— Haaaa...
Haaa...
Haaaa...
— ... Oh putain, ouh putain de putain... Putain, merde, merde, merde...
Chef ?
Chef ? Dites quétchose, Chef !
Chef !
— Couillon de la lune,
il est mort, ça se voit, quand même !
Quelque chose tomba par terre, dans un grand fracas.
Tout le monde sursauta.
Quelqu'un avait laissé tombé sa pelle par terre.
Sa partie métallique était recouverte d'un sang brun.
D'ailleurs, il n'y avait pas que cette pelle qui était éclaboussée de sang.
Les uniformes des six ouvriers ici présents en portaient eux aussi des traces.
L'un des hommes était agenouillé devant un corps immobile, affreusement mutilé et ensanglanté, gisant à terre.
— Chef...
Cheeeeef...
nooonn...
— Oh, ta gueule !
Il est forcément mort, regarde-le !
Et puis eh, c'est pas de not' faute, hein ?
C'est de la légitime défense, que je dis !
La dispute avait éclaté lorsque le chef de chantier les avait vertement sermonnés pour avoir ouvert des bières en plein travail.
Il y avait des affichettes partout pour rappeler aux ouvriers qu'il était interdit de fumer et de boire de l'alcool pendant le travail.
Et le chef de chantier n'était pas du genre à fermer les yeux sur les mauvais comportements des ouvriers.
Alors oui, effectivement, ils étaient fautifs, tous les six.
Mais ils étaient au bout du rouleau, à subir tous les jours les cris et les insultes des manifestants.
C'est pourquoi sans vraiment le vouloir, ils avaient fait exprès d'énerver le chef de chantier.
Amène-toi, sale con, qu'ils lui ont dit.
D'ailleurs, les autres étaient plutôt joueurs et les ont un peu poussés l'un contre l'autre.
Dans le domaine du bâtiment et des travaux publics, le travail est rarement amusant et toujours éreintant.
C'est pourquoi les ouvriers se cherchent parfois les ennuis, pour éliminer leur stress.
Ils pensaient que leur chef de chantier leur gueulerait dessus comme un putois et qu'il confisquerait les bières.
Mais les choses ont rapidement escaladé bien au-delà de leurs prévisions.
En fait, pour être précis, c'était plutôt que le chef de chantier avait complètement pété les plombs.
Alors c'est vrai, lui aussi devait supporter les mêmes manifestants et se faire insulter du soir au matin et du matin au soir.
C'est donc pourquoi tout comme ses ouvriers, lui aussi avait du stress à revendre.
Mais vraiment, là, sa réaction avait été complètement disproportionnée, bien hors des limites du raisonnable.
Au début, il avait été énervé, mais normal, quoi.
Et puis il avait vraiment commencé à péter un câble, comme s'il avait été complètement fou.
On aurait dit une tout autre personne.
Un peu comme si...
comme s'il avait été possédé par quelque chose de maléfique.
Même les ouvriers qui se moquaient de lui avaient fini par remarquer que quelque chose ne tournait résolument pas rond.
Et alors soudain,
le chef de chantier avait ramassé une pelle qui traînait dans un coin. Puis, sans hésiter le moins du monde, il avait tenté de fracasser le crâne de l'ouvrier qu'il engueulait.
L'ouvrier en question évita le coup complètement par hasard, en se laissant tomber en arrière, mais s'il ne l'avait pas fait, il serait certainement mort.
Alors le chef de chantier le poursuivit, tentant de lui mettre des coups de pelle alors qu'il était à terre.
L'homme au sol se roula par terre pour l'éviter, tant bien que mal.
C'est à ce moment-là que les ouvriers qui regardaient faire comprirent qu'ils devaient absolument intervenir.
Mais le chef de chantier ne se laissa pas démonter ; il les attaqua tous, autant qu'ils étaient.
L'un des hommes tenta de se protéger avec les bras.
Mais bien sûr, ce n'était pas comme ça qu'il allait arrêter un coup de pelle à la verticale.
Il y eut une effusion de sang et un cri déchirant perça parmi les bruits du chantier.
Les ouvriers comprirent alors instinctivement que leur chef de chantier n'était clairement pas normal.
Il ne ferait aucun cadeau cette fois-ci ; il n'hésiterait pas à leur briser le crâne s'ils ne faisaient rien pour se protéger !
Pour se protéger des coups de pelle, ils avaient eux aussi besoin de quelque chose, un outil, n'importe quoi.
Profitant d'un moment de relâche, un homme en profita pour ramasser une masse.
En voyant cela, les autres voulurent en faire autant.
Ils pensèrent normal de prendre un outil pour tenter de maîtriser le chef de chantier !
— Mais c'était pas voulu !
Noooonnnn...
Il ne fallut pas longtemps avant que l'état d'esprit du chef de chantier ne se propageât à ses adversaires.
Et alors, il ne fut plus question de maîtriser le chef de chantier, mais de le lyncher...
Et puis, d'un seul coup, ils étaient revenus à leurs sens, et leur chef gisait maintenant mort, à leurs pieds.
Il avait le visage tuméfié, la peau arrachée par endroits, et surtout, le crâne ouvert.
Ils surent tous, instantanément, qu'il était mort de chez mort...
— Eh, déconnez pas, hein !?
C'est nous qu'on s'est fait attaquer, il a failli nous crever, ce con !
On devait bien se défendre !
Hein ?
Le meneur des six ouvriers, enfin, celui qui s'était le premier pris le chou avec son chef, chercha à rassembler ses collègues autour de son avis, mais personne ne lui répondit. Ils étaient tous très pâles, blafards.
Et cela n'eut pas l'air de trop lui plaire.
C'était lui qui avait plus ou moins cherché la merde.
Les autres étaient venus par la suite, pour s'interposer.
Devant les juges, il serait sûrement considéré comme l'instigateur du crime.
Et il voyait bien que les autres ouvriers comptaient tout lui refourguer sur le dos !
— Bon, eh, on va pas pleurer toute la nuit non plus, hein ?
C'est arrivé, c'est arrivé !
On l'a tué, OK, maintenant il faut voir après !
On est des meurtriers,
alors il va falloir réfléchir à la suite !
— Ou bien alors quoi, vous allez vous dénoncer, bien gentiment, pour aller faire de la taule ensuite ?
Laissez-moi rire !
Moi, j'ai pas envie de retourner en taule cette année !
— Il faut cacher le corps !
On va cacher son corps et on fait comme si de rien n'était !
Certains parmi les ouvriers présents savaient que cet homme-là avait déjà eu une condamnation à de la prison avec sursis.
C'est pourquoi il lui fallait tout cacher à la Police, car s'il était à nouveau arrêté, il prendrait cher.
Et c'est aussi la raison pour laquelle il se fâchait tout rouge et essayait de rallier les autres à sa cause...
S'il avait été seul avec le corps, il n'aurait pas eu tout ce stress avec les autres.
Il aurait pu simplement cacher le corps et faire le mec qui n'est pas au courant.
Mais ils étaient six, lui inclus.
Il avait des complices, mais ils étaient aussi autant de témoins oculaires.
Si un seul d'entre eux se dénonçait à la Police, ils y passaient tous...
— Ouais, mais eh...
même si on cache le corps, je veux dire…
ça va bien finir par se savoir, tu sais...
— Il vaut mieux avouer et dire que c'était de la légitime défense !
C'est juste que... ben, on en a fait un peu trop, quoi. Et puis ça passera, sûrement...
— Mais vous êtes complètement à la ramasse, les gars !
Vous avez vu dans quel état on l'a mis, bordel de merde ?
Vous croyez vraiment qu'on va s'en sortir avec la légitime défense ?
Même ses parents le reconnaîtraient pas, couillons de la lune !
— Mais ouais mais attends, mec, les autres vont bien se rendre compte que le chef a disparu quand ils viendront bosser demain !
Qu'esstu veux faire contre ça ?
— Mais c'est contre ta connerie qu'y faut trouver quétchose, couillon de la lune !
Il mit une baffe monumentale au plus peureux de ses complices, qui s'affala à terre.
Le meneur des ouvriers avait désormais un visage terrifiant à voir...
— Écoutez-moi bien, bande de moules !
On sera accusés de meurtre, vous m'entendez, de meurtre !
Ouvrez votre clapet et vous en prendrez facile pour 5 ou 6 ans !
Si jamais un seul d'entre nous ouvre sa schneuss,
on est bon pour aller tous au turbin !
Et croyez pas que la prison, c'est de la rigolade, hein ?
Je vous conseille de fuir et d'y mettre le paquet, parce que croyez-moi, vous ne voulez pas vous faire choper !
Vous n'avez qu'à vous dénoncer à la police quand il y aura prescription !
Il devenait de plus en plus enragé.
Un peu comme le chef de chantier, juste avant.
Oui, ses complices malgré eux lui trouvaient un air bizarre,
comme s'il était possédé, lui aussi...
D'ailleurs, les manifestants tiraient souvent une tête similaire lorsqu'ils hurlaient leurs revendications.
Ce village s'appelait autrefois “le village des abysses des démons”.
On racontait qu'avant, des démons enragés vivaient ici et qu'ils prenaient régulièrement le contrôle des humains.
En tout cas, c'est le genre d'inepties que les policiers anti-émeutes disaient à voix basse pendant leur service. D'un seul coup, ces histoires avaient moins l'air de sornettes...
Quand le chef de chantier avait pété les plombs, ils avaient failli se faire tuer.
Et ils n'avaient maintenant aucune garantie que le mec en face d'eux ne tenterait pas la même chose...
D'ailleurs, il tenait toujours la grosse masse bien fermement en mains.
Si jamais l'un d'entre eux proposait d'aller se rendre,
il était sûr de se faire exploser la tête, au propre comme au figuré.
— Ah, j'ai une idée.
... Oui, je crois que j'ai trouvé un moyen
pour être sûr qu'il n'y ait pas de traître parmi nous.
Ahahahaha...
Et en plus, on cachera le corps plus facilement, comme ça, ça fait d'une pierre deux coups...
— ... ... Bon alors ? À quoi tu penses ?
— Héhéhé,
vous voyez ce corps ?
Eh ben on va... le découper, on est six, ben on fera six morceaux...
— Euh... C'est pas un peu... Comment dire...
Un peu dangereux ?
Ils prendraient déjà bien assez rien qu'avec le meurtre,
mais en plus avec démembrement...
Ils auraient bien dit quelque chose de ce genre, mais franchement, vu la situation, ce n'était pas le moment, ils risquaient réellement d'y laisser la peau.
Aucun d'entre eux ne put dire le moindre mot. Rien ne sortit de leur gorge.
— On va le couper en morceaux, ce corps.
Il nous le répétait assez souvent, non ?
“C'est un travail d'équipe”.
Eh ben maintenant, on est tous dans la même équipe de tueurs.
Alors chacun va découper un morceau et aura la responsabilité de le cacher,
et bien, hein ?
Comme ça, on sera tous de manière égale dans la merde.
Ahaha… Ça évitera qu'il y en ait un qui se dise qu'il a des chances de s'en sortir avec un sursis...
Ahahahahahaha !
— Oh putain....
Les cinq hommes restèrent interdits, regardant leur meneur les menacer de son arme.
Enfin, ils sentirent la peur, une peur indicible et séculaire, qui émanait des démons qui vivaient par ici et qui leur remontait lentement, très lentement, la colonne vertébrale...