satoko” et je penserai immédiatement que c'est de moi dont vous parlez.

Il faut dire aussi que c'est la seule partie qui fut toujours commune à tous mes noms, depuis ma naissance...

Je dois vous avouer ne pas trop comprendre pourquoi ma mère alterne les mariages et les divorces à cette fréquence si effrénée.

Si c'est pour divorcer juste après, à quoi bon se marier ?

Et quitte à vouloir absolument se marier, pourquoi divorcer par la suite ?

J'ai posé la question plusieurs fois à ma chère mère, mais selon la situation, j'obtins des réponses différentes.

Lorsque je lui posais la question lors d'un mariage, elle s'énervait et me grondait.

Lorsque je lui posais la question lors d'un divorce, elle se mettait à pleurer à chaudes larmes.

Je ne comprends pas trop ce “mariage” dont les gens font toujours si grand cas.

C'est pourquoi je ne m'intéresse point aux robes de mariées et autres voiles nuptiaux, quand bien même toutes les autres filles de mon âge en dessinent régulièrement avec leurs crayons de couleurs...

Je pense que je ne me marierai jamais.

Je n'ai pas envie de faire changer le nom de mes futurs enfants comme un affichage de quai de gare. Et c'est pourquoi je n'aime pas l'idée de me marier.

La maîtresse m'a demandé un jour si j'aimais ma mère.

Je crois que c'était lorsque j'allais à l'école maternelle d'Okinomiya.

Je dois avouer avoir trouvé la question très difficile.

À certains moments, ma mère est la plus adorable des mamans. Et parfois, elle m'insupporte au plus haut point. Je ne saurais dire quelle option est la plus fréquente. Comment donc décider d'une réponse ?

Ma “gentille mère” est toujours souriante.

Elle sait rendre toute la famille heureuse.

Elle me dit souvent qu'elle me remerciait d'être venue au monde pour venir égayer sa vie.

Quant à ma “méchante mère”, si je puis dire, elle est toujours à bout de nerfs.

Elle s'en prend toujours à moi et à mon frère, parfois avec violence.

Elle me dit souvent que je n'aurais jamais dû venir au monde.

Alors, cette maîtresse m'a demandé si j'aimais mon père.

La réponse fut bien plus aisée.

En effet, il n'existe que deux moments avec mes différents pères. Ceux où je les hais, et ceux où je les déteste, ce qui, bien évidemment, revient plus ou moins au même.

Lorsque mon père est encore fraîchement marié à ma mère, il est toujours souriant. Il me traite gentiment, comme si j'étais sa vraie fille.

Il me demande de lui parler comme s'il était mon vrai père.

Mais c'est là que le bât blesse : il ne peut pas être mon vrai père.

De toute manière, je n'ai aucun souvenir de mon vrai père, pas même son visage.

Il m'est impossible de considérer un imposteur comme mon vrai père.

Le simple concept de la chose me met fort mal à l'aise.

Lorsque mon père est sur le point de divorcer de ma mère, il est toujours à bout de nerfs.

Il me traite avec mépris, comme si j'étais une punaise.

Il me jette des objets à la figure, vocifère à propos d'une pension alimentaire qu'il ne paierait pas pour moi, il m'enferme dehors, sous la véranda aussi, parfois.

Alors on m'a dit que tout cela était du passé, que je pouvais oublier.

À la réflexion, c'était d'ailleurs peut-être une autre maîtresse...

Elle avait sans doute raison, c'est peut-être la meilleure chose à faire.

Après tout, depuis son mariage avec ce M. Hôjô, je n'ai jamais plus vu que ma gentille mère, toujours souriante.

Les disputes conjugales qui jalonnent le quotidien et qui annoncent le divorce prochain ne sont nulle part à l'horizon.

... Oh, parfois, ils ont quelques différents, mais tout rentre bien vite dans l'ordre.

Enfin, ne soyons pas dupe. J'imagine que bientôt, il sera à nouveau question de divorce.

Il va de nouveau y avoir toutes ces interminables discussions sur le tribunal des affaires familiales, les pensions alimentaires, les divorces à l'amiable et autres fuites sans laisser d'adresse.

Après tout, je ne sais pas jusque quand ce Hôjô me tiendra lieu de père. C'est aussi un peu pour cela que je n'arrive pas à apprivoiser l'idée de l'appeler par ce titre.

Au début, il me traitait lui aussi très gentiment.

Puis il a semblé se lasser de devoir toujours me demander de l'appeler papa, et je le trouve de plus en plus souvent très énervé à mon encontre.

Oh, je pense que le divorce est tout proche.

D'après mon expérience, lorsque mon père commence à me traiter de cette manière, le divorce n'est plus très loin.

Une fois le divorce prononcé, c'est ma mère qui s'énerve à tout bout de champ contre moi.

Et alors, elle se remet à divaguer, à ressortir son éternelle rengaine, que je n'aurais jamais dû venir au monde, que ma simple existence l'empêchait de vivre heureuse.

Jadis, je ne comprenais pas pourquoi ma simple naissance aurait pu lui provoquer autant de problèmes.

J'ai demandé à mon grand frère, et lui m'a appris quelque chose.

Il paraîtrait que lorsqu'une femme a des enfants, il lui est plus difficile de se remarier.

Bien sûr, si ma mère considère le remariage comme étant son travail le plus important, j'entends bien que notre présence à mon frère et à moi-même doit lui occasionner bien des soucis.

En ce sens, je puis dire que je commençais à comprendre son point de vue, et pourquoi j'étais un obstacle pour elle.

C'est pourquoi je posai une deuxième question à mon grand frère.

Pourquoi les enfants sont-ils aussi souvent détestés par leur nouveau père ?

Là aussi, la réponse était somme toute très simple.

C'est parce que ce nouveau père ne pouvait plus remplir son rôle premier.

Le père a pour devoir d'aimer sa femme pour avoir des enfants.

En retour, cette mère a pour devoir d'aimer les enfants issus de son mari.

Ce qui signifiait que ma présence empêchait à la fois mon père et ma mère de remplir chacun leur devoir conjugal.

Mon grand frère est bien plus intelligent que moi, et aussi bien plus calme. Il ne représente pas une menace pour leur couple.

Mais moi, je suis très certainement, enfin, probablement, non, quoique, je pense pouvoir affirmer que véritablement, je serai toujours une entrave à leur bonheur.

C'est ainsi que j'ai découvert la vérité.

Ma mère et mon père ne souhaitent qu'une seule chose, c'est de me voir mourir pour pouvoir reprendre leur vie de couple à zéro.

Mais bien sûr, en me tuant, ils prennent le risque de se faire attraper par la Police, aussi n'osent-ils pas tenter leur chance.

Ce qui en aucun cas ne saurait signifier qu'ils ne passeront jamais à l'acte pour attenter à ma vie.

Si jamais un jour, ils me demandent de venir voir à quel point un précipice est profond...

et si jamais ils devaient faire cela lorsqu'il n'y aurait aucun témoin oculaire...

alors je peux être sûre qu'ils en profiteront pour me pousser dans le gouffre et me faire disparaître.

D'ailleurs, mon père est en ce moment devenu extrêmement gentil et patient avec moi, cela est inquiétant.

C'est arrivé juste après mon coup de téléphone, celui où j'ai menti aux autorités...

Il doit sûrement essayer de me faire baisser ma garde pour mieux me surprendre...

Il va me falloir rester vigilante. Et surtout me tenir à l'écart de tout ravin ou plateforme avec vue panoramique...

Pardon... je vous demande pardon, pardon, pardon, je vous demande pardon, je vous demande pardon...

Ces temps-ci, lorsque je tends l'oreille, je peux souvent percevoir les pleurs d'une jeune fille qui se confond sans relâche en excuses.

J'imagine qu'elle aussi s'est entendu dire qu'elle n'aurait jamais dû venir au monde.

Pardon...

je vous demande pardon,

pardon, pardon,

je vous demande pardon, je vous demande pardon...

Mais moi, je n'ai aucunement l'intention de présenter mes excuses à ma mère.

Je souhaite vivre, et ferai tout pour survivre.

Si mes parents tentent quoi que ce soit contre moi, je m'arrangerai pour les attaquer la première.

Quitte à les tuer de mes propres mains avant qu'eux ne réussissent à m'ôter la vie.

Pardon…

je vous demande pardon, pardon, pardon,

je vous demande pardon,

je vous demande pardon...