La famille Hôjô était plutôt célèbre au village : c'était celle qui s'était mis tout le village à dos lors de la guerre du barrage.

Les époux Hôjô étaient du genre à rentrer dans le lard, et se montraient surtout prompts à crier à l'encontre de leurs ennemis jurés, les Sonozaki.

Bien sûr, les habitants qui étaient contre le barrage se montraient froids et distants avec eux, mais cela ne leur faisait apparemment ni chaud ni froid.

Dans un sens, on peut dire qu'ils étaient très courageux.

Mais leurs enfants ont probablement moins bien vécu cette période.

Leur fille Satoko et leur fils Satoshi étaient eux aussi traités avec distance, un peu comme des pestiférés, simplement à cause de leurs parents.

Pour couronner le tout, Satoko ne s'entendait pas avec son père -- qui n'était pas son père naturel -- ce qui avait certainement été une source de stress inimaginable pour les deux enfants.

Étant donné ma position de Directeur de la clinique du village, j'étais un peu un privilégié ; je pus parler de cette affaire à de nombreuses personnes.

... C'est pourquoi je savais pertinemment quel quotidien était le leur, bien avant de les rencontrer en personne.

Ce fut tout d'abord le grand frère qui vint me voir.

Il ne supportait plus le stress du quotidien. Son corps tombait sans cesse malade, c'est pourquoi il vint à la clinique pour une consultation.

Apparemment, il pensait simplement avoir attrapé froid.

C'est d'ailleurs ce qu'il me dit, de lui-même, alors que je me préparais à l'examiner.

Je me souviens encore de ses soupirs et de son regard morne et fatigué.

Je sus instantanément que ce n'était pas un coup de froid qui l'avait mis dans cet état.

Je savais qu'en lui prescrivant quelques médicaments, je pourrais lui donner une apparente guérison.

Mais je savais aussi que cet effet placébo ne durerait pas.

Si je voulais le soigner, je devais commencer par améliorer son cadre de vie, et ce, le plus vite possible.

Mais bien sûr, c'était beaucoup plus facile à dire qu'à faire.

Nous n'étions pas dans une situation simple dans laquelle un cacheton et quelques jours de repos forcé allaient le remettre sur pieds. Et puis, sa position un peu au milieu des affrontements entre ses parents et les villageois était impossible à régler d'un coup de baguette magique.

Seul le Temps mettrait fin aux chicaneries que sa famille subissait. Et il mettrait certainement plusieurs mois, si ce n'étaient plusieurs années, pour tout faire cesser.

C'est pourquoi je voulus être la première personne au village à être de son côté.

Puisque je ne pouvais pas changer son environnement, il me fallait tenter de faire baisser son stress de manière indirecte.

Alors j'ai pensé que le mieux serait de lui apprendre à gérer son stress.

Et la meilleure chose à faire dans ces cas-là, c'est de pratiquer un sport, de préférence celui qui nous plaît le plus, bien sûr.

C'est pourquoi je décidai de l'inviter à joindre l'équipe de base-ball dont j'avais la responsabilité.

Bien sûr, j'étais un chercheur jeune et ambitieux, et je voulais consacrer le maximum de mon temps à l'étude du syndrome de Hinamizawa, mais je ne pouvais pas vivre que de travail et d'eau fraîche.

J'avais fait un peu de base-ball étant plus jeune, et m'étais porté volontaire pour encadrer les enfants qui voudraient en faire.

Et puis les enfants avaient fait le reste, et m'avaient un jour appelé “Chef”, comme si j'avais réellement été leur entraîneur, sans même me demander mon avis.

Un médecin ne fait pas que donner des gélules pour guérir les gens.

Il faut aussi avoir un esprit sain dans un corps sain pour rester le plus longtemps en bonne santé.

Et l'on pouvait obtenir et garder la forme grâce à la pratique d'un sport.

Sauf que je n'avais pas assez d'enfants pour former une équipe officielle.

C'est là que je me suis dit que je pourrais lui faire intégrer l'équipe.

Satoshi était plutôt du type littéraire, tout le monde le savait. Il ne s'intéressait pas vraiment au sport et ne voyait pas trop en quoi cela aurait amélioré son quotidien.

Je n'avais pas besoin de lui parler de théories avancées sur la médecine et la psychologie.

Tout ce qu'il me fallait, c'était lui mettre une batte dans les mains et le faire bouger ; il se rendrait compte des effets bénéfiques par lui-même, ce qui serait bien plus efficace pour le motiver à continuer.

Et je pense que cette stratégie a fini par payer.

Il a vraiment mis beaucoup de mauvaise volonté avant de tenter l'essai, mais après cela, il est venu à chaque match et à chaque entraînement.

En le voyant reprendre des couleurs et de l'assurance, je fus non seulement rassuré d'avoir choisi la bonne manière, mais aussi plutôt content de moi.

La seule chose qui me chagrinait était que si Satoshi avait autant de stress,

il ne pouvait qu'en être de même de sa petite sœur Satoko.

Et j'étais tellement fier de ce que j'avais pu faire de Satoshi que je n'avais pas pensé à elle.

... Et je l'ai regretté amèrement le jour où elle a été emmenée chez nous en observation.

C'est là que je compris enfin que pendant tout le temps que j'avais passé à aider Satoshi, Satoko avait, quant à elle, connu une situation de pire en pire.

Et puis, il est vrai que c'est précisément à cette époque qu'eut lieu un incident qui pouvait largement, à lui tout seul, être le déclencheur de sa maladie.

Leurs parents étaient morts dans un accident.

Depuis la fin de la guerre du barrage, la fête du village, la purification du coton, était un peu une fête commémorative de la victoire du village sur l'État -- c'était un jour très difficile à vivre pour les Hôjô.

C'est pourquoi l'on comprenait facilement leur habitude de s'absenter loin de Hinamizawa le jour-même de la fête.

Et ce jour-là, dans le parc qu'ils visitaient, ils tombèrent d'un promontoire.

Ce n'était vraiment pas le jour pour avoir un accident mortel.

Tous les habitants finirent par penser que la divinité protectrice du village, la déesse Yashiro, avait jeté son mauvais œil sur eux, en ce jour de fête dédiée à son culte, pour les punir de leur trahison.

Depuis ce jour, les gens considèrent que les Hôjô sont des êtres maudits...

Alors bien sûr, le village avait pour habitude de murmurer et de pointer du doigt dans le dos des parents.

Ceux-ci étant morts, l'on aurait pu croire que tout cela finirait, mais non.

La déesse les avait désavoués.

Le traitement de pestiférés devait donc logiquement se poursuivre...

Seule Satoko avait été présente sur les lieux de l'accident.

(Ce jour-là, l'équipe de base-ball était en déplacement pour un entraînement, aussi Satoshi avait passé cette journée fatidique avec moi et non avec sa famille)

C'est aussi ce qui explique pourquoi la Police fit tout son possible pour interroger Satoko -- elle était le seul témoin possible.

Parmi eux, l'inspecteur Ôishi en particulier, qui soi-disant suspectait un groupe armé ayant des racines au village, se présentait souvent dans l'espoir d'un interrogatoire.

Elle était bien plus stressée que Satoshi, c'était donc normal de la voir succomber. Le contraire eût été inquiétant, d'ailleurs.

Pendant qu'elle répondait aux questions de l'inspecteur, son pouls s'accéléra de manière dangereuse et elle fit une insuffisance respiratoire.

Lorsqu'elle arriva au service des urgences, elle faisait vraiment peine à voir.

Rien que lors du premier diagnostic visuel, j'eus beaucoup de mal à garder mon calme en réalisant tout ce que son corps si fragile avait dû endurer.

Satoshi

— ... Chef, est-ce qu'elle va s'en sortir ?

Irie

— Oui, ne t'en fais pas, Satoshi.

Ce n'était qu'une crise passagère.

Satoshi

— ... Est-ce que je peux la voir ?

Irie

— Je viens à peine de réussir à la faire dormir.

Irie

Je préfèrerais être sûr de la voir prendre du repos.

Irie

Il vaudrait mieux la laisser tranquille.

Irie

D'ailleurs, le mieux serait peut-être même de la garder à l'hôpital pendant encore quelques jours, en observation.

Irie

... N'aie pas peur.

Irie

Laisse-moi faire.

Satoshi

— Merci beaucoup, Chef.

Je savais que Satoshi tenait beaucoup à sa sœur.

Je savais aussi qu'il pouvait comprendre sa douleur, et elle la sienne aussi.

Tout le stress qui retombait sur Satoshi retombait donc aussi en partie, par effet de miroir, sur sa sœur Satoko...

Je savais que ce n'était pas une chose à dire, mais quelque part, j'étais soulagé que leurs parents fussent morts.

Parce qu'enfin, désormais, sa sœur était délivrée d'une grande partie des causes de son stress.

Elle n'avait pas su tisser de liens avec son nouveau père, elle n'était pas aussi adulte que son frère.

C'était pourquoi j'étais persuadé que la mort de son nouveau père, qui devait forcément être sa plus grande source de stress et d'angoisse, lui ferait le plus grand bien, même si évidemment, la mort de sa mère allait forcément contrebalancer une partie de cet effet bénéfique.

... Et pourtant, elle n'était pas au bout de ses peines.

Contre toute attente, leur situation empira lorsqu'ils furent placés sous la tutelle de leur oncle et de sa femme...

Mais bien sûr, je ne pouvais pas savoir cela lorsque cette tutelle me fut annoncée. À cette époque, j'avais l'optimisme et la stupidité de croire que sûrement, leur nouvel environnement familial serait bien meilleur...