Les jours pénibles et harassants se succédaient depuis bien longtemps dans ma vie.
Et selon toute apparence, cette situation perdurerait encore un bon moment.
Ma tante et ma petite sœur n'ont pas changé d'un poil.
Tous les soirs, ma tante lui gueule dessus pour une connerie insignifiante ou une autre.
Et ma sœur, au lieu de se taire, se met à pleurer à grands cris, et ne rate jamais une occasion de lui donner encore du grain à moudre.
C'est pourquoi le soir, ma tante n'arrêtait jamais de crier.
Et ma sœur n'arrêtait jamais de pleurer.
Dès qu'elle me trouvait, Satoko se jetait dans mes jambes pour se cacher.
Une fois dans mon dos, elle attendait la fin de l'orage.
J'étais le seul en qui elle avait confiance.
Elle ne se confiait à personne d'autre, uniquement à moi.
C'était pourquoi c'était à moi de la protéger, et aussi en partie pourquoi je la prenais en pitié.
Ce que mes parents ne lui avaient jamais donné, il me fallait le lui donner moi, son grand frère, le dernier membre de sa famille encore en vie.
Et tous les jours,
tous les jours,
c'était la même rengaine.
Chaque fois qu'elle pleurait,
tous les jours,
systématiquement.
... Mais hier, quand elle venue se coller à moi en pleurant...
... je lui ai caressé la tête, comme d'habitude,
et en même temps, j'ai ressenti une autre émotion en moi.
Il m'a pris l'envie...
de lui claquer la tête contre le mur.
J'avais du mal à croire que ça m'était vraiment passé par la tête.
Je ne pouvais pas, je n'avais pas le droit,
il ne fallait pas penser ce genre de choses !
Ou plûtot, ce n'était pas le fait de le penser qui était un crime, mais le fait de remarquer cette autre envie en moi.
Depuis ce jour, j'ai découvert l'existence d'un deuxième Satoshi en moi.
Il était en train de me bouffer de l'intérieur, et il essayait de prendre le contrôle.
Et depuis, à chaque fois que Satoko vient me voir en pleurant et cherche du réconfort,
je me tiens prêt à lui dire des choses pires que tout, des choses méchantes qui pourraient la blesser pour le restant de ses jours, mais je me tais, je m'étouffe avec ces mots acerbes.
Me fais pas chier, connasse.
T'approche pas de moi.
Ferme ta putain de gueule, tu m'emmerdes à tout le temps brailler et vagir, boucle-la un peu !
Non, non, non, je peux pas, il ne faut pas !
Je devais faire pas mal d'efforts pour l'empêcher de prendre la parole.
Je devais rester toujours alerte,
toujours à contracter les muscles.
Mais j'avais réussi à le chasser de mon corps, je crois.
Sauf que ça ne suffisait pas.
Il restait toujours derrière moi.
Il me suivait partout, pour rentrer à nouveau en moi.
Mais je ne le laisserai pas faire...
Il avait l'air de l'avoir compris, lui aussi. Il savait que je lui avais fermé mon âme.
C'est pourquoi il tenta autre chose.
Il se plaça juste dans mon dos, à quelques centimètres,
et il attendit son heure, tout simplement...
Et à chaque pas que je fis pour m'éloigner,
il me suivit.
Je pouvais entendre le bruit de ses pas dans mon dos.
Il me suivait partout, et même la nuit, quand j'étais couché, il restait là, à mon chevet, à me regarder.
Il attendait sa chance pour pouvoir s'emparer de moi et faire souffrir Satoko.
Et comme il faisait très chaud depuis quelques jours...
Je risquais de succomber. Ou bien alors, j'avais pris un coup de chaleur, et c'était ça qui me faisait divaguer...
J'étais la dernière famille qu'il restait à Satoko.
C'est pourquoi je devais la protéger de ma tante, encore et toujours.
C'était mon devoir, et ça le resterait toute ma vie.
Toute ma vie ?
Vraiment, à tout jamais ?
Je vais devoir me farcir cette situation pendant le restant de mes jours ?
Si seulement Satoko...
Mais je suis sa seule famille.
Mais oui, mais quand même...
Et puis d'abord, ma tante aussi...
Et puis d'ailleurs, les villageois !
Ce sera bientôt la purification du coton.
Certains irresponsables dans le village se réjouissent d'avance de la malédiction qui frappera cette année.
Ils ont tous placés leurs paris et pensent que moi et ma sœur serons punis par la déesse.
Je ne sais pas si c'est qu'une impression, mais depuis quelques jours, je sens le regard des gens qui espèrent notre mort sur mon dos.
J'ai l'impression diffuse que je vais me faire tuer pendant la fête.
Bien sûr, c'était une crainte irrationnelle, je n'avais aucun élément pour dire ça.
À part ces bruits de pas !
Allez-vous en, laissez-moi !
Satoko est ma dernière famille. J'ai pas envie de la frapper, et je n'ai pas envie de mourir.
J'en ai assez de ces pas, barrez-vous, merde !
Je savais qu'il était derrière moi, qu'il tendait la main pour me toucher l'épaule !
— AAAaahh !
... Oh... Rena ?
— Euh... T'es sûr que ça va ?
Satoshi ?
Apparemment, tout le monde voyait bien que quelque chose ne tournait pas rond.
Même Rena se faisait du souci.
Ouais, elle s'appelait Rena Ryûgû,
elle avait été transférée ici tout récemment.
Personne ne se souvenait d'elle, mais il paraissait qu'elle était née ici, à Hinamizawa.
Mais bon, en même temps, elle-même n'avait que de très vagues souvenirs du village.
Vu qu'il n'y avait que Mion qui avait à peu près mon âge dans la classe, Rena était une élève très importante, une amie dont la présence était salutaire.
D'habitude, elle restait fourrée à discuter avec Mion, mais de temps en temps, elle faisait montre de quelques traits de féminité.
— Dis, tu te sens mal, peut-être ?
Tu devrais aller te reposer à l'infirmerie,
je pense.
— Merci,
mais ça va aller.
J'ai vraiment l'air si mal en point que ça ?
— Ah oui, carrément.
Sa réponse était franche et sans appel. Je devais avoir l'air très mal à l'aise, alors...
— ... C'est au sujet de Satoko ?
J'imagine que tu te fais du souci ?
— Non, non, pas vraiment.
Elle avait vu juste dès le début ; elle savait que je n'avais pas une baisse de forme physique, mais psychique.
Mon intuition me dit que Rena a peut-être l'air deux de tension, mais en réalité, elle est très fine observatrice...
— ... Je ne suis pas ici depuis très longtemps, alors je ne sais pas trop si je peux me mêler de tes affaires,
mais au moins, je peux écouter.
... Ça peut servir, parfois.
Elle n'avait mis que quelques jours à deviner ce qu'il se tramait entre moi, ma sœur et les autres villageois.
Mais je ne voyais pas en quoi lui parler allait résoudre le problème.
Au contraire, même.
En lui parlant, j'admets plus ou moins mes faiblesses.
Et l'autre pourrait en profiter pour prendre le contrôle, je ne peux pas me le permettre...
— Tout à l'heure, tu as presque hurlé de surprise quand je t'ai touché l'épaule.
C'est que tu avais des soucis plutôt graves, pour être tellement absorbé dans tes pensées. Enfin, je sais pas, c'est ce que je me suis dit...
Hauu…
— ... Ben en fait...
Je sais pas, c'est un peu con, mais depuis quelques semaines, j'ai l'impression qu'il y a quelqu'un qui me suit tout le temps.
J'entends le bruit de ses pas dans mon dos, tout le temps.
Alors j'ai cru que c'était ça, tout à l'heure.
Ahahahaha ! J'ai un peu flippé, désolé.
Je... Je sais, c'est un peu bizarre, ce que je raconte, cherche pas.
— ... Et les bruits de pas...
Ils te suivent partout ? Même la nuit ?
— Quoi ?
— ... Satoshi, je...
Ces bruits de pas...
Je sais ce que c'est.