Tomitake

— ... Vous voulez qu'on en arrête là ?

Je vois bien que vous n'avez pas trop envie.

Takano

— Quoi ?

... Non, non non, Jirô, vous n'y êtes pas.

Si c'est l'impression que je vous donne, eh bien, ce n'est pas du tout mon intention, pardonnez-moi.

Depuis tout à l'heure, Miyo regardait à travers l'objectif, mais ne semblait pas décidée à prendre la moindre photo.

Elle faisait simplement acte de présence et n'avait pas du tout l'air de vouloir observer les oiseaux sauvages, elle ne faisait même pas semblant...

Depuis la réunion avec le nouveau conseil d'administration, elle semblait être en pleine déprime.

Ce qui n'était pas si surprenant que ça, après tout.

C'était elle qui avait créé l'Institut Irie.

Elle l'avait fait dans le but de passer sa vie à percer les secrets du syndrome de Hinamizawa.

C'étaient les efforts de toute sa vie qui étaient réduits à néant par les dernières directives. À sa place, n'importe qui aurait un coup de déprime...

De plus, elle n'allait pas pouvoir consacrer le temps qu'il lui restait à faire des recherches.

Les budgets seraient de plus en plus serrés, et pendant les derniers mois, il faudra bien expédier les affaires courantes.

Elle m'avait avoué qu'elle était la petite-fille de feu le Professeur Hifumi Takano.

Qu'elle avait passé sa vie à tout mettre en place pour pouvoir mener à bien les recherches qu'il n'avait pas pu faire.

Le pire, c'était que jusqu'à présent, les choses se passaient plutôt bien. J'imaginais bien qu'elle devait être sous le choc.

Les têtes avaient complètement changé dans les hautes sphères d'influence.

Tous les membres du conseil d'administration avaient été remplacés. J'ai même entendu dire que toutes les personnes qui avaient soutenu les projets de Maître Koizumi par le passé avaient été systématiquement évincées.

De plus, ces changements s'inscrivaient dans la durée.

Les anciens partisans de Maître Koizumi ne seraient plus jamais au pouvoir, et donc l'Institut Irie n'aurait plus jamais le genre de soutien dont il avait bénéficié auparavant.

Takano

— ... Peut-être n'y a-t-il plus aucun espoir...

Elle se parlait à elle-même, en murmurant.

... Aussi triste que cela me rendait, elle avait raison.

Il n'y avait plus rien à faire...

Tomitake

— ... Au départ, le conseil d'administration a demandé à tout annuler sur-le-champ.

Mais les gens qui nous ont aidés à fonder l'Institut ont quand même réussi à leur faire changer d'avis

Tomitake

et à vous laisser quelques années pour terminer ce que vous aviez commencé.

Takano

— Hmpfhfhfhf...

Je vois.

À première vue, on pourrait croire que la situation est désespérée, mais en fait, normalement, ç'aurait dû être pire...

Tomitake

— Oui, et ils ont gagné à peine trois petites années.

Moi aussi, j'ai tenté ce que j'ai pu.

J'ai pris les rapports que vous... que tu m'avais envoyés, Miyo. Je leur ai expliqué à quel point ces recherches étaient importantes, mais...

Takano

— ... Mais dans trois ans, tout devra être terminé.

J'imaginais bien qu'elle n'avait aucune idée de tout ce que j'avais dû faire pour réussir à leur expliquer la situation.

Elle me reprochait le fait que les recherches prendraient fin. J'aurais pu gagner quinze ans, elle aurait quand même été déçue et désabusée.

Finalement, je n'étais qu'une déception pour elle. Un raté.

En tant qu'homme, c'était plutôt vexant.

Tomitake

— La seule chose que je peux faire, c'est m'assurer que vous ayez de quoi mener vos recherches sans vous sentir trop limités, pendant le peu de temps qu'il vous reste ici.

... ... ... Je te demande pardon, Miyo.

Je ne suis malheureusement pas capable de faire plus.

Takano

— Ce n'est pas grave.

Si c'est le maximum que vous pouviez faire, eh bien soit. Je suis déjà bien contente comme ça.

... Ça faisait mal à entendre.

Elle aurait pu le dire avec des mots moins acerbes, mais après tout, elle était désemparée. Et puis, je n'étais pas en sucre, non plus.

C'était une situation de crise. C'était justement maintenant qu'il me fallait être capable de comprendre sa souffrance !

Et puis, je savais qu'elle avait considéré Maître Koizumi comme un second grand-père.

Sa mort devait représenter beaucoup de choses pour elle ; sûrement bien plus qu'un changement de directives dans son travail.

Elle avait aussi perdu un être cher, qui avait été son tuteur pendant longtemps.

Elle avait beau se donner des airs parfois,

elle n'était pas de ce monde pourri et corrompu.

C'était une femme plus ou moins normale, comme les autres.

Mais elle avait été séduite par cette maladie mystérieuse, et s'était rendu compte qu'elle ne pourrait pas travailler dessus sans obtenir un pouvoir et une influence bien supérieurs aux siens.

Et elle avait dû passer des pactes avec des gens qui n'étaient pas de son monde à elle. Des gens qui faisaient partie de la face cachée du pouvoir.

Et aujourd'hui, elle se retrouvait toute seule, dans ce monde de prédateurs, et elle essayait de faire croire à tout le monde que tout allait bien...

Je suppose qu'elle me considère comme un idiot sur lequel on ne peut pas compter.

En même temps, j'avais prouvé que je n'avais pas les moyens de répondre à ses attentes et à ses exigences.

Et je n'étais pas près de les obtenir non plus.

La seule chose que je pouvais faire, c'était rester fidèle à ses idées et à ses projets, jusqu'au bout.

Elle savait comment agir rapidement, mais lorsqu'elle était au pied du mur, on ne savait jamais trop de quoi elle était capable.

J'aimerais pouvoir affirmer qu'elle n'était pas du genre à faire une grosse bêtise... mais je ne savais pas ce qu'elle ferait une fois l'échéance finale toute proche.

J'espère pouvoir devenir un soutien psychologique pour elle, avant qu'il ne soit trop tard...

Mais en même temps, je n'ai jamais gagné sa confiance. Qu'est-ce que je suis nul, en fait...

Bien sûr, ma fierté me poussait à vouloir être quelqu'un d'important pour elle, quelqu'un de rassurant.

Mais il y avait aussi autre chose.

Je savais qu'elle était toute seule dans cet univers si secret et si impitoyable. Quelqu'un devait absolument rester à ses côtés pour la protéger !

Et comme j'étais le seul à savoir tout cela sur elle,

eh bien, j'étais un peu obligé de m'y coller, non ?

Je savais parfaitement qu'elle n'était pas du genre à demander de l'aide.

Mais je savais aussi que même si ça ne lui plaisait pas, elle avait besoin de quelqu'un à ses côtés.

Je ne pensais pas être à la hauteur dans ce rôle.

Il y avait sûrement bien d'autres personnes qui feraient ça bien mieux que moi.

Mais je ne pouvais pas la laisser se débrouiller seule jusqu'à ce que son sauveur se décidât à apparaître...

Tomitake

— ... Miyo.

Je ne suis peut-être pas à la hauteur, mais...

Takano

— Hein ?

Que vous arrive-t-il, tout d'un coup,

Jirô ?

Tomitake

— Je suis sûr de pouvoir t'être utile d'une manière ou d'une autre, si tu voulais bien me faire confiance.

Alors si jamais

Takano

— Merci, mais stop.

Je ne suis pas de celles qui pensent que parler de leurs problèmes peut faire du bien.

Je suis désolée, Jirô.

Mais c'est gentil de vous faire du souci pour moi.

Tomitake

— ... Je vois.

Si c'est ce que tu penses, alors d'accord.

Mais n'oublie pas, je suis et je serai toujours de ton côté.

Takano

— Oh, mais je vous crois.

Si vous deviez découvrir le moyen de convaincre le conseil d'administration, je suis tout ouïe.

Tomitake

— Oui, bien sûr.

... Je vais essayer d'y réfléchir.

C'est étrange, cette sensation.

Je vois bien qu'elle est bien plus alerte que moi et que mon aide ne lui servirait à rien.

Et pourtant, je reste persuadé qu'il lui faut absolument quelqu'un pour l'aider.

Elle avait l'air de ne pas souffrir, mais...

moi qui avais passé des années à prendre des photos avec elle, je savais.

Parce que l'objectif, c'est aussi une fenêtre sur l'esprit d'une personne.

Mais je savais que si je lui disais ça tout sérieusement, elle risquait de se moquer de moi, alors je n'ai rien dit.

En tout cas,

maintenant plus que jamais, elle avait absolument besoin d'un soutien psychologique...