Les visites médicales des civils de la région étaient une chance formidable pour nous aider dans les recherches.

Bien sûr, elles ne concernaient que la frange plus âgée de la population, mais elles nous permettaient d'observer en même temps de nombreux habitants de Hinamizawa.

C'était le plus gros avantage que nous avions à avoir déguisé nos laboratoires de recherche en une clinique régionale.

De plus, nous avions graissé pas mal de pattes pour avoir le monopole des autopsies sur les corps des habitants du coin.

Pour quiconque considérant la médecine en tant que domaine académique, je me doute que ces conditions doivent paraître idéales.

Les examens approfondis des documents laissés par feu le professeur Takano avançaient bien.

Leur contenu était tellement visionnaire et les théories s'avéraient tellement proches de nos expériences qu'il était vraiment difficile de croire qu'il eût travaillé tout seul. Plus les recherches avançaient, et plus je me rendais compte que cet homme avait été un scientifique extraordinaire.

Takano

— Monsieur le Directeur, je peux vous parler ?

Irie

— ... Euh, Mme Takano ?

Oui, bien sûr.

Takano

— Nous venons de recevoir de Tôkyô les résultats d'analyses qui nous manquaient.

Je vous les pose ici.

Irie

— Ah, merci beaucoup.

... Les choses sérieuses et intéressantes vont commencer.

Takano

— Hmpfhfhf.

Oui, c'est vrai, et je suis bien contente de pouvoir partager ça avec vous.

Cette femme était envoyée par l'Armée de Terre pour m'épauler dans cette mission.

Mais pour être franc, elle dégageait une atmosphère bien différente des autres militaires que je connaissais.

Tout comme les détails de notre mission étaient tenus secrets,

les détails du passé de cette femme étaient eux aussi classés secret défense.

Je suis d'ailleurs persuadé que “Takano” n'est pas son vrai nom.

Je ne suis qu'un médecin et un chercheur.

Sans son aide, je ne pourrais jamais faire face à toutes les tâches qui m'incombent à ce poste.

Elle sert de lien direct avec nos clients de “Tôkyô”, et me seconde à tous les postes.

De plus, elle a une connaissance approfondie du syndrome de Hinamizawa.

Elle est absolument indispensable.

Honnêtement, nous aurions dû fonder non pas l'Institut Irie, mais l'Institut Takano. C'est elle qui mérite le poste de Directeur, clairement.

Enfin, en même temps, ils m'avaient expliqué le principe dès le départ.

Notre client voulait absolument un civil à la tête de l'institut.

C'est d'ailleurs bien pour cela qu'ils m'avaient choisi pour me placer à ce poste.

Je n'étais qu'une décoration, et j'en étais plutôt conscient.

Mais il ne m'ont pas employé uniquement pour faire de la figuration.

On m'a demandé de faire des recherches sur une maladie extrêmement rare.

Et moi, je suis un chercheur comme tous les autres.

J'ai envie de savoir, j'ai besoin de savoir, ma curiosité est la plus forte.

Peu importe ce que notre client s'est imaginé lorsqu'il m'a choisi. Je compte bien percer à jour les mystères du syndrome de Hinamizawa et être le premier à expliquer ce phénomène au reste de l'humanité.

Irie

— Je trouve quand même dommage, si ce n'est rageant, de pouvoir constater autant d'éléments nous indiquant une infection parasitaire prouvant l'existence certaine du syndrome de Hinamizawa,

Irie

sans pour autant découvrir quel est l'agent pathogène.

Takano

— Oui, je suis bien d'accord avec vous.

Je pensais naïvement que nous aurions des résultats probants avec l'observation au microscope à électrons.

Les virus ne pouvaient pas être observés “à l'œil nu” avec de simples microscopes.

L'invention des microscopes à électrons avait été une révolution pour la Science et surtout pour la Médecine.

Mais ils étaient tellement chers que seuls les grands instituts pouvaient en avoir.

Dans les notes de feu le Professeur Takano, il avait écrit qu'un examen au microscope à électrons pourrait sûrement montrer l'agent pathogène. Mais sur ce point, malheureusement, il s'était trompé.

Madame Takano aussi semblait avoir cru que cet examen nous donnerait facilement la réponse.

Elle avait l'air très déçue, presque déprimée, que les cerveaux conservés du Professeur n'aient rien donné.

À dire vrai, nos recherches étaient tombées dès le départ sur une grosse difficulté. Cela faisait maintenant plusieurs semaines que nous n'avançions plus.

Il nous fallait réfléchir à la manière et à la direction dans laquelle les poursuivre.

Irie

— ... Donc soit l'agent pathogène est encore plus petit que ça,

soit nous observons les mauvais éléments.

Takano

— Et... que voulez-vous dire au juste par là ?

Irie

— Eh bien, prenez l'exemple des souris, elles sont parasitées par plusieurs types de puces.

Irie

Jusque là, je ne vous apprends rien, j'imagine. Mais si vous essayez d'observer les types de puces d'une souris en prenant un spécimen mort, vous ne trouverez rien --

Irie

à la mort de leur hôte, les puces sont condamnées.

Takano

— Oui, lorsque l'hôte meurt, c'est la Terre entière qui dépérit.

Irie

— Exactement.

Si jamais d'autres formes de vies venaient étudier la Terre après sa mort, elles ne trouveraient plus aucun être humain.

Takano

— ... Exact, il leur suffit donc d'observer la Terre avant son déclin.

Hmpfhfhfhf...

Irie

— Oui...

Mais sur une Terre encore en vie, il y a des choses que l'on appelle des droits.

Il devrait être très difficile de pouvoir étudier un spécimen vivant...

Étudier le cerveau d'un être humain encore vivant.

C'était quelque chose de très grave, quelque chose d'encore tabou, même en en parlant à demi-mots.

En médecine, pour comprendre, il faut observer et faire des expériences.

Mais dans la société des hommes, il y a des règles -- ce que l'on appelle l'éthique.

Tous les chercheurs du monde de la médecine doivent travailler à la frontière de l'acceptable d'un point de vue éthique pour pouvoir faire avancer la Science...

Il y a longtemps, moi-même, j'essayais de perfectionner la pratique de la psychochirurgie, pour le bien de l'humanité.

... Et je reste persuadé que je n'étais pas dans l'erreur.

Mais est-ce que d'un point de vue éthique, mes recherches étaient excusables ?

Franchement dit, je n'en savais rien.

Un jour, je serai devant le juge des Enfers.

Ce sera à lui de trancher.

Que je sois coupable ou innocent, j'accepterai mon sort sans broncher.

Alors que j'étais encore un peu perdu dans mes souvenirs,

j'entendis une voix.

Madame Takano m'avait adressé la parole.

Elle avait dit quelque chose sur le ton de l'évidence,

mais c'était ce ton enjoué

qui m'avait justement fait frissoner d'effroi.

Takano

— Eh bien alors,

débrouillons-nous pour trouver une planète Terre qui ne soit pas encore morte. Ça devrait pouvoir se faire.

Irie

— ... Pardon ?

J'eus l'impression d'entendre la voix de la tentation.

Celle qui me répétait que les progrès de la médecine passaient par quelques sacrifices.

Encore une fois, je frissonai d'épouvante.

Takano

— Ahahaha,

Takano

allons, ce n'est pas si diffcile que cela à comprendre.

Takano

Il nous faut trouver un habitant de Hinamizawa étant en fin de vie, si possible avec une maladie incurable, ou bien alors tellement mal en point que la famille se prépare au pire à tout instant.

Irie

— ... Oui, mais enfin, je pense que bien peu de personnes auraient le courage de léguer leur corps à la science pour se faire disséquer de leur vivant -- même s'ils se savent condamnés, les gens veulent vivre...

Takano

— Qui vous parle de courage ?

Nous ne ferons que déclarer la mort naturelle du patient quelques minutes plus tôt que la véritable échéance.

En tout cas, sur le papier.

Hmpfhfhfhf !

Pratiquer une autopsie sur un être vivant que l'on aurait déclaré mort un peu trop tôt,

donc...

Irie

— Non, ce ne sera pas possible.

Une trépanation, ça se remarque.

La famille verrait immédiatement les traces de l'opération, voyons !

Takano

— Mais justement, nous pourrions remédier à cela, si nous le voulions !

Takano

Je vais demander aux Chiens de Montagne de nous trouver tous les patients qui remplissent ces conditions dans les hôpitaux de la région.

Prenez déjà votre assiette et des couverts, Monsieur le Directeur,

Takano

je vous ramène le plat le plus vite possible !

Hmpfhfhfhf !

Irie

— ... Ahaha... hahahahaha...

Je ne doute pas une seule seconde que Miyo Takano est la partenaire la plus efficace de toute mon équipe.

Mais je n'arrive pas à lui faire confiance.

Elle possède une face cachée, une mentalité peu glorieuse pour un chercheur, bien différente de la mienne...

... Quoique. Elle n'est pas très différente de moi, pour être honnête.

Car en fin de compte, je suis bel et bien assis devant mon assiette, attendant que le repas soit servi.

Je suis juste trop faux-jeton pour oser regarder le cuisinier tuer et préparer le poisson en cuisine.

Mais cela ne changeait rien au principal :

à savoir, que j'attendais ce repas avec impatience...

Quelle hypocrisie...

Oui, vraiment,

quel hypocrite je faisais.

Il n'y avait aucune différence entre ce qu'elle me proposait et ce que je faisais autrefois.

Combien d'opérations ai-je menées, jouant avec le cerveau et la vie des patients, sans même leur demander leur avis ? Elle était aujourd'hui dans mon rôle d'autrefois, c'est tout.

Jusqu'à aujourd'hui, je n'ai jamais douté du bien-fondé de mes actes.

Et pourtant, quand je l'écoute et que je la regarde sourire, mes certitudes vacillent.

Elle était au téléphone avec Okonogi, utilisant ma ligne sécurisée.

J'imagine qu'elle compte l'informer de ce dont nous venons de discuter et qu'elle lui fera part immédiatement de ses ordres.

Et moi, je ne faisais rien pour l'arrêter. Je me taisais et j'observais.

Assailli par le doute,

je me plongeai dans mes souvenirs,

pour essayer de savoir exactement pourquoi je m'étais lancé dans cette voie

il y avait maintenant si longtemps...