En fait, les recherches sur le syndrome de Hinamizawa se heurtaient dès le départ à un problème de taille.

Il fallait en effet prévoir comment gérer la situation si jamais la Reine Mère devait mourir, car sa mort mènerait à celle de tous les habitants du village.

Grand-père avait d'ailleurs déjà donné l'alarme dans la thèse qu'il avait écrite à l'époque.

D'après ses conjectures, si jamais il devait arriver malheur à la Reine Mère,

alors d'après le temps moyen que mettait une crise aiguë à survenir, en moins de 48h, tous les habitants de la région ou presque atteindraient le stade de la phase terminale.

On pourrait croire qu'il essaie de nous faire avaler des couleuvres, mais si l'on étudie un peu les mécanismes des sectes religieuses et des suicides collectifs, c'est plus ou moins la norme que l'on peut constater.

La plupart des sectes fonctionnent avec de petites communautés régies par un gourou, un dirigeant incontesté sur qui repose la cohésion et l'existence-même du groupe.

Grand-père sélectionna les incidents survenus dans les communautés ressemblant le plus à celle de Hinamizawa, et il les étudia scrupuleusement.

Il découvrit que très souvent, à la mort du gourou ou du chef religieux, la communauté était complètement affolée, ce qui menait à des suicides en masse.

Et chaque fois, tout se jouait en 48h, parfois même moins.

Il était en tout cas certain que l'état de santé de la Reine Mère jouait un rôle décisif dans la communauté. C'était ce que toutes les observations semblaient montrer.

D'ailleurs, la semaine où Rika était venue à la clinique parce qu'elle ne se sentait pas bien, nos services avaient été débordés par les patients, à peine quelques jours plus tard.

Les habitants du village étaient très réceptifs aux baisses de forme de Rika.

Si un simple coup de froid se répercutait en de telles proportions, alors il y avait fort à parier qu'ils mourraient tous dans ces fameuses 48h si jamais Rika devait perdre la vie pour une raison ou pour une autre.

C'est pourquoi l'Institut Irie devait aussi prendre à cœur, en plus d'étudier le syndrome de Hinamizawa, de protéger à tout prix la vie de la Reine Mère, Rika Furude.

Elle avait accepté de coopérer, mais bien évidemment, aucune des expériences menées sur elle ne devait pouvoir mener à sa mort.

De plus, ils devaient à tout prix empêcher quiconque de l'assassiner à dessein.

Sa vie valait autant que celle des 2000 habitants du village.

Et pourtant, oui, pourtant,

malgré toutes ces précautions, le hasard serait peut-être quand même fatal à la Reine Mère.

Et pour pallier à cette éventualité, l'Institut Irie devait préparer des directives à suivre, si cela devait malheureusement arriver.

C'est pourquoi j'avais commencé la rédaction d'un manuel d'urgence dès le début des travaux de construction de nos futurs laboratoires.

Pour le cas où la Reine Mère venait à mourir, ou tout autre cas de figure dans lequel les habitants pourraient faire des crises aiguës...

... Il nous fallait des mesures d'urgences à appliquer dans les 48 heures pour éviter une épidémie incontrôlable.

C'était une méthode radicale et définitive pour éviter toute propagation.

Nous devions éliminer tous les porteurs de la maladie en faisant croire à une catastrophe naturelle...

Les menus détails de ces opérations furent décidés par notre client, les têtes pensantes derrière le projet alphabet.

Ils furent d'ailleurs très efficaces ; il faut croire que c'est un domaine de compétence absolument nécessaire lorsque l'on étudie les armements nucléaires et autres armes bactériologiques...

En tout cas, moi, je n'aurais jamais réussi à planifier l'assassinat de 2000 personnes...

L'Armée acheta, au travers d'une société écran, les terrains appartenant à l'ancienne carrière abandonnée de Yago'uchi, en amont du fleuve.

C'est là qu'elle construisit des entrepôts secrets pour avoir tout le matériel nécessaire à l'extermination de la population le moment venu.

Ils y stockèrent du gaz mortel, qui endormirait puis tuerait les villageois. Si jamais le manuel d'urgence devait être un jour suivi, alors des troupes spécialement entraînées par l'Armée viendraient faire le sale boulot.

Mais bien sûr, politiquement parlant, le simple fait de ne pas empêcher la mise en place de telles mesures de sécurité était un coup de poker.

Si nous voulions faire accepter ce plan, il nous fallait expliquer et convaincre tout le monde de la dangerosité du syndrome de Hinamizawa et de l'absolue nécessité d'une solution radicale au problème.

Ce fut moi qui dus aller les voir et les convaincre.

Pour ce faire, je repris les documents que grand-père avait compilés à l'époque.

Nos clients reçurent chacun une copie de sa thèse,

et ils furent tous très choqués en y lisant ce qu'il se passerait dans le pire des cas...

Bureaucrate

— ... Et donc si jamais il devait arriver quelque chose à cette petite fille, les 2000 habitants du coin risqueraient de devenir fous à lier ?

Takano

— C'est exact.

Dans des cas similaires, on constate assez souvent une tendance à organiser un suicide collectif.

Takano

Mais dans le cas précis du syndrome de Hinamizawa, la paranoïa déclenchée chez les porteurs de la maladie risque fort de les pousser à tuer quiconque les approcherait. Cela pourrait porter le nombre de victimes à bien plus de 2000.

Takano

Et même si les violences commenceront par des choses plutôt habituelles dans les zones de non-droit, elles évolueront vers des actes plus irréfléchis, dignes des apocalypses religieuses.

Takano

Sans une parade adéquate prête à l'emploi, nous ne pourrons pas empêcher les événements de se savoir.

Et nous n'avons que 48h.

Bureaucrate

— ... Donc si jamais ça devait arriver, le processus serait rapide et irréversible ?

Bureaucrate

— Il ne serait pas possible de soigner tout le monde dans les 48h ?

Bureaucrate

— Non, certainement pas.

Et puis, nous ne savons toujours pas comment traiter la maladie. Surtout que leurs laboratoires n'ont pas la capacité d'accueillir 2000 personnes !

Bureaucrate

— En tout cas, c'est une maladie bien étrange et bien horrifiante.

Le monde est vaste et fascinant...

Takano

— L'État a le devoir de se protéger de tous les cas de figure, et c'est aussi notre philosophie pour le projet alphabet.

Takano

De plus, le plus important n'est pas de le mettre en pratique, mais de l'avoir sous le coude en cas de besoin...

Bureaucrate

— Oui,

Bureaucrate

vous avez raison, cher collègue.

Bureaucrate

J'aimerais examiner un peu plus les prérogatives à accorder aux équipes qui s'en occuperont, mais sur le principe, je pense que nous sommes tous d'accord : il nous faut ces directives d'urgence.

Bureaucrate

— Faisons une simulation avec nos équipes de guerre urbaine, et ce rapidement ;

la situation me semble urgente.

Bureaucrate

— Qui sait ? Pendant que nous sommes ici à en discuter, la Reine Mère a pu se blesser mortellement dans une chute, ou dans un accident de voiture.

Bureaucrate

Commandant Takano, merci pour votre rapport.

Bureaucrate

Nous aurons encore des questions à vous poser, mais en attendant, vous pouvez vous asseoir.

Quelqu'un parmi les gens qui me protégeaient avait un peu insisté auprès des bonnes personnes, et tout s'était passé sans anicroche.

J'avais passé presque toute la journée à leur présenter le rapport, mais je n'avais rencontré quasiment aucune opposition.

Personne n'avait rien dit. Ils avaient lu la thèse de grand-père, et ils ne l'avaient pas réfutée. Personne ne s'en était moqué.

... Dans les documents que je leur ai donnés aujourd'hui,

j'ai repris presque dans son intégralité des choses que grand-père avait présentées ce fameux jour où les grands académiciens avaient marché sur sa thèse.

Et pourtant, ici, personne n'avait ri.

Ils avaient lu ses explications avec un intérêt tout particulier.

Ce n'était pas grand'chose, à vrai dire, mais c'était la première fois que ses recherches avaient été reconnues par la communauté scientifique et militaire...

Je pris un grand plaisir à les observer se montrer des passages, surligner, entourer, se plongeant dans des discussions graves et sérieuses en se servant de ces documents comme d'un ouvrage de référence.

J'ai travaillé toute ma vie pour en arriver là. Pour que tes recherches soient reconnues à leur juste valeur.

Grand-Père, est-ce que tu nous observes depuis tout là-haut ? Est-ce que tu vois leurs visages ?