Je savais que j'avais des médicaments bizarres, en particulier un qui ne voulait pas rentrer dans ma mémoire.
Des gélules, je crois.
Quoique, c'étaient peut-être des pilules un peu plus grosses et allongées.
Elles avaient une couleur rouge bien particulière... Ah ben alors, c'étaient des gélules.
J'ai du mal à imaginer des pilules d'une couleur pareille.
Oui, c'étaient sûrement des gélules, en fait.
Elles étaient même un peu plus grandes que la moyenne.
Je crois.
Il me semble en tout cas.
J'arrive pas à m'en souvenir.
J'en avais des images très vagues, mais si je voyais ces médicaments devant moi, je les reconnaîtrais immédiatement.
Ces gélules vous volent votre humanité.
Elles endorment votre âme, vous prennent vos souvenirs, estompent vos sentiments, rendent votre corps lourd comme du plomb.
Vous ne pensez plus, n'avez plus goût ni intérêt à rien, et une fois réveillé, ne pensez qu'à une chose : dormir.
Elles font aussi perdre toute notion du temps.
Parfois, vous sentez une éternité se passer pendant que la coureuse n'avance que d'une seule seconde.
Et parfois, vous avez l'impression de suivre l'aiguille des heures et de la voir tourner à une vitesse prodigieuse.
Mais dans un cas comme dans l'autre, cela ne déclenche en vous aucune émotion. Parce que ces gélules vous en empêchent.
Ce médicament vous transforme en loque humaine, simplement capable de rester au lit et de regarder le plafond.
Je pense que seules les personnes qui ont dû en prendre peuvent saisir à quel point ce produit est dangereux et effrayant.
Le plus terrible, c'est que ce médicament, quand vous le prenez, vous empêche de vous rendre compte de la situation.
Vous passez des jours étranges, toujours dans le flou, sans remarquer ce qu'il vous arrive, et vous prenez toujours ce médicament, jour après jour, à en perdre conscience.
C'est pourquoi un jour où curieusement, ce médicament ne fit pas son effet, je pus me rendre compte que je devais à tout prix éviter d'en reprendre.
Ces gélules n'étaient pas prescrites pour me soigner.
Elles me tuaient, petit à petit, lentement mais sûrement.
Si j'avais continé à en prendre tous les jours, je pense qu'à un moment, j'aurais fini par me demander si j'étais vraiment vivante ou si par hasard je ne serais pas déjà morte. Et une fois dans cet état, je n'aurais plus jamais réussi à reprendre pied et à retrouver ma conscience.
Je me serais retrouvée à passer le reste de ma vie dans un lit, à regarder le plafond, en observant la course des aiguilles sur l'horloge murale...
Je savais que si j'en reprenais, je perdrais à nouveau la faculté de penser et de réfléchir.
Ce qui signifiait perdre mon identité, à tout jamais peut-être.
Depuis le jour où je m'en rendis compte, je me mis à faire semblant de les prendre, pour mieux les jeter et m'en débarrasser.
“Si le docteur t'a prescrit des médicaments, tu dois les prendre jusqu'à finir le paquet, même si tu es déjà guérie.”
Ma mère m'avait dit ça, un jour.
Elle me disait ça à chaque fois que je revenais de chez le médecin, quand j'étais toute jeune.
Généralement, j'étais guérie bien avant d'avoir consommé tous les médicaments, et à chaque fois, ma mère me rabâchait ça, avec sa voix si particulière.
Mais pour ce médicament, les choses étaient différentes.
Cette voix dans ma tête qui me revenait de temps immémoriaux, cette voix-là, je décidai de la chasser de ma tête, parce que je ne voulais pas terminer ces gélules.
Je me pris la tête entre les mains, presque cachée entre les coudes, et je serrai sur mes oreilles, fort, pour ne plus entendre, pour me faire mal à la tête, pour oublier la voix de ma mère et les ordres qu'elle me donnait...
Parce que plus ma tête redevenait claire, et plus les souvenirs de ma mère devenaient précis.
L'image de ma gentille maman se fit plus réelle, et d'un seul coup, ma mère fut nettement moins gentille.
Elle avait trahi notre famille.
Elle nous avait trahis, mon père et moi, qui l'attendions comme des idiots le soir, avec trois parts de nourriture toujours prêtes à être servies.
Elle avait trahi la confiance entre nous, elle avait été voir un autre homme, en secret, prétextant devoir travailler tard, et elle allait donner son corps ailleurs, sous un autre toit.
C'était déjà un crime en soi, mais en plus, elle avait osé divorcer de mon père, alors que lui avait toujours tout fait pour la soutenir dans ses projets, et ça, c'était bien pire.
Mais elle avait aussi commis un crime encore pire que tout cela, quelque chose que je ne lui pardonnerai jamais.
Elle m'avait invitée à rejoindre sa nouvelle famille, alors que celle-ci et celle qui était la mienne s'excluaient mutuellement.
Et par-dessus le marché, elle m'avait invitée, moi seule, sans mon père.
Mon père et moi formons une famille.
Une famille, c'est un groupe de gens qui vivent ensemble.
Et ma mère a essayé de briser ce groupe, de le faire éclater. Ça ne lui suffisait pas de tromper mon père, elle voulait en plus détruire nos liens.
Plus je m'en souvenais précisément, et plus je me rappelais que c'était ignoble, répugnant, dégueulasse, et qu'elle devait payer...
Je sentis une douleur fulgurante derrière mes globes oculaires, et sus que la haine déformait mes traits.
Cette haine se déversait depuis tout mon être, elle était trop massive pour se limiter à ma mère, alors elle se trouva une deuxième cible de choix : l'homme avec qui elle avait une liaison.
L'homme avec qui elle trompait papa.
Monsieur Akihito.
Il se moquait souvent de moi, et je n'avais jamais trop aimé ça, mais il me donnait toujours beaucoup d'argent de poche. C'était gentil et agréable.
Au final, je l'aimais quand même beaucoup.
Mais sa gentillesse avait en fait été toute calculée.
Il avait tout mis en œuvre pour détruire ma famille, ne seraient-ce que les liens entre mon père et ma mère.
Je n'aurais jamais dû penser que je l'aimais bien, cet homme !
Oui, oui, bien sûr !
Plus je me souvenais, plus cela redevenait clair.
Plus mon véritable ennemi devenait clair.
C'était sa faute à lui si ma mère avait pris un amant.
Ma mère, au début, elle avait toujours été gentille.
Elle n'est devenue méchante que lorsqu'elle a commencé à le connaître.
C'est lui qui est le plus responsable, c'est lui le méchant, c'est Akihito.
Quand est-ce que je l'ai vu pour la première fois, cet homme ?
J'étais de sortie avec ma mère... Nous étions en train de manger dans un grand magasin, et il s'est assis à notre table, en disant qu'il était un collègue de travail.
D'ailleurs, ce jour-là,
la toute première fois que je l'ai vu, ça m'avait frappée.
J'avais trouvé sa manière de parler à ma mère très bizarre, un peu glauque, pas normale.
Oui, si, bien sûr...
Je me suis dit que c'était bizarre, si.
Ça m'a mise mal à l'aise.
J'aurais dû ne jamais douter de ma première impression, de mon intuition.
J'avais vraiment été naïve et stupide de croire que c'était quelqu'un de bien simplement parce qu'il m'avait acheté une part de charlotte aux fraises !
C'était pas la faute à mon père.
De toute manière, il ne l'avait probablement jamais rencontré.
Mais moi, je tiens une part de responsabilité.
J'ai rencontré notre ennemi plusieurs fois, et j'aurais eu largement l'occasion de découvrir ou de comprendre qu'il était notre ennemi.
Si j'avais eu la même envie que maintenant, celle de protéger notre famille, j'aurais vu clair à travers son jeu !
Je n'oublierai jamais la tête de mon père ce jour-là.
Je n'oublierai jamais comment cet homme d'habitude si calme et si gentil s'était mis à pleurer à chaudes larmes, les mains crispées sur ses genoux...
Il m'a demandé si je le connaissais, cet “Akihito”.
Et moi, bien sûr, je lui avais répondu que oui.
Et alors, il m'avait mis une gifle monumentale.
Et c'est seulement lorsque j'avais pris cette gifle que j'avais enfin réalisé ce qu'il se passait.
Il m'avait embobinée, il m'avait amadouée, et j'avais été stupide de l'avoir laissé faire.
Oui, oui... C'était ma faute, tout ça.
Ce bonheur que j'avais voulu conserver le plus longtemps possible, je l'avais détruit de mes propres mains.
Si je n'avais pas été aussi stupide, mon père n'aurait pas eu à pleurer, et ma mère serait restée la gentille mère que j'avais toujours connue autrefois.
C'est parce que j'avais été idiote, aveugle, stupide !
C'est ma faute, ma faute !
Je ne pouvais pas pardonner à ma mère, ni à M. Akihito !
Et je ne pouvais surtout pas me pardonner à moi, qui étais encore et toujours suffisamment conne pour l'appeler “M. Akihito”...
Oui, c'était de ma faute, tout était de ma faute.
C'est parce que j'étais trop conne que tout ça est arrivé !
Tout se mélangeait en moi, la haine, la tristesse, les regrets, la colère...
Si jamais ma mère avait osé revenir à la maison, je l'aurais écorchée vive, de mes propres mains !
Mais maman ne revint jamais.
Et ma colère, ayant perdu ainsi son seul possible défouloir, se déversa sur tout ce qui me rappelait ma mère, de près ou de loin.
Je cherchai pièce par pièce tous les objets qui lui avaient appartenu, pour les détruire.
Je les frappai, les disloquai, les jetai au sol.
Mais ma colère ne pouvait pas s'apaiser pour si peu.
Et même après m'avoir poussée à dévaster toute notre maison, elle était encore forte, lancinante, inextinguible.
Où la colère se condense-t-elle ?
Elle naît dans la poitrine, au plus profond de l'être, puis jaillit dans les bras, atteint les doigts et exsude par les ongles.
Mais où aller désormais ? Quelle cible attaquer et détruire ?
À peine m'étais-je posé la question que mes ongles se jetèrent sur moi.
En ce moment, la chose la plus sale et écœurante que j'avais sous la main, c'était moi-même.
J'étais la source de tous ces malheurs, c'était de ma faute à moi.
Ou non, non, pas du tout, ce n'était pas ma faute,
c'était la faute à ma mère !
C'était elle qui était sale !
Son corps et son âme étaient sales, corrompus !
Quitte à me souiller pour toujours, j'aurais bien voulu, moi, Reina Ryûgû, la réduire en bouillie !
Et ce jour-là, je finis par découvrir et par savoir la vérité.
La vérité, c'était que mon sang, que mes veines, que mon corps étaient remplis de vermine grouillante.
Oui, c'est vrai, mon corps était sale
et pourrissait de l'intérieur.
Et c'était normal, après tout, il n'avait qu'à continuer de pourrir et de se désagréger !
Mais ça me grattait,
oh oui ça me grattait,
ça me démangeait fort,
très fort,
trop fort !
Une fois dans la salle de bains, je cherchai la plus grosse artère qui parcourait ma cuisse, et y plantai une lame de rasoir.
Le sang jaillit.
Et dans le sang, des choses rouges sombres, noires, de la vermine encore vivante.
Au mépris de la douleur et de la peur primitive qui m'emplissaient, je tentai d'élargir la blessure, le plus possible.
Et la vermine sortit en grappes,
encore,
et encore,
à n'en plus finir
...
Et ça, c'était juste la fémorale de ma cuisse gauche.
La droite devait être bouchée aussi !
Et mes mollets,
et mes bras,
mon ventre,
mes aisselles,
et alors, ça voulait dire aussi que…
mon cou devait être plein à craquer !
J'avais la sensation étrange d'être à la fois complètement paniquée et à la fois très sûre de moi.
Ma tête réussissait à penser, sur un ton détaché, que si je m'ouvrais toutes les veines, j'allais mourir en me vidant de mon sang.
Mais tout était de ma faute, c'était à moi de prendre mes responsabilités.
Même si j'en rejetais une partie de la faute sur ma mère, je n'avais plus rien sous la main pour m'en rappeler le souvenir, à part moi-même.
... Mais c'est bien sûr !
Si je voulais en finir avec cette colère qui me consumait,
le plus facile et le plus rapide, c'était d'en finir avec moi-même...
Et si je voulais vivre, il me fallait me pardonner.
Pour ça, il me fallait rejeter la faute sur quelqu'un d'autre.
Sauf qu'il n'y avait personne d'autre.
Je pouvais me mettre debout sur la tête et réfléchir dans tous les sens, la seule manière de me libérer de ma colère était de m'infliger des blessures.
Et donc, puisque je ne pouvais blâmer personne d'autre, je devais m'ouvrir les veines, je n'avais pas le choix.
J'eus beau me gratter encore et encore, j'eus beau me mutiler encore et encore, cela ne suffisait pas.
Je pense qu'un observateur extérieur aurait eu bien du mal à soutenir la vision de ce qu'il se passa dans cette salle de bains, avec mon sang qui salissait tout, le sol, les murs, la baignoire...
Et puis, j'avais beau faire semblant de réfléchir posément, la douleur, elle, était bien réelle, et elle ne semblait pas prête à disparaître comme par magie.
Je ne sais pas si c'était dû à la perte de sang, ou au fait que j'étais nue depuis un moment, mais je sentis mon corps devenir froid, de l'intérieur.
Mais mon cœur battait comme un fer bat l'enclume,
et il me faisait mal, et il faisait froid, puis chaud, puis je fus triste et misérable.
Je me mis à implorer l'existence d'autre chose, de quelqu'un d'autre qui pourrait m'absoudre de mes péchés, me pardonner mes actions.
Et là, à cet instant...
elle apparut devant moi.
J'ai vu une grande lumière, crue, divine.
C'était fantastique, c'était... magnifique. Plutôt surréaliste, aussi. C'était quelque chose de mystérieux.
Et cette chose, ou plutôt cette personne, s'excusait.
Elle demandait pardon, pardon, pardon...
Mais pourquoi s'excusait-elle auprès de moi ?
Normalement, on s'excuse lorsque l'on reconnaît ses torts.
Mais alors, cette chose s'excuse pour les torts qu'elle m'a faits ?
Mais alors...
c'est pas ma faute ?
C'était sa faute à elle ?
Ahahaha…
ahahahahahahaha...
À bout de force, la lame de rasoir me tomba des mains.
Elle disparut dans une mer de sang visqueux.
La douleur se mit à quitter mon corps tout entier.
Elle s'écoula par toutes les plaies béantes de mon corps.
Jusqu'à présent, je m'étais persuadée que cette douleur était mon châtiment.
Mais si ce n'était pas ma faute, s'il y avait quelqu'un pour me pardonner, alors je n'avais plus à accepter cette souffrance.
Je n'avais pas besoin de purifier mon corps.
Elle continuait à s'excuser devant moi, qui gisait toujours dans mon sang.
Elle me murmura constamment, encore et encore, que ce n'était pas ma faute, que je n'avais rien à me reprocher.
La déesse Yashiro existait donc réellement.
Et elle resta avec moi,
à marcher autour de moi,
ses pieds clapotant dans mon sang resté au sol.
Et à chaque fois que je fus à deux doigts de succomber au poids de mes péchés, elle revint à mes côtés pour me rassurer et me dire que ce n'était pas ma faute.
Tout avait été la faute à la malédiction de la déesse Yashiro.
C'est parce que nous avions enfreint sa loi en déménageant de Hinamizawa que tout cela était arrivé, et que le monde était devenu fou.
Enfin, les souvenirs me revinrent.
Une vieille dame du voisinage m'avait donné un porte-bonheur le jour où nous étions partis.
Elle me l'avait donné pour que la malédiction ne me frappe pas.
Oui, oui, je m'en souviens, elle me l'avait donné.
Il y avait des inscriptions compliquées écrites au pinceau dessus.
Mais après notre déménagement, je ne l'avais plus vu.
J'ai dû le perdre quelque part pendant le voyage.
Ah ben forcément... Ceci expliquait cela.
Quand les habitants de Hinamizawa abandonnent le village, la déesse les poursuit pour les maudir, c'était la règle.
Moi et maman, et peut-être même M. Akihito, qui sait, étions devenus fous à cause de la malédiction.
En fait, ce n'était la faute à aucun d'entre nous.
Tout était l'œuvre de la déesse Yashiro.
C'était la faute à personne, personne, personne !
Enfin, je pus mettre ma colère de côté et m'accorder le pardon.
Et cette haine bouillante qui avait tenu alors que j'avais tout cassé, alors que j'avais tout souillé,
alors que j'étais sur le point de me détruire,
eh bien enfin, cette haine tenace fut drainée et me laissa vide.
Papa...
Enfin, j'ai compris où était le problème...
Si ma mère était partie, si mon père avait dû souffrir, c'était tout de la faute à la déesse Yashiro, à sa malédiction.
Tu t'en souviens, toi, Papa, hein ?
La déesse Yashiro, la divinité protectrice de Hinamizawa.
Oui, je me souviens.
Les gens de Hinamizawa n'avaient pas le droit de vivre dans le monde extérieur, car il était souillé, c'était ça, la légende, hein ?
C'est pour ça que Maman a changé.
C'est la malédiction.
Si notre famille n'avait pas quitté Hinamizawa, nous aurions vécu heureux.
La déesse Yashiro est venue à moi, elle m'est apparue, et elle me l'a expliqué.
D'ailleurs, elle avait toujours essayé de me le dire.
Depuis l'époque où Maman était partie, depuis l'époque où je ne savais plus sur quoi passer mes nerfs,
elle était restée près de moi, à essayer de m'expliquer ce qu'il se passait.
Elle était toujours restée derrière moi.
Mais j'avais toujours fait semblant de ne pas entendre ses bruits de pas,
parce qu'ils me faisaient peur.
Ahahahaha, je suis vraiment pas douée.
Il a fallu que je me mutile sur tout le corps pour enfin entendre sa voix suppliante.
En même temps, si j'avais pu l'entendre plus tôt...
... Je ne sais pas. Peut-être que la déesse Yashiro tentait de me prévenir depuis ma rencontre avec M. Akihito.
Ben, ce serait logique ; si nous étions rentrés à Hinamizawa, Maman n'aurait pas eu cet amant.
Nous aurions vécu heureux au village, ensemble, en famille.
La déesse a essayé de nous le dire, tout ce temps, tout le temps.
Mais oui, bien sûr, la déesse nous a suivis.
Elle essaie de me mettre en garde depuis notre départ de Hinamizawa, en fait.
Elle est toujours restée avec moi.
Toujours, tout le temps, elle m'a suivie partout.
Je n'ai jamais voulu y croire, j'ai toujours mis ça sur le compte de la fatigue, mais c'était elle, j'étais trop stupide !
Oui, c'est parce que j'étais stupide que tout cela est arrivé.
Si j'avais prêté attention à sa voix, notre famille n'aurait pas été frappée par le malheur !
C'était parce que j'étais sourde et stupide, c'est de ma faute !
J'entends la déesse, elle s'excuse, encore et encore, elle le dit, c'est de sa faute, elle le dit !
C'est vrai, hein ? C'est pas de ma faute, quand même ?
C'est tout la faute à la déesse, hein ?
Écoute-la s'excuser, elle demande pardon, pardon, pardon, Papa, pardon !
La déesse s'excuse beaucoup, elle n'arrête pas, elle n'arrête jamais !
Moi aussi, je te demande pardon, Papa, pardon, s'il te plaît, j't'en supplie !
Et vous aussi, ô Déesse Yashiro, pardonnez-moi de ne pas avoir su entendre votre voix plus tôt !
Pourtant, nous sommes tous de Hinamizawa, nous étions censés écouter votre voix, suivre vos enseignements !
Vous êtes là, Déesse, vous êtes là ! Elle est là, Papa, elle existe ! La déesse Yashiro est parmi nous !
Quoi ? Tu ne l'entends pas ? Tu ne la vois pas non plus ?
Mais enfin, écoute-la, elle s'excuse, là, maintenant !
Moi aussi, je dois m'excuser !
Toi aussi, Papa, tu dois demander pardon.
Maman n'a pas besoin.
Maman peut crever, c'est pas grave, la déesse n'a qu'à la maudire et la tuer !
Je la déteste, je la hais, qu'elle crève, qu'elle crève !
Je ne supporte plus l'idée que son sang coule dans mes veines !
Toute la vermine qui est sortie de mon corps, c'était à elle ! Je la sens, elle se réveille, la vermine grouille en moi !
Non, pardon, pardon, ô Déesse Yashiro,
je vous en supplie !
Non, je ne veux pas, pas les gélules, NON !
Ces gélules, c'est Maman qui les a préparées, elles les a données au médecin pour me tuer ! Je n'en veux pas, JE N'EN VEUX PAS !
Arrête, ARRÊTE, je ne les avalerai pas, tu m'entends ?
C'est une malédiction, ça ne se guérit pas avec des médicaments !
C'est pas ça qui va détruire la vermine dans mon sang, c'est une malédiction !
Non, pas les piqûres, pas les piqûres, NON, NOooooooOOON !
Non, j'ai mal, j'ai MAL, vous me faites mal, NON !
... Le monde se fondit dans une masse de gris.
Les cris des docteurs et la voix de Papa me semblent soudain bien lointaines...
D'ailleurs, tout était arrivé il y a bien longtemps...
Ils m'ont redonné ces gélules. Je ne pourrai plus jamais réfléchir. Et les rares souvenirs qui m'étaient revenus vont partir à tout jamais de ma mémoire, et disparaître dans l'océan de l'oubli...
... J'étais dans mon lit, à regarder le plafond d'un regard morne.
La seule chose que je pouvais distinguer d'intéressante dans mon champ de vision était l'horloge.
... Tic, tac, tic, tac.
La seule chose que je faisais de mes journées, c'était suivre l'aiguille des minutes et constater la progression de l'aiguille des heures.
Oh, je voyais d'autres choses dans ma vision périphérique.
Et tout comme les aiguilles des montres, cette personne faisait la même chose, toute la journée, inlassablement.
Pardon,
pardon, pardon.
C'est ma faute, tout ça, je vous demande pardon.
Oui, la déesse Yashiro restait à mon chevet, à s'excuser encore et encore.
Tic,
tac,
pardon,
pardon,
tic,
tac,
pardon,
pardon.
C'était toujours la même chose, en boucle. Toujours, toute la journée, sans s'arrêter...
Et par la fenêtre entr'ouverte, pour je-ne-sais-quelle raison, le sanglot des cigales qui parvenait à mes oreilles me semblait un peu plus insistant que d'habitude...