L'école, c'est un peu exclusivement le monde des enfants.

Les valeurs du monde des adultes n'y sont reconnaissables nulle part.

Ce sont les enfants qui décident des valeurs dont ils veulent, et ils construisent leur monde en conséquence.

C'est pourquoi quelles que fussent les lois tacites injustes et stupides qui avaient cours dans le monde des adultes, elles n'existaient pas chez nous.

Les Hôjô étaient mis à l'écart des autres dans le village, et les adultes n'arrêtaient pas de se plaindre d'eux dans leur dos, tous les enfants le savaient, mais à l'école, ils ne voulaient pas de ces règles-là.

C'est pour ça qu'en tant que représentante des enfants,

en tant que déléguée de classe, je faisais tout pour empêcher les règles injustes des adultes de venir s'immiscer dans le monde des enfants.

Tant qu'ils étaient à l'école, je ne tolérais strictement aucune brimade envers eux.

Tout au début, quand le village commençait à leur faire payer leur insolence, quelques-un des garçons avaient essayé d'embêter Satoko,

mais vu la tannée que je leur avais mise ce jour-là, plus personne n'avait tenté sa chance.

C'était la seule chose que je pouvais faire pour eux, après tout.

Je voulais pouvoir me consoler en me disant qu'au moins à l'école, Satoko et Satoshi ne seraient jamais persécutés.

Satoshi semblait avoir remarqué mon intention. Il semblait aussi beaucoup apprécier le geste. Il lui arrivait de me sourire.

Mais Satoko n'en fit jamais rien.

Et puis un jour, les autres enfants en eurent marre de n'arriver à rien avec elle, alors ils se mirent à la laisser toujours toute seule.

Moi aussi, au début, je lui adressais la parole, j'essayais de l'impliquer un peu dans nos conversations,

et puis en fin de compte, j'ai laissé tomber.

Après tout, je suis une Sonozaki.

Je suis une ennemie des Hôjô, et j'imagine bien que Satoko doit détester ma présence.

Alors plutôt que de l'approcher, il me valait mieux rester en retrait pour veiller sur elle.

Et c'est ce qui expliquait pourquoi Satoko restait aussi souvent seule dans la salle de classe.

Satoshi restait toujours avec elle, et aussi Rika, envers et contre tout.

Ils étaient les seules exceptions, à l'école.

Malheureusement,

le village ne semblait pas savoir quand s'arrêter avec les brimades.

Et comme leur tante était une hystérique notoire qui ne cachait aucunement son animosité, il n'y avait personne pour les plaindre.

Et puis, il y a les ennuis que l'on peut chercher, et ceux qu'il vaut mieux éviter.

Si cette tante avait été un peu plus maîtresse de ses nerfs, les gens n'auraient pas reporté sur elles les chicaneries qu'ils faisaient aux Hôjô.

Même si je devais reconnaître qu'au début, le village ne leur avait pas trop laissé le choix...

Mais s'ils avaient simplement baissé la tête sans faire de remous, la situation n'aurait pas autant empiré.

Le problème n'était pas que la tante était mal vue par les voisins, c'était que tout cela retombait sur toute la famille par la même occasion.

L'oncle ne s'entendait pas trop avec sa femme, de toute manière, il était tout le temps en vadrouille.

C'est pourquoi Satoshi et sa sœur en prenaient plein la tête, et ce, tous les jours.

Apparemment, la tante aimait se passer les nerfs en hurlant sur Satoko, et celle-ci devait endurer des maltraitances particulièrement insidieuses.

... Mais là aussi, le problème était le même.

Satoko ne faisait pas le moindre effort, elle montrait clairement ses réticences et sa désapprobation à sa tante, et peu lui importaient les questions de tutelle.

Mais si elle avait pris exemple sur son frère et avait appris à ne pas faire trop de vagues, sa tante ne l'aurait pas eue systématiquement dans le collimateur.

C'était de sa propre faute si elle vivait aujourd'hui sans entrain et sans vie dans le regard. Quelque part, elle l'avait bien cherché.

... Quoique. Non, c'était pas tout à fait vrai non plus.

Mais même si je compatis, même si j'ai envie de l'aider,

je ne sais pas qui doit faire quoi.

La situation ne s'améliorera plus avec de simples excuses.

Le courant qui était en marche ne pouvait plus s'arrêter.

Je ne pouvais plus changer le cap du village, le gouvernail restait braqué sur une seule direction : en faire baver aux Hôjô.

Et cette situation se retrouvait partout en dehors de l'école.

Dans le voisinage.

Dans la rue. En ville.

Dans toute la communauté.

Quand on se met tout son environnement social à dos, le monde devient d'un seul coup un endroit beaucoup plus difficile à vivre.

Depuis la nuit des temps, les Japonais l'ont toujours su. C'est pour ça qu'ils ont développé des us et coutumes qui les rappelaient souvent à leurs obligations sociales.

Et ce n'était pas en trouvant ou en désignant un coupable que Satoko allait retrouver le sourire.

Alors tout ce que je pouvais faire, c'était faire en sorte qu'elle pût être tranquille tant qu'elle serait dans l'enceinte de l'école.

Satoshi

— ... ... Merci pour ce que tu fais,

Mion.

Mion

— Hein ?

Ah, euh, désolée, tu disais quoi ?

Satoshi

— Non, rien.

Merci de toujours faire preuve d'autant de tact avec Satoko.

On pouvait croire que Satoshi était un peu tête en l'air ou lent à la détente, mais parfois, il savait lire dans le cœur des gens.

Je niai bien sûr immédiatement tout pour mieux affirmer le contraire, mais Satoshi eut un simple rire amusé, comme s'il avait vu clair à travers moi.

Satoshi

— Satoko a simplement oublié comment l'on fait pour sourire.

... Mais au moins, à l'école, elle peut un tout petit peu décontracter ses épaules.

Et je parie qu'elle apprécie beaucoup, tu sais.

Mion

— Ahahahaha...

Bah, tu sais, je peux pas vraiment faire plus pour vous, malheureusement.

Satoshi

— ... C'est pas grave, et puis, c'est déjà bien.

J'en suis aussi bien content, hein.

Mion

— Allez, va,

arrête.

De toute manière, c'est à cause de ma famille si vous avez des problèmes.

Satoshi

— ... Arrête, Mion,

tu sais qu'on ne le pense pas.

J'étais plutôt stupide et j'avais du mal à lire les gens, mais là, même moi, je compris immédiatement, au ton de sa voix, qu'il était en train de mentir.

Satoshi avait beau être plus réservé, il était bien conscient que les Hôjô étaient persécutés à cause des Sonozaki,

et que j'étais la jeune fille de la maison...

C'est juste qu'il est suffisamment adulte pour ne pas s'en prendre à moi.

S'il était aussi soupe au lait que sa tante, il me cracherait à la figure, ostensiblement.

Je ferais peut-être mieux de rester à bonne distance, et de ne pas mettre d'huile sur le feu, de par ma simple présence...

Et pourtant, je n'arrivais pas à ignorer le sourire forcé du grand frère et la mine dévastée de la petite sœur.

Alors que c'était peut-être un élément qui les rendaient encore plus méfiants envers moi.

Mion

— ... ... Je...

Je me demande si je ne fais pas fausse route sur Satoko.

Satoshi

— ... C'est-à-dire ?

Mion

— Ma famille est la raison principale pour laquelle elle a des problèmes.

Et pourtant, je suis toujours là, à traîner autour d'elle.

Je sais pas, c'est... C'est peut-être pas très malin de ma part.

Satoshi

— Mais non, voyons.

C'est très bien comme ça, c'est plus naturel chez toi.

Mion

— Attends, mec, eh, ça veut dire quoi, ça ?

Que le manque de délicatesse me sied à ravir ?

Satoshi

— Mhhm, c'est pas ce que je voulais dire.

Satoshi

... Si c'est à cause de l'ambiance au village que Satoko n'arrive plus à sourire,

Satoshi

alors il n'y a que des gens qui ne font jamais attention à l'ambiance du moment qui pourront lui redonner le sourire, tu comprends ?

Mion

— ... Alors là, mec, tu t'es vachement bien rattrappé, mais ça marchera pas quand même !

Espèce de saligaud, l'air de rien, tu viens de me traiter d'idiote ! Ahahahahaha !

Satoshi

— Mais non, c'est pas le but !

Moi, je veux juste que tu nous aides.

Mion

— Quoi...?

Satoshi

— ... Tout seul, je pourrai pas lui remonter le moral, Mion.

J'ai besoin d'aide pour ça. J'ai besoin de ton aide, Mion.

Mion

— Mais...

Je veux dire, je suis Mion Sonozaki, quoi.

Si jamais je dis une connerie sans faire gaffe, je risque encore de vexer ta sœur et de la blesser encore plus...

Satoshi

— Mais Mion, c'est justement à cause de ça que Satoko est toujours toute seule.

C'est pour ça que tu ne vas jamais lui parler ?

Mion

— ... ... ... ...

Je crois bien que c'est la première fois que Satoshi était aussi exigeant avec moi.

Satoko représentait tout pour lui.

Et s'il voulait l'aider à s'en sortir, il était en tout cas persuadé qu'il avait besoin de moi.

Mais...

Ohf, quoique.

Nan, il avait peut-être raison, en fait...

Les disputes entre nos deux familles n'étaient que des histoires entre adultes.

Nous, les enfants, on n'en avait rien à foutre.

Dans notre monde, les règles injustes des adultes n'ont aucune valeur. Elles n'ont pas cours.

Donc dans ma sphère d'influence, je peux décider moi-même des règles que je veux appliquer, sans me soucier de celles de mes parents. Non ?

Mion

— ... T'es sûr que ta sœur ne m'en veut pas ?

Satoshi

— Je pense qu'au début, tu vas lui taper sur les nerfs,

mais t'en fais pas, je suis là aussi.

Je serai avec toi.

Je pense qu'elle fera un effort.

Mion

— Hmmm, je sais pas trop.

... Quand l'école sera finie aujourd'hui, je peux l'inviter à venir chez moi ?

Satoshi

— J'ai bien peur que quand on rentrera, ma tante trouvera une excuse pour lui crier dessus et l'empêcher de ressortir.

Mion

— Ahaha, OK, ben alors, pas de problème.

Elle a qu'à venir chez moi sans passer par la case maison.

Satoshi

— Ouais, mais ensuite, quand on rentre, elle va nous poser des questions, et tout...

Mion

— Hmmm. Alors je vois ! Je sais ce qu'on va faire.

On va dire qu'elle s'est inscrite à un club à l'école !

Satoshi

— Un club ?

Mion

— Ouais, un club !

Parce que si c'est pour une activité de club, les élèves ont le droit de rester à l'école, non ?

Regarde les autres garçons, ils restent des heures à jouer dans la cour avant de rentrer chez eux !

Mion

Donc normalement, on peut !

Satoshi

— Ouais, mais si elle se salit, ma tante va lui faire passer un sale quart d'heure...

Mion

— Aha, mais dans ce cas, il suffit de choisir un club avec une activité à l'intérieur.

Elle risque moins de se salir, comme ça.

Satoshi

— OK, mais alors, on reste dans la salle de classe ?

Je sais pas, si on fait trop de bruit, la maîtresse pourrait se plaindre...

Mion

— Héhhéhhé !

Mion

Mais t'inquiète pas, il y a un moyen de rester à l'intérieur et de s'amuser comme des fous et de ne pas foutre un boxon monstre !

Mion

On dirait pas, mais j'adore les jeux de société !

Mion

J'en ai plein, des rares mêmes, qui viennent de l'étranger parfois !

Mion

Mais comme justement, parfois les règles sont en anglais, voire même carrément bien reloues, personne ne veut jamais jouer avec moi. Alors du coup, ils prennent la poussière dans mon armoire.

Satoshi

— Tu crois que Satoko pourrait jouer à ça ?

Mion

— Ben oui, bien sûr !

Je vais te dire, quand on connaît pas les règles d'un jeu, eh ben on les invente, ça va plus vite !

Tant que tout le monde est d'accord avec les règles, normalement, c'est bon !

J'avais présenté les choses avec beaucoup d'entrain, mais je me demandais franchement si le simple fait de ramener quelques jeux de plateau ici et de la convier à nos jeux allait lui remonter le moral.

Bah, tant pis, on essaiera.

Je ramènerai un jeu de l'oie demain, on verra bien...

Satoshi

— Ah... Euh, au fait, Mion...

J'aimerais te demander un truc, aussi.

Mion

— Quoi ?

Si je peux t'aider, je le ferai, dis toujours.

Satoshi

— Je...

j'aimerais trouver un petit boulot.

Pour lui remonter le moral, j'aimerais offrir à ma sœur un truc un peu spécial, pour son anniversaire...