Sous un soleil de plomb rappelant les heures les plus chaudes de l'été, les jeunes de l'équipe de base-ball suivaient la balle blanche des yeux, très concentrés.
Les cris stridents des grillons qui rehaussaient encore plus l'impression de chaleur sur le terrain n'étaient pour eux qu'un bruit de fond de plus parmi tous les cris et les encouragements du public.
Bien sûr, ils suivaient tous l'entraînement basique et faisaient pas mal d'exercices pour augmenter leur endurance.
Mais ce que les enfants préféraient, bien sûr, c'était non pas la partie qui ressemblait au cours de sport, mais le match que nous faisions à la fin.
L'école de Hinamizawa était en fait située dans le bâtiment des Eaux et Forêts. Elle ne faisait qu'emprunter certaines salles et certains terrains attenants.
C'est pourquoi la cour de l'école était faite de gravier -- les enfants ne pouvaient pas se permettre de faire des sports avec trop de mouvement.
Alors qu'ici, à Okinomiya, c'est un vrai terrain de sport avec des vestiaires. Les enfants peuvent s'y en donner à cœur joie.
Même si entre nous, les enfants de Hinamizawa ne s'inquiétaient jamais des gravillons et jouaient quand même comme des fous dans leur cour...
Profitant de ce qu'une autre personne surveillait le match et l'arbitrage, je décidai d'aller leur acheter des boissons.
— Eh, Chef, vous allez où ?
— Oh, je vais juste prendre une ou deux caisses de boissons au magasin du coin.
Si tu veux venir m'aider, Satoshi, ça m'arrangerait.
— Ah, oui, oui bien sûr,
je vous suis.
Sans rechigner le moins du monde, Satoshi m'accompagna.
Les adultes ayant toujours des goûts bizarres aux yeux des enfants, même avec la meilleure volonté du monde, j'étais bien content d'avoir un des leurs à mes côtés pour m'aider à choisir.
Nous prîmes ma voiture pour nous rendre dans un supermarché un peu plus loin.
— ... Chef, je...
Comment va Satoko ?
— Plutôt bien,
disons qu'elle est en bonne voie.
Elle se remet petit à petit, plutôt lentement, mais sûrement.
Elle va encore avoir besoin de repos.
Satoshi était très inquiet, et c'était bien normal.
Cela faisait déjà deux semaines que sa sœur était hospitalisée.
Bien sûr, il ne savait pas qu'elle souffrait du syndrome de Hinamizawa et qu'elle était en phase terminale. Il ne savait pas qu'elle pouvait être victime de trouble mental aigu à tout instant.
Il s'imaginait simplement que le choc de la mort de leur parents avait été trop pour ses nerfs, sans plus.
Il était venu tous les jours pour lui remonter le moral, mais elle avait soudain montré des signes très alarmants, en particulier des émotions changeant du tout au tout.
C'est pourquoi nous avions dû nous résoudre à lui demander d'arrêter de venir voir sa sœur pendant quelque temps.
Pour être tout à fait honnête, l'état de santé de Satoko était très préoccupant.
Elle était au niveau 5, un stade de la maladie où l'on considérait les patients comme mourants.
L'homme de l'année dernière avait eu des réactions complètement irrationnelles, à faire peur à un toxico en manque.
Rien ne disait que Satoko ne suivrait pas le même chemin.
Alors bon, effectivement, la dissection vivante pratiquée sur cet homme l'année dernière nous avait appris beaucoup de choses sur la maladie, son agent pathogène, et les grandes lignes de ses mécanismes.
... Nous avions même fait des découvertes importantes qui devaient nous amener à pouvoir traiter la maladie.
Mais nous n'avions encore mis au point aucun traitement médical.
Et si jamais Satoko devait arriver à un stade dans lequel nous n'avions plus aucune chance de la sauver, il fallait s'attendre à recevoir de nos supérieurs l'ordre de la disséquer elle aussi.
J'étais obligé de mentir à Satoshi. Je ne pouvais rien lui dire de ce qu'il se tramait, alors que sa sœur était plus ou moins entre la vie et la mort...
Si jamais il lui arrivait quelque chose...
... Alors mon mensonge serait impardonnable.
Le peu de bonne conscience qu'il me restait me mit mal à l'aise.
— ... Si ça ne vous dérange pas, Chef, je...
J'aimerais bien vous la laisser encore quelques semaines.
— ... Qu'est-ce que ça veut dire, Satoshi ?
Il aurait dû normalement vouloir son retour à ses côtés le plus rapidement possible. Cela devait forcément cacher quelque chose.
— Euh, rien.
... En fait...
Satoko ne s'entend pas trop bien avec notre tante.
— On m'a dit qu'elle ne s'entendait pas trop bien avec vos parents,
mais avec sa tante ? Ça se passe mal, dans votre nouvelle famille ?
— ... ... Disons que... Satoko n'arrive pas à faire confiance aux adultes.
Satoshi m'avait déjà raconté un peu tous les problèmes que lui et Satoko avaient vécus.
Les mariages à répétition de leur mère les avaient beaucoup perturbés.
Satoshi avait fini par les surmonter, mais Satoko avait été encore trop jeune pour réussir à gérer tout cela.
Elle en était traumatisée. C'était la raison pour laquelle elle avait haï cordialement tous les tuteurs qu'elle avait eus.
Même si quelque part, tous les enfants avaient du mal à accepter des tuteurs avec qui ils n'avaient aucun lien de parenté.
Satoko n'était, pour le coup, pas vraiment une exception.
Par contre, généralement, les enfants réussissaient à garder leurs sentiments pour eux et à ne pas être trop démonstratifs.
Mais ça, justement, Satoko n'y arrivait pas.
— Notre oncle ne rentre pas souvent, et même quand il est là, soit il dort, soit il regarde la télévision.
... Non, le vrai problème, c'est ma tante, elle est toujours à lui chercher des poux.
— Je me demande bien ce que votre tante peut avoir contre ta sœur...
Oh, j'avais ma petite idée sur la question.
Comme leurs parents avaient été pour la construction du barrage, leur tante aussi avait souffert des brimades exercées à l'encontre des Hôjô.
Et en plus, maintenant qu'ils étaient morts, elle devait s'occuper de leurs deux enfants ; ça faisait beaucoup pour bien peu en compensation.
Pourtant, Satoshi s'accomodait de la situation sans problème. Il ne faisait pas trop de vagues, et sa tante le laissait tranquille.
Mais Satoko n'arrivait pas à se tenir comme lui.
Elle trahissait toujours son mécontentement, par un geste ou par un regard, et cela finissait toujours par des cris.
— ... J'ai déjà un peu expliqué à ma tante pour Satoko,
mais elle n'a pas l'air de vouloir la comprendre...
— Je sais que tu la protèges à chaque fois, Satoshi, tu te comportes comme un frère modèle, crois-moi.
... Tu sais, Satoko te considère sûrement comme le seul membre de sa famille.
— Oui... C'est l'impression qu'elle me donne, à moi aussi.
Le soupir de lassitude qu'il poussa en disant cela m'en apprenait beaucoup.
Il ne s'en plaignait jamais, mais je sentais bien qu'il commençait à en avoir marre de tout le temps trinquer pour elle lorsqu'il essayait de la protéger.
C'était un garçon bien, et un frère exemplaire.
Il continuera à la protéger, il ne laissera pas sa sœur se débrouiller seule.
Et ça, ça risque de lui faire beaucoup de stress et de fatigue...
Satoshi a probablement toujours connu cela.
Il avait d'ailleurs déjà eu un accident de santé à cause de ça.
Je croyais que la mort de leurs parents allait, au bout du compte, arranger les choses pour eux, mais...
... Apparemment, c'était encore pire maintenant.
— Je comprends.
... Si nous laissons Satoko sortir de l'hôpital maintenant, elle fera une rechute quasiment immédiatement, c'est certain.
Ne t'inquiète pas pour les frais d'hospitalisation, Satoshi.
Je garderai Satoko en observation à la clinique jusqu'à ce qu'elle soit totalement remise, j'en prends l'entière responsabilité.
Encore une fois, ma bonne conscience se fit sentir. J'étais quand même sacrément gonflé de lui faire croire que j'accédais à sa requête alors que de toute manière, j'avais mes ordres...
Je t'en foutrais, moi, des responsabilités.
Mme Takano a presque terminé de planifier la dissection et l'ordre des expériences à tenter...
— ... Si vous pouviez le faire...
ce serait bien pour moi.
— Pardon ?
— Nan, je...
Si Satoko reste plus longtemps chez vous,
je…
ce sera…
plus facile pour moi à la maison,
quoi.
— Et... pourquoi est-ce que tu dis ça ?
— ... Quand Satoko sortira de l'hôpital...
je sais que ce sera la même rengaine.
Ma tante va lui gueuler dessus du matin au soir, comme d'habitude.
Et c'est encore moi qui vais prendre.
Alors que si elle pouvait rester tout le temps à l'hôpital…
je pourrais un peu me la couler douce, quoi.
Chaque fois que j'y pense,
je me dis que je suis quand même un sacré connard...
— Satoshi...
Ce n'est pas parce qu'il la protégeait toujours qu'il n'en pensait pas moins...
— J'ai vraiment honte de moi quand j'y pense.
Et plus j'y réfléchis, plus j'ai honte de moi…
... …
Il y eut un silence, puis il renifla.
Je vis bien qu'il avait mal et qu'il s'en voulait. Ça le mangeait de l'intérieur...
Il essayait de se comporter en frère modèle, et c'était ça qui lui sapait ses forces et son moral.
Satoko n'avait pas de chance dans la vie, mais dans un sens, son frère non plus.
J'étais le seul à les connaître plus ou moins bien. Je savais que personne ne se souciait vraiment d'eux. Je devais faire quelque chose, il le fallait, à tout prix…