— Bonjour M. Furude, je suis désolé de vous avoir fait attendre.
Nous en avons terminé avec les derniers tests.
Je pense que votre fille sera ici d'un instant à l'autre.
— Espérons que cela ne sera pas en vain pour le village...
— Ne dites pas ça, voyons !
Sa coopération nous aidera à sauver les habitants.
D'ailleurs, c'est grâce à elle que nous avons pu enfin trouver un moyen théorique de contrer la maladie.
Nous sommes encore en train d'étudier comment certains éléments interagissent entre eux, mais croyez-moi, Rika est d'une importance capitale pour ce village.
Les malades ne peuvent normalement pas faire régresser la maladie avec leur système immunitaire,
mais nous savons qu'au contact de la Reine Mère, leur cerveau se met à produire une enzyme particulière.
Elle a un effet apaisant sur le patient, et permet en outre d'endiguer la progression de la maladie et, avec le temps, de l'atténuer.
Lorsque nous réussirons à produire cette substance en laboratoire pour la prescrire aux patients, nous ne serons alors plus très loin de la solution.
— Ah, vraiment ?
Rika est capable de faire tout ça ?
— Hmpfhfhfhf.
J'aurais pourtant pensé que vous, le prêtre du village, ne vous en étonneriez pas outre mesure.
Les légendes racontent depuis longtemps que la prêtresse des Furude peut calmer les esprits rageurs et appaiser les démons.
L'Histoire en a déjà apporté la preuve au village, à travers les siècles. Pour le coup, c'est la Science qui ne vous est d'aucune utilité...
— Vous avez peut-être raison, oui.
Les Anciens avaient une intuition et une sagesse qui laissent parfois pantois même les plus grands chercheurs de la médecine moderne...
— ... Miaou☆!
J'en ai terminé avec les analyses.
— Ah, Rika ? Bravo, tu as été très courageuse.
Je suppose que tu es fatiguée ?
Tiens, prends ça et va t'acheter ce que tu veux au distributeur.
— Miaaaouuu ! Merci !
Ils m'ont pompé tout beaucoup de sang, je vais aller refaire le plein !
Rika reçut les pièces de 100 yens des mains de son père et détala à toute vitesse, se dirigeant vers l'imposant distributeur au bout du couloir.
— ... Vous savez, nous lui sommes extrêmement reconnaissants.
Si elle n'avait pas fait tout cela pour nous, nos recherches n'auraient jamais pu progresser d'une manière aussi spectaculaire.
— Ma fille m'a simplement demandé si sa meilleure amie était aussi touchée par cette maladie. Depuis que je lui ai dit que c'était probablement le cas, elle s'est mise en tête de faire tout le nécessaire pour la sauver, plus rien d'autre ne compte pour elle.
Docteur, Madame, j'espère que vos équipes aideront ma fille à sauver son amie.
— Bien sûr, Monsieur.
Nous ne vous aurons pas demandé en vain de nous accorder du temps tous les dimanches.
Vous verrez, nous obtiendrons des résultats.
... Je pense que Rika aura encore à supporter quelques tests assez douloureux, mais nous n'avons vraiment pas le choix. J'espère que vous pourrez l'accepter.
— Mais ne vous inquiétez pas, nous ne ferons strictement rien qui pourrait la mettre en danger.
Son corps est extrêmement important.
Après tout, elle est la réincarnation d'une déesse...
— ... Je me demande bien comment nos ancêtres ont fait pour se rendre compte de l'existence de la maladie.
Et aussi, comment ont-ils pu découvrir que la Reine Mère se transmettait dans la lignée des Furude ?
... Vraiment, plus ça va, et plus je me découvre un respect nouveau pour ces gens.
— ... Monsieur, en fait, nous avons quelque chose à vous demander.
... Nous aurions besoin de votre autorisation pour extraire un peu du liquide céphalo-rachidien de votre fille.
De plus... Il nous faudra peut-être observer son cerveau pour observer ses réactions. Pour cela, nous serons obligés de percer un trou dans sa boîte crânienne.
— Vous voulez lui faire un trou dans son crâne ?
— Évidemment, nous prendrons toutes les mesures de précaution possibles et imaginables.
Votre fille Rika est la Reine Mère, elle est unique au monde.
Nous ne pouvons nous permettre de prendre aucun risque inconsidéré. Et cette méthode est, d'après ce que nous savons, la méthode la moins contraignante et la plus sûre pour le patient.
— Ne vous inquiétez pas, nous sommes bien conscients que Rika est une jolie petite fille.
Nous ne lui raserons pas le crâne pour pratiquer la trépanation, juste une toute petite surface que nous cacherons ensuite avec ses autres cheveux.
Par contre, il nous faudra observer l'évolution de son état de santé au plus près, ce qui veut dire qu'elle devra rester à l'hôpital pendant un certain temps.
— Il va de soi que vous aurez le droit de lui rendre visite.
D'ailleurs, si vous le pouvez, venez donc lorsque nous conduirons les tests.
Je pense que Rika serait très rassurée si elle savait que son père était près d'elle dans ces moments difficiles.
— ... Est-ce que ce sont des tests absolument nécessaires ?
Et si oui, sont-ils absolument sans danger pour elle ?
— Ni l'extraction de liquide céphalo-rachidien, ni la trépanation ne sont des opérations sûres à 100%.
Il y a toujours un risque.
Et ces opérations la feront, je pense, souffrir, peut-être pas tant que cela physiquement, mais surtout moralement.
C'est effectivement une étape cruciale et absolument nécessaire pour nous, mais nous ne pouvons pas vous l'imposer sans vous demander votre avis.
— ... ... ... ...
— Nous en avons déjà parlé un peu avec votre fille, Monsieur.
— ... Qu'a-t-elle dit ?
— Elle a dit que ça ne la dérangeait pas. Elle m'a répondu comme si je l'ennuyais avec des questions dont les réponses lui paraissaient évidentes.
Hmpfhfhfhf...
— Nous lui avons bien sûr expliqué qu'elle risquait d'avoir mal et que les opérations étaient dangereuses.
Elle a dit oui, mais nous voulons être sûrs que cela ne vous pose pas de problème.
— ... Vous savez, parfois, Rika parle comme si elle pensait réellement qu'elle était la réincarnation de la déesse Yashiro.
Je pense qu'elle s'imagine qu'il est de son devoir de sacrifier sa vie pour les habitants du village.
— ... C'est un dévouement bien rare chez un enfant de son âge. Vous pouvez être très fier d'elle, je vous assure.
— Laissez-moi en parler à ma femme.
Je pense qu'elle acceptera, mais bon, ce n'est pas rien non plus, je préfère la mettre au courant et lui demander son avis.
— Oui, bien sûr.
Nous n'oserions pas entamer cette procédure sans obtenir l'autorisation de toute la famille.
— Ces observations directes dans son cerveau, elles sont nécessaires pour éradiquer la maladie ?
— Oui.
Elles nous permettront d'en avoir le cœur net. Ce n'est qu'à la lumière de ces observations que nous pourrons identifier et expliquer les mécanismes du syndrome de Hinamizawa.
— Ou en tout cas, de savoir exactement dans quelle direction chercher la solution.
— ... Je vous l'ai déjà dit tout à l'heure, mais j'insiste : si jamais il arrivait malheur à la Reine Mère, c'est toute la population infectée par la maladie qui risque de mourir.
Pour faire simple, tous les habitants du village risquent de montrer des symptômes de la phase terminale.
— En effet.
D'après les observations faites pendant la guerre, la crise aiguë survient dans les 48h. On pense donc que si la Reine Mère devait mourir, les habitants pourraient connaître le même sort dans les 48h.
C'est une situation que nous devons éviter coûte que coûte.
— ... Mais c'est terrible, ce que vous me dites là... La mort de ma fille pourrait déclencher une chose pareille ?
— Oui, c'est vrai.
Et il est de notre devoir d'empêcher cette situation de se présenter, quel qu'en soit le prix.
C'est un peu énervant de se dire que nous devons la mettre en danger pour justement éloigner le danger de la maladie,
mais on n'éteint pas un feu sans se rendre sur les lieux de l'incendie.
— ... Docteur.
Est-ce que vous pouvez me promettre que ça va marcher ?
— Monsieur, il n'existe pas de certit--
— Je vous le promets.
Coupant la parole à Mme Takano, le Docteur Irie acquiesça d'un air grave et solennel.
— Je vous jure sur ma vie et mon honneur
que je sauverai votre fille
et que je sauverai ce village.
À n'importe quel prix.
— ... Très bien.
Laissez-moi quelques jours, le temps d'en parler à ma femme.
Je reviendrai vous voir pour vous transmettre notre décision.
— Oui, je comprends.
Eh bien en ce cas, à la prochaine, Monsieur.
— Hmpfhfhfhfhf…
Ahahahahahaha !
À peine Rika et son père étaient-ils partis que Mme Takano eut un éclat de rire incontrôlable.
— Eh bien quoi ?
Qu'y a-t-il de si drôle ?
— Ahaha, aaaah...
Non, rien.
Je trouvais juste amusant de vous voir leur demander l'autorisation pour les analyses avec autant d'honnêteté.
— Vous savez, la petite Rika n'a pas spécialement besoin de subir autant de tests et d'endurer toutes ces souffrances.
J'ai simplement pensé que la moindre des politesses, c'était de leur demander leur avis.
Si l'homme de l'année dernière n'avait pas déjà été victime de troubles mentaux graves, je lui aurais aussi demandé son autorisation.
— Monsieur le Directeur, on dirait que depuis le début des recherches, vous vous sentez coupable. Mais coupable de quoi ?
— ... ... Où voulez-vous en venir au juste ?
Cette fois-ci, Mme Takano en avait trop dit ou pas assez. Son attitude commençant à devenir particulièrement dérangeante, Irie décida qu'il était temps de tirer les choses au clair.
— Les recherches sur le syndrome de Hinamizawa ne peuvent progresser que par l'étude et la dissection de sujets vivants.
Vous en avez eu la preuve incontestable cette année, et pourtant, vous continuez à vous comporter comme si c'était un crime.
— … C'est nécessaire.
Tout simplement parce que tuer des gens ou les disséquer vivants EST un crime, Mme Takano.
Ce n'est qu'en reconnaissant notre culpabilité et en faisant montre de repentir pour que ces morts ne soient pas en vain que nous pourrons trouver la motivation de poursuivre les recherches en nous y investissant au maximum.
— Ooh, mais c'est qu'en plus, vous montez sur vos grands chevaux ?
Hmpfhfhfhf...
Eh bien alors, j'ai une question pour vous, Monsieur le Directeur.
Vous pouvez me dire combien vous avez demandé d'autorisations quand vous pratiquiez la psychochirurgie ?
— ... ... ... ... Euh...
Cela faisait partie de ces choses du passé qu'Irie pensait secrètes.
— Combien de cerveaux avez-vous donc amputés sans autorisation lorsque vous vouliez prouver que tous les comportements criminels de l'être humain trouvaient leur source dans la maladie physique de l'organe du cerveau ? Vous voulez que je vous rafraîchisse la mémoire, peut-être ?
Hmpfhfhfhf...
— ... Vous faites erreur, Madame.
— Oui, oui, je sais, les temps changent, avant, c'était normal, et cætera.
Et puis, à l'époque, les médecins ne perdaient pas leur temps à expliquer les opérations et les actes chirurgicaux à leurs patients, alors des autorisations, vous pensez bien que c'était le dernier de leurs soucis.
Vous ne devriez pas vous tourmenter, Monsieur le Directeur.
C'était autorisé, avant.
Alors laissons ces vieilles histoires derrière nous.
Hmpfhfhfhf...
Mais justement, vous vous en voulez terriblement, c'est pour ça que vous voulez leurs autorisations...
— Non, Madame.
Pour le patient, il y a une différence entre la guérison et la dissection, e--
— Bon écoute, gamin, y en a marre, maintenant.
Tout ce que tu veux, c'est un petit papier qui fera que l'on ne pourra pas te jeter en prison, c'est tout.
C'est pas vrai, peut-être ?
Tout ce que tu veux, c'est te dédouaner de ton passé.
Si vraiment tu regrettes ce que tu faisais avant, alors arrête de travailler dans ce domaine.
Au lieu de ça, tu restes là à geindre et à te lamenter, mais tu n'en fais pas plus pour autant.
Si vraiment tu ne peux pas vivre avec ta conscience, la porte est grande ouverte, tu n'as qu'à démissionner, garçon !
Alors, c'est pas vrai ?
— ... Cela suffira ainsi, Madame.
Je ne vous félicite pas.
— Non, tu vas rester ici et tu vas m'écouter.
La Médecine ne progresse qu'en se battant avec les principes moraux et les valeurs en place.
Lorsque le Professeur Takano a découvert le syndrome de Hinamizawa, les grands décideurs de l'Académie des Sciences lui ont ri au nez, en basant leur jugement sur leur propre ignorance crasse !
Mais il n'a jamais abandonné les recherches, jusqu'au jour où la maladie l'a cloué sur son lit de mort.
Il a toujours cru qu'un jour, les scientifiques reconnaîtraient son travail,
fût-ce après sa mort !
C'est cette foi inébranlable en ses propres convictions qui mène à la réussite.
Sans elle, le Professeur Takano aurait abandonné.
Ce n'est que par la force de la volonté que l'on peut mener à bien des recherches.
Et seule une volonté et une détermination sans faille peuvent donner des résultats !
Mais toi, tu n'as pas cette flamme.
Tu n'es même pas fichu de savoir si tu dois être fier ou honteux de tout ce que tu as réussi dans ta vie !
Tu es un peureux, un éternel indécis ! C'est à se demander comment tu es atterri à ce poste.
Tu aurais pourtant dû savoir que tes mains étaient déjà pleines du sang des innocents, et qu'il te faudrait encore plus de sang pour arriver au bout de ces recherches !
— ... ... ... Je ne sais pas quoi vous dire.
Je ne nierai pas que je suis peut-être un peu trop indécis.
— Eh bien alors, si tu démissionnais ?
Tu devras garder le silence toute ta vie, mais au moins, tu auras ta conscience pour toi.
Ce n'est pas moi que ça va déranger, tu n'étais qu'un pion que notre client voulait absolument placer.
Maintenant que l'Institut existe, je n'ai plus besoin de toi, dans l'absolu.
Alors si en plus tes atermoiements viennent m'empêcher de faire mon travail, je peux t'assurer que tu ne resteras pas longtemps ici, je n'ai pas besoin d'un incapable sur les bras !
Je continuerai les recherches toute seule, s'il le faut.
Je me contrefous des principes moraux.
Seule une détermination puissante peut assembler les fragments du futur.
J'ai fait le vœu de mener ces recherches à bien, tout comme l'a fait le Professeur Takano autrefois. Notre vœu est noble et puissant, et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir, même toute seule, pour que ce vœu devienne réalité !
— ... ... Votre détermination vous honore, Mme Takano.
Mais moi aussi, j'ai une volonté. Peut-être pas autant que vous, mais je ne suis pas venu ici les mains dans les poches.
Oui, vous avez raison, j'ai du sang innocent sur les mains.
Encore plus depuis que je suis arrivé en poste à Hinamizawa.
C'est pourquoi je ne me permettrai jamais de fuir avant d'être allé au bout de ces recherches.
Et je suis sûr que je me sentirai toujours coupable.
Mais je ne fuirai pas.
Je mettrai un médicament au point pour traiter les victimes du syndrome de Hinamizawa.
C'est la seule manière de faire honneur aux personnes qui ont
et qui auront donné leur vie.
Kyôsuke était comme transformé. Il avait désormais un air décidé et sûr de lui.
Il n'y avait plus la moindre trace de la gêne qu'il avait ressentie lorsque Miyo Takano l'avait mis devant son passé.
Après l'avoir regardée pendant plusieurs secondes dans le blanc des yeux, Irie tourna les talons.
— ... Nous obtiendrons très probablement l'autorisation des parents de Rika Furude.
Voyez avec nos équipes pour préparer le nécessaire.
— Oui, bien sûr...
Monsieur le Directeur.
La semaine suivante, les Furude revinrent avec l'autorisation dûment signée.