Irie

— ... Aaah, je suis vraiment désolé d'être en retard,

mais aujourd'hui, j'ai eu tellement de monde à la clinique, je me demande bien pourquoi !

Tomitake

— Merci pour tout votre travail, Lieutenant-Colonel.

Tomitake était apparemment très détendu, mais il se leva pour saluer Irie au garde-à-vous.

Irie

— Allons, arrêtez avec ce grade militaire,

je suis médecin, moi !

Si vous tenez vraiment à m'appeler par ma fonction, appelez-moi encore plutôt “Monsieur le Directeur”...

Tomitake

— À vos ordres, Monsieur le Directeur.

Ahahahahaha !

Les deux hommes savaient bien que le docteur Irie détestait être traîté comme un militaire. C'était devenu une blague récurrente entre eux deux.

Tomitake partit d'un grand rire, qui se propagea parmi les autres membres présents à la réunion.

Enfin, pas tout à fait. Madame Takano avait l'air de s'ennuyer ferme.

Elle n'aimait pas répéter plusieurs fois la même chose, et c'était encore pire lorsque les gens lui disaient à elle plusieurs fois les mêmes choses. Et là, cette blague commençait vraiment à se faire vieille.

Mais elle n'osait pas le dire à Tomitake ; il aurait pu se vexer, elle savait qu'il était très sensible...

Une fois, elle avait remarqué qu'il écrivait assez mal son propre nom. L'idéogramme de “take” (竹) était tellement mal écrit que l'on aurait pu le confondre avec un “ri” et un “sa” (リサ).

Elle en avait parlé un jour en secret au docteur Irie, qui avait ri à en manquer d'oxygène.

Tomitake lui en avait beaucoup voulu, d'ailleurs...

Aujourd'hui, il était seulement ici par politesse, puisqu'il était déjà arrivé en ville. Mais la véritable réunion devait avoir lieu demain.

Demain, plusieurs autres agents de contrôle viendraient de Tôkyô. Ils devaient obtenir des informations sur les projets en cours, l'avancement des recherches, tout.

Tomitake

— Mais par contre, autre chose. J'ai trouvé l'ambiance particulièrement agitée au village aujourd'hui.

Irie

— Oh, oui, ne m'en parlez pas...

Irie

La révolte gronde dans les chaumières, c'est moi qui vous le dis !

Irie

En tant que Directeur de l'Institut, j'avais été convié par le Conseil Régional à la réunion d'information pour ce barrage, mais croyez-moi, il en fallait, de la patience, pour supporter tous ces cris et toutes ces insultes...

Après l'annonce du plan de construction du barrage à Hinamizawa, bien sûr, les habitants avaient explosé de colère.

Le gouvernement avait très vite cessé de tenter le compromis.

Il avait montré une volonté politique agressive.

En fait, les gens de l'administration avaient pensé que s'ils laissaient entrevoir la possibilité d'un compromis, ils encourageraient les gens à rejeter le programme.

Sauf que justement, ça n'était clairement pas la meilleure idée.

Hinamizawa avait une longue histoire, un lourd “passif” qui poussait les gens de la région à se serrer les coudes.

Désormais, le gouvernement et le village formaient deux blocs compacts, et aucun des deux ne laisserait le moindre centimètre de corde à l'autre.

Takano

— Hmpfhfhfhf...

Les gens d'ici sont tellement prompts à s'énerver.

Il faut croire que la légende dit vrai : ils ont vraiment du sang de démon dans les veines.

Irie

— Ce n'est vraiment pas drôle, je vous assure.

Mettez-vous un peu à ma place ! Ils m'ont gardé là-bas jusqu'au milieu de la nuit !

Tomitake

— Eh bien, vous n'avez vraiment pas eu de chance !

Ahahahahaha !

Irie

— Non mais, vous ne comprenez pas : il n'y a vraiment rien de drôle à cette situation.

C'est quoi, cette histoire de barrage ?

La région va vraiment se retrouver sous les eaux ?

Tomitake

— Eh bien, d'autres gens à Tôkyô se débrouillent pour faire pression.

Vu d'ici, le gouvernement a l'air prêt à passer outre, mais croyez-moi, en interne, ce projet est sur la sellette.

Irie

— ... Mouais. Espérons que ces pressions fassent rapidement de l'effet.

Tous les habitants sont soumis à un stress rarement atteint.

Irie

J'ai même eu un vieillard qui m'a chopé par le col pour me secouer en m'expliquant pourquoi ce barrage était une mauvaise idée.

Takano

— Hmpfhfhfhf.

Monsieur le Directeur, c'est parce que vous êtes trop gentil avec les gens. Vous n'avez qu'à les envoyer paître.

Irie

— Oui, mais je ne peux pas me le permettre.

Je suis à la tête de ces recherches, mais je suis aussi à la tête de cette clinique.

Et parler aux patients fait partie de mes devoirs.

Tomitake

— Vous savez, je suis très impressionné par votre professionalisme.

Vraiment, votre attitude vous honore.

Irie

— Vous oubliez une chose : moi, je sais que des gens travaillent dans l'ombre pour faire retirer ce plan de barrage, et je sais que ce n'est plus qu'une question de temps.

Irie

Mais les habitants, eux, s'imaginent qu'ils vont être chassés comme des malpropres des terres de leurs ancêtres ! Ils sont vraiment remontés, et je les pense prêts à absolument tout et n'importe quoi.

Takano

— Céder les terrains, c'est bien, mais ils n'ont ni l'âge ni les ressources pour déménager ailleurs.

Takano

J'imagine bien que certains voulaient faire grimper les primes, mais comme l'administration a changé de tactique, les gens ont opté pour l'attaque de front.

Takano

Nous ne pourrons plus régler ça avec calme et diplomatie, j'en ai bien peur.

Irie

— Avant, certaines personnes étaient prêtes à jouer le jeu et à partir.

Mais les Sonozaki se sont imposés en leader pour rallier les gens contre ce projet.

Irie

Et ils sont plutôt du genre démonstratif.

Ils ont des voitures avec de grands haut-parleurs, et je les ai vu imprimer et distribuer des tracts un peu partout.

Tomitake

— Oui, j'imagine que ce problème doit beaucoup les préoccuper.

Je dois avouer que je comprends un peu leur position.

Irie

— ... Disons que même si nos motivations ne sont pas les mêmes que les leurs, il serait bon de faire pression un peu plus sur le gouvernement pour obtenir l'assurance que le projet sera retiré.

Irie

Dès l'annonce de l'abandon du projet, les gens pourront retrouver un peu leur calme.

Tomitake

— Oui, j'entends bien.

Mais je vous assure que nous sommes déjà sur l'affaire. Laissez-moi juste un peu de temps.

Takano

— ... C'est un bruit de couloir que j'ai entendu, mais il paraît que vous n'avez pas beaucoup de gens placés au ministère du développement urbain et que cela vous empêche de réellement exercer des pressions, est-ce vrai ?

Tomitake

— Eh bien, euh, ahahaha,

je dois avouer que je suis mal placé pour vous en parler, je ne suis pas vraiment au courant, mais c'est vrai que les négociations ne se passent pas aussi bien que prévu.

Le bouclier protecteur qui assurait les arrières de Takano était puissant, mais il ne couvrait pas tout le Japon non plus.

Il était parfaitement à même de protéger de certaines choses, mais il avait aussi ses faiblesses.

Et mettre la pression au ministère du développement urbain, c'était clairement pas son domaine de prédilection.

Takano

— En attendant, et sans rire maintenant, j'aimerais savoir pour de bon :

le gouvernement ne va pas venir nous jeter dehors, vous pouvez nous le promettre ?

Tomitake

— Mais oui, bien sûr !

Ça, ça ne risque vraiment pas d'arriver.

C'est juste que ça prend du temps à mettre en place, mais ne vous en faites pas et continuez vos recherches.

Tomitake

De toute façon, si la manière douce ne marche pas, nous projetons d'employer la force.

Irie

— Et... vous voulez dire quoi au juste par là, M. Tomitake ?

Tomitake

— Ah, ça, c'est notre affaire. Vous n'avez pas à vous préoccuper l'esprit avec ça,

Monsieur le Directeur.

Je vous en prie, faites-moi confiance.

Irie

— ... Je vois.

Eh bien, soit.

Je compte sur vous.

Takano

— N'ayez donc crainte, Monsieur le Directeur.

Le projet de barrage sera retiré.

C'est déjà décidé, en fait.

Hmpfhfhfhfhf...

Lorsque Takano se mit à pouffer de rire, Tomitake aussi eut un petit rire complice.

Seul Irie resta là, sans trop savoir ce qu'il y avait de si drôle.

... Ce n'est que plus tard, lorsqu'il dut aller examiner un enfant qui n'était clairement pas du village, que le docteur Irie comprit de quoi ses collègues avaient parlé.