Officiel du gouvernement

— ...-is vous savez, il faut aussi considérer les retombées économiques sur la région, l-

Villageois

— Puisque j'te dis qu'on n'en a rien à battre !

Villageois

— Nous, on veut savoir qui vous a autorisés à venir construire un barrage chez nous !

Villageois

— Alors quoi, vous nous prenez des impôts à plus savoir quoi en faire, et c'est COMME ÇA que vous le dépensez ?

Eh gamin, tu crois qu'il vient d'où, l'argent de ce projet ?

Officiel du gouvernement

— Messieurs Dames, voyons, je vous l'ai déjà dit !

Comme je vous l'expliquais, l-

Villageois

— On te demande pas de t'excuser, on te demande quand est-ce que ce sera annulé !

Villageois

— Rah, ça sert à rien de discuter avec toi, ramenez-nous le ministre !

On va s'expliquer avec lui une fois pour toutes !

Villageois

— Alors, vous êtes encore là ? Allez-vous-en, qu'on vous dit !

Villageois

— Et d'abord, saligauds, je vous signale que vous travaillez grâce à nos sous, alors ne venez pas nous parler de haut !

Descendez de cette estrade si vous voulez nous parler !

La salle de sport était très bruyante, à cause des cris de colère des habitants.

Le panneau devant la salle indiquait qu'ici avait lieu une réunion d'information sur le plan de barrage de Hinamizawa.

À chaque fois qu'une personne du Conseil Régional essayait de parler et d'expliquer quelque chose, les habitants lui criaient dessus, invariablement, jusqu'à couvrir sa voix.

Comme cela empêchait le bon déroulement de la réunion, les fonctionnaires avaient fini par simplement ignorer toutes les protestations et avaient suivi leur feuille de route, point par point, tentant d'expliquer à force de schémas et de petits tableaux tous les avantages du projet.

Et donc bien sûr, les habitants avaient eu l'impression d'être pris pour des idiots,

et avaient été encore plus mécontents.

Il y avait un espace laissé vide entre l'estrade et les places réservées aux habitants des villages concernés. Et dans ce no man's land, justement, plusieurs troupes de policiers faisaient un mur compact pour empêcher tout incident.

Et heureusement, d'ailleurs, parce que sinon, les gens envoyés par l'État pour cette réunion auraient déjà été bien malmenés par leur auditoire...

... Debout tout au fond de la salle, j'observais la scène en silence.

Je pouvais clairement distinguer la colère qui les submergeait.

Cette colère donnait un rouge diffus à la salle, à tout l'air ambiant.

Puis cette colère justifiée fut remplacée par un autre type de colère, une colère plus aveugle, une colère qui était une fin en soi.

Alors ce fut un cercle vicieux ; plus les gens exprimaient leur colère, plus ils devenaient colériques et voulaient le faire savoir...

... Ce n'est pas une émotion inutile.

Les êtres humains rencontrent plusieurs obstacles au cours de leur vie.

Et c'est la colère qui les motive pour leur faire surmonter ces épreuves.

En ce sens, on peut dire qu'elle est d'une importance vitale.

C'est pourquoi il serait stupide de nier toute utilité à la colère.

Le problème est que lorsque la colère se fait trop grande, elle en fait oublier ses motivations.

Et dans ces cas-là, elle n'est plus bénéfique, elle n'est plus un moyen de survie.

Dans ces cas-là, la moutarde vous monte au nez et vous foncez tout droit, plus rien ne compte -- même la raison pour laquelle vous étiez en colère...

... Mais surtout, cette émotion est très difficile à supporter pour nous.

Elle nous engloutit, peu à peu. Je peux voir l'évolution, très clairement, comme je peux voir les couleurs.

Je connais les règles du monde des humains.

Un individu, seul, ne peut rien contre l'État, strictement rien.

S'il veut réussir quoi que ce soit, il doit dépasser sa condition d'individu. Il doit obtenir le soutien d'un groupe soudé derrière les mêmes idées.

Mais il est très difficile de canaliser toute cette énergie et de la guider dans la bonne direction.

La colère appelle la colère.

Pour un sursaut nécessaire à la survie, passe encore, mais souvent, la colère n'entraîne que toujours plus de colère.

Où est la différence d'avec un démon ?

Et puis, surtout, cette émotion nous sort de notre profond sommeil...

Je les vis tous prendre des couleurs, les uns après les autres, chacun exhortant l'autre.

Alors que nous avions appris à rester dormants, à cohabiter en paix.

Mais cette colère...

cette colère menaçait de nous replonger à l'époque d'antan, l'époque où les démons sortirent du marais...

J'eus beau crier pour demander le silence...

... personne ne m'écouta. À cause du cercle vicieux de la colère, personne ne m'entendit, personne ne me prêta la moindre attention.

Je n'avais pas le choix. Je finis par leur crier de garder le calme, encore, et encore, et encore...

Si ça continue comme ça, les démons vont se réveiller.

Nous avions pourtant tout fait pour les endormir, si possible à tout jamais. Ils auraient dû se faire oublier et ne jamais revenir...

Je remarquai soudain que l'atmosphère tendue avait changé.

Observant un peu mieux la situation, je vis que la querelle faisait rage désormais parmi les habitants du village.

Mais que s'était-il donc passé ?

Papa de Satoko

— Ah, ferme-là !

Oui, toi ça te fait chier, mais prends pas ton cas pour une généralité, vieille peau !

Oryô

— Ben tu manques pas d'air, jeune con !

T'sais pas à qui tu parles ou quoi ?

Villageois

— Ouais, et d'abord,

comment tu parles à Mme Oryô ! C'est pas l'culot qui t'étouffe, dis voir, hein ?

T'es qui, toi, d'abord, pour venir ouvrir ta schneuss quand on t'a rien demandé ?

Papa de Satoko

— Toi, tu la boucles !

Y a pas que les Sonozaki au village, et je m'appelle Hôjô, alors tu la mets en veilleuse !

Villageois

— Hah ! Bah oui, tiens, le Hôjô, voyons ça !

T'es bien le seul couillon de la lune qu'est d'accord pour noyer le village ! Comment tu peux faire ça !

Combien qu'ils t'ont donné, saligaud ?

Papa de Satoko

— J'ai dit d'la fermer, la grabataire !

J'vais t'dire une bonne chose, y a pas mal de pauvres au village, on crève pas tous de fric comme vous ! On n'a pas tous la moitié de la montagne comme propriété privée !

Papa de Satoko

Moi, la somme que l'État m'a proposée me suffisait largement ! En plus j'aurais eu un logement social presque à l'œil, ça m'allait tout à fait, à moi !

Papa de Satoko

Mais évidemment, il a fallu que tu viennes ouvrir ta grande gueule, hein, connasse ?

Papa de Satoko

J'en ai rien à branler de tes histoires de riches, alors viens pas nous impliquer là-dedans !

Papa de Satoko

Si t'as tellement envie de te faire les griffes contre le gouvernement, t'as qu'à y aller, mais t'y vas toute seule et tu viens pas nous casser les couilles à tous !

Papa de Satoko

Qui va nous payer nos terres maintenant, toi peut-être ?

Papa de Satoko

Nous, on a deux gosses à la maison, ils sont en pleine croissance !

Papa de Satoko

Moi je voulais pas faire de vague, l'État m'aurait filé des sous, un appartement et même un job, y a pas de mal à vouloir refaire sa vie, quand même, merde ?

Papa de Satoko

Et puis d'abord, depuis quand tu te permets de parler en notre nom à tous, hein ?

Papa de Satoko

On se prend pas pour de la merde, à ce que je vois ! Nan mais oh ! Faut pas déconner !

Villageois

— Eh ben putain, Hôjô, tu manques pas d'air !

Espèce de sale traître, comment oses-tu encore venir l'ouvrir ?

Si t'es tellement pas content, t'as qu'à partir !

Papa de Satoko

— Ah, mais justement, j'aimerais bien, mais avec tes conneries, je peux plus !

Alors j'espère bien que tu vas allonger les biftons !

Alors quoi, tu dois bien pouvoir me r'filer autant qu'eux, quand même ?

Papa de Satoko

Parce que moi, même si j'ai envie de me barrer d'ce trou à rat, eh ben j'peux pas !

Mais si tu payes, alors là, ma grande, je serai parti avant que t'aies le temps de ranger ton portefeuille !

Villageois

— ... Ouais, il a raison !

Y a d'autres gens aussi qui veulent céder les terrains !

Ça devrait pas être interdit ! Les clans principaux devraient rester en dehors de ça !

Oryô

— Quoi ? QUOI ? Qu'esse j'entends ?

QUI a parlé ? QUI ?

Alors, je veux un nom, couilles molles !

Villageois

— Les gens qu'ont envie de rester ont qu'à rester !

Mais laisse les gens qui veulent partir négocier leurs départs, pauv' conne !

Villageois

— Ouais, c'est vrai, quoi, merde !

Te mêle pas de ça, Sonozaki, va te faire foutre !

Officiel du gouvernement

— Euh...

Bien sûr, nous avons prévu des compensations pour les gens qui nous proposeraient leur coopération !

N'allez pas croire que nous allons vous flouer, je...

Oryô

— Eh, toi, ta gueule, hein ?

Alors quoi les gens, vous voulez couper le village en deux ou quoi ?

Oryô

Crève, Hôjô !

Tu mérites pas de respirer le bon air de chez nous, crève !

Papa de Satoko

— Me prends pas pour un con, vieille dégénérée !

Viens dehors, viens, j't'attends, j'te crève, moi, y a pas d'souci !

Aaah, mais fous-moi la paix, sale con !

Oryô

— Ooooh, là, mon grand, c'est pas tombé dans l'oreille d'une sourde.

Oryô

Hôjô, tu peux êt' fier de tes conneries,

Oryô

passque là, ça f'sait un moment qu'j'avais pas été comme ça !

Oryô

Tu me le paieras, jeune con, et la facture sera salée !

Oryô

Attends un peu, tu vas voir...

Villageois

— Ouais, vas-y Hôjô !

Et vous, les gratte-papiers, donnez-nous du fric, donnez nous une barraque et un travail !

Officiel du gouvernement

— Eh !

Non, arrêtez de vous battre !

Non, j'ai dit ça suffit !

Oryô

— On va voir quoi ? On va voir quoi, hein, grande gueule ?

Viens dehors, j'te fais un cul bleu, t'as 'ar !

Ils étaient tous rouges, de plus en plus rouges...

Mais je ne pouvais rien faire. Je ne pouvais que regarder l'inévitable se produire...

Alors je pris les devants.

Je savais que cela mènerait sûrement à la catastrophe...

alors je me mis à m'excuser.

Je vous demande pardon…

Pardon,

pardon,

pardon,

je vous demande pardon, je vous demande pardon...

Ce jour fut une journée-charnière dans le village.

À partir de ce jour, les Hôjô et les Sonozaki furent en guerre les uns contre les autres, et les Hôjô se retrouvèrent seuls, désavoués par les villageois.

C'est cette journée qui précipita Satoko et Satoshi dans leur si cruel destin...