Agent immobilier

— Bon, ben c'est pas tout, mais faut qu'j'me sauve.

Merci pour le thé, hein !

Oryô

— Mais c'est rien, va.

Reviens me voir quand tu veux.

Mion

— J'suis là !

Eh ? Ben, c'est toi, oncle Hiroshi ?

Ça faisait longtemps !

Agent immobilier

— Salut, Mion !

Désolé, je suis justement en train de partir.

J'ai des gens à accompagner.

Mion

— À accompagner ?

Aaaah, oui, tu joues les agents immobiliers ?

Les Sonozaki étaient, de très loin, les plus grands propriétaires de terrains du village.

Enfin, en même temps, ils avaient simplement récupéré les morceaux de terre dont personne ne voulait à la campagne. Ils les laissaient un peu à l'abandon, sans vraiment les exploiter.

Et récemment, ils s'étaient décidés à transformer une partie de ces terrains en parcelles alloties.

Ils avaient fait une grande réunion du clan, et évidemment, quelqu'un n'avait pas manqué de poser la question : pouvait-on se permettre de vendre les terres héritées de nos ancêtres à de parfaits inconnus ?

Mais l'argumentaire raisonné du chef de clan Oryô Sonozaki -- “Raaah, ferme donc ta schneuss !” -- avait fait instantanément entériner la décision, à l'unanimité.

Et c'est pourquoi ils avaient pris certains des terrains en jachère pour les mettre en vente.

Pour ma part, ça me laissait un peu dubitative.

Nous étions riches, très riches.

Nous avions des terrains et mêmes des sous à ne plus savoir quoi en faire.

Nous n'avions aucune raison de vouloir à tout prix vendre des terrains.

Et puis d'abord, pourquoi est-ce que c'était elle qui avait proposé de vendre à de parfaits inconnus ?

Elle était plutôt du genre à péter un câble pour justement empêcher ce genre de choses d'arriver...

Agent immobilier

— Bon, je dois me sauver. Si tu passes près de la gare, rentre donc !

Je n'ai que du thé d'orge à t'offrir, mais il est offert de bon cœur.

Mion

— Oui, merci.

Comment ça marche, alors ?

Agent immobilier

— Ben en fait, j'ai eu pas mal de gens de la ville qu'étaient très intéressés, c'est une bonne surprise !

Mais ce sont tous des riches qui veulent avoir une deuxième maison ici, pour leurs vacances.

Mion

— Eh ben, y a vraiment des gens qui sont spéciaux !

Agent immobilier

— Par contre, j'ai aussi eu une personne qui voulait emménager chez nous.

Il m'a dit qu'il voulait avoir son propre atelier. Je suppose que c'est un artiste, un peintre probablement.

Mion

— Ah ouais ?

La vache, mais c'est super !

Agent immobilier

— Ouh là, j'suis en retard, moi !

Allez, je file au bus !

Il avait organisé des voyages pour visiter les terrains allotis, et c'était lui qui conduisait le bus pour ramener les gens depuis la gare d'Okinomiya.

J'imagine que c'était bientôt l'heure du retour.

Mon oncle passa la porte et repartit presqu'en courant.

Mion

— Dis, Mémé, j'peux te poser une question ?

T'aimes pas les gens qui ne sont pas de chez nous, alors pourquoi insister pour vendre des terrains ?

Oryô

— J'aime pas les étrangers et j'aime encore moins les citadins.

Mais le village a besoin d'eux.

Il faut aérer, de temps en temps.

Mion

— Alors en amenant des gens ici... c'est bon pour le village ?

Oryô

— C'est un joli village, chez nous.

Aujourd'hui, nous vivons une époque agitée, il se passe des choses tous les jours,

mais avant, il se passait parfois dix, vingt ans sans aucun changement.

Mion

— Bah, c'est la campagne, quoi.

Ici, il n'y a pas trop de différence entre hier et aujourd'hui, et demain, ce sera un peu la même chose.

Moi, je m'ennuie ici...

Oryô

— Mais pourtant, t'as une grande copine, maintenant, non ?

La p'tite Rena est arrivée au village.

Tu m'as dit l'autre jour que t'étais contente de voir une fille de ton âge.

Mion

— Oui, ben, c'est vrai, quoi.

Je m'attendais pas à me faire une nouvelle amie, alors c'est plutôt agréable.

Oryô

— Avant qu'elle soit là, tu disais toujours que l'école, c'était barbant, tu me le rabâchais tous les jours.

Oh, j'm'en souviens !

Ahahahah !

Mion

— Et donc c'est ça que tu veux dire ? Que les gens qui viennent d'ailleurs apportent de la nouveauté ?

Oryô

— ... Quand il fait très froid, on garde tout fermé, mais à force, l'air vicié dans la salle où tu fais du feu peut devenir dangereux.

Oryô

C'est pour ça que les gens ouvrent quand même les fenêtres de temps en temps, même si c'est pénible de refaire du feu pour tout chauffer ensuite.

Mion

— ... Et donc faire venir des gens d'ailleurs, c'est changer l'air ?

Oryô

— Exactement.

Ça donne de l'air frais, et l'appel d'air que ça crée chasse l'air vicié qui est resté trop longtemps à l'intérieur.

Je savais que si je remettais maintenant l'histoire des Hôjô sur le tapis, elle se fâcherait tout rouge et me gueulerait dessus comme un putois.

Mais si ça se trouvait, elle voulait en finir avec ça, et elle attendait l'arrivée de nouvelles personnes pour remettre les règles du village à plat.

Je sais que ça l'énerve encore quand elle repense à la réunion d'information d'il y a quelques années,

mais je sais aussi qu'elle se rend bien compte qu'il serait temps d'en finir avec ces conneries.

En même temps, elle est vieille, c'est pas un âge où l'on sait pardonner facilement.

Elle ne peut pas se permettre d'admettre en public qu'elle ne leur en veut plus.

... ... Elle me rappelle ces filles qui ne diraient pas non, mais qui n'osent pas dire oui en public.

En fait, si ça se trouve, plus on devient vieux, plus on retombe en enfance...

Et pas seulement mon aïeule.

Tous les anciens du village sont pareils.

J'irais même jusqu'à dire que tous les gens qui vivent trop longtemps chez nous sont pareils.

Ça rejoignait ce qu'elle avait dit à propos de l'air vicié dans le village.

Dans une pièce fermée hermétiquement, ça ne sert à rien d'avoir un éventail.

Il faut ouvrir grand la fenêtre, sinon, l'air ne devient pas respirable.

Mion

— Je ne sais pas si on aura encore des gens qui emménageront.

Mais j'ai un peu de peine pour eux, tu comptes beaucoup sur eux, je trouve !

Ahahahah !

Oryô

— Bah, même s'il n'y a que Rena, ça te fera du changement, Mion.

Oryô

Et si d'autres gens viennent, le village changera.

Oryô

J'aimerais bien voir venir un bon petit jeune bien énervé, histoire que nous autres vieux puissions partir tranquilles.

Oryô

Si possible, il devrait ramener tellement d'agitation que nous serions prêts à partir dans l'autre monde rien que pour ne plus entendre sa grande schnabel !

Mion

— Ahahahaha,

c'est quoi ton délire ? Comme Pépé ?

Oryô

— Non mais dis donc, espèce de questsche, du respect pour les morts, hein !

Appelle donc quelqu'un pour ranger le thé qui est sur la véranda.

Mion

— Ouais, ouais,

c'est bon, j'y vais.

Oryô

— ... ... Mion.

Mion

— Hmm ?

Oryô

— ... Quand le Satoshi Hôjô a disparu,

tu m'as presque étranglée, tu te souviens ?

Mion

— Ouais, c'est vrai, oui. T'as de la mémoire.

Ahahah.

Oryô

— Tu sais...

Oryô

ça m'a ouvert les yeux.

Oryô

Je croyais que le problème des Hôjô pouvait se régler plus tard, tout naturellement, quand les anciens du village seraient morts, mais en fait, non.

Oryô

Non, non, non, il faut régler c't'histoire le plus tôt possible.

Mion

— Mais tu peux pas le faire toi-même,

alors tu places tes espoirs sur les gens qui emménageront ici ?

Oryô

— ... ... Je peux pas faire plus si je veux pas perdre la face.

Mion

— Quand on a de mauvaises cartes à la bataille, il y a toujours une chance de tirer une bonne carte dans la pioche.

C'est peut-être pas si bête que ça que d'espérer que la prochaine carte sera une bonne.

Oryô

— Le vent nouveau qui soufflera sur le village, Mion, c'est celui de ta génération. Alors fais en sorte d'aérer.

Parle avec des gens d'ailleurs, qu'il y ait de la circulation, histoire d'avoir de l'air frais.

Mion

— C'est quand même un peu faux-jeton de ta part, Mémé.

C'est quand même toi qu'as fait toute la merde, mais ce sera à moi de nettoyer...

Oryô

— Oh, eh, dis pas ça, hein.

Tu seras la nouvelle chef de clan.

Ce sera ton devoir d'accueillir de nouvelles personnes par chez nous.

Mion

— ... T'es sûre que c'est le boulot de l'héritière ?

Oryô

— ... Oui.

Alors Mion, s'il te plaît.

Je suis vieille, moi.

C'est à moi d'avoir le mauvais rôle.

La cloche qui indiquait le vent eut un très faible tintement.

Elle avait raison. Bientôt, une brise d'un vent nouveau soufflerait sur le village...