— Excusez-moiiii ! Y a quelqu'uuuun ?
— Oui, j'arrive ! Ne bougez pas.
Oui, bonjour, comm-- tiens ? Et qui êtes-vous ?
— Bonjour, Madame !
Nous venons d'emménager à côté de chez vous, mon père et moi. Nous sommes les Ryûgû.
Je suis juste venue vous prévenir, nous ne sommes pas des voleurs, nous habitons ici, désormais !
J'espère que ça se passera bien entre nous !
— Ooooh, tiens donc ?
Une femme aussi jeune que vous, qui déménage en pleine campagne ?
Je vois, eh bien écoutez, merci d'être venue !
MAMAN ?
LA NOUVELLE VOISINE EST VENUE DIRE BONJOUR !
— Pas la peine de hurler, espèce de quetsche, je suis pas sourde !
En tout cas, c'est gentil à elle, c'est pas souvent.
— Elle dit qu'elle s'appelle Ryûgû
et qu'ils viennent d'emménager dans la maison à côté.
— ... ... Aaaaaaah,
mais oui, mais alors, c'est toi, Reina ?
Ahahaha, ooooh, mais qu'est-ce que tu as grandi !
— Ahahahahaha !
Oui, c'est bien moi, Madame.
Vous vous souvenez même de mon prénom ? Vous avez une bonne mémoire !
— Oh ben alors, c'est quoi ces histoires, Maman, tu les connais ?
— Mais bien sûr, voyons !
Ah, oui, tu vivais à Okinomiya, toi, c'est vrai, tu peux pas savoir.
Ils vivaient ici, à côté, il y a bien longtemps.
Je vois, je vois, alors vous êtes revenus ?
J'parie que c'est plus calme ici qu'en ville, hein ?
— J'étais toute petite à l'époque, je ne me souviens pas trop.
Mais parfois, je vois des paysages et je me dis, “j'ai l'impression d'être déjà passée par ici”. Je ne sais pas trop, mais je sens bien que je devais revenir.
— Eh bien, tu verras, tu ne mettras pas longtemps à te réhabituer !
Si jamais vous avez besoin d'aide ou de quoi que ce soit, venez nous voir !
Et ne soyez pas timides, ton père et toi, c'est la règle par chez nous !
— Ahaha, d'accord !
Merci beaucoup ! Au revoir !
Je pensais que les souvenirs me reviendraient en me promenant au hasard dans le village, mais en fait, non, que dalle.
Quoique, le vent, l'air frais, et le vert presque bleu de la nature en folie, ça, ça me parlait. C'était un joli contraste avec la grisaille endormie de la ville.
Je n'avais aucun souvenir du village, mais je savais que si c'était de là où j'étais partie, c'était aussi là que je devais revenir.
À quelques endroits sur mon corps, il restait encore quelques lignes rouges.
Oh, elles n'étaient pas bien visibles. Si l'on fermait les yeux et qu'on les palpait, on ne sentait aucune différence.
Elles auront disparu bien assez tôt.
Maintenant que je vivais à nouveau à Hinamizawa, il m'arrivait de me demander comment j'étais à Ibaraki.
J'étais probablement bien différente là-bas, depuis toujours, probablement.
Et en rentrant ici, j'étais redevenue moi-même, tout simplement...
Quand j'essayais de me remémorer comment j'étais à Ibaraki, ma mémoire était floue ou me faisait carrément défaut.
Sûrement à cause des gélules rouges bizarres que l'on me forçait à prendre à l'époque.
Ces médicaments ont plus ou moins effacé de ma mémoire les événements tragiques.
Mais après tout... c'était peut-être mieux ainsi.
À l'époque, je ne faisais certainement que culpabiliser et m'énerver sur moi-même...
Je n'arrivais pas à pardonner ce qu'avait fait ma mère.
Ni M. Akihito.
Et surtout, je n'arrivais pas à me pardonner moi...
Je voulais être rassurée, je voulais entendre quelqu'un me dire que c'était pas ma faute.
... Et là, justement, la déesse Yashiro m'était apparue,
et elle s'était excusée.
Elle m'avait fait comprendre que c'était la faute à sa malédiction, et que je n'avais rien à me reprocher.
C'est grâce à elle si j'ai pu m'autoriser à vivre.
Et c'est grâce à elle si j'ai pu me vider de la vermine dans mon sang et survivre à l'hémorragie.
Je crois bien que lorsqu'il se sent trop sale, l'être humain est conçu pour se donner la mort.
C'est pourquoi les gens font tellement attention à ne pas commettre d'actes ignobles.
Mais moi, j'étais sale, de l'intérieur, et pourtant, je vivais ;
on m'avait autorisée à vivre.
Je me demande si mon corps est vraiment propre, aujourd'hui.
Il reste peut-être de la vermine, encore, quelque part.
Je ne sais pas.
La seule chose dont je suis sûre, c'est que je suis une fille différente de celle qui vivait à Ibaraki.
Et que désormais, je ne me sentais plus l'obligation morale de m'ouvrir les veines...
Le soir-là, après avoir placé la plupart des meubles et commencé à déballer nos affaires, nous prîmes un repas un peu tardif.
Pour moi, l'expérience de Hinamizawa était nouvelle, mais Papa semblait se souvenir de sa vie ici comme si ç'avait été hier.
— Il y avait une fête au village quand nous habitions ici. Il paraît qu'elle est devenue très importante. C'est la fête de la purification du coton.
Ça se passera vers la fin juin.
— ... La purification du coton ?
— Nous n'y allions jamais avant, je ne sais pas trop comment ça se passe, mais il paraît qu'on se passe un peu de coton sur le corps pour le purifier de nos péchés, et qu'ensuite, on le laisse dériver au fil de l'eau.
C'était donc une cérémonie pour se purifier
de ses péchés...
— ... Est-ce que c'est vraiment aussi facile ? Simplement jeter ses péchés à l'eau ?
— Ahahahaha, il faut bien !
L'homme est un animal corrompu.
Il accumule les crimes pour assurer sa propre survie, tous les jours.
Alors ici, une fois par an, on fait un peu de ménage, on prend du coton pour aspirer toute cette saleté spirituelle qui nous colle à la peau, et on la jette.
Lorsqu'un être humain commet un crime,
on peut décider de le lui faire payer à travers une amende ou une peine de prison,
mais le fait qu'il ait commis un crime, lui, ne disparaît jamais.
Cette impureté spirituelle ne peut pas être lavée par des mains ou des moyens humains.
C'est pourquoi certaines religions pensent que ce n'est qu'une fois qu'un être humain a quitté cette terre que les dieux peuvent alors juger de ses actions et de le purifier,
de lui pardonner ou non ses crimes.
Et j'avais jusqu'à présent pensé quelque chose qui s'en approchait.
Mais la purification du coton venait changer la donne.
Elle permettait la purification des âmes des humains par des humains.
Et en se débarrassant de leurs péchés en les plaçant dans le coton,
les gens d'ici obtenaient l'autorisation de continuer à vivre...
C'était pour cette raison que lorsque j'avais voulu mettre fin à mes jours...
... la divinité protectrice de mon village m'était apparue pour me sauver la vie.
Dans le village d'où je venais, ils avaient une tradition, un rite religieux pour purifier les péchés.
... Tout cela ne pouvait pas être un hasard.
Hinamizawa
était un lieu de purification.
Un lieu où l'on pouvait expier ses péchés.
Une sorte de village du purgatoire.
— On appelle ça la lustration.
— Aha.
J'ai peut-être entendu ça quelque part, le mot me dit quelque chose.
— Dans notre culture, la souillure est quelque chose de très sérieux.
La morale publique réprouve la souillure.
C'est pour ça que les politiciens ou les hommes d'affaires véreux sont immédiatement poussés à la démission.
L'homme souillé ne doit pas se montrer, c'est interdit, il doit partir.
Mais bien sûr, cela veut aussi dire qu'il faut trouver un responsable pour prendre le blâme et s'en aller.
Oui, il faut faire disparaître ce que l'on considère comme impur.
Ce qui mène les gens à repousser la faute sur quelqu'un et à se débarrasser de lui pour purifier, peu à peu, toute une communauté de gens. C'est le principe de l'agneau sacrifié.
Mais si l'on garde cette méthode, alors à chaque crime, à chaque souillure, chacun essaie de faire porter le chapeau à quelqu'un d'autre.
Et ce n'est ni très glorieux, ni très agréable à regarder.
C'est pourquoi ici, on avait réfléchi à une méthode pour repousser la faute et la souillure sur un objet inanimé.
En faisant cela, tous les individus d'un groupe social donné pouvaient continuer à vivre sans être sacrifiés.
Parce que c'était un peu ça, en fait. Donner un être humain pour purifier les autres, c'était faire un sacrifice.
Et bien sûr, personne n'avait envie d'être sacrifié.
Et donc tout le monde se rejetait mutuellement la faute.
C'est pourquoi il avait fallu créer ce nouveau rite de purification : la lustration consistait en la purification rituelle d'une personne par le sacrifice d'un objet.
Et pour notre culture, qui prônait l'élimination de l'élément souillé, ce fut un changement révolutionnaire.
Cela permit à certaines communautés
de ne pas se détruire et s'entretuer.
C'était nouveau à l'époque : pardonner les péchés de l'être humain autrement que par la mort.
Mais seuls les êtres supérieurs aux humains pouvaient se permettre de faire cela.
C'est pourquoi ici, la déesse Yashiro accepta ce rôle.
Et c'est comme ça qu'est née la purification du coton.
Il suffisait de se passer du coton sur le corps pour y enfouir ses péchés, puis jeter le coton à la rivière.
Plus besoin de se donner en sacrifice.
Ce qui me permettait à moi, aujourd'hui, de ne pas être contrainte au suicide.
La fille souillée que j'avais été ne serait plus après cette cérémonie.
Je ne serais plus Reina Ryûgû.
Mais si je ne suis plus Reina, alors…
je serai…
Je serai qui ?
Si tout ce qui était “impur” en moi est parti, alors...
... alors mon nom changeait, et ce nouveau nom résonna tout d'abord dans ma tête.
J'avais pris le “i” et je l'avais enlevé, pour le symbole. Ce n'était pas grand'chose,
mais ça faisait mignon.
Il m'allait à ravir, ce nouveau nom.
Désormais, je ne serais plus jamais appelée “Reina”.
Plus jamais.