En secret, je m'étais préparé au pire pour ce soir. Je m'étais dit que peut-être, il se passerait quelque chose.
La première année, ils avaient dû payer des ouvriers pour tuer et découper le vieux, et la deuxième année, je ne sais pas comment ils avaient fait, mais ils s'étaient débarrassés des époux Hôjô en faisant croire à un accident.
Les gens qui avaient été élevés au rang d'ennemis du village lors de la guerre du barrage étaient curieusement retrouvés morts le lendemain de la fête de la purification du coton -- une célébration religieuse qui n'avait d'importance qu'aux yeux des habitants de Hinamizawa.
Et je savais bien évidemment qu'une partie des gens du village parlaient déjà de la “malédiction de la déesse Yashiro”.
C'est pourquoi j'avais ma propre théorie sur la question.
Maintenant que la guerre du barrage était terminée, le village réglait les comptes en faisant payer les anciens traîtres et autres ennemis le soir de la fête du village.
Si c'était bien le cas, alors il restait certainement encore des gens qui devaient y passer.
Et donc peut-être que “la malédiction” frapperait une troisième fois.
Et j'avais eu du flair sur ce coup-là.
Le seul problème, c'est que ça a commencé d'une manière tellement innocente et naturelle que je n'ai rien vu venir.
À l'approche de la fin de la fête, les responsables du village étaient tous ou presque rassemblés dans la tente des organisateurs.
Les invendus des stands de nourriture furent confisqués et la bière se mit à couler à flots, en une grande et joyeuse fête.
J'étais moi aussi dans cette tente, une personne de l'association de quartier m'avait invité.
C'est pourquoi en fait, j'étais au premières loges quand l'affaire de la troisième année a éclaté.
Je ne savais juste pas que c'était ce que je cherchais...
— Ben alors, M. Furude ?
Vous êtes tout pâlot, ça va pas ?
Tous les vieillards du village étaient des saoulards, mais certaines personnes dans cette tente ne tenait pas beaucoup l'alcool.
Dont, précisément, le prêtre.
Il était un peu l'hôte de la soirée, le maître de cérémonie aussi, et il représentait le village.
Il devait dire bonjour aux invités, porter les toasts aussi, et donc arrivé tard le soir, il était épuisé et bourré comme un coing.
C'est pourquoi lorsque les gens le prièrent de venir s'asseoir dehors, sur une chaise pliante, histoire de prendre l'air, je ne fus pas étonné outre mesure.
Le maire, M. Kimiyoshi, s'approcha de lui et lui tapota l'épaule, lui demandant si tout allait bien.
— Eh ben alors, toi ?
Ahhahahahaha ! Tu as trop bu ou quoi ?
Qu'essy a ? Tu as mal à la poitrine ?
— ... Oui.
Je suis vraiment désolé, mais là, je crois que je suis vraiment très fatigué.
— Mais, t'étais pas cardiaque, toi, si ?
Alors si tu as mal, c'est pas un bon signe !
Eh, Docteur !
Docteur Irie, venez voir !
— Oui, que se passe-t-il, un problème ?
Ah, je vois, la poitrine ?
Hmmm, c'est mauvais signe, ça...
— Ooooh... Hmmm, ouh la...
Je remarquai alors qu'il avait un teint verdâtre, et qu'il transpirait beaucoup. Non, il n'avait pas l'air de simplement se reposer en prenant l'air frais, vraiment pas.
Il avait besoin de s'allonger et de se reposer, et le plus vite possible.
— ... Vous savez quoi ? Je crois qu'il serait plus prudent de vous ramener à la clinique.
Vous êtes sûr que ça va aller ?
Vous voulez vous accrocher à mon épaule, peut-être ?
— Eh, les gars, venez nous aider !
— Le prêtre se sent pas bien !
— Quoi, il y a un problème avec mon mari ?
Eh ben alors, ça va pas, qu'est-ce que tu as ?
— Ah, Madame Takano !
Vous tombez bien.
Monsieur le prêtre ne se sent pas bien, je vais l'emmener chez nous, à la clinique.
Vous voulez bien nous emmener en voiture ?
— Oui, bien entendu,
vous pouvez compter sur moi.
Hmpfhfhfhf !
C'est ainsi que le docteur Irie, son infirmère et les époux Furude sont partis pour la clinique.
... Les jeunes gens se moquent bien de leur santé, mais les personnes plus âgées savent exactement quand est-ce qu'ils vont vraiment mal.
Ils ne font que rarement des efforts jusqu'à en souffrir.
Et je connaissais le prêtre, il n'était pas du genre à boire jusqu'à s'en rendre malade.
Mon flair me disait quelque chose. Mon expérience du terrain me disait que tout cela sentait mauvais, très mauvais.
Alors, juste pour en avoir le cœur net, j'ai voulu aller à la clinique, moi aussi.
Je pensais les rejoindre en voiture sans trop de difficulté, mais en fait, les gens étaient justement en train de démonter les stands et de tout transporter. J'ai eu beaucoup de mal à sortir du parking temporaire.
Je suis arrivé à la clinique à peu près vingt minutes après eux.
Et tout s'est joué pendant ces vingt petites minutes.
Si elles n'avaient pas été là, j'aurai été autrement plus impliqué dans les événements de la troisième année, pour sûr.
Je m'en suis beaucoup voulu de ne pas y être allé à pieds en voyant l'embouteillage au parking.
... Quant au reste, que dire de plus que de rapporter les faits ?
Entre le moment où le prêtre et sa femme sont partis pour la clinique et le moment, vingt minutes plus tard, où je suis arrivé là-bas, tout était fini.
Le prêtre avait à peine passé les portes de la clinique qu'il faisait un malaise
et mourait.
Les résultats de l'autopsie indiquent une insuffisance cardiaque, mais je n'y crois pas.
Je n'ai jamais entendu dire que le prêtre était fragile de santé, et puis même, cette histoire de crise cardiaque surprit tous les gens qui l'avaient bien connu.
Et puis surtout, la femme du prêtre avait disparu, alors qu'elle avait été à son chevet !
Les gens de la clinique ont pu m'assurer qu'effectivement, elle avait été là au moment où son mari était mort, mais qu'ils n'avaient pas trop fait attention à elle par la suite et que d'un seul coup, ils ne l'avaient plus vue.
Et elle n'était pas non plus rentrée à la maison, bien sûr.
À ce moment de l'enquête, j'ai pensé à un empoisonnement.
Le prêtre avait été vertement critiqué pour avoir été un pacifiste, un attentiste pendant la guerre du barrage ; il calmait souvent le jeu en disant que de toute façon, ce projet serait probablement abandonné et qu'il ne fallait pas se mettre dans tous ses états pour si peu.
Les vieillards du village avaient la rancœur tenace. Ils disaient souvent que ce prêtre n'était pas digne de célébrer le culte de la déesse Yashiro. Tellement souvent que même moi, je le savais.
J'ai immédiatement appelé des renforts et je me suis mis à la recherche de sa femme.
Je savais que si le soi-disant accident m'avait bien appris une chose, c'est que les coupables n'hésiteraient pas à supprimer les deux époux.
Les jeunes du villages furent aussi rassemblés, et nous ratissâmes toute la partie entre le village et la montagne.
... Et nous retrouvâmes ses sandales, placées bien proprement près de son mot d'adieu, au bord du marais.
Dans sa dernière lettre, elle écrivait qu'elle se donnait en sacrifice à la déesse pour calmer sa colère -- et que la mort du prêtre, donc, était due à la colère de la déesse Yashiro. Tout semblait indiquer un suicide par la noyade.
Le marais du village était appelé “les abysses des démons”, c'était un marais sans fonds dont les gens pensaient autrefois qu'il menait directement au pays des démons, dans le royaume des morts.
Nous avons envoyé des hommes-grenouilles draguer le fonds, mais ils ne trouvèrent pas le corps...
Les morts sordides des années précédentes ressemblaient en apparences à deux affaires distinctes, qui avaient été résolues, d'ailleurs, comme me le rappelaient assez souvent mes supérieurs.
... Mais il y avait des choses très louches dans cette troisième affaire.
Tout ce que je savais, c'est que le prêtre s'était plaint d'une douleur, et que sa femme l'avait accompagné à la clinique.
Et ensuite, en à peine vingt minutes, le prêtre est mort de maladie,
et sa femme s'est suicidée, ou bien elle a disparu...
Pour être franc, je veux bien croire que le prêtre soit mort d'une crise cardiaque, ça me paraît plausible.
Mais l'on ne me fera jamais croire que sa femme s'est donnée en sacrifice à la déesse Yashiro. Et puis en plus, elle aurait pris cette décision en moins de vingt minutes, et serait immédiatement passée à l'acte ? Non, ça ne tenait pas debout.
Les Furude n'ont aucune autre famille dans la région.
Elle a forcément dû avoir une pensée pour sa fille, qui se retrouvait seule au monde. Je veux bien qu'elle ait été très portée sur la religion dans sa vie, mais quand même, elle n'abandonnerait pas son enfant comme ça.
... Et puis, Irie me cache quelque chose.
Par contre, je sens bien que ce n'est qu'un simple médecin ; il n'est probablement qu'un pion sur l'échiquier.
Si c'est bien un assassinat et que tout a été planifié, alors quelqu'un tire les ficelles dans l'ombre.
J'avais commencé à croire que les événements des deux années précédentes n'étaient peut-être pas tant liés que ça au village,
mais ces deux morts suspectes confirmaient mes soupçons : il y avait bien une seule et même entité derrière tout cela, et elle agissait avec logique et précision...
Tous ces incidents avaient des tas d'éléments louches et perturbants.
Et pourtant, il devait y avoir quelqu'un du village qui faisait pression sur ma hiérarchie, car nous reçûmes très vite l'ordre de considérer cette affaire comme séparée des autres. Et elle fut d'ailleurs vite classée sans suite, comme pour se faire oublier...
Alors bien sûr, comme c'était la troisième fois de suite, tout le monde au village se mit à croire que c'était réellement la malédiction de la déesse Yashiro.
Et je pense que c'était le but recherché par les auteurs de ces crimes.
Le culte de la déesse Yashiro avait failli disparaître pour de bon après la guerre.
Peut-être que quelqu'un essayait de le restaurer, en tuant ses victimes selon un certain rituel...
Quant aux gens qui tirent les ficelles...
bah, ce sont sûrement les Sonozaki.
Plusieurs mois après l'incident...
... Oryô Sonozaki déclara à propos de ces deux morts tragiques que le prêtre avait été maudit par la déesse à bien juste raison. Depuis ce jour-là, les meurtres en série de Hinamizawa comptent officiellement trois “malédictions”.
Au début, moi, je voulais juste venger la mort du vieux.
Mais maintenant, cette affaire s'est transformée en un truc complètement différent. Elle contient des éléments religieux, et certains détails sont vraiment très étranges.
... Bordel de merde. Ce sont des humains qui ont tué le vieux.
Je ne peux pas laisser les gens dire qu'il est mort dans une malédiction ! C'est n'importe quoi ! Je ne l'accepterai jamais !