Tout le village était en agitation.

Tout le monde avait parié sur un quatrième meurtre cette année, et il était arrivé.

C'était la tante de Satoko qui avait été tuée.

Et comme elle avait été une hystérique notoire et qu'elle avait toujours posé des problèmes dans le quartier, les habitants du village, bien que choqués, étaient plutôt contents de voir que la malédiction l'avait punie elle.

Mais je fus le seul à comprendre immédiatement ce qu'il s'était passé.

Au moment où la Police m'a montré le corps, et que j'ai pu voir avec quelle violence le meurtrier avait défoncé le crâne de sa victime et rien d'autre,

je sus que c'était Satoshi qui avait fait le coup.

Je savais que les maltraitances envers sa sœur avaient empiré.

Je savais que Satoshi en était très préoccupé.

Et il y avait cette batte qu'il avait empruntée au club...

Tous les indices menaient à lui.

Satoshi n'avait rien besoin d'avouer, je l'avais compris.

Je ne pus pas m'empêcher de me poser des questions.

Je les avais pris en pitié, ces deux enfants, j'avais tenté d'être de leur côté.

Mais au final, je n'avais pas su voir leur détresse, et je n'avais pas pu les aider à temps...

Et puis curieusement, dans ce contexte, Satoshi me passa un coup de fil.

C'était la toute première fois qu'il m'appelait ainsi au téléphone.

Que pouvait-il bien vouloir ?

Peut-être un conseil par rapport à ce qu'il devait faire maintenant ?

Je devais l'aider.

Je devais absolument l'aider, maintenant ou jamais...

Satoshi

— Ah, Chef, c'est vous ?

Désolé de vous déranger pendant votre travail.

Irie

— Non, t'en fais pas, c'est pas grave.

Que t'arrive-t-il ?

Satoshi

— Euh... Eh bien en fait, vous êtes la seule personne que je connais qui a une voiture...

Irie

— Une voiture ?

Eh bien, oui, j'en ai une, effectivement.

Satoshi

— En fait, là, je suis devant le magasin de jouets d'Okinomiya.

Pas celui qui appartient à l'oncle de Mion, celui qui est près de chez le dentiste, vous voyez où c'est ?

Irie

— Aaaaah, oui, oui, je vois lequel c'est.

Satoshi

— Et donc, j'ai réussi à acheter la peluche pour Satoko,

mais...

euh... Mhhm.

Elle est trop grande, j'arrive pas à la caler sur le vélo...

Irie

— Elle est trop grande pour tenir sur le vélo ??

AHAHAHAHAHA ! Aaaah, Satoshi, mais tu lui as acheté quoi, comme peluche ?

Satoshi

— ... Mhhm.

Il était allé acheter cette peluche à vélo, naïvement, sans imaginer qu'elle serait trop grande, et ne savait plus quoi faire.

Comment dire, c'est Satoshi tout craché, ça. J'eus un petit sourire.

Il ne pouvait pas rentrer tout seul car il lui était impossible de la tenir ou de la porter à une seule main. Il voulait donc savoir si je pouvais venir le chercher...

Acceptant aussitôt sa demande, je pris mon véhicule et me rendis à Okinomiya.

La peluche en question

dépassait de loin tout ce que j'avais imaginé.

Irie

— Eh ben !

Aahahahahaha,

ah oui, ben là forcément, elle ne tient pas sur ton vélo !

Elle avait presque taille humaine.

En m'asseyant au volant de la voiture, je ne pouvais même pas la garder sur les genoux, car elle m'aurait caché la vision.

Je plaçai le vélo sur la banquette arrière et fis rentrer tant bien que mal la peluche dans mon coffre.

Irie

— Mais dis-moi, elle a une taille vraiment impressionnante ! Elle a dû te coûter une fortune ?

Satoshi

— ... Ouais... Bof.

Ouais,

j'imagine.

Au départ, j'ai cru qu'il transpirait à cause de la chaleur.

Mais il n'avait pas l'air dans son assiette.

On aurait dit qu'il avait de la fièvre. Il semblait proche de la perte de conscience.

Irie

— Qu'est-ce qu'il y a,

Satoshi, tu te sens mal ?

Satoshi

— Je crois que…

c'est seulement...

un coup de froid...

Irie

— Ça m'a l'air plus sérieux.

Tu ne veux pas venir à la clinique ?

Je vais t'examiner.

Satoshi

— ... Oui, merci... Je crois que ça vaudrait mieux...

Haaa...

Aaaaaah...

Pourtant, tout à l'heure, au téléphone, il avait l'air d'aller très bien.

Est-ce que la fatigue serait venue tout d'un coup ?

Irie

— Tu peux abaisser le siège, Satoshi, détends-toi.

La climatisation est trop forte ?

Tu veux que je la coupe ou pas ?

Satoshi

— ... Oh...

aaah...

haaa…

Il était blême.

Je n'avais pas de quoi lui prendre la température, mais elle était certainement très élevée.

Ce garçon s'est fait violence jusqu'à aujourd'hui pour pouvoir acheter cette peluche.

Vu la taille de l'engin, elle a dû lui coûter très cher.

Il a dû gagner les sous en quelques semaines seulement, donc il a été obligé de faire des boulots plutôt difficiles.

Et maintenant qu'il avait cette peluche, il s'était relâché.

Il n'était pas rare de voir la fatigue physique et nerveuse assaillir quelqu'un juste après la fin du projet...

Irie

— ... En tout cas, tu as bien tenu le coup.

Elle est belle, cette peluche.

Je suis sûr que Satoko sera très contente.

Satoshi

— ... ... ... J'l'ai achetée pour ça...

Irie

— Et elle sera contente, Satoshi,

crois-moi.

Satoshi

— ... Désormais...

notre tante n'est plus là.

Et notre oncle ne revient plus.

... Je pense qu'avec ça...

il n'y aura plus personne pour lui faire subir toutes ces brimades... N'est-ce pas ?

Irie

— Effectivement, tu as raison.

Il n'y aura plus personne pour la persécuter.

Vous allez pouvoir un peu vous reposer, tous les deux...

Satoshi

— ... ... Ma tante... elle est partie,

hein ?

Elle est vraiment morte ?

Irie

— Oui,

C'est moi qui ai fait l'autopsie,

je peux t'assurer qu'elle est morte.

Et je ne suis pas du genre à me tromper dans ce genre d'examens.

Elle ne pourra plus jamais hurler sur Satoko.

Satoshi

— ... Vraiment ?

Vous avez vraiment vérifié ?

Elle est morte ?

Irie

— Oui, oui, elle est morte,

aucun doute là-dessus.

Satoshi

— ... Alors pourquoi...

Alors même si parfois...

je croise des femmes qui lui ressemblent...

ce n'est pas elle, hein ?

Elle est pas vivante ?

Elle n'est pas sortie de l'hôpital ?

Irie

— Non.

Non, non, je t'assure,

nous ne la reverrons plus jamais, elle est morte.

Satoshi

— Alors…

alors la…

la dame…

La dame là-bas...

elle lui ressemble, mais…

c'est pas ma tante ?

Hein ?

Satoshi tendit le bras, et désigna quelqu'un plus loin. Il était tremblant comme une feuille.

Bien sûr, comme nous étions en voiture, je n'eus pas le temps de voir la personne en question,

mais je savais que même si réellement cette femme avait ressemblé à sa tante, elle ne pouvait pas être sa tante.

Satoshi

— Regardez !

Là, elle aussi !

Elle lui ressemble comme deux gouttes d'eau !

Vous êtes sûr que c'est pas elle ?

Irie

— Calme-toi, Satoshi !

Ta tante est morte, je peux te l'assurer, elle est morte de chez morte !

Même si tu devais rencontrer quelqu'un de très ressemblant, ce ne serait pas elle !

Satoshi

— Mais elle lui ressemble !

Elle lui ressemble !

Satoshi

Non, c'est pire...

C'est elle, c'est vraiment elle...

C'est encore elle...

Elle est encore en vie...

Satoshi

Quand je pense à tout ce que je lui ai mis sur la gueule...

Elle aurait dû mourir au moins dix fois avec tous les coups que je lui ai mis...

pourquoi...

POURQUOI !?

Je ne pouvais pas me permettre de lâcher le volant, aussi continuai-je simplement à rouler...

Satoshi avait perdu pied sur la réalité.

Ses yeux la voyaient.

Ils voyaient sa tante, bien vivante, alors que son cerveau savait qu'il l'avait tuée. Et il la voyait de plus en plus souvent...

Ce n'est qu'à cet instant qu'enfin, l'évidence me frappa.

Satoshi était en train de faire une crise aiguë et risquait de déclencher la phase terminale...

Dès mon arrivée à la clinique, je devais faire des tests.

Ce n'était pas la même chose qu'avec Satoko.

Nous avions déjà plusieurs sérums expérimentaux, qui avaient été testés.

Ce qui voulait dire qu'en théorie, nous devrions pouvoir le sauver !

Quant au meurtre de sa tante, je demanderai à nouveau aux chiens de montagne de faire quelque chose avec la Police. Ils ont fait du bon travail, les autres fois.

Normalement, je devrais pouvoir stopper la progression de la maladie chez lui. Il pourra sûrement retrouver un quotidien normal et vivre avec sa sœur par la suite...

D'un seul coup, il redevint très calme, trop calme, presque.

Il n'avait pas l'air de s'être endormi.

Il me fallait absolument arriver à la clinique pendant qu'il se tenait encore tranquille.

Si jamais il faisait une crise de démence dans la voiture, il pouvait m'empêcher de conduire ou se jeter sur moi et nous tuer dans l'accident.

Satoshi se mit alors à parler, comme s'il avait lu mes craintes dans mes pensées.

Satoshi

— ... Chef.

... Vous croyez que...

c'est la malédiction de la déesse Yashiro ?

Irie

— Les malédictions, ça n'existe pas, Satoshi.

Reste concentré, je t'en supplie.

Satoshi

— ... Satoko…

je suis désolé.

Satoshi

Juste avant de l'acheter, cette peluche,

je me suis dit qu'avec tout cet argent, je pourrais m'en aller très loin d'ici...

Satoshi
Satoshi

Et ça... la déesse ne me le pardonnera pas.

Satoshi

Je ne suis pas digne

d'être son grand frère.

Satoshi

Je suis...

Je suis...

Irie

— Tu n'es pas obligé de parler, Satoshi.

Ferme les yeux, repose-toi.

Nous sommes tout proche de la clinique.

Je vais t'examiner et te prescrire les médicaments qu'il te faut.

Satoshi

— ... Je me demande si... si mon sang aussi est tout grouillant d'asticots...

Ça me gratte...

Irie

— N'y touche pas !

SATOSHI, ne TOUCHE PAS à ta gorge !

J'arrêtai ma voiture devant la porte de service de la clinique.

Les pneus crièrent très fort sur le parking.

Satoshi était en train de se gratter la gorge.

Seul, je ne pouvais pas l'en empêcher.

Je courus à l'interphone demander de l'aide.

Presqu'aussitôt, plusieurs hommes arrivèrent en courant.

Mais bien sûr, en voyant tous ces gens s'approcher de lui aussi vite, Satoshi prit peur et se mit à se défendre.

... Pas besoin d'analyses pour comprendre qu'il était au niveau N5.

Il était en phase terminale, en pleine crise paranoïde aiguë.

Il devait penser que mes hommes étaient venus pour le tuer.

Ils le maintinrent en place pendant que je lui injectai un puissant sédatif et un somnifère.

Satoshi

— Ch…

Chef...

Aid-

aidez-moi !

Irie

— Ne t'en fais pas, Satoshi, nous allons te guérir.

Je veux juste que tu te calmes et que tu dormes.

Satoshi

— …

...

...

...

Chef

...

...

...

...

...

...

S'il vous plaît

...

...

...

Prenez

soin

de

Satoko

Il n'eut pas le temps d'en dire plus.

À peine m'avait-il demandé cette faveur qu'il perdait connaissance.

Takano

— Eh bien alors, quel est tout ce raffût ?

Mais que vois-je ici, c'est très intéressant, tout ça ?

Irie

— ... Satoshi a fait une crise aiguë.

Irie

J'aurais dû prévoir cette situation, je savais très bien qu'il était confronté à beaucoup de stress, tous les jours.

Irie

Je parie que la seule chose qui le faisait tenir, c'était l'idée lancinante d'acheter cette peluche pour l'anniversaire de sa sœur...

Takano

— C'est quand même un hasard formidable, vous ne trouvez pas ? Chaque année, pour la purification du coton, nous obtenons un nouveau sujet pour nos expériences.

Takano

Je me demande si ce n'est pas grâce à cette malédiction dont tout le monde parle.

Takano

Hmpfhfhfhfhf...

Pour l'instant, j'avais plus urgent à faire que d'écouter les traits d'humour douteux de Mme Takano...