Irie

— ... Oh, vraiment ?

Non, non, tu n'as pas besoin de formulaire.

Tu es notre meilleur batteur, Satoshi.

Ta place sera toujours dans l'équipe,

alors reviens quand tu veux.

Satoshi

— Je ne sais pas trop...

Je ne reviendrai pas avant un long moment, je ne sais même pas si je reviendrai tout court. Je préfèrerais vous donner mon formulaire de résiliation...

Satoshi était venu me faire part de son désir de quitter l'équipe de base-ball.

Je savais ce qu'il se passait chez lui.

Je m'étais douté que ce n'était qu'une question de temps, et je m'y étais préparé.

Satoko et leur tante n'arrivaient pas à vivre ensemble. Leur tante lui faisait subir toutes sortes de brimades -- elle la maltraitait, presque, si la rumeur disait vrai.

D'ailleurs, les services de l'enfance avaient été voir de quoi il retournait. Lorsqu'ils étaient en visite, la tante était à peu près correcte,

mais après cela, elle se mit à faire des coups très bas à sa nièce.

D'après les gens de leur voisinage, on entendait Satoko pleurer tous les soirs, à cause des hurlements incessants de leur tante. Parfois même, cela pouvait durer jusque très tard dans la nuit.

Les résultats des tests hebdomadaires de Satoko montraient une aggravation lente mais constante de sa situation.

Pour contrer cela, j'avais augmenté les doses de mes prescriptions,

mais tant que la situation avec sa tante ne serait pas réglée, le risque de rechute au niveau N5 était réel.

.. Quoique, elle n'était pas du genre à déclencher les symptômes de la phase terminale.

Elle était plutôt du genre à cacher son désarroi derrière un visage plus ou moins inexpressif.

Il y a deux ans, elle a tué ses parents en les poussant dans le ravin. On pouvait donc légitimement craindre pour la vie de sa tante.

Grâce au travail discret des chiens de montagne, la chute mortelle au parc naturel de Shirakawa avait été classée comme un accident. Ôishi avait arrêté son enquête, mais il avait encore des soupçons.

Si jamais il devait se produire à nouveau ce genre d'incident autour de Satoko...

je pense qu'il ne fera pas dans la dentelle et qu'il prendra, cette fois-ci, un mandat d'arrêt.

L'environnement de Satoko est devenu un désastre, et je ne pouvais rien faire pour l'améliorer.

Il n'était pas étonnant de voir Satoshi prendre sur lui la décision d'arrêter le sport pour pouvoir la protéger. Il ne pouvait certainement pas supporter de voir ça...

Satoshi

— En fait, j'ai commencé à faire des petits boulots.

C'est pourquoi je n'aurai plus le temps de venir aux entraînements et aux matches...

Irie

— Tu fais des petits

boulots ?

Pourquoi, tu veux t'acheter quelque chose en particulier ?

Satoshi

— ... Oui.

C'est bientôt l'anniversaire de Satoko.

Elle a vu une grosse peluche qui lui plairait bien, alors je compte la lui offrir.

Maintenant qu'il le disait...

Oui, sur sa carte d'assurance maladie, il y avait une date.

Le 24 juin.

C'était juste après la fête de la purification du coton, cette année.

Irie

— Je vois...

Eh bien, c'est très gentil à toi, Satoshi, tu penses beaucoup à ta sœur.

Je suis sûr que ça lui fera très plaisir.

Satoshi

— ... Ouais, peut-être, tant mieux.

Je sentais bien qu'il était très stressé et très fatigué.

J'imagine que pour lui, voir sa sœur maltraitée de la sorte est un calvaire, comme si lui aussi était maltraité...

Le seul moyen de réguler un peu ce genre de souffrance psychique est de faire du sport, ou de bouger, peu importe, et de garder un rythme de sommeil régulier.

Si vraiment les hurlements résonnent dans la maison jusque tard de la nuit, tous les soirs, alors Satoshi ne dort pas assez, puisque forcément, il protège sa sœur.

Quant à ses petits boulots, je ne sais pas ce qu'il fait, mais c'est généralement une activité qui ne vous permet pas de déstresser.

Pour être honnête, je trouvais Satoshi beaucoup trop fatigué physiquement et mentalement pour commencer à travailler.

Je lui proposai à voix basse de participer financièrement, mais je connaissais son caractère, je savais qu'il refuserait, ce qui ne manqua pas de se produire.

C'était un cadeau qu'il voulait offrir, il voulait donc sortir l'argent tout seul. C'était un modèle de maturité et d'honnêteté.

Comme il voulait seulement de quoi payer le cadeau, il lui fallait quelque chose d'assez rapide.

Il lui restait quelques semaines, cela ne devrait pas trop le surmener...

Même si franchement dit, ce n'était pas le moment d'avoir encore plus de souci que ce qu'il avait déjà.

Mais c'était vrai que l'anniversaire de sa sœur arrivait bientôt. Il semblait bien difficile de trouver des arguments pour le dissuader de le faire.

Quand Satoshi prenait une décision, il était du genre à s'y tenir.

Je savais que si je lui ordonnais d'arrêter de travailler, je risquais simplement de me le mettre à dos.

Je préfèrai accepter son arrêt temporaire et surveiller le développement de sa situation.

Satoshi

— ... Ah, au fait, Chef.

Euh, je peux quand même vous emprunter une batte ?

Je me suis complètement mépris sur le sens de sa question ce jour-là.

Lorsqu'on m'a raconté après qu'il avait cette batte toujours avec lui, pour se protéger,

je compris que c'était un très mauvais signe.

Il semblait persuadé que les meurtres en série de Hinamizawa continueraient cette année.

Et surtout, que c'était lui qui mourrait cette fois-ci.

Il s'imaginait donc que quelqu'un cherchait à attenter à sa vie.

Sans aucun doute possible, c'était un signe d'un stade avancé du syndrome de Hinamizawa.

Mais bien sûr, ce jour-là, malgré mes connaissances de la maladie, je n'y pensai pas...

Irie

— Une batte ?

Mais dis-moi, à quoi pourrait-elle te servir ?

C'était sa batte de base-ball, normalement.

Il aurait dû me demander s'il pouvait prendre sa batte avec lui, mais non : il m'a demandé s'il pouvait m'en emprunter une.

Je ne pouvais pas le savoir, à cet instant, mais je pense qu'il essayait de se dédouaner un peu de la responsabilité des actes qu'il comptait accomplir avec.

Satoshi

— ... Eh bien...

Je ne pourrai plus venir aux entraînements.

Donc si possible, j'aimerais l'avoir avec moi pour faire des moulinets quand j'aurais du temps libre.

Irie

— Ah, oui, bien sûr, c'est une très bonne idée !

Irie

Tu peux y aller, prends ta batte.

Irie

Mais quand tu t'entraînes, fais bien attention à laisser de l'espace, ne casse rien.

Irie

Si possible, et si tes voisins ne se plaignent pas trop, fais pendre un vieux pneu à une branche d'arbre et essaie de le frapper.

J'étais sûr que faire des moulinets lui permettrait d'évacuer une partie de son stress.

Ce qui serait bon pour lui sur le long terme.

C'est ce que je me suis dit ce jour-là.

... Mais je faisais une grave erreur.

Une erreur dont je ne pris conscience que plusieurs jours plus tard, lorsque le mal fut fait...