Une fois arrivé le soir,
mon mari nous convoqua dans notre salle de réception, moi et Rika, pour une réunion de famille.
Traditionnellement, les trois clans fondateurs du village se réunissaient pour décider des projets et de la vie du village.
Les clans des Sonozaki et des Kimiyoshi étant plutôt grands, ils faisaient souvent des réunions de famille pour voir un peu les avis des uns et des autres avant la réunion finale des chefs de clan.
Mais nous, les Furude, nous ne sommes que trois.
C'est pourquoi nous n'avons jamais eu besoin de réunion de famille auparavant.
— Mais que t'arrive-t-il ?
Tu es bien solennel tout d'un coup. Quoi, c'est à propos de ce barrage ?
C'était le thème de discussion privilégié ces temps-ci, les gens ne parlaient que de ça.
Je suis sûre qu'il va nous parler de ça...
Il doit avoir pris une décision, sinon, il ne voudrait pas nous consulter.
Je parie qu'il veut convaincre les autres de céder leurs terrains...
— ... Non, ça n'est pas à cause de cette histoire de barrage.
... Mais cela est en rapport avec ce village, ou plutôt, avec les gens qui, autrefois, vivaient ici. Et c'est un problème très grave.
Ma famille avait toujours eu la garde du temple et le devoir de perpétuer le culte de la déesse Yashiro, la déesse protectrice de notre village.
Il était mon mari et c'était lui qui tenait ce poste désormais. Ça devait être vraiment grave...
Mais si ce n'était pas pour le barrage, de quoi pouvait-il bien vouloir nous parler ?
— ... J'ai pris ton nom lors de notre mariage, je ne suis pas un Furude.
Cette histoire te concerne surtout toi et notre fille Rika, car vous êtes les héritières de ce clan.
... ... ... Pour faire simple, disons que vous n'êtes pas des êtres humains comme les autres.
— ... Je suis la réincarnation de la déesse, moi, je te signale !
— Rika, cesse de raconter ces âneries !
Je crois qu'il vaut mieux en discuter sans elle, d'ailleurs, allons dans notre chambre.
Tu sais, les vieilles personnes du village lui racontent déjà suffisamment de sornettes, je n'ai pas besoin que tu t'y mettes toi aussi...
— Cette histoire de réincarnation...
apparemment, ce n'est pas du flan.
— ... .... ... Non mais tu débloques ?
— ... Écoute, ça risque d'être un peu long.
Est-ce que je peux vous demander de vous taire et de m'écouter attentivement toutes les deux ?
Je le regardai d'un air sévère, puis jetai un coup d'œil sur Rika ; elle n'avait pas l'air spécialement surprise ni intéressée.
Mon mari sembla attendre de me voir plus calme, puis, enfin, il commença à parler...
— Il y a depuis très, très longtemps dans ce village la souche d'une maladie étrange.
C'est une maladie endémique, ce qui veut dire qu'elle ne sévit que dans notre région, à Hinamizawa.
Tous les habitants sont porteurs de cette maladie,
pas seulement ceux d'aujourd'hui.
Tous nos ancêtres, enfin, tous vos ancêtres l'ont eue avant vous, et ont dû vivre avec.
— Mais enfin voyons,
nous vivons tous normalement !
Je n'ai jamais entendu parler de cette maladie, ça se saurait, enfin !
— Calme-toi, s'il te plaît.
Cette maladie n'est pas dangereuse, en tout cas, pas tant que les gens restent ici.
Mais elle se déclare lorsque les gens partent vivre loin d'ici.
Tu comprends ce que je veux dire ?
— Mais non, je ne comprends rien à ton charabia, là, parle !
— ... C'est comme la malédiction de la déesse Yashiro, alors ?
Rika nous interrompit d'une voix très calme.
— Oui, exactement.
La malédiction frappe ceux qui abandonnent le village pour aller vivre ailleurs.
Tu comprends ce que ça signifie ? Ça veut dire que la malédiction dont vos ancêtres avaient si peur, eh bien en fait, c'était une maladie qui n'existe qu'ici, dans ce village.
— Mais enfin, ce n'est pas possible, voyons.
Il nous arrive bien de nous déplacer, à nous !
Et les gens qui vont travailler ailleurs ? Il y a même des gens qui vont en vacances à l'étranger !
— Oui, c'est vrai.
C'est parce qu'avec le temps, à force de rester cantonnée à la région, la maladie est devenue moins dangereuse.
D'ailleurs, si le village continue à rester isolé pendant encore un ou deux siècles, la maladie finira par disparaître d'elle-même.
Sauf qu'avec ce projet de barrage, cela n'est plus possible.
Nous savons tous que cette histoire nous tracasse, et tout le monde est sur les nerfs.
Mais justement, cet état de stress permanent aggrave la maladie.
— Mais alors, attends,
tu es en train de me dire que ce que nos ancêtres ont appelé une malédiction pendant tout ce temps, c'était une simple maladie ?
— Exact.
Toutes les lois de la déesse Yashiro ont en fait été créées pour prémunir les habitants de cette maladie.
— Non, ce n'est pas sérieux ?
Mais alors, la déesse Yashiro... est un virus ?
Mais t'es pas bien ?! Mais qu'est-ce qu'on va faire !?
Mais tu crois quoi, qu'on peut l'expliquer aux générations de prêtres qui ont vécu ici ces dernières mille années ?!
— Je t'ai dit de te calmer !
Cela ne change rien au culte de la déesse Yashiro.
Elle est et restera toujours la divinité qui nous protège.
Je voulais juste vous parler de cette maladie. C'est elle, la responsable de cette malédiction.
— Non, je ne suis pas d'accord !
Et que deviennent nos ancêtres, dans tout ça ?
C'est un affront, une humiliation à notre clan !
À la déesse aussi !
Qui t'a donc raconté ces sornettes ?!
Quelle fumisterie, c'est un scandale !
Et puis d'abord, tu as au moins une preuve qu'elle existe, cette maladie ?!
— ... ... Oui.
— ... Quelles preuves ?
Qui ? Où ?!
— Le Ministère de la Santé et le centre national d'épistémiologie.
Ils ont réussi à identifier l'agent pathogène de la maladie et sont en train de rechercher un moyen pour éradiquer la maladie.
Ils m'ont montré leurs recherches la semaine dernière.
Les gens du ministère l'appelle apparemment “le syndrome de Hinamizawa”.
— ... Non... Mais enfin, ce n'est pas vrai...
— Le syndrome de Hinamizawa n'a en fait aucune incidence tant que l'on mène une vie ordinaire.
Mais lorsque l'on s'éloigne trop d'ici, ou bien lorsque l'on mène une vie trop stressante, la maladie peut se déclarer d'un seul coup.
Elle provoque des hallucinations, et peut rendre complètement fou, dans le pire des cas.
Elle a été découverte pendant la guerre, à ce que l'on m'en a dit.
Un médecin s'est rendu compte que tous les soldats de Hinamizawa ou presque présentaient des symptômes vraiment étranges, et c'est depuis cette époque que les recherches ont commencé.
Ils m'ont expliqué pas mal de choses là-dessus,
mais je dois dire que c'était un peu trop compliqué pour moi, je saurais pas vous le redire.
Le mieux, ce serait d'aller les voir toi-même.
... Tu sais, au début, j'ai cru qu'ils me prenaient pour un imbécile, je me suis mis en colère.
— ...
— C'est pour étudier cette maladie que la clinique Irie a été construite.
Officiellement, c'est une simple clinique, mais en fait, ils ont un étage au sous-sol avec un laboratoire spécialement équipé pour la recherche.
— Mais enfin, ça ne te paraît pas louche ?
Pourquoi faire tout ça en secret ? Si vraiment c'est le ministère de la Santé qui a payé pour tout, pourquoi ne pas le faire de manière officielle ?!
— Parce que ça pourrait faire beaucoup de tort à la région.
Regarde ce qu'il se passait avec les lépreux, on les a exclus pendant des siècles. Il y a encore aujourd'hui des préjugés sur eux.
Alors imagine ce qu'il se passerait si le gouvernement annonçait officiellement que les gens de Hinamizawa avaient tous une maladie bizarre qui pouvait les rendre fous, les gens d'ici n'auraient plus la vie tranquille.
C'est pourquoi tout est fait dans le plus grand secret. Ils veulent réussir à la guérir avant que son existence ne soit rendue publique.
Attention, hein, je ne dis pas qu'ils veulent faire de nous des animaux de foire.
Ils veulent juste nous débarrasser de cette maladie, c'est tout.
... À une certaine époque, on pouvait vivre en autarcie, mais c'est fini, tout ça.
Tu dois bien te rendre compte que les villageois ne peuvent pas vivre avec cette menace toute leur vie.
Je sais que je me répète, mais toute cette agitation contre ce barrage, ça ne peut qu'aggraver cette maladie.
— ... Et si jamais un habitant d'ici devenait fou et faisait quelque chose de dangereux, il y aurait des journalistes qui feraient des photos partout-partout, c'est ça ?
— Oui, probablement.
Et là, il sera trop tard.
— ... Oui, d'accord, mais...
Non, je ne peux pas simplement y croire comme ça, sans rien.
Tu es sûr que ces gens-là sont du gouvernement ?
Ce n'est pas une arnaque pour la télévision ou je ne sais quoi ?
— Oh, je ne te fais pas de reproches si tu ne veux pas me croire sur parole.
De toute façon, ils m'ont dit que nous pouvions leur rendre visite quand nous voulions.
J'ai déjà visité leurs locaux, c'est bien trop parfait pour être un canular.
J'ai jamais vu des appareils aussi modernes, même à l'hôpital de Gogura.
Tu devrais aller leur demander des explications.
Ils t'en donneront certainement plus à toi qu'à moi.
Et si vraiment ça ne suffit pas, on peut être reçus directement par les gros bonnets du Ministère, à la capitale.
— ... ... ...
Mais en fait, bon, y croire ou pas, c'est un détail, mais je ne vois pas le rapport avec nous.
— On dit des Furude qu'ils sont les héritiers, en ligne directe, de la déesse Yashiro, et que le sang de la déesse coule dans leurs veines.
On dit aussi que lorsque la première descendance est une fille pendant huit générations, celle de la huitième génération sera la réincarnation de la déesse Yashiro.
— ... C'est moi.
— Oui, c'est toi.
Ma mère me le disait aussi, je suis la septième
et Rika la huitième.
Mais je ne vois pas le rapport avec la maladie ?
— Eh bien...
Le syndrome de Hinamizawa est en fait déclenché par une sorte de parasite.
Quelque chose de vraiment miniscule.
Il est invisible à l'œil nu tellement il est petit.
Et ses parasites sont organisés autour d'un chef, d'une reine, comme une fourmilière.
— Attends...
T'es pas sérieux ?
Les Furude peuvent contrôler ces parasites ?!
— Non, le parasite qui est en sorte la reine mère de la ruche ou de la fourmilière se transmet de génération en génération dans la lignée des Furude.
Ce qui veut dire que la Reine Mère, avant, c'était toi.
Et depuis la naissance de Rika, eh bien, c'est Rika.
— Miaou☆!
— Mais enfin, c'est n'importe quoi !
Mais c'est pas logique, ton histoire !
Et puis d'abord, des parasites ? Non mais tu te rends compte, mais c'est une horreur !
— Mais bon sang, CALME-TOI !
Rah, et puis zut, je suis pas doué pour les explications, moi.
Tu n'as qu'à aller leur demander à eux.
Le plus important dans tout ça, c'est que s'ils veulent espérer trouver un remède, ils doivent pouvoir faire des analyses sur l'une de vous deux.
— Qu'ils aillent se faire voir !
Je refuse de passer pour une souris de laboratoire, et ma fille ne sera pas mêlée à cela non plus !
— Mais arrête de crier et écoute-moi jusqu'au bout, bon sang !
Cette maladie, elle ne se déclenche pas lorsque l'on s'éloigne de Hinamizawa, elle se déclenche lorsque l'on s'éloigne de la Reine Mère !
Quand tu étais jeune, les habitants disaient toujours que tu avais des pouvoirs divins, tu me l'as raconté toi-même quand on s'est connus.
Les vieillards venaient te demander de les purifier, parce qu'ils avaient eu des maux de tête pendant leurs vacances. À leur retour, ils venaient te voir, et d'un seul coup, plus de douleur ! Tu t'en souviens ?
Eh bien ça, c'est la preuve que tu étais leur reine mère.
Le sang des Furude renferme probablement une substance qui permet de sauver les malades.
Les chercheurs ont besoin de vous, pour étudier comment fonctionne la maladie, et pour trouver comment la guérir.
— ... S'ils font des recherches sur moi, ils pourront sauver les gens du village ?
— En tout cas, c'est ce qu'ils disent.
— ... Est-ce que tout le monde est malade ?
Moi aussi ?
Tout le monde ?
Même Satoko ?
— ... Oui, Rika, tout le monde.
Tous les gens qui vivent ici, mais aussi tous les gens d'Okinomiya qui ont de la famille ici.
Ils pensent qu'ils sont quelques milliers de porteurs potentiels de la maladie.
C'est pourquoi le ministère a fait construire ce laboratoire exprès pour nous, et crois-moi, ça doit coûter très cher...
— Eh bien moi, je suis contre !
Je ne veux pas que Rika soit sacrifiée à l'autel de la Science, et puis quoi encore ?!
— ... Moi, ça ne me dérange pas.
Si ça peut leur permettre de sauver la vie de Satoko, alors c'est d'accord.
— Rika, tais-toi !
En tout cas, une chose est sûre, je suis for-melle-ment contre, tu m'entends ?
Je vais aller leur dire deux mots, qu'ils prennent leurs clics et leurs clacs et qu'ils s'en aillent !
Ils ne tueront pas ma fille dans leurs expériences de laboratoire !
C'est notre fille unique, la dernière héritière de cette lignée !
Si jamais elle devait mourir, notre clan serait éteint !
Tu ne réfléchis pas assez en te mettant à notre place !
C'est pour ça que les gens te traitent de pacifiste et de doux rêveur !
Et puis d'abord, c'est absurde !
Le ministère du développement urbain veut construire un barrage ici, la région entière sera noyée !
Mais celui de la Santé veut nous guérir ?
Mais c'est pas logique, c'est moi qui ne comprends rien à rien ou quoi ?!
— Le ministère de la Santé est en train d'en discuter avec eux. La maladie risque de se déclencher d'un seul coup si les gens doivent partir.
Je te dis, va voir leurs équipements, on dirait un film d'espionnage.
Je ne pense pas que l'État soit assez fou pour laisser une telle installation se faire noyer sous les eaux du barrage. Crois-moi, le projet de barrage sera retiré.
— ... Hhhhhoaaaa...
Rika eut un bâillement formidable.
Il était déjà bien tard pour elle...
— ... Je vais aller me coucher.
Papa, tu peux leur dire que je suis d'accord pour les aider. Bonne nuit !
— Rika !
Tu n'as pas l'âge de décider quoi que ce soit !
Rika, tu m'écoutes ?
Attends ici, RIKA !